Rayer "Déclin wallon"" du vocabulaire

Toudi mensuel n°6, septembre-octobre 1997
Histoire de Belgique et de Wallonie

Le déclin de la Wallonie a été une période de notre vie et nous en supportons encore de lourdes séquelles. Mais le déclin est terminé, c'est du passé. Depuis plusieurs années, 1986 environ, on doit parler de croissance et de développement.

Certes, nous avons encore en mémoire, les années noires du déclin amorcées avec les fermetures de charbonnages et de l'industrie mécanique qui lui étaient liées, poursuivies de 1975 à 1986 avec la "crise" de la sidérurgie, les transformations technologiques profondes de la verrerie et les difficultés des industries mécaniques liées à ces deux activités. Mais c'est le passé: l'essentiel de ces restructurations est terminé, non sans dégâts sociaux profonds d'ailleurs.

L'emploi

Si on examine l'emploi, critère le plus sensible et le plus souvent cité, on doit faire les constats suivants d'après les chiffres du Ministère fédéral de l'emploi et du travail. Entre 1974 et 1986, l'emploi masculin, tous statuts additionnés (indépendants, salariés, appointés, agents des services publics statutaires ou contractuels, etc) a diminué fortement en Wallonie et aussi en Flandre, comme d'ailleurs dans tous les pays industrialisés européens

C'est l'effet de la mutation profonde du système de production capitaliste: l'industrie lourde de la première révolution industrielle se restructure profondément et entraîne les activités industrielles qui lui étaient liées, en particulier les entreprises, souvent moyennes, qui fournissaient des équipements ou assuraient la maintenance. L'emploi féminin est peu affecté par cette restructuration générale, sauf dans le secteur textile et dans la confection.

Dans cette phase brutale qui s'étale de 1974, dernière année de haute conjoncture et de plein emploi, jusqu'en 1986, la Wallonie est très durement touchée: elle perd 143.000 emplois manuels masculins, soit 38 % et elle va encore en perdre 9.000 entre 1986 et 1995. Aujourd'hui, en Wallonie, l'emploi manuel masculin n'est plus que 40 % de ce qu'il était en 1974. Les emplois intellectuels masculins, en revanche, ne vont cesser de croître, il y en a 33.000 de plus aujourd'hui qu'en 1974. Et l'emploi féminin va lui aussi fortement augmenter surtout à partir de 1986: 90.000 emplois de plus en 1995 qu'en 1974.

Et pourtant le chômage est important. Pour deux raisons. La Wallonie a perdu beaucoup d'emplois ouvriers masculins qui n'ont pu être que faiblement reconstruits dans des secteurs neufs et au départ, en 1974, malgré une population active masculine stable. Le nombre d'emplois féminins offerts était relativement faible en 1974 et n'a pas pu être augmenté suffisamment vite par rapport à l'accroissement de la population active féminine. Il est faux de parler aujourd'hui de "déclin" alors que l'emploi augmente régulièrement, sans doute pas assez fort pour réduire rapidement l'importance du chômage.

Le taux d'activité

Le taux d'activité est la proportion de la population en âge de travailler qui est occupée dans un emploi, quel que soit le statut. C'est un indice parfois meilleur que celui du chômage qui donne la proportion des personnes sans emploi par rapport à la population active.

En Wallonie, le taux d'activité des hommes est tombé de 63,8 % en 1981 (premier chiffre connu avec suffisamment de précision), à environ 60 % en 1986 et il reste stable autour de cette valeur, soit un écart de 4 points environ. En Flandre, le taux d'activité des hommes a aussi chuté, de 66,2 à une valeur qui oscille autour de 61 %, soit un écart de 5 points environ.

En Wallonie, le taux d'activité des femmes est passé de 36 % en 1981 à 42,6 % en 1995, soit 6,6 points supplémentaires. En Flandre, il est passé sur la même période de 37.4 à 43,7 soit une hausse 6,3 points. L'écart entre les taux d'activité féminins en Flandre et en Wallonie qui était de 1,4 points s'est réduit à 1,1 point. Ce n'est sans doute pas assez, mais il est difficile d'affirmer qu'il y a croissance en Flandre et déclin en Wallonie. Même si l'écart subsiste, et nous en connaissons les causes, cet écart se réduit. Cela signifie, toutes proportions gardées, plus de création d'emplois en Wallonie qu'en Flandre dans les dernières années.

Quand on compare les chiffres d'emploi ou de chômage en Flandre et en Wallonie, il ne faut jamais oublier la dimension respective de ces deux régions: la Flandre compte 5,8 millions d'habitants et la Wallonie 3,3 millions.

