Le 15ème anniversaire de Namur Capitale de la Wallonie
À la mi-décembre 2001, Namur a fêté le 15ème anniversaire de son accession officielle au rang de Capitale de la Wallonie. D'une part, une petite cérémonie s'est déroulée dans les sous-sols du Parlement wallon1 le mardi 11 décembre, réunissant Robert Collignon, Président du Parlement, et Bernard Anselme, nouveau Bourgmestre de Namur et initiateur du décret du 11 décembre 1986 «instituant Namur capitale de la Région wallonne». Aucun ministre du Gouvernement wallon n'était présent2.
Un colloque
D'autre part, le samedi 15 décembre après-midi, l'asbl NEW (Namur-Europe-Wallonie)3 organisait à l'ancienne bourse de commerce un colloque, ouvert au public cette fois, intitulé Namur, Capitale de la Wallonie - 15ème anniversaire - Les perspectives. Si 133 participants s'étaient inscrits auprès de NEW, quelques dizaines de personnes seulement ont écouté les exposés dans l'ancienne salle, tristounette et glaciale, du Conseil régional wallon. Pendant la première partie, les perspectives identitaires, internationales, spatiales et économiques furent traitées respectivement par Vincent Vagman, historien et doctorant en sciences politiques, par Dominique Royoux, de Poitiers (suite à son absence, son texte fut lu par le Directeur de NEW, Luc Arnould), par Françoise Orban, Directrice du Département Géographie des F.U.N.D.P. (exposé dynamique et accrocheur) et par Renaud Degueldre, du Bureau économique de la Province de Namur. La deuxième partie abordait les perspectives institutionnelles et politiques avec des discours de B. Anselme, R. Collignon et J.C. Van Cauwenberghe. Aucun débat n'étant prévu, le colloque fut directement clôturé par la signature solennelle de la convention entre la Région et la Ville, renouvelant l'intervention régionale spécifique en faveur de la capitale wallonne. Le soir, fut tiré au confluent de la Sambre et de la Meuse le feu d'artifice annulé lors des dernières fêtes de Wallonie pour cause d'attentats du 11 septembre.
La presse quotidienne en ayant déjà rendu compte (L'Écho surtout, avec une pleine page le 19 décembre), on ne reviendra pas ici en détails sur l'ensemble des interventions de ce colloque. On mettra plutôt en exergue quelques éléments intéressants de certaines d'entre elles4. Ainsi, arrivés largement en retard, les responsables politiques (R. Collignon, J.C. Van Cauwenberghe, H. Hasquin, S. Kubla, J.M. Severin, A. Dalem ...) n'ont pu entendre le premier exposé sur les Perspectives identitaires intitulé Namur Capitale et l'identité wallonne : du compromis géographique à la légitimité politique. Ce sont eux pourtant qui étaient concernés au premier chef par les interpellations de V. Vagman quant aux problèmes de la particratie, du cumul des mandats et du sous-régionalisme en Wallonie. Ceci au détour de réflexions sur «une interaction originale entre la Wallonie et sa capitale» mise en évidence par une approche à partir des Fêtes de Wallonie à Namur, dont on peut retenir les traits suivants : primo, «la Wallonie se fête massivement à Namur. Une vieille tradition namuroise5 connaît un nouveau souffle depuis que de nombreux fonctionnaires régionaux y participent. Au-delà de la fête, c'est bien là la fonction première d'une capitale wallonne que de brasser toute l'année des individus venus des quatre coins de la Région pour se consacrer à des tâches d'intérêt wallon. Namur constitue en ce sens un foyer de la conscience wallonne, aussi variable et hétérogène soit-elle.» ; secundo, «aucune autre ville ne consacre sa fête majeure à la Wallonie»6, même pas Liège dont la fête principale est le 15 août, d'où l'idée implicite que c'est de Namur que le combat contre les sous-régionalismes wallons pourra être le mieux mené ; tertio, «la Fête de la Communauté française ne répond à aucune tradition populaire» ; quarto, «la Fête de la Wallonie constitue une vitrine médiatique unique de la puissance publique wallonne». V. Vagman a aussi souligné à propos du choix de Namur comme capitale wallonne que «le compromis géographique initial s'est enrichi d'une incontestable légitimité politique».
Pour Bernard Anselme, «Namur est devenu un centre politique majeur. C'est ainsi que de nombreuses manifestations ont lieu maintenant dans notre ville. C'est la rançon du succès. Mais nous pouvons constater aujourd'hui combien la Région est une entité politique de proximité.»
Dans son discours-bilan, Robert Collignon a rappelé les dangers que certains projets d'implantation des institutions wallonnes à Bruxelles avaient fait courir naguère à la Wallonie : «Il était cependant évident, pour moi comme pour bien d'autres heureusement, que le Parlement wallon, les cabinets wallons, les administrations wallonnes situées en dehors de la Wallonie, c'était nier l'existence réelle de la Région, lui enlever son essence, rendre enfin le fédéralisme naissant totalement incohérent.» Par ailleurs, on relèvera au passage ces considérations : «Songeant à l'assemblée que je préside, j'aime à rappeler ce que l'on appelle l'équipollence des normes et qui veut que le décret ait la même valeur juridique que la loi. D'autre part, et ce n'est pas seulement symbolique, le décret n'est pas sanctionné par la signature royale. De la même manière, élus démocratiquement par le Parlement wallon, les Ministres régionaux prêtent serment dans les mains du Président de celui-ci. Seul le Ministre-Président prête ensuite le serment constitutionnel entre les mains du Roi en présence du Premier Ministre. Forte de cette autonomie, la Région est de ce fait à l'abri de certaines péripéties qu'a connues en son temps le Parlement fédéral. Ces éléments sont à mon sens à même d'apporter un éclairage intéressant dans le cadre de la réflexion amorcée aujourd'hui sur la fonction royale dans notre pays.»
Enfin, le Ministre-Président Jean-Claude Van Cauwenberghe a souligné que la question de la fusion entre la Communauté française et la Région wallonne, souhaitée par certains dans les années '80, ne se posait pas pour les Wallons en termes de rationalisation institutionnelle mais était pour eux une question existentielle, tranchée définitivement avec la réforme constitutionnelle de 1993, laquelle a reconnu la primauté de la Région sur la Communauté. «C'est, quelques années auparavant, par la "bataille de Namur" que les régionalistes assurèrent leur victoire. [...] 1985 fut, pour la jeune Wallonie politique, l'année de tous les dangers. Cinq ans après sa naissance institutionnelle, d'aucuns songeaient déjà à étouffer au berceau une autonomie longuement revendiquée, en voulant nous imposer la fusion avec la Communauté sur le modèle adopté par la Flandre. [...] Ce fut l'époque où la formule "Namur, Capitale de la Wallonie" fleurit aux quatre coins de notre Région, tel un symbole de résistance.» Pour le Ministre-Président, le choix de Namur constitue un facteur d'affirmation régionale, tant pour les régions wallonne que bruxelloise, un facteur de visibilité pour la Wallonie, car est bénéfique pour celle-ci une certaine «centralité» (tout autre chose que la centralisation) qui permet l'identification d'un pouvoir, et un facteur d'unité des Wallons, car Namur participe au renforcement d'une conscience wallonne commune.
