Les "gémellités" européennes
Il y a un manque de réflexion sur l'Europe en Wallonie. Sur l'Europe en train de s'unir, évidemment mais aussi sur l'Europe telle qu'elle s'est transformée depuis un siècle. Peu de gens prennent en compte que, sans parler de l'unification allemande et italienne, achevées en 1870, treize nouvelles nations sont nées depuis un siècle environ dans la seule Europe occidentale.
Les nations nouvelles en Europe occidentale
Au nord de l'Europe, la Norvège en 1905, la Finlande en 1917, l'Irlande en 1921, l'Islande en 1944, l'Écosse devenue fortement autonome il y a peu. À notre niveau à nous, le Luxembourg (1890), et bien entendu la Wallonie et la Flandre par leur autonomie sans cesse croissantes depuis 1970 voire 1932. Au centre de l'Europe (occidentale, rappelons-le), il y a le cas particulier de l'Autriche. Enfin, dans l'Europe méditerranéenne, à côté des indépendances de Chypre et Malte, il y a lieu de signaler les fortes autonomies de Pays Basque et Catalogne. On peut faire remarquer que, plus que d'un morcellement, il s'agit de processus démocratiques, toutes ces nouvelles nations émergeant souvent d'Empires (anglais, russe, voire danois et suédois) en déclin ou de processus d'unité ou d'unification peu démocratiques (franquisme espagnol, monarchie belge autoritaire...). Il s'agit là de 50 millions d'Européens.
Si l'on examine alors l'Europe orientale, il faut ajouter de nombreuses autres nations neuves. Plutôt que de les décompter ici, nous voudrions montrer, tant en Europe occidentale qu'orientale, le nombre de «gémellités» nées (ou non) de ces indépendances. Le paradoxe est qu' il n'y a pas d'indépendance nationale sans la revendication d'une culture originale ou d'une langue originale. Or, à l'occasion de ces émergences de nouvelles nations, telles qu'elles se sont produites depuis un siècle, on assiste aussi, bizarrement, à la formation de nombreuses «gémellités» sur le modèle de celle qui nous est la plus proche: la parenté culturelle et linguistique indéniable - voire la ressemblance - entre la France et la Wallonie.
Les gémellités «fortes»
Mais ce couple France/Wallonie, est loin d'être le seul, même s'il ne peut être purement et simplement assimilé à des situations analogues comme: Flandre / Hollande, France / Romandie, Suisse Alémanique / Allemagne, Autriche / Allemagne, Irlande / Angleterre (malgré les apparences, François André montre dans l'article qui suit qu'il s'agit là aussi d'une parenté linguistique en dépit de la colonisation anglaise en Irlande considérée parfois comme pire que d'autres colonisations anglaises en Asie ou Afrique). À cela il faut ajouter le couple Roumanie/Moldavie, l'Albanie/Kosovo. Laissant ici tomber (sauf le cas moldave couplé avec un pays de l'Europe comme région du monde), les parentés situées exclusivement à l'intérieur de l'UEI (sorte de confédération vague groupant la plus grande partie des pays de l'ex-URSS), il y a encore la Finlande/Estonie, la Hongrie et les minorités hongroises des pays voisins (Roumanie et Serbie), et enfin la Grèce et Chypre.
Voilà donc déjà onze «couples» ou gémellités
Les autres cas de gémellités
Il faudrait normalement y ajouter les parentés culturelles et linguistiques entre les quatre pays scandinaves (Danemark, Islande, Norvège, Suède), le couple sanglant (mais avec tant d'affinités culturelles), Serbie/Croatie (une parenté de langue au moins, le serbo-croate), et enfin les affinités entre Pays baltes.
Bien qu'il ne s'agisse pas de pays souverains et bien que les territoires ou populations en cause soient un peu moins importantes, on se doit de signaler que les nationalistes catalans ou basques en Espagne n'ont pas tort de parler d'un Pays Basque en France ou d'une Catalogne française. Ici, il s'agit bien de gémellités fortes. Le cas du Luxembourg, à la fois proche de la Wallonie, de la France et de l'Allemagne est très particulier mais malgré son caractère sui generis, on se devait de le signaler. Il y a aussi un espace celtique en Europe avec la Bretagne, l'Irlande, l'Écosse, la Cornouaille et le Pays de Galles. On ne peut passer non plus sous silence les affinités entre Frisons des Pays-Bas et Frisons d'Allemagne, entre Flamands de France et Flamands de Flandre, entre Italiens de Suisse et Italie, entre Germanophones de Wallonie et d'Allemagne, entre Germanophones du Tyrol italien et Autrichiens, entre Luxembourgeois d'Arlon et leurs correspondants du Grand-Duché, voire même entre Wallonie de France («botte de Givet»), et Wallonie, sans oublier les Galiciens d'Espagne et ceux du Portugal, les Catalans de Catalogne et les Catalans de Valence et des Baléares (sans oublier le cas d'Andorre, pays semi-indépendant), les affinités entre les îles comme Corse et Sardaigne et Italie, entre Savoie-Nice et Italie... Les Occitans soulignent avec fierté que Dante aurait pu écrire son oeuvre dans leur langue et parlent parfois d'un ensemble catalano-occitan. Nous aurions pu parler aussi des minorités allemandes un peu partout en Europe, au-delà de celles que nous avons signalées comme la minorité allemande en Wallonie (qui dispose d'ailleurs d'un quasi-territoire et d'une réelle autonomie). Il existe aussi d'autres minorités: turques en Albanie, albanaises en Macédoine etc. Nous ne voulons rien négliger mais être d'abord attentifs aux «gémellités fortes».
Une série de réflexions dans la revue TOUDI
Un débat sur l'avenir de la Wallonie par rapport à la France ne peut éviter le détour d'une réflexion sur ce que nous appelons les «gémellités fortes», dont l'un des éléments au moins est un pays souverain, voire tous les deux (Roumanie/Moldavie, Autriche/Allemagne etc.), dont l'un des éléments est autonome et l'autre souverain (Flandre/Hollande etc.).
La question du réunionnisme ou de l'irrédentisme se pose inévitablement, d'autant qu'il n'est pas interdit de penser - le cas de l'Allemagne proprement dite étant réglé à cet égard - qu'il s'agisse peut-être de la même nation (comme la Roumanie/Moldavie), hypothèse plus que discutable quand il s'agit du couple Irlande/Angleterre mais à envisager s'il s'agit du couple France/Wallonie (même si TOUDI ne défend pas ce point de vue, nos lecteurs partisans de la réunion à la France admettent que nous ouvrons largement nos colonnes à ses partisans).
Nous commençons notre série par les réflexions de François André sur les relations entre Irlande et culture anglaise ou langue anglaise. L'espoir de la revue est de clarifier le débat sur l'avenir culturel et politique de la Wallonie en même temps que de clarifier le débat sur celui de l'Europe.