Des zones en retard, d'autres pas

Les chiffres globaux pour la Wallonie cachent des réalités sous-régionales fort différentes. C'est toute la difficulté d'une politique de développement en Wallonie: elle doit nécessairement être différenciée suivant les régions. On peut distinguer quatre types de zones:

1) Des zones dont le développement suit un bon rythme, se classant honorablement dans le premier peloton des régions européennes. Ce sont en général des zones qui n'ont pas été affectées par le déclin de l'industrie lourde parce qu'elles n'en possédaient pas; généralement, elles ont aussi pu bénéficier d'une population jeune et, il faut l'ajouter, parfois de circonstances favorables dont elles ont su tirer parti. C'est le cas par exemple de la zone centrale du Brabant wallon ou de la région de Namur.

2) Des zones qui ont été gravement affectées par les restructurations industrielles, mais possédaient un potentiel de dynamisme souvent lié à l'existence d'une ville importante. C'est le cas de la région liégeoise et de la région de Charleroi.

3) Des zones rurales favorisées en général par la politique agricole commune européenne au regard des régions industrielles et bénéficiant de l'expansion actuelle du tourisme lorsqu'elles s'adaptent à cette forme nouvelle d'activité. C'est typique pour certaines zones des Ardennes et de la province de Namur, avec plus de difficultés pour l'Entre-Sambre-et-Meuse.

4) Des zones qui ont été appauvries intellectuellement et moralement par l'exploitation industrielle lourde (charbonnages, sidérurgie, cimenterie, notamment) et ne trouvent plus en elles-mêmes un potentiel de ressources suffisant pour réamorcer leur développement. Dans ces zones, les jeunes les plus dynamiques sont souvent partis ailleurs faute de trouver des emplois leur offrant suffisamment de perspectives professionnelles. Les phénomènes de déclin y sont cumulatifs: habitat vétuste, ressources scolaires pas assez développées, niveau de revenu moyen plus faible, chômage important, infrastructures en retard, absence d'une ville importante proche. C'est le cas à des degrés divers et malgré des efforts qu'il ne faut certes pas sous-estimer du Borinage, de la région du Centre, de l' ouest du Brabant wallon. Ces zones ont évidemment besoin de la solidarité wallonne.

Au regard des situations très difficiles de ces zones, il ne faut pas affirmer que la Wallonie tout entière est en déclin économique.

L'image médiatique

L'image qu'on persiste à donner de la Wallonie est celle de son sillon industriel du début de ce siècle. Hélas, la plupart des journaux et revues se trouvent à Bruxelles et la RTBF est aussi à Bruxelles. De manière générale, les journalistes ne connaissent qu'assez mal la Wallonie sous tous ses aspects et dans toutes ses composantes. Les clichés ont toujours la vie longue.

La RTBF en particulier, jusqu'à présent en espérant que cela puisse changer bientôt, ne manque aucune occasion dans ses journaux parlés ou télévisés de souligner les aspects négatifs pour la Wallonie. La moindre fermeture d'usine fait l'événement médiatique. Les inaugurations et les créations d'activité ne passent que bien rarement. Les bonnes nouvelles, par exemple la reprise récente de Clabecq par le groupe Duferco est aussitôt assortie d'un différend sur la surface des terrains. Ce problème même pas certain à l'époque a été réglé sans aucune difficulté à peine dix jours plus tard.

L'auditeur des journaux parlés et télévisés de la RTBF ne peut pas avoir une vision autre que négative de la Wallonie. Je suis frappé de constater parmi toutes les personnes que je rencontre, celles qui ont ce défaitisme citent comme exemple ce qu'elles ont entendu à la radio ou vu à la télévision. Et ce qui leur est fourni comme information a été jusqu'ici systématiquement orienté. La solidarité de la Wallonie avec Bruxelles, c'est beau, mais il faut respecter la réalité wallonne. La Wallonie n'est plus celle du siècle passé, n'est même plus celle des années 70.

La Wallonie aujourd'hui, c'est la participation à Airbus, ce sont ses participations aux programmes Ariane et de satellites, c'est son industrie du médicament, ce sont ses PME innovantes dans de nombreux domaines, c'est la capacité de recherche de ses universités. Pas assez ? C'est sans doute vrai, mais voyons d'où nous venons en peu de temps. Les compétences régionales timides ne datent que de 1980 et le fédéralisme n'existe que depuis quelques années. Avant cela, on sait à quelle sauce l'Etat unitaire à majorité flamande a traité la Wallonie.

Yves de Wasseige

PS: Si les régions de Wallonie se trouvent dans des situations différentes suite à l'impact des mutations économiques et dans la perspective d'un nouveau développement, elles ont toutes en commun, à des degrés divers, de subir encore les conséquences sociales des restructurations industrielles et celles des politiques d'austérité budgétaire, de compétitivité et de franc fort. Même si cette charge est en partie supportée par le fédéral (Sécu, Minimex...), elle pèse sur toute une série d'organismes wallons (comme, les communes, la Société du logement). D'une part, on ne doit pas évaluer le niveau de vie et de revenus de 80 % des Wallons à partir des plus démunis, du caractère spectaculaire de la pauvreté en certains quartiers (habitat vétuste par exemple) etc. Mais, d'autre part, cette pauvreté, bien réelle, impose aux Wallons et aux pouvoirs wallons une solidarité, financière et de proximité humaine, plus grande qu'ailleurs et cet effort rend nécessairement le développement économique plus difficile.

FAUX BILANS POUR CREER L'INQUIETUDE

Renault et Cockerill ont remarquablement orchestré les licenciements qu'ils souhaitaient opérer afin que les travailleurs les acceptent, contraints et forcés, certes, mais sans provoquer de pertes de production majeures. Voici le scénario. La technique en est simple.

1. Dans le courant de l'année 1996, les directions annoncent des difficultés, les prix ne sont pas bons en sidérurgie, les commandes s'affaiblissent dans l'automobile. La réalité économique est fort bien exploitée pour faire entendre très clairement la "nécessité" de prendre des mesures pour sauvegarder l'essentiel.

2. Si l'année 1996 n'est pas brillante, il est vrai, les résultats ne sont cependant pas catastrophiques. Publiés tels qu'ils sont réellement, les chiffres du bilan ne montraient pas, à l'évidence, la nécessité d'une réduction de l'emploi.

3. Le bilan de 1996, publié vers avril-mai 1997 lors des assemblées générales, est alors délibérément faussé. Puisqu'on a annoncé des restructurations avec pertes d'emplois, Renault, comme d'ailleurs Cockerill, inscrivent, chacun, à leur bilan des "provisions" pour payer les charges financières des licenciements et des prépensions qui interviendront l'année suivante et même les années suivantes. Ces provisions sont considérables: chez Cockerill elles sont de 4,8 milliards F pour restructuration. Sans cette provision et d'autres analogues, la perte affichée de 10,6 milliards F serait ramenée à environ 3 milliards F. Dans la publicité qu'en font les deux sociétés, relayée dans les titres des médias, c'est la perte de 10 milliards qui apparaît et non l'importance des provisions pour restructuration.

4. Peu avant la publication de leur bilan, tant Cockerill que Renault annonce clairement leurs plans: plan 2000 d'un côté, fermeture de l'usine de Vilvorde de l'autre côté.

5. Les négociations s'engagent avec les organisations syndicales dans ce climat pessimiste, volontairement organisé par les directions. Comme on le sait, elles aboutissent sur des pertes d'emplois importantes, mais sans arrêts de travail majeurs, ce qui aurait compromis les profits de 1997.

6. Septembre 1997, tout est dit et clôturé avec les travailleurs et les organisations syndicales. Chez Cockerill comme chez Renault, les directions annoncent alors - et seulement alors - des prévisions de bénéfices fort importants pour l'année 1997.

Ce scénario a été remarquablement mis au point sous la houlette et la direction de Schweitser d'un côté, de Gandois de l'autre; ils n'ont d'ailleurs pas hésité à monter aux barricades pour souligner l'importance des pertes. Mais ne sont-ils pas tous deux de "grands" patrons français? Jean Gandois est même président du Conseil national du patronat français. Il a été élu à cette fonction sur le projet d'entreprise-citoyenne. Et Renault a toujours donné l'image d'une société industrielle soucieuse du bien commun. On voit ce qu'il en est en réalité.

Un bilan DOIT refléter la situation comptable pour l'année en cours. Il est à tout le moins abusif d'y porter des provisions qui sont liées à des exercices suivants. La fermeture de l'usine de Vilvorde est intervenue en 1997 et pas en 1996; les pertes d'emplois chez Cockerill interviendront progressivement à partir de 1998.

Il n'est sans doute pas exagéré de parler de faux bilans, à tout le moins de bilans faussés. Ils ont pourtant été acceptés par les réviseurs !