Erreurs historiques
Ce quinzième anniversaire a hélas été l'occasion de plusieurs erreurs historiques, tant dans les discours politiques que dans les articles de journaux. Ainsi, le 11 décembre 1986 était présenté comme la date tantôt du vote du décret, tantôt de sa publication au Moniteur belge. En réalité, ce n'était ni l'un ni l'autre : respectant les étapes du processus législatif normal, le «décret Anselme» a été «adopté» par un vote du Conseil régional wallon le 19 novembre 1986, «sanctionné» et «promulgué» par l'Exécutif régional wallon le 11 décembre 1986 et enfin publié au Moniteur belge le 17 février 1987 (avec entrée en vigueur implicite 10 jours plus tard selon les règles légistiques). C'est toujours le jour de la sanction-promulgation par le pouvoir exécutif qui donne la date officielle d'une loi ou d'un décret.
Par ailleurs, lors de la cérémonie au Parlement wallon, Robert Collignon aurait affirmé que la Wallonie fut la première région du pays à se doter d'une capitale de manière décrétale, la Flandre ayant choisi Bruxelles sans décret7. Il convient de rétablir la vérité historique : dès le 6 mars 1984, le Vlaamse Raad avait adopté le «décret relatif au choix de Bruxelles comme capitale de la Communauté flamande» (113 oui et 2 abstentions Agalev), sanctionné et promulgué le jour même par l'Exécutif flamand, et publié au Moniteur du 12 mai 19848. En réaction, le Conseil de la Communauté française adoptait le 4 avril 1984 le «décret instituant Bruxelles capitale de la Communauté française»9 (70 oui et 4 abstentions Écolo), sanctionné et promulgué par l'Exécutif francophone le 10 mai 1984 et publié au Moniteur le 8 juin 1984.
11 décembre 1986 : date paradoxale
La Wallonie n'était donc pas la première10, mais de plus, en 1986-87, elle était dans la situation paradoxale d'avoir Namur comme capitale officielle, certes, mais Bruxelles comme capitale réelle. On doit d'ailleurs regretter, au-delà des erreurs ponctuelles relevées ci-dessus, le manque de mise en perspective historique globale lors de cette commémoration du décret du 11 décembre 1986 : en effet, à cette date précise, Namur est moins capitale wallonne dans les faits et dans l'esprit de ses dirigeants qu'elle ne l'a été pendant les 15 années précédentes et qu'elle ne le sera à partir de 1988 ! Par contre, cette date est marquante dans le combat de l'affirmation wallonne.
Il convient en effet de rappeler que le «décret Anselme» résulte d'une initiative de 6 parlementaires de l'opposition (PS et Écolo), s'inscrivant dans un contexte d'agitation wallonne contre les projets de la nouvelle majorité régionale PRL-PSC, issue des élections du 13 octobre 198511. Le président du PRL, Louis Michel, avait déclaré le 23 octobre 1985 que, voulant la fusion à terme de la Communauté française et de la Région wallonne comme «garantie contre le séparatisme sauvage», il jugeait que «la décision d'installer les institutions régionales en Wallonie est une faute grave» et que le retour à Bruxelles de toutes les institutions wallonnes l'ayant quittée ou étant sur le point de le faire était «une exigence absolue et sur laquelle nous ne transigerons pas»12.
Dès le lendemain, dans un long communiqué bien argumenté, Jean-Maurice Dehousse s'insurge : «L'opposition à la Wallonie commence». Il souligne notamment que «la déclaration de M. Michel constitue une rupture flagrante avec plus de 75 ans de revendications wallonnes et 15 ans de pratique parlementaire constante. L'implantation en Wallonie des institutions politiques wallonnes est une constante du mouvement wallon. Des hommes de tous les partis y ont apporté leur soutien à toutes les époques, en dehors du contexte parlementaire d'abord, dans le contexte parlementaire ensuite» et de rappeler les différents organismes wallons installés à Namur de 1971 à 1980 et les diverses décisions de l'Exécutif régional wallon de 1979 à 1985 (nous y reviendrons plus loin), jamais contestées par le Conseil régional wallon. J.M. Dehousse juge l'attitude du PRL «excentrique et dommageable pour la Wallonie» et estime que c'est «une stupidité de dire que "la Wallonie se prive d'une vitrine bruxelloise" : autant dire que la Belgique se prive, par son existence, d'une "vitrine parisienne"». Après avoir rappelé que «c'est une majorité wallonne qui maintient le siège de la Communauté française à Bruxelles, dans une action de solidarité concrète et de défense commune contre la Flandre», J.M. Dehousse s'alarme : «En rompant l'unanimité wallonne sur l'implantation en Wallonie, le président du PRL démontre clairement ce qui attend la Wallonie en cas de fusion avec la Communauté française»13.
