A propos de l'Art en Wallonie
L'intéressant article de Daniel SERET paru dans le numéro spécial de TOUDI en septembre, inspire au galeriste que je suis, quelques réflexions.
D'abord, contrairement à ce qu'affirme l'auteur, le marché de l'Art en Wallonie existe, petit peut-être, mineur sans aucun doute, mais réel et potentiellement porteur pour l'avenir. La raison de l'étroitesse du marché est évidente et tient aussi à l'histoire: jusqu'ici les Arts se sont développés dans les grandes villes; pour les Wallons, Paris , et plus proches, Bruxelles , Anvers et leur prolongement «à la Côte», à Knokke principalement.
Tant à Bruxelles qu'en Wallonie, les académies d'Art ne manquèrent jamais de même que certaines écoles supérieures, La Cambre à Bruxelles, l'Institut Supérieur des Beaux- Arts à Mons, Saint- Luc à Liège, entre autres. Les artistes wallons et bruxellois furent et sont nombreux, et parmi eux se distinguèrent de véritables génies, tels Joachim Patenier, Henri Blès, Léonard Defrance, Del Cour, Rogier de La Pasture sous l'Ancien Régime; Rops, Khnopff, Degouve de Nuncques, Pirenne, Le Brun, Magritte, Delvaux, Simon, parmi beaucoup, beaucoup d'autres, et je ne cite aucun contemporains.
Des dizaines d'Ecoles ou de mouvements artistiques se développèrent témoignant d'une vie intense, aussi bien à Liège (Rassenfosse, Mambour, Zabeau), qu'à Verviers (l'École de Verviers), ou dans le Hainaut (Nervia, le Surréalisme), et même dans les Ardennes rurales où aucun centre culturel n'existait, grandit une école «ardennaise» typique avec Heintz, Raty, Barthélemy, Howet. Bien sûr , la plupart des artistes wallons se retrouvaient à Paris ou à Bruxelles, quoi de plus normal ! Certains s'exilèrent mais à Paris était-ce un exil ? Quelques-uns demeurèrent dans leur village, comme Armand SIMON à Pâturages, pareillement à CHAISSAC en France. À cette heure, des artistes s'envolent vers les États-Unis...
Certes le statut de l'artiste en Wallonie-Bruxelles, est ambigu, et pour survivre presque tous sont enseignants ou fonctionnaires; cependant les plus motivés ou les plus chanceux ou les très talentueux, se risquent dans l'aventure de l'Art à temps plein dès que le succès toque à leur porte, c'est naturel. Il est statistiquement logique qu'au milieu d'une centaine d'artistes à une époque donnée, surgisse un talent oublié, un artiste maudit. Armand Simon cité plus haut, fut peut-être de ceux- là au milieu du XXème siècle bien que...de son vivant, Bellmer, Dali, Magitte, Breton saluassent son talent. Je rappelle que dans les années 30, 40, 50 et jusqu'en 1965 environ, Magritte lui- même demeura un illustre inconnu du grand public et même de la bourgeoisie «belge».
En résumé, je crois que peu de régions dans le monde, produisirent et génèrent autant d'artistes que la Wallonie et Bruxelles ensemble! Mais quantité ne signifie pas qualité! Tout le monde ne peut pas être Picasso ou Magritte! La majorité des artistes s'inscrivent dans une démarche de créativité et pas de création, nuance! Les artistes capables de créer un univers qui leur soit propre et autonome, se comptent chez nous, comme ailleurs, sur les doigts d'une main. Ce constat n'implique pas que les «arteurs» (pour les distinguer des artistes), soient inutiles, au contraire! Les influences, les contradictions, les contraires, les amitiés et inimitiés, les initiateurs, les épigones, les seigneurs et les vassaux, les connus et les inconnus, voilà le vivier où s'épanouissent les Arts.
Le seul caractère commun indiscutable de tous ces artistes wallons, est d'être nés ou d'habiter la Wallonie. Pour le reste, ils inaugurent ou suivent ou s'inscrivent dans les tendances majeures de l'Art de leur temps. Dans mon essai Wallonie Rapsodie paru en 1996, j'ai cru percevoir quelques singularités de l'Art wallon mais celles-ci sont relatives et ne concernent que quelques artistes: l'attrait pour le fer (Bury) et la pierre ( Dodeigne), héritage des artisans carriers et des batteurs de fer. L'on pourrait signaler la tapisserie et la fresque (Dubrunfaut, Somville, Vienne), d'un art qui se voulait public et parlant directement aux paysans et aux ouvriers. Autre caractéristique probable, liée au nombre et à la qualité de nos écoles d'art, la maîtrise technique dans tous les genres artistiques. Enfin, l'assimilation équivoque aux «artistes belges» pour les artistes wallons reconnus .
La reconnaissance, voilà la question. Il en est plusieurs: par les pairs (les autres artistes); par le marché de l'Art, reconnaissance rendue visible par ce qu'on nomme «la cote» de l'artiste; par les pouvoirs publics enfin. Ces trois reconnaissances s'entremêlent, s'appuient l'une sur l'autre et se contredisent parfois mais rarement, par exemple dans le cas d'artistes reconnus par le marché et non par l'Institution ou vice versa. Il n'empêche que tôt ou tard, les talents véritables surgissent, parfois trop tôt , parfois trop tard. À ce propos il est absurde de condamner au nom de je ne sais quelle pureté idéologique, le marché de l'Art. Ce marché est tout de même constitué de gens, d' amateurs, de petits ou d'importants collectionneurs qui ne sont pas tous des imbéciles ni des capitalistes sans scrupules, ni des riches tout court! N'importe qui peut acheter l'oeuvre d'un artiste, c'est mieux qu'un poster ou qu'une voiture. Rien n'empêche les plus démunis d'entrer dans un musée ou dans une galerie d'art. Certains s'y rendent, d'autres pas. C'est ici et ici seulement que se pose la question sociale liée à l'enseignement et à l'éducation. Mais les outils culturels dans nos sociétés démocratiques, existent à bon marché, espérons que cette situation perdure. Des académies, des foyers culturels, les médias, les stages organisés partout en Wallonie, les salons d'Art. Certes l'école chez nous oublie trop les Arts. C'est ici que le combat est à mener pour améliorer la qualité de notre enseignement.
En résumé, en Wallonie et à Bruxelles, n'importe qui a la possibilité de s'initier aux Beaux- Arts, et pour peu que l'on ait du talent, de devenir artiste ou, comme l'on dit aujourd'hui, «plasticien», ou de s'orienter dans l'animation culturelle, la publicité. Les plus talentueux parviendront à vivre de leur art d'autant que, située au coeur de l'Europe, la Wallonie s'ouvre à tous les vents des autres pays...