Crise de l'Etat-nation et de l'Etat-social

Toudi mensuel n°31, septembre-octobre 2000

L'article de Marcel Deprez juste après cet édito, témoigne de ce qui réunit tous nos lecteurs. Qui puise ses racines dans la Résistance - lutte des gueux pour « l'indépendance nationale». Qui rejoint les combats sur les médias, la globalisation, le néolibéralisme, l'ère du vide... Mais l'«indépendance nationale» que signifie-t-elle même pour un pays comme la France, le plus visité de la Planète, dont la langue est la deuxième à l'ONU (loin derrière l'américain!), dotée d'une vraie puissance militaire et d'une force économique suivant juste les USA, le Japon et l'Allemagne, en tête de l'industrie spatiale, de la recherche, dont la «littérature» (englobant sciences humaines, philosophie, création) est lue partout, même si ce n'est pas toujours directement en français?

La revue TOUDI s'est toujours battue pour une Wallonie indépendante, une Europe unissant des Nations se dépassant et s'ouvrant. La République exprime pour nous cet idéal d'indépendance d'un peuple, du politique face à l'économique, de l'égalité et de la liberté. La République est une manière de dire non à la globalisation, à la Pensée unique et au néolibéralisme.

Or, comme le montre JC Paye, les États européens sont de plus en plus contraints de se plier à des règles édictées sans contrôle démocratique. Or, comme le montre Bernard Conter, les États, loin de vouloir faire prévaloir le politique sur l'économique utilise les forces de coercition et de stimulation qui leur restent pour soumettre encore mieux les citoyens à l'économie néolibérale et mettent en cause, après la démocratie même, l'État social.

C'est un paradoxe que la mondialisation actuelle et la dérégulation soient devenues effectives grâce aux États chargés, notamment, de briser les résistances sociales à la dérégulation en utilisant des ressources appuyées sur une légitimité démocratique que cette action détruit justement! D'une certaine manière l'État-nation, serpent qui se mord la queue, se suicide.

Il y a des paradoxes. Guy Denis explique que du côté des «Lettres belges» c'est le retour de la Belgique, État-Nation si peu «État» et pas «nation». Nous parlons à nouveau de l'Encyclopédie du mouvement wallon avec Philippe Destatte (mais sans revenir sur son contenu), parce que cette publication tient du miracle. Les moyens de la Wallonie par rapport aux «Lettres belges» sont si dérisoires que les nantis de la culture devraient hésiter avant de dire que la culture wallonne «ne prend pas». À TOUDI, nous savons bien mieux où et comment des choses «prennent» car nous n'avons que les «mains nues» de la Résistance. Nous y revoilà!

Nous avons aussi traité de la réédition des Mémoires de Guerre de C. De Gaulle à la Pléiade car le destin fabuleux de cet homme, écrivain avant d'être politique et soldat, nous interpelle aujourd'hui d'autant plus que, autour et alentour de lui, une énergie morale extraordinaire fut dépensée pour, derechef, l'indépendance de la nation, cette indépendance qui rend si sceptique à l'heure où nous sommes. Mais qui travaille les jeunes générations comme l'étonnant manifeste de la revue Immédiatement le démontre.

Avant de discuter des idéaux qui peuvent diviser nos lecteurs - réunionnisme, association à la France, indépendance, confédéralisme, liens Wallonie-Bruxelles, Europe des Nations ou des Régions - il faut voir la pertinence de Péguy s'exprimant sur les Cités. C'est l'intérêt, une nouvelle fois, de Marcel Deprez: mondialisation ou pas, la Cité libre et se gouvernant reste l'idéal sans la perspective duquel sombre l'identité humaine. Nous y réfléchirons encore avec Habermas et J-M Ferry dans le prochain numéro (1) . TOUDI s'est voulu d'emblée «un lien vivant entre intellectuels et militants wallons». C'est d'actualité. Le si beau mot d' « autonomie» inventé par les Grecs garde son sens pour tout peuple qui en est un, comme l'est à coup sûr le peuple wallon. Mais il faut le repenser.