Le même jour, Paul-Henry Gendebien affirme qu'«il faut rester à Namur. Le transfert à Bruxelles constituerait un retour en arrière, [...] un mauvais coup porté à la notion même de Wallonie, à son image, à ses espérances. Le principe de la régionalisation serait ébranlé : imagine-t-on que des Catalans proposent l'installation de leur gouvernement à Madrid, que les élus des régions françaises fixent le siège de leurs conseils régionaux à Paris ? L'argument qui consiste à dire qu'il ne faut pas laisser Bruxelles aux Flamands sera rencontré plus efficacement par la création de la Région bruxelloise, comme l'exige la Constitution en son article 107 quater.»14D'autres réactions suivent : le mouvement Wallonie libre mène campagne dans son bimensuel ; les syndicats socialiste et chrétien ainsi que le GERFA (Groupe d'étude et de réforme de la fonction administrative) protestent et 300 fonctionnaires du jeune Ministère de la Région wallonne manifesteront le 16 janvier devant le CRW ; réunie le 5 décembre, sur l'initiative du bourgmestre Jean-Louis Close, une «Assemblée des forces vives du Namurois» s'indigne (elle mènera diverses actions pendant l'année 1986) ; le même jour, des intellectuels wallons, proches du Manifeste pour la culture wallonne de 1983, se disent «inquiets et choqués» ; ils soulignent notamment que «l'affirmation wallonne est tout le contraire du repli : elle est l'indispensable tremplin, aujourd'hui d'une survie, demain d'un rayonnement» et n'hésitent pas à retourner le sophisme rabâché du «repli wallon» en dénonçant «la politique du repli sur Bruxelles», qui renforcerait l'État central, nierait du même coup la Région wallonne et la Région de Bruxelles, et les déforcerait face à la Flandre15. L'écrivain Thierry Haumont vitupère contre ce qu'il appelle d'une formule-choc «le repli belge»: «Il se fait que l'on est en train de contraindre la Wallonie au repli belge. Là où la Wallonie commençait à s'organiser, et à préparer la voie de son rayonnement, on cherche à l'étouffer dans une Belgique qui, par définition - on peut éventuellement le regretter, mais les preuves s'accumulent - ne peut être qu'antiwallonne. En d'autres termes, ce qu'on cherche à constituer aujourd'hui, c'est une Belgique qui n'aurait le droit d'exister qu'en affirmant son sentiment antiwallon et antibruxellois. Il est regrettable que des Wallons, que des Bruxellois, emportés par on ne sait quelle hâte démagogique - c'est bien de courte vue qu'il faut parler - se prêtent à cette infamie. Ce que voudrait vous dire aujourd'hui un écrivain de Wallonie, c'est que nous ne voulons pas habiter au sein de structures qui nous nient. Ce n'est même pas une revendication : c'est l'expression franche d'une volonté de respect des droits de l'homme et des droits des peuples.»16.
Le 28 novembre 1985, dès le lendemain de l'installation houleuse du nouveau Conseil régional wallon17, les socialistes B. Anselme, J. Poulain, C. Eerdekens, R. Denison et Y. Ylieff (chef du groupe PS) ainsi que l'écolo J. Daras déposent sur le bureau du CRW une «proposition de décret instituant Namur capitale de la Région wallonne»18, avec un article unique limpide : «Namur est la capitale de la Région wallonne et le siège de l'Exécutif» et parmi les développements cette considération : «Installer le pouvoir politique wallon en Wallonie c'est affirmer l'identité wallonne, c'est aussi affirmer la réalité bruxelloise.» Ils déposent également une «proposition de décision fixant le siège du Conseil Régional Wallon à Namur» (en application de l'article 10 du Règlement d'ordre intérieur du Conseil)19. Une semaine plus tard, P.H. Gendebien et deux membres du PSC, mal à l'aise face aux projets de leur majorité, déposent le 5 décembre 1985 deux propositions de décret, bien plus timides, pour fixer les sièges du CRW à Namur pour l'une20, de certaines administrations wallonnes en Wallonie pour l'autre21. Une longue bataille d'amendements en Commission de mars à novembre 1986, émaillée d'incidents de procédure, parfois très vifs, aboutira à un décret édulcoré de toute obligation pour l'Exécutif de siéger à Namur : «Namur, capitale de la Région wallonne, est le siège du Conseil Régional wallon. Le Conseil pourra tenir des réunions en un autre lieu, s'il en décide ainsi.» On remarquera que pour ce décret, fruit de laborieux compromis, son intitulé (décret instituant Namur capitale de la Région wallonne) ne correspond plus aux prédicats de ses deux phrases : Namur n'est qualifiée de capitale qu'au détour d'une phrase traitant d'un autre sujet, en l'occurrence le siège du CRW.22Le nouvel Exécutif PRL-PSC présidé par Melchior Wathelet avait bloqué, dès sa première réunion le 11 décembre 1985, le processus d'implantation à Namur initié par son prédécesseur Jean-Maurice Dehousse (qui s'était installé à Jambes en septembre 1985, après Valmy Féaux en décembre 1984, et avait lancé un programme de locations, d'acquisitions et de constructions d'immeubles) : l'Exécutif wallon retourne à Bruxelles et le transfert des fonctionnaires vers Namur et Jambes est suspendu. La polémique fait rage23. On notera qu'un sondage fait apparaître une majorité de 57,2 % de Wallons en faveur de Namur24. Finalement, le 6 mars 1986, il est décidé de quand même localiser 650 fonctionnaires à Namur, ravalée au rôle de simple «centre de services aux Wallons» ; les 250 autres et l'Exécutif (avec plus de 400 personnes pour les 6 cabinets ministériels) restent à Bruxelles, où doit s'affirmer l'«ancrage politique» de la Wallonie, laquelle ne doit pas abandonner Bruxelles comme «un fruit mûr prêt à tomber dans les mains des Flamands». C'est dans ce contexte que l'Exécutif concèdera aux parlementaires wallons un décret choisissant une capitale, non sans montrer dans les débats le peu de cas qu'il compte en faire. Sérieusement édulcoré, on l'a vu, le décret est adopté le 19 novembre 1986 par 76 oui et 27 abstentions (le groupe PRL en bloc, plus le PS P. Tasset, un des deux rapporteurs des travaux en Commission, pour marquer sa déception). Demi-défaite wallonne : l'Exécutif avait la liberté d'installer son siège et celui de l'administration à Bruxelles ; demi-victoire wallonne quand même : le Conseil restait à Namur où il était implanté depuis 1980 (les plus ultra des libéraux voulaient le transférer lui aussi à Bruxelles25) et surtout la Wallonie disposait officiellement d'une capitale sur son territoire. À cet égard, une note juridique limpide de Robert Collignon avait été décisive : Bruxelles ne fait pas partie de la Wallonie, elle ne peut donc accueillir la capitale wallonne26.
1988 : Namur devient réellement et irréversiblement la capitale wallonne
Ce n'est qu'à partir de 1988, avec le nouvel Exécutif PS-PSC, présidé par Guy Coëme brièvement (février-mai 1988) puis par ... Bernard Anselme lui-même, que le «décret Anselme» trouvera sa pleine signification et Namur la plénitude de son statut officiel.
La décision est prise dès le 25 février 1988 d'implanter à Namur l'administration wallonne et les cabinets ministériels, sauf éventuellement ceux en relation régulière avec l'étranger ou le pouvoir national (concession du PS au PSC).
Le ministre Amand Dalem installe une partie de son cabinet à Jambes dès le mois de mars 1988, suivi par André Cools en avril et par Bernard Anselme en septembre, à l'ancien hôtel de ville de Namur rue de Fer, où se tiendront désormais les réunions hebdomadaires de l'Exécutif, jusqu'à l'installation en mai-juin 1991 du Ministre-Président à la Maison jamboise rénovée (rapidement surnommée L'Élysette après la prise de fonctions de Guy Spitaels en janvier 1992). Le ministre André Baudson rejoint Jambes en septembre 1989, mais les trois cabinets ministériels et demi restant à Bruxelles s'abstiennent de faire de même ; ce sont les cabinets PSC qui résisteront le plus longtemps : le dernier transfert à Namur est celui de Guy Lutgen en mars 1998 ; quant à William Ancion, successeur de Jean-Pierre Grafé après sa démission en décembre 1996, il demeure à Bruxelles jusqu'à la fin de son mandat en 1999. C'est le Gouvernement PS-PRL-Écolo présidé par Elio Di Rupo à partir de juillet 1999 qui sera le premier à voir tous les ministres wallons installés en Wallonie.
D'autre part, les fonctionnaires wallons restés à Bruxelles ou nouvellement régionalisés (création du MET, le Ministère wallon de l'Équipement et des Transports, en 1989-90) commencent, à partir de 1988, à être transférés à Namur ou à Jambes service par service, dans un premier temps souvent dans des locaux loués provisoirement. Les achats ou les constructions d'immeubles se multiplient : Namur, une capitale qui se construit peut affirmer l'exposition organisée par Bernard Anselme en septembre 1990, à l'Hospice Saint-Gilles en travaux de restauration, pour présenter les divers chantiers en cours ou en projet. Aujourd'hui, l'ensemble des services centraux du MRW et du MET est implanté à Namur ou à Jambes (les services de terrain, dits aussi " services extérieurs ", étant eux décentralisés à travers la Wallonie, de Tournai à Verviers et de Wavre à Arlon).
1971-1985 : Émergence de Namur capitale de la Wallonie
Si donc en 1986 un décret instituant Namur capitale wallonne est paradoxal et ne correspondra à la réalité qu'à partir de 1988, par contre un tel décret n'eût pas été incongru au début des années '80, comme expression d'une volonté politique en œuvre depuis 1971.
En effet, de 1971 à 1979, en attendant que la Région wallonne née de la révision de la Constitution de 1970 (le fameux article 107 quater) ne sorte du «frigo» et se concrétise en 1980, Namur accueille une série d'institutions wallonnes nouvellement créées. D'une part, trois institutions issues de la loi du 15 juillet 1970 (dite Loi Terwagne) portant organisation de la planification et de la décentralisation économique sont installées à Namur : le 16 octobre 1971 le Conseil économique régional pour la Wallonie (CERW, qui succédait à l'asbl Conseil économique wallon créée à Liège par le Mouvement wallon en 1939, et qui deviendra en 1984 le Conseil économique et social de la Région wallonne, CESRW), le 17 septembre 1973 la Société de développement régional pour la Wallonie (SDRW, qui ne pourra vraiment fonctionner qu'à partir de la fin 1975 et dont le personnel sera intégré dans le Ministère de la Région wallonne lors de sa création en 1983) et en juin 1974 la Section wallonne du Bureau du plan. Grâce à ces trois organismes, malgré leurs moyens humains et budgétaires limités, l'économie, les réalités sociales, l'environnement, les questions énergétiques, l'aménagement du territoire de la Wallonie étaient enfin pris en compte pour eux-mêmes par des institutions publiques. Il faut aussi souligner que, contrairement à la Flandre qui opta pour 5 Sociétés de développement régional (une par province), la Wallonie choisit une SDR unique, dans un souci d'unité et de solidarité wallonnes27.
D'autre part, la loi du 1er août 1974 (dite loi Perin-Vandekerckhove) crée des institutions régionales, à titre préparatoire à l'application de l'article 107 quater de la Constitution. Le Comité ministériel des Affaires wallonnes choisit Namur pour sa première réunion le 25 novembre 1974 dans les salons de la Maison de la Culture (mais retournera ensuite siéger à Bruxelles «pour des raisons d'intendance»). Le président du CMAW, le PSC Alfred Califice, déclare au quotidien namurois Vers l'Avenir : «La signification de ce choix est à la fois symbolique et réelle. [Pour le] premier acte de l'Exécutif wallon, tous les membres du Comité ministériel des Affaires wallonnes ont souhaité que cette réunion se déroule à Namur, c'est-à-dire au cœur de la Wallonie. [...] Chaque fois que les décisions à prendre seront particulièrement signifiantes pour la région wallonne, je compte proposer à mes collègues le choix d'une ville wallonne comme siège de nos délibérations. Comme vous le voyez, c'est à un journal wallon que je donne ma première interview. Cela aussi est un symbole et doit déboucher sur une réalité : la conscience de l'existence de la région wallonne.»28. Le Conseil régional wallon est installé à Namur le lendemain, 26 novembre, en la salle du Conseil provincial et y siégera jusqu'en mars 1977, ses services administratifs occupant le château de la Plante. L'assemblée fixera officiellement son siège à Namur (seule ville candidate) en sa 5ème séance, le 4 juin 1975, à l'unanimité des 32 membres présents (PSC, PLP, RW)29 après que le conseil communal de Namur eût marqué son accord le 30 mai pour céder l'ancien Hospice Saint-Gilles par bail emphytéotique au CRW. Mais cet organe purement consultatif, boycotté par l'opposition socialiste, sera supprimé par la loi du 19 juillet 1977.
Enfin, le 22 octobre 1979, est officiellement constituée à Namur la Société régionale d'investissement de Wallonie, créée par la loi du 4 août 1978 de réorientation économique et par l'arrêté royal du 15 décembre 1978, qui en fixe le siège à Namur. La SRIW commence à fonctionner effectivement à partir du 1er mars 1980, au château de la Plante provisoirement puis à Jambes.
En 1979-1980, la régionalisation prévue par l'article 107 quater se concrétise enfin. Le premier Exécutif régional wallon, créé à titre provisoire dès avril 1979 au sein du Gouvernement Martens I et présidé par Jean-Maurice Dehousse, choisit symboliquement Namur pour y réunir le 14 mai 1979 à la Maison de la Culture, afin d'entendre sa première Déclaration de politique régionale, une informelle «Assemblée des Parlementaires de la Région wallonne», en attendant l'officiel Conseil régional wallon. En présence notamment de la présidente du Sénat du Canada et de l'ambassadeur du Canada en Belgique, J.M. Dehousse dira sa joie de pouvoir réaliser un vœu qui était le sien «mais aussi celui de tous les parlementaires wallons : voir cette assemblée se réunir en Wallonie. [...] La Wallonie fut d'abord un mot. Des précurseurs en firent le titre d'une revue importante. Des hommes politiques chargèrent ce mot d'une grande espérance : celle d'un meilleur avenir pour tous ceux qui habitent la parcelle de territoire européen qui va de Mouscron à Eupen et de Virton à Nivelles. Cet avenir meilleur prend forme.»30. Le Conseil régional wallon se réunit pour la première fois le 15 octobre 1980 au Sofitel de Wépion, dont la ville de Namur louait une moitié dans ce but depuis mars 1978. À partir du 23 décembre 1981, c'est à l'ancienne Bourse de commerce de Namur que le CRW tient ses séances, puis à partir du 21 octobre 1998 au Saint-Gilles (après l'épisode malheureux de l'échec du projet de Mario Botta en 1995-9631).
Quant à l'Exécutif régional wallon, installé à Bruxelles depuis 1979, il peine à trancher la question de sa localisation et de celle de ses services, malgré la ferme volonté de J.M. Dehousse de les «rapatrier» en Wallonie : il ne peut, pendant plus de trois ans, que répéter le leitmotiv «ni nouvelle centralisation, ni éparpillement»32. Or une décision devenait urgente, étant réglementairement imposée par le processus de création des nouvelles administrations régionales et communautaires33. Le 27 octobre 1982, l'Exécutif wallon «estime nécessaire d'adopter avant le 1er décembre les décisions à prendre concernant [...] la localisation des services» et «dégage les principes suivants : maintien des services décentralisés là où ils se trouvent ; [...] ; pour 1985 : établissement à Namur des services centraux ainsi que des cabinets de l'Exécutif ; décentralisation dans d'autres villes wallonnes de certains services et institutions para-régionales [...]»34.
Ce n'est que le 12 juillet 1983 que l'Exécutif wallon accouche enfin d'une «décision» dans la plus grande douleur, le libellé alambiqué de la notification officielle en fait foi : «Une majorité (4 voix contre 2 : M. Wathelet et Mme Mayence) s'étant dégagée pour transférer de Bruxelles en Wallonie le siège de l'Administration régionale, l'Exécutif, soucieux de constituer une administration cohérente, décide, à l'unanimité, de confirmer sa décision du 27 octobre 1982 (M. Wathelet s'abstenant sur les termes «de confirmer sa décision du 27 octobre 1982») d'établir à Namur, au plus tard en 1985, les services centraux du Ministère de la Région wallonne ainsi que les Cabinets ministériels régionaux [...]»35. La voix du libéral André Damseaux, se ralliant aux trois voix socialistes, avait été décisive. D'autre part, les sièges de la SRIW et du CESRW sont fixés à Liège, ceux des futurs pararégionaux de l'emploi et du logement à Charleroi, et de l'eau à Verviers. C'est ainsi que devront déménager de Namur à Liège la SRIW (en 1993) et le CESRW (en 1994), et que seront installés à Charleroi la Société régionale wallonne du logement (SRWL) et le FOREm, à Verviers la Société wallonne des distributions d'eau (SWDE).
Pourquoi donc cette répartition d'institutions entre plusieurs villes wallonnes ? Médiocre saupoudrage sous-régional ou maturité politique par un salutaire refus de tout excès de centralisation ? Ce sera l'objet de la deuxième partie du présent article dans un prochain numéro de Toudi, qui recherchera aussi les prémices du choix d'une capitale pour la Wallonie dans l'histoire du Mouvement wallon.
- 1. Les sous-sols de l’ancien hospice Saint-Gilles, où ont été préservés les vestiges archéologiques mis à jour lors de la campagne de fouilles menée à l’occasion de la restauration du bâtiment, abritent une salle de réception qui accueille diverses manifestations du Parlement wallon ; à noter que celui-ci la met depuis peu à disposition des associations qui le souhaitent (ainsi le 24 janvier 2002 la Fondation wallonne P.M. et J.F. Humblet pour la présentation de son dernier ouvrage Enseigner la Wallonie et l’Europe et la remise de ses prix de mémoire et de thèse) : belle ouverture à la société civile wallonne.
- 2. Des comptes rendus de cette discrète cérémonie du 11 décembre 2001 au Parlement wallon ont été publiés le lendemain dans Vers L’Avenir, L’Écho, Le Soir, La Dernière Heure et La Meuse notamment.
- 3. L’asbl Namur-Europe-Wallonie, créée en 1988 sur l’initiative du bourgmestre Jean-Louis Close, se définit comme «l’agence de promotion de la région namuroise».
- 4. Le texte de l’exposé de V. Vagman m’a été aimablement communiqué par l’auteur ; celui de B. Anselme était distribué aux participants au colloque ; ceux de R. Collignon et de J.C. Van Cauwenberghe sont la transcription d’un enregistrement personnel (le dernier a ultérieurement été mis en ligne sur le site internet http://vancau.wallonie.be).
- 5. Rappelons que la Wallonie se fête à Namur depuis 1923, sur l’initiative de François Bovesse. Voici ce qu’en disait un Verviétois en 1930 : «À Namur, la fête de Wallonie s’est passée dans la joie la plus vive, la plus populaire. Je note que c’est la ville où claqua gaiement aux bâtiments communaux, aux écoles, aux maisons, aux mats, le plus grand nombre de drapeaux wallons. […] Je tiens à souligner encore que tous les Services de la ville ainsi que quantité d’entreprises privées accordèrent congé à leur personnel le lundi de la fête de Wallonie. Qu’attend donc Liége, capitale de la Wallonie, pour imiter Namur ?» (Rapport de M. Henri Ohn sur la nécessité d’une mystique wallonne, dans Congrès de Concentration wallonne, Liége, 27-28 septembre 1930 : compte-rendu officiel, p. 55).
- 6. Signalons que pour une majorité des 1980 Namurois sondés par l’IESN à la demande du Soir, les Fêtes de Wallonie à Namur représentent la fête des Wallons (36 %), avant la fête des Namurois (23 %) ; et 61,2 % ne veulent pas que les Fêtes de Wallonie soient réservées aux Namurois (Le Soir, 20 mars 2002, p. 17).
- 7. Selon le compte rendu publié dans L’Écho du 12 décembre 2001.
- 8. Après avoir rappelé qu’en termes juridiques un «projet» de décret est une initiative gouvernementale et une «proposition» de décret une initiative parlementaire, on précisera que le projet de «décret relatif au choix de Bruxelles comme capitale de la Communauté flamande» avait été adopté par l’Exécutif flamand le 28 juillet 1983 et déposé au Vlaamse Raad le 9 août 1983, après qu’une première tentative, une proposition Volksunie de décret déposée par Vic Anciaux et consorts le 22 février 1983, se soit heurtée à l’opposition du Conseil de la Communauté française, qui avait saisi le Comité de concertation (cette contestation a d’ailleurs constitué un beau cas d’école étudié par Y. Lejeune et D. Delahaut-Monseur : Réformer le Comité de concertation ?, Louvain-la-Neuve, Centre d’Études constitutionnelles et administratives, 1984, p. 51-67). Notons par ailleurs que le Conseil d’État avait conclu à l’incompétence de la Communauté flamande pour le choix aussi bien du siège des institutions que de la capitale.
- 9. La proposition de «décret instituant Bruxelles capitale de la Communauté française», adoptée sans discussion le 4 avril 1984, avait été déposée le jour même par Roland Gillet, FDF, et consorts (Y. Biefnot, D. Ducarme, J.P. Grafé et A. Lagasse) : célérité parlementaire rarissime !
- 10. La Wallonie n’était pas la première, sauf à jouer sur les mots «région» et «communauté» pris dans leur sens juridique strict : mais alors, que la Wallonie soit en 1986 la première «région» du pays à se doter d’une capitale par voie décrétale n’est qu’un truisme, puisque d’une part la «région» flamande avait été absorbée par la «communauté» flamande dès sa sortie du frigo en 1980 et que d’autre part la «région» bruxelloise n’existera concrètement qu’en 1989 (de plus, on voit mal la «Région de Bruxelles-Capitale», avec le nom qu’elle porte et son territoire restreint, prendre un décret pour se choisir officiellement une capitale !…).
Tant que l’on parle de Bruxelles, on relèvera au passage l’indécrottable bruxello-centrisme du Soir : ma proposition de brève mise au point historique quant à la chronologie des décrets flamand, francophone et wallon, intitulée Namur Capitale : vérités et paradoxe, fut publiée le 21 décembre 2001 dans le Courrier des lecteurs sous le titre et le chapeau suivants : «Namur après Bruxelles. Rectification : Bruxelles fut bel et bien la première capitale… régionale de la Belgique fédéralisée». De l’art de renverser les perspectives ! …
- 11. Rappelons que de 1981 (après leur sortie du Gouvernement national) à 1985, les 6 membres de l’Exécutif régional wallon étaient élus à la proportionnelle par le Conseil régional wallon, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles : l’ERW (présidé brièvement par André Damseaux puis par J.M. Dehousse) était donc alors une tripartite PS (3) – PRL (2) – PSC (1) (tandis que le Gouvernement national Martens-Gol était uniquement social-chrétien/libéral) ; cette règle transitoire tombe après les élections du 13 octobre 1985 et les socialistes sont alors rejetés dans l’opposition en Wallonie aussi (bien que premier parti wallon avec 39,4 % des voix, contre 24,2 au PRL et 22,6 au PSC) : les majorités coïncideront dès lors aux niveaux wallon (Exécutif Wathelet-Decléty) et national (nouveau Gouvernement Martens-Gol).
La fusion de la Communauté française et de la Région wallonne (en fait l’exercice des compétences de la Région par la Communauté, possibilité prévue par l’article 59 bis, § 1er, alinéa 2, de la Constitution révisée en 1980 et par l’article 1er, § 4, de la loi spéciale du 8 août 1980) aurait nécessité une majorité des 2/3 dans chacun des deux Conseils, donc la participation au pouvoir des socialistes, hostiles à cette fusion. À défaut d’une fusion complète immédiate comme les Flamands, PRL et PSC voulaient la préparer d’une part en reconcentrant à Bruxelles toutes les institutions wallonnes et communautaires (un projet d’implantation à Mons du Commissariat au Tourisme existait), d’autre part en fusionnant les services administratifs généraux et en tenant des réunions communes aux deux Assemblées et aux deux Exécutifs (possibilités offertes par les articles 52 et 77 de la loi spéciale du 8 août 1980).
- 12.
Déclarations de L. Michel rapportées par Le Rappel, La Dernière Heure et La Libre Belgique du 24 octobre 1985. L’idée d’une fusion entre la Communauté française et la Région wallonne avait déjà agité la campagne électorale : le PRL l’avait inscrite dans son programme, le PS y était radicalement opposé (malgré quelques opinions discordantes, dont celle d’André Cools, alors président sortant du CRW), le PSC y était favorable mais seulement après la création de la Région bruxelloise. Cependant, l’éventualité d’un abandon de Namur en faveur de Bruxelles n’avait pas été explicitement abordée. Ainsi, le quotidien namurois Vers l’Avenir reste muet à ce sujet dans ses diverses interviews de représentants des partis ou lors du grand débat électoral qu’il organise le 2 octobre au Théâtre Royal de Namur.
Ce n’est que le 11 octobre, deux jours avant les élections, que Vers l’Avenir pose la question aux quatre principaux partis : «La Région wallonne restera-t-elle à Namur ?». Réponse de L. Michel (PRL) : «il me paraît que c’est une grave erreur pour les francophones de Wallonie de ne pas comprendre que le chemin obligé de la Région wallonne vers l’extérieur, c’est Bruxelles. Cela relève d’un fétichisme simpliste de vouloir se priver de cette extraordinaire vitrine. La Wallonie et donc aussi Namur ont essentiellement besoin d’ouverture. Ce qui est néfaste pour la Wallonie, c’est ce repli sur soi prôné par les socialistes. On ne réalise pas la promotion de la Wallonie en allant s’installer à Namur. Je plaide résolument pour que tous les départements régionaux, communautaires et nationaux restent à Bruxelles.» Pour G. Spitaels (PS) et P. Lannoye (Écolo), leurs partis étant opposés à la fusion, la question ne se pose pas. Enfin, réponse prudente de G. Deprez (PSC) : «Namur s’est vue reconnaître comme siège du Conseil régional wallon. Des ministères commencent à s’y implanter. Ce sont des acquis qu’on ne pourra nier dans l’avenir et lorsque la fusion sera réalisée il faudra tenir compte de ces acquis.»
- 13. Le texte intégral du communiqué de J.M. Dehousse a été publié dans La Wallonie du 25 octobre 1985, Le Peuple du 26 octobre et Wallonie libre du 15 novembre.
- 14. Vers l’Avenir, 25 octobre 1985. P.H. Gendebien, ancien président du Rassemblement wallon (1974-79), avait créé l’Alliance démocratique wallonne et avait été élu député le 13 octobre 1985 sur la liste PSC de l’arrondissement de Namur. Il deviendra le 27 novembre 1985 chef du groupe PSC au Conseil régional wallon et, vu l’étroitesse de la majorité PRL-PSC au CRW (52 sur 103, voir note n° 17 ci-dessous), il y occupera une position stratégique, dont il usera en faveur d’inflexions wallonnes à la politique de la majorité, tant régionale que nationale (voir l’Encyclopédie du Mouvement wallon, p. 708), malgré des critiques souvent acerbes de «compromis», de «duplicité» ou d’«hypocrisie» de la part de l’opposition socialiste. C’est ainsi qu’il jouera un rôle certain dans l’adoption d’un décret instituant une capitale wallonne.
