Eléments de réflexion pour le mouvement wallon aujourd'hui

Toudi mensuel n°25-26, février-mars 2000

Ce document présente un cadre de réflexion pour tenter d'élaborer des objectifs pour un mouvement wallon aujourd'hui. Il est, donc, largement ouvert à la critique et à l'élargissement des domaines à aborder.

L'expression « mouvement wallon » comporte deux aspects, un aspect Wallonie en mouvement et un aspect groupes d'expression de revendications wallonnes. Comme partout, ces deux aspects sont évidemment liés. Le mouvement wallon n'est l'apanage d'aucune formation politique, sociale ou culturelle particulière, il est présent chez chacun. Le mouvement wallon, parce qu'il est wallon, se retrouve dans les courants progressistes présents, à des degrés divers, au sein de toute organisation ou parti, parce qu'il veut une autonomie de la Wallonie, il s'est opposé et s'oppose encore à l'unitarisme belge, donc aux forces conservatrices. Je crois qu'il ne faut pas utiliser l'expression de « forces traditionnelles » en parlant du conservatisme, parce que ce sont précisément des traditions wallonnes de valeurs, de culture, de savoir-faire, longtemps ignorées ou même bafouées, qui ont survécu comme dans la clandestinité, ont fait et continuent à faire surface aujourd'hui et créent l'essentiel du dynamisme wallon. Même si les sources sont plus lointaines - peut-être même beaucoup plus anciennes encore que celles que reprennent les historiens du Mouvement wallon - le mouvement wallon de notre génération tire ses origines de la Résistance au nazisme pendant la guerre 1940-1945, de l'opposition au retour du roi Léopold III et des grèves de l'hiver 1960-1961 contre la loi unique du Gouvernement de Gaston Eyskens. Elles ont débouché sur la formation du Mouvement populaire wallon, la revendication du fédéralisme et des réformes de structures. Trois évolutions constituent un nouvelle donne pour le mouvement wallon. Le fédéralisme est acquis: révision de la Constitution en 1970 consacrant l'existence des Régions et des Communautés, première loi spéciale organisant les Régions en 1980, deuxième loi spéciale amplifiant les compétences des Régions en 1988, modification de la Constitution établissant la Belgique comme Etat fédéral en1993, premières élections d'un Parlement wallon en 1995.

Le capitalisme industriel national civilisé - l'expression est de Jacques Nagels 1 - acceptant et participant activement au pacte social de 1945 jusqu'au début des années 70 a fait place à un capitalisme financier mondialisé débridé. La mutation ne s'est pas faite aisément, ce sont les années dites de crise économique de 1975 à 1990 environ. Aujourd'hui la crise économique, la mutation, est bien terminée, nous sommes dans ce nouveau capitalisme et les réactions se manifestent déjà: Conférence de Rio sur l'environnement en 1992, opposition à l'AMI (accord multilatéral sur les investissements) concocté par l'OCDE, manifestations à Seattle contre l'extension des compétences de l'OMC (organisation mondiale du commerce), opposition aux idées du Forum économique de Davos en 1999 et en 2000, le mouvement ATTAC (Association pour une taxation des transactions financières pour l'aide aux citoyens) se développe avec vigueur et touche des personnes qui ne s'étaient jamais engagées politiquement. Voilà quelques exemples seulement.

L'Union européenne s'est affirmée. D'une zone de libre échange à six partenaires portant seulement sur le charbon et l'acier en 1951, elle est devenue un seul marché unique par la libéralisation complète de la circulation des capitaux en 1991 et des produits et services à la fin de 1992, disposant d'une monnaie unique à partir du début de 1999. Elle s'est dotée d'un politique extérieure commune, même si elle n'est pas encore très présente dans les faits et d'un embryon d'armée. Dans le même temps, le nombre de pays partenaires est passé à quinze et l'élargissement à d'autres pays est en cours de négociations.

Ces trois évolutions forment une nouvelle donne pour le mouvement wallon: il doit tenir compte des effets immédiats de ces évolutions sur les structures politiques, sociales et institutionnelles et des effets futurs de ces évolutions qui se poursuivent.

Que devient la Belgique ?

Tout est, évidemment lié mais il faut bien se donner des angles de vision distincts: l'économique, le social, le culturel, le politique et l'institutionnel sont les principaux.

Au plan économique

Le franc belge n'existe plus; la politique monétaire est exercée par la Banque centrale européenne (BCE). Un souci de moins, des contraintes en plus. Contraintes d'une politique monétaire restrictive conduite par la BCE qui ne tient pas compte des objectifs de développement et d'emploi. Contrainte budgétaire, le pacte de stabilité impose un déficit budgétaire maximum de 1 % et une réduction de l'endettement public; cela induit les politiques d'austérité dont les effets sociaux directs et indirects sont bien connus: moindre croissance, chômage, pauvreté et précarité. La Wallonie, toujours en reconversion économique a été et reste plus touchée par ces politiques actuellement que d'autres régions. Malgré cela, le dynamisme économique ne s'est pas étouffé en Wallonie, même si les effets sociaux perdurent: sous-emploi, précarité et pauvreté.

Toutes les grandes entreprises, hormis peut-être encore le secteur de la construction (bâtiment et travaux publics), font partie de groupes multinationaux. Les mouvements de restructuration - concentration déjà opérés à grande échelle se poursuivent encore. Le capitalisme belge n'existe plus.

Cela ne signifie pas que les entreprises intégrées dans des groupes multinationaux ne peuvent pas jouer un rôle important dans le développement de Wallonie. Au contraire, la gestion des groupes tend à laisser de plus en plus d'initiatives au plan local et à intégrer les contextes environnementaux et régionaux dans leurs stratégies. Cela n'évite pas non plus les effets sociaux négatifs des politiques de compétitivité des groupes multinationaux.

Les notions de développement régional et local et de développement endogène, peu exploitées jusqu'ici, permettent une nouvelle approche économique.

Au plan social

Le pacte social de l'après-guerre 1945, était basé sur la concertation entre les représentants des employeurs, les organisations syndicales et l'Etat, portant sur les salaires, la sécurité sociale, les conditions de travail, la durée du travail et le partage équitable des fruits de la productivité dans une perspective de plein emploi. 2

Ce pacte est dépassé, les conditions ont radicalement changé. (voir ci-dessus les trois évolutions).

Si le capitalisme industriel et national concernait au premier chef les travailleurs, le capitalisme financier et mondial concerne tous les citoyens. Les gens sont touchés non seulement comme travailleurs, mais aussi comme consommateurs (qualité des produits, notamment alimentaires), comme téléspectateurs (publicité, idéologies véhiculées, ¼), comme épargnants (placements, utilisation de l'épargne), comme habitants (environnement, bruit, sécurité, ¼), comme utilisateurs de loisirs et comme demandeurs de savoirs (enseignement, culture). Tous ces secteurs n'étaient pas concernés ou n'étaient que peu concernés par le capitalisme industriel, ils sont devenus objets importants et marchandises du capitalisme financier mondial.

Les associations et organisations émanant de la société civile sont, donc amenées à assurer le rôle essentiel de défense des citoyens, qu'ont joué les organisations syndicales pour les travailleurs dans le capitalisme industriel national. Les organisations syndicales ont, désormais, à prendre aussi en compte ces nouveaux domaines.

Au plan culturel

Avec l'affaiblissement de la capacité unifiante ou même totalisante des Etats nations en raison de l'émergence et de l'affirmation d'autorités supranationales, en Europe l'Union européenne, et en raison de la disparition des capitalismes nationaux, les citoyens en besoin d'une identité se retrouvent entre eux: c'est l'apparition des régions et des identités régionales.

Ces identités régionales sont totalement différentes des nationalismes des Etats. D'abord, elles ont toujours existé mais ont été niées, enterrées, précisément par le patriotisme national. Elles refont aujourd'hui surface. Contrairement aux nationalismes, elles ne sont pas construites par le pouvoir central mais émanent des gens eux-mêmes. Contrairement aux nationalismes, elles ne sont pas xénophobes mais sont capables d'englober des cultures diverses venant de l'extérieur tout en respectant et adoptant des traditions venues d'ailleurs. Spaghetti, pizza, teramizu, couscous sont devenus des plats courants. Le Doudou (le dragon de Mons) fait la fête avec le dragon de l'Extrême Orient. Contrairement aux nationalismes, les identités régionales n'ont ni volonté totalisante à l'égard des citoyens, ni volonté expansionniste (colonialisme, guerres). Faire croire que les identités régionales sont des nationalismes est une imposture quand cela vient des politiques et un mensonge quand cela vient d'intellectuels aptes à constater les différences fondamentales.

L'identité wallonne se superpose à l'identité belge dont l'Etat a imprégné les citoyens par l'enseignement, le trucage de l'histoire (voir Pirenne), l'existence et le rôle de la monarchie. L'identité belge n'est pas absurde en elle-même, elle est simplement dépassée, périmée. La soutenir par des moyens thérapeutique comme les « joyeuses entrées » des jeunes princes et la médiatisation d'un mariage princier relève d'un combat d'arrière-garde des conservateurs. Des conservateurs, il en existe dans tous les partis politiques. A toute époque, le conservateur finit soit par abandonner un combat qu'il juge définitivement perdu, soit à comprendre son erreur. Il a fallu 35 ans pour que le mouvement wallon, devenu populaire, obtienne satisfaction. (voir les trois évolutions ci-dessus).

On entend souvent dire, parfois par des wallons eux-mêmes, qu'il n'existe pas d'identité wallonne mais un multitude d'identités locales, voire même sous locales. C'est confondre deux notions différentes. Les identités locales ont toujours existé, y compris dans l'Etat nation belge. Elles sont le lieu premier des relations sociales, de l'école, de l'apprentissage de la société, de la conservation de la mémoire et des traditions, de la fabrication de patrimoine, mais elles s'insèrent et constituent l'identité wallonne. Chacun sait, en effet, que dans le monde d'aujourd'hui, l'appartenance forte à une identité locale ne suffit pas, qu'il faut appartenir à un ensemble plus large, pour nous c'est la Wallonie. Non pas par défaut d'autre chose, mais parce que c'est le niveau premier de cohésion politique (de cohésion de la société) et de cohérence entre les identités locales. L'expression « sous-régionalisme » est, en elle-même un non-être, un concept vide de sens, construit pour détruire l'identité wallonne et non pour la conforter.

Certes, avant que la Wallonie n'existe politiquement et juridiquement, chaque sous-région a bien été obligée de s'affirmer face à un Etat unitaire et centralisateur en utilisant divers outils comme les intercommunales de développement ou les provinces. Il est normal qu'en subsistent encore des traces actuellement.

La Wallonie elle-même a dû attendre dix ans entre la modification de la Constitution (1970) et la première loi de régionalisation (1980); elle a donc dû se glisser, vaille que vaille dans la Communauté française (aujourd'hui Communauté Wallonie-Bruxelles) qui a été créée en 1971. La Communauté n'a jamais été une revendication wallonne mais bien une revendication flamande dont les Wallons ont été dotés. Seule expression politique possible au départ, il est normal que des crispