Le quinquennat ou un référendum pour rien...

Toudi mensuel n°32-33, novembre 2000

Certains actes politiques initialement destinés à n'être que des parenthèses se révèlent parfois beaucoup plus persistants que prévu; il en est ainsi de la durée du mandat présidentiel français, le septennat renouvelable étant d'application depuis 1873. Une maigre partie du peuple français, par le biais du référendum du 24 septembre 2000, a remplacé une des plus vieilles dispositions républicaines et ce dans une atmosphère d'apathie et de désintérêt pour cette question, situation curieuse pour ce qui constitue un des éléments «essentiels» de tout système républicain, ce qui ne peut que susciter une réflexion sur le recours au mécanisme référendaire dans les régimes parlementaires occidentaux.

La naissance chaotique des institutions de la IIIe République ou quand le hasard rencontre l'histoire (1870-1875)

Comme la Ière République qui l'a précédé et comme les deux Républiques qui lui ont succédé, la IIIe République est née de la guerre. La défaite des armées françaises par les troupes prussiennes provoque la disparition des institutions du Second Empire; le 4 septembre 1870, le peuple parisien envahit l'assemblée nationale et oblige le gouvernement dit de «défense nationale» à proclamer la République. Malgré ce sursaut, la défaite française sera consommée quelques semaines plus tard, les troupes prussiennes occupant plus de 40 départements. Bismarck, devenu l'homme fort de l'Europe, refuse de traiter avec ce gouvernement qu'il juge purement de fait. Une Assemblée Nationale de 650 membres est élue en février 1871. Ces élections au suffrage universel, ultime acquis de la IIe République (1848-1852), vont établir une majorité monarchiste face à des républicains comme Gambetta ou Ferry considérés comme trop bellicistes par la population.

Le bloc «monarchiste» au sein de l' Assemblée est loin d'être homogène, celui-ci est divisé entre partisans du Comte de Chambord (les légitimistes qui, au fond, veulenrt rétablir sinon la monarchie absolue, du moins celle de la Restauration de Louis XVIII ou Charles X) et ceux du Comte de Paris (les orléanistes qui, eux, sont partisans d'une monarchie à la britannique et sont des «libéraux» au sens anglo-saxon).Ajoutons à cela quelques bonapartistes...

Le bloc républicain, fort d'environ 200 députés, est quant à lui divisé entre modérés et radicaux regroupés derrière Blanqui et Blanc.

Le 17 février 1871, l'Assemblée porte à la tête de l'exécutif un républicain modéré, ancien ministre de Louis-Philippe, Adolphe Thiers. Celui-ci, après avoir écrasé la Commune de Paris, signe la paix avec l'Empire allemand le 10 mai 1871. Monsieur Thiers choisit seul ses ministres, réminiscence du prescrit constitutionnel de la IIe République proche du modèle américain, mais est responsable de sa politique devant l'Assemblée. Les monarchistes considèrent Thiers comme un expédient, la situation redevenue plus calme après l'évacuation progressive des troupes allemandes, ils encadrent les pouvoirs de celui-ci. La loi Rivet du 31 août 1871 lui confère le titre de «président de la République» mais ses pouvoirs prendront fin en même temps que ceux de l'Assemblée, les ministres devenant responsables devant celle-ci. Par ce biais, les monarchistes veulent rapprocher la France du régime parlementaire à la britannique, le chef de l'État étant destiné à jouer un rôle politique plus limité que lors de la IIe République et du Second Empire. S'ensuivra un conflit de près de deux ans qui aboutira à la démission de Thiers le 24 mai 1873, le tout sur fond de victoire des candidats républicains au cours de presque toutes les élections législatives partielles ayant eu lieu depuis 1871.

L'Assemblée désigne comme nouveau président le Maréchal Mac-Mahon, connu pour ses penchants légitimistes et son absence d'ambitions politiques. Lui aussi apparaît alors comme un expédient. Dans ce contexte de plus en plus favorable à la République, le bloc monarchiste s'entend sur le nom du Comte de Chambord, ce dernier n'ayant aucun héritier, le trône devait revenir aux Orléans après son décès. Pourtant la monarchie ne verra jamais le jour, la querelle des drapeaux va pulvériser ce plan subtil. Le monarque désigné refuse de recevoir la couronne d'une Assemblée (et non de Dieu) et de renoncer au drapeau blanc à fleurs de lys au profit du drapeau tricolore. Devant ce blocage, la loi du 20 novembre 1873 sur le septennat est adoptée par 383 voix contre 317. L'article premier déclare «le pouvoir exécutif est confié pour sept ans au Maréchal Mac-Mahon (...), ce pouvoir continuera à être exercé avec le titre de président de la République et dans les conditions actuelles jusqu'aux modifications qui pourraient y être apportées par les lois constitutionnelles». Le président n'est plus responsable devant l'Assemblée et celle-ci ne peut le révoquer, il gouverne par le biais de ministres responsables devant les élus de la nation. Cette présidence personnelle ressemble beaucoup à une forme de régence, la durée de 7 ans paraissant un délai suffisant pour que, comme le dit un député monarchiste, «la providence veuille bien fermer les yeux du Comte de Chambord à défaut d'avoir pu les lui ouvrir à temps». La conséquence la plus importante de cette loi fut la disparition de la responsabilité présidentielle et son remplacement par un mandat irrévocable pour une durée supérieure à celle d'une législature, ce qui permet en quelque sorte au chef de l'État de résister aux aléas de la conjoncture politique. Cette durée assez longue était aussi une réaction à la IIe République où le chef de l'État était élu au suffrage universel pour un mandat de 4 ans non renouvelable, ce qui entraîna, dès 1849, un conflit permanent de «légitimité» entre le titulaire de la présidence et l'Assemblée Nationale. Après le vote de cette loi, la consécration de la République n'est plus qu'une question de mois, les républicains confortés par le suffrage universel vont trouver un arrangement avec une partie des parlementaires orléanistes. Entre mars et juillet 1875, cette coalition de circonstance adopte les trois lois constitutionnelles qui vont gouverner la France jusqu'en 1940. Les républicains veulent transformer le septennat personnel de Mac-Mahon en un mandat impersonnel et, par ce biais, pérenniser la forme républicaine de gouvernement. Les orléanistes vont accepter cette démarche à condition qu'une seconde chambre législative destinée à tempérer les excès possibles du peuple soit instaurée; c'est une grande première, les deux premières Républiques étaient en effet monocamérales. Le 24 février est adoptée la loi constitutionnelle créant un sénat de 300 membres, 225 sont élus pour 9 ans au suffrage universel indirect, c'est à dire par les députés et les représentants des municipalités et départements. Les 75 autres sont nommés à vie par la Chambre. Le lendemain, une autre loi constitutionnelle consacre l'amendement Wallon adopté le 30 janvier par 353 voix contre 352. Celui-ci décrète que «le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour 7 ans». Le Président, doté de pouvoirs conséquents (droit de dissolution, initiative des lois, négociation et ratification des traités, etc.), est irresponsable, ses actes doivent être contresigné par un Ministre qui est quant à lui responsable devant le Parlement. Conformément au fin calcul de Gambetta, la République va se révéler être la forme qui emporte le fond, la présidence devant finalement accepter que le gouvernement soit uniquement responsable devant le Parlement et non aussi devant lui . Suite au conflit institutionnel qui l'oppose à la Chambre en 1877, Mac-Mahon sera le seul président de la IIIe République à utiliser sa prérogative constitutionnelle de dissolution de la Chambre. Le maréchal va s'impliquer personnellement dans la campagne législative, les Républicains mené par Gambetta remporte les élections, Mac-Mahon n'a plus qu'à se soumettre ou à se démettre; ce qu'il fera en 1879 après avoir perdu la majorité au Sénat. Le nouveau président, Jules Grévy, reconnaîtra que la présidence n'est pas l'expression de la volonté nationale et promettra «de ne jamais entrer en lutte contre la volonté nationale exprimée par ses organes constitutionnelles». Lorsqu'un conflit opposera la présidence et la majorité parlementaire, celle-ci devra toujours s'incliner comme l'illustra la démission en 1924 du président Millerand après la victoire du cartel des gauches. L'institution présidentielle ne reviendra au premier plan qu'avec la constitution de 1958 qui instaure la Ve République. L'histoire constitutionnelle de la France connu d'autres vicissitudes et pourtant le septennat subsista jusqu'à nos jours.

Cet état de fait illustre clairement que les institutions d'un Etat démocratique sont toujours la résultante, le point de rencontre, du hasard, des tendances dominantes au sein de l'espace public et démocratique à un moment donné et de faits inscrits (inconsciemment ?) dans une histoire «nationale» tout aussi donnée. Le processus de fédéralisation de l'État belge illustre cela clairement, les Régions sont à la fois le résultat du consensus politique prévalant lors des différentes phases de réforme institutionnelle (70-71, 79-80, 88-89, 93-94) et de l'action du peuple wallon, soit directement (1950) soit par le biais de leurs élites (Congrès national wallon de 1945). Une même remarque peut être faite pour les Communautés directement issues des idées du mouvement flamand.

Le référendum du 24 septembre 2000 ou les limites de la démocratie directe

Mais revenons au quinquennat. Pourquoi le référendum du 24 septembre connut-il un taux d'abstention dépassant les 60%? Il faut d'abord reconnaître que la réforme proposée suscitait peu d'arguments réellement convaincants. S'il est vrai que la moyenne européenne de durée du mandat présidentiel est de 5 ans (RFA, Autriche, Grèce, Portugal, ainsi que la plupart des Etats d'Europe centrale et orientale.), il faut aussi prendre en compte la République d'Irlande (7 ans), la République Italienne (7 ans) et la République de Finlande (6 ans). Ensuite prétendre que le quinquennat rendra moins fréquente la coexistence d'un président d'une certaine obédience politique et d'un gouvernement d'une autre obédience est contestable. En effet, le président conserve son droit de dissolution de l'Assemblée nationale, donc la persistance future de la synchronisation des élections présidentielles et législatives est pour le moins aléatoire, tout locataire de l'Elysée pouvant remettre celle-ci en cause selon son bon plaisir.

Il est aussi difficile de discerner en quoi cette réforme contribue au renforcement de la vie démocratique française. Contrairement à ce qu'aime nous faire croire le monde politique, la démocratie ne peut en effet se résumer aux élections, elle repose tout autant (si pas plus) sur l'existence d'un espace public permettant une libre confrontation des opinions existant au sein de la société civile, cette confrontation devant toutefois reposer sur certaines principes et limites (par exemple le racisme ne peut être «objet» de débat même si cette opinion se retrouve au sein de la société civile). S'il est parfois difficile de discerner avec précision les débats agitant un espace public, une étude approfondie n'est guère requise pour conclure que le quinquennat, voire même une réforme plus étendue des institutions de la Ve République, était une question qui ne hantait nullement l'espace public français.

Le référendum du 24 septembre ne pouvait donc qu'être la manifestation éclatante du décalage existant entre les élites dirigeantes et la société civile française. D'une manière plus globale, il nous apparaît évident que le recours aux mécanismes de démocratie directe doit reposer sur quelques règles de base. En premier lieu, elle ne peut être un moyen commode pour la classe politique de se défausser de ses responsabilités ou lui servir d'alibi-prétexte, quelque chose du genre «on s'en lave les mains puisque le peuple tranchera!». Le quinquennat aurait pu être adopté par l'Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès, le président Chirac a simplement demandé à l'opinion d'avaliser le consensus dominant au sein du monde politique, le peuple français a logiquement refusé de jouer les utilités.

Ce qui nous amène au deuxième point, un référendum ou une consultation populaire doit avoir pour objectif premier de trancher une question sur un sujet «essentiel» ou de permettre l'apparition, la cristallisation d'un consensus majoritaire au sein de l'espace public. Expliquons nous. En 1962, le général de Gaulle consulta le peuple français sur l'élection au suffrage universel du président de la République, il le fit parce qu'aucun consensus n'existait sur cette question au sein du monde politique (le parlement refusait cette réforme) et au sein de la société civile. Bien que remportant une victoire plus faible qu'espérée, le taux de participation fut proche des 80%, et permit de voir qu'une majorité des suffrages exprimés (62% des votants, 47% des inscrits), appuyait cette modification constitutionnelle. Le référendum de 1992 sur la réforme constitutionnelle permettant la mise en oeuvre du Traité de Maastricht permit aussi d'établir la volonté majoritaire et donc générale de la nation française. Une même conclusion peut être tirée du référendum danois sur l'adhésion à l'euro. Quand le sujet est perçu comme essentiel ou d'importance pour la vie de la Cité, l'électorat répond toujours massivement présent. Toutefois l'expérience récente de l'Italie semble démentir ce dernier point. Alors que dans les années 70 et 80, le référendum d'abrogation avait mis fin à la prohibition du divorce et de l'IVG, qu'au début des années 90 il avait permis la modification du mode de scrutin, depuis 5 ans presque aucune question n'a réussi à atteindre le minimum légal requis de 50% de participation, et ce même pour des sujets d'importance tels un nouveau mode de scrutin pour les élections législatives, la réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature, etc. Il faut aussi rappeler que la démocratie directe peut avoir pour effet de rendre impossible l'émergence du consensus au sein de l'espace public.

En 1983, une majorité du peuple irlandais fit du droit à la vie de l'enfant «non-né» un droit consacré par la constitution. Cet amendement constitutionnel provoqué par la crainte des lobbies anti-avortement de voir le parlement légaliser l'IVG divisa profondément la société irlandaise mais le taux de participation à ce référendum plafonna à 60 %, beaucoup d'électeurs ne sachant pas se forger une opinion ou étant plus préoccupés par la très dure récession économique que connaissait alors le pays. Le monde politique espérait ainsi être débarrassé de cette question mais, en 1992, le gouvernement irlandais ne sut comment réagir face à une décision de la Cour suprême légalisant sous certaines conditions l'IVG.

A nouveau, celui-ci se défaussa et soumis au peuple irlandais trois questions qui obtinrent des résultats totalement contradictoires; la classe politique locale se retrouva dans l'impossibilité d'apprécier si ces votes constituaient une volonté d'assouplissement de renforcement de la prohibition de l'IVG... Depuis cette date, tous les gouvernements irlandais successifs ont «encommissionné» ce sujet et évitent à tout prix que celui-ci divise violemment à nouveau la société civile.

La consultation populaire de mars 1950 sur le retour de Léopold III est un autre exemple de consensus rendu impossible par l'électeur, le monde politique fut alors obligé de trouver un compromis en juillet 50.

Ces exemples, parmi d'autres, posent la question de savoir si les mécanismes de démocratie directe, plutôt que la création, la construction du consensus, n'ont pas pour simple effet la manifestation «spectaculaire» d'un consensus déjà préexistant de manière latente au sein de l'espace public ? Il faut aussi se poser la question de savoir si, en général, les mécanismes de démocratie directe ne tendent pas plus vers une certaine conservation des choses ? Cet exemple est sans doute caricatural, mais il fallut attendre les années 80 pour que le dernier canton suisse accorde par «votation populaire» le droit de vote aux femmes... La Suisse est certainement un cas particulier mais la plupart des référendums d'initiative populaire ont eu pour issue la confirmation du statu quo plutôt que sa remise en cause, tout ce qui apparaît comme trop aventureux étant rejeté par les électeurs.... La grandeur de la politique ne repose-t-elle aussi sur la possibilité, à un moment donné, d'aller à l'encontre de l'opinion majoritaire, ou à tout le moins de la précéder ? En 1981, l'abolition de la peine de mort aurait-elle obtenu en France une majorité référendaire ? Nous espérons que le gouvernement fédéral, dans son souhait de consacrer les mécanismes de démocratie directe réfléchira aux implications et conséquences possibles de ceux-ci au sein d'un État où, qu'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, il existe deux (sinon trois) espaces publics, deux sociétés (trois...) civiles bien distinctes comme l'a prouvé à nouveau les élections communales et provinciales du 8 octobre 2000. Si elle doit survenir, la démocratie directe «belge» ne sera sans doute réalisable et praticable qu'au niveau régional et des collectivités locales.

Sources

Pierre Bodineau et Michel Verpeaux : Histoire constitutionnelle de la France, PUF, collection “ Que sais-je ? ”, Paris 2000

Stéphane Rials : La présidence de la République, PUF, collection «Que sais-je ?», Paris 1991

Olivier Duhamel : Histoire constitutionnelle de la France, Editions du Seuil, collection «Points essais», Paris 1994

Odile Rudelle : La République absolue, 1870-1889, Presses de la Sorbonne, Paris 1982

Claude Nicolet : L’idée républicaine en France. Essai d’histoire critique (1789-1924), Éditions Gallimard, collection «Tel», Paris 1995