- 15. Le texte «Nous de Wallonie, sommes inquiets et choqués», diffusé à partir du 5 décembre 1985 et présenté à la Maison de la presse de Liège le 9 décembre, fort de plus de 200 signatures, a été repris dans La Wallonie et ses intellectuels, Cahiers marxistes n° 187 / Toudi tome 7, novembre 1992, p. 251-252.
- 16. T. Haumont, Contre le repli belge, Carte blanche dans Le Soir, 5 décembre 1985. T. Haumont avait été désigné lauréat du Prix Rossel 1985 la veille, pour son roman Le Conservateur des ombres.
- 17. La séance d’installation du nouveau Conseil régional wallon le 27 novembre 1985 fut particulièrement houleuse : le PRL et le PSC ne disposaient que de 52 sièges sur 104 ; pour obtenir une majorité, ils exclurent par un artifice de procédure un conseiller Volksunie siégeant à Namur par les mystères de l’apparentement. Une menace d’illégalité planait sur la nouvelle (très courte) majorité wallonne.
- 18. Conseil régional wallon, session 1985-1986, document 6 - n° 1.
- 19. Conseil régional wallon, session 1985-1986, document 7 - n° 1.
L’article 10 du Règlement du CRW, adopté dès sa 2ème séance le 6 novembre 1980, avait été ainsi libellé : «Le Conseil régional wallon décide de son siège. Il peut tenir en un autre lieu une ou plusieurs réunions». Mais, à la différence du premier CRW consultatif de 1974-77, jamais une décision ne fut proposée aux conseillers pendant 5 ans : «Le silence quant au choix du siège observé entre 1980 et 1985 participe d’un accord tacite pris au moment de l’installation de l’Assemblée en 1980. […] Une proposition de décret n’a été déposée que lorsque le choix de Namur a été remis en cause, pour ce qui concerne le Gouvernement, après le changement de majorité des élections de 1985.» (Jean-Claude Damseaux, Secrétaire général du Parlement wallon, courrier personnel du 3 avril 2000).
- 20. Conseil régional wallon, session 1985-1986, document 11 - n° 1 : «Namur est la capitale de la Région wallonne et le siège du Conseil Régional Wallon. Le Conseil peut tenir en un autre lieu une ou plusieurs réunions» : proposition déposée par P.H. Gendebien, chef du groupe PSC, et A. Tilquin.
- 21. Conseil régional wallon, session 1985-1986, document 12 - n° 1 : «Le siège principal des administrations wallonnes en contact avec la population et celui des organismes pararégionaux sont établis en Région wallonne» : proposition déposée par les PSC namurois A. Tilquin et dinantais E. Wauthy.
- 22. Autre remarque concernant le décret instituant Namur capitale de la Région wallonne : Namur ne pouvait pas se voir attribuer le titre officiel de capitale de la Wallonie, puisque officiellement la «Wallonie» n’existe pas ! Rappelons en effet que ce n’est que la périphrase «Région wallonne» qui a été inscrite dans la Constitution belge lors de ses révisions successives à partir de 1970 : «violence symbolique suprême à son encontre que cette négation radicale de la Wallonie par l’absence même de son nom propre dans la charte fondamentale révisée de l’État belge» (conclusion de ma notice Wallonie (histoire du mot), dans l’Encyclopédie du Mouvement wallon, p. 1631).
- 23. Voir par exemple les discussions au Conseil régional wallon le 26 février 1986, suite aux interpellations de M. Wathelet par B. Anselme et G. Coëme (Compte rendu intégral n° 5, p. 23-42).
- 24. Sondage réalisé par le Groupe de Sociologie wallonne de l’U.C.L. à la demande de La Libre Belgique et publié le 11 janvier 1986. Sur les 600 personnes (76 % en Wallonie et 24 % à Bruxelles) interrogées par téléphone les 2 et 4 décembre 1985, 48 % sont en faveur de Namur, 26,7 % en faveur de Bruxelles et 25,3 % sans avis. Quand on sait que seulement 18,8 % des 144 Bruxellois sondés étaient pour Namur, on peut calculer que 57,2 % des 456 Wallons interrogés étaient en faveur de Namur.
À noter que selon le même sondage, 57,5 % des personnes interrogées sont pour la fusion de la Région wallonne et de la Communauté française, ce que La Libre Belgique s’empresse d’interpréter comme un «paradoxe», des «contradictions» par rapport aux premiers résultats, «reflet du malaise d’une large population qui ne se retrouve pas bien encore dans nos nouveaux schémas institutionnels», puisque selon La Libre la fusion «impliquerait logiquement une seule capitale, Bruxelles». Interprétation pour interprétation : et si ces citoyens avaient plutôt caressé l’idée copernicienne d’une Communauté Wallonie-Bruxelles (comme on dit aujourd’hui) ancrée au cœur de la Wallonie ? …
- 25. Amendement proposé par P. Boël le 10 mars 1986 : Conseil régional wallon, session 1985-1986, document 11 - n° 2.
- 26. Note juridique de R. Collignon : Annexe I au Rapport de la Commission, Conseil régional wallon, session 1986-1987, document 6 - n° 8 / 7 - n° 6 / 11 - n° 8.
- 27. Voir le relevé des nombreuses prises de position en faveur d’une Société de développement régional unique pour l’ensemble de la Wallonie dans le Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 616-617, 5 octobre 1973, p. 21-31.
- 28. Interview d’Alfred Califice à Vers l’Avenir, 22 novembre 1974. Les 6 membres du CMAW ayant choisi Namur pour leur première réunion étaient les PSC A. Califice et A. Humblet, les RW F. Perin, J. Gol et R. Moreau et le PRL L. Olivier.
- 29. Ce choix de Namur par le CRW consultatif de 1974-77 sera rappelé en ces termes par P.H. Gendebien lors du débat du 26 février 1986 au CRW concernant l’abandon de Namur au profit de Bruxelles (voir note n° 23 ci-dessus) : «Notre conviction, à l’époque, et elle n’a pas disparu, était que l’identité wallonne balbutiante avait besoin d’affirmer la cohésion d’un peuple longtemps déchiré par les luttes politiques, idéologiques, sociales, et par les rivalités – normales mais parfois excessives – entre sous-régions, entre grandes villes. La cohésion pouvait s’exprimer de plusieurs façons. L’une d’elles consista à s’accorder sur un lieu de rencontre, de dialogue, de compromis entre Wallons. Namur fut retenue, pratiquement sans discussion : c’est le lieu du confluent Meuse et Sambre, et quels symboles dans ce lieu ! Namur, cœur de la Wallonie, est aussi le confluent de toutes les Wallonies, des Wallonies urbaines et industrielles aux Wallonies rurales et villageoises, de toutes les Wallonies sociales, politiques, humaines.
Namur est donc appelée à jouer un rôle important dans la formation de la conscience wallonne. Ce rôle s’inscrit dans ce que j’appelle une “ pédagogie de décentralisation ” qui est aussi, qui devrait être plus que jamais une “ pédagogie de l’autonomie responsable ”.
Les Wallons ont besoin d’une morale de la responsabilité pour résister à de vieux complexes et à de vieux dénigrements. J’entends par là qu’ils ont besoin de confiance dans leurs propres capacités de redressement, lequel ne se fera qu’au départ de nos propres forces, de nos propres volontés, et de nos atouts. Il leur faut, pour cela, des symboles qui sont plus que des symboles, des points de ralliements, de concertation et de reconnaissance.
Ce n’est pas se replier sur soi-même que d’être soi-même. Se reconnaître, exister, vivre, ce n’est pas s’opposer ni rompre des solidarités.
Je suis donc de ceux qui pensent que l’objet de notre débat n’est ni vain ni épisodique. Il est hautement politique et ne concerne pas seulement Namur et les Namurois, mais bien l’ensemble de la Wallonie et des Wallons.» (C.R.I. n° 5, p. 29)
- 30. Assemblée des parlementaires de la Région wallonne, compte rendu, p. 2. À noter que les parlementaires PRL ont boycotté les 3 réunions de cette Assemblée informelle : le 14 mai 1979 à Namur, le 10 décembre 1979 à Mons et le 7 juillet 1980 à Liège.
- 31. Le projet de “ bateau ” sur la Meuse amarré au Grognon, conçu par l’architecte suisse Mario Botta, fut classé premier le 4 février 1995 lors du concours international organisé par le Conseil régional wallon. Après une longue polémique et plusieurs maladresses des autorités politiques wallonnes et namuroises, il fut finalement rejeté par les Namurois lors de la consultation populaire du 2 juin 1996. La Wallonie avait manqué l’occasion d’un symbole fort.
- 32. «En ce qui concerne la localisation des administrations régionales, […] l’Exécutif estime que, sans prendre le risque d’un éparpillement des services, l’implantation en Wallonie des services administratifs de la Région ne doit pas conduire à une nouvelle centralisation.» (Exécutif de la Région wallonne, Réunion du 26 novembre 1979, Notification) ; «L’Exécutif devra se prononcer sur [la] localisation [de l’Administration régionale], en veillant à éviter à la fois une nouvelle centralisation et un éparpillement des services.» (Accord de Gouvernement pour l’Exécutif régional wallon, 13 octobre 1980, p. 9) ; «L’Exécutif vous propose, et votre vote engagera l’assemblée sur ce point, qu’en matière […] de localisation des services régionaux, vous vous prononciez à la fois contre une nouvelle centralisation, comme de nombreux intervenants l’ont souhaité, mais aussi contre un certain éparpillement des services.» (Discussion de la Déclaration de politique régionale de l’ERW, 6 novembre 1980, C.R.W., Compte rendu n° 3, p. 62) ; «En ce qui concerne la localisation définitive [de l’Administration], l’Exécutif veillera à éviter à la fois une nouvelle centralisation et un éparpillement irrationnel des services» (Déclaration de politique régionale, 8 février 1982, p. 26) ; voir aussi les interventions de J.M. Dehousse au CRW le 25 novembre 1980 (C.R.I. n° 4, p. 39), le 3 juin 1981 (C.R.I. n° 10, p. 44) et le 23 février 1983 (C.R.I. n° 8, p. 19).
- 33. Article 4, § 1er, de l’arrêté royal du 12 février 1980 réglant le passage des membres du personnel dans les quatre ministères des Communautés et des Régions (Moniteur belge, 19 février 1980), repris par l’arrêté royal coordonné le 24 novembre 1981 (M.b., 1er décembre 1981) ; article 4, § 1er, de l’arrêté royal du 30 juin 1982 fixant les règles complémentaires pour le transfert des membres du personnel des ministères de la Communauté française, de la Communauté flamande et de la Région wallonne à leur Exécutif respectif (M.b., 2 juillet 1982).
- 34. Exécutif régional wallon, Séance du 27 octobre 1982, Notification. Le document précise que «l’Exécutif procède à un large échange de vues» ce qui dans le langage policé de ce genre d’écrit signifie que les discussions furent longues et difficiles.
L’ERW avait décidé le 15 juillet 1982 la constitution d’un groupe de travail spécial (avec un représentant de chacun des 6 ministres et 2 hauts fonctionnaires), qui se réunit de nombreuses fois et fit régulièrement rapport à l’Exécutif. Outre à la séance du 27 octobre 1982 déjà évoquée, la question de l’implantation de l’administration régionale fut inscrite à l’ordre du jour des séances des 20 juillet, 9 novembre, 17 novembre, 24 novembre 1982, 13 avril et 4 mai 1983 : ce ne furent que «prise d’acte» de rapport, «échange de vues» ou report à une séance ultérieure.
- 35. Exécutif régional wallon, Séance du 12 juillet 1983, Notification rectificative.
Cette notification rectificative, datée du 21 septembre 1983, a introduit la parenthèse «M. Wathelet s’abstenant sur les termes “de confirmer sa décision du 27 octobre 1982”». D’autre part, il fut nécessaire que, le 7 septembre 1983, «l’Exécutif confirme les décisions prises le 12 juillet 1983 en ce qui concerne les implantations en Wallonie des instances régionales» (E.R.W., Séance du 7 septembre 1983, Notification, datée du 14 septembre). C’est dire le climat de tension et de suspicion qui régnait au sein de l’Exécutif sur cette question.
La décision du 12 juillet 1983 fut ainsi publiée officiellement au Moniteur belge le 26 août 1983 : «le siège de l’Exécutif régional wallon et celui de ses services centraux sont fixés à Namur». Elle ne sera pas respectée par l’Exécutif suivant, présidé par M. Wathelet, mais sans avoir été formellement rapportée.
Des décisions similaires furent prises par l’Exécutif francophone le 26 juillet 1983 («le siège de l’Exécutif de la Communauté française et celui de ses services sont fixés à Bruxelles», M.b., 5 août 1983) et par l’Exécutif flamand le 7 septembre 1983 («le siège des services centraux du Ministère de la Communauté flamande est fixé à Bruxelles-Capitale», M.b., 29 septembre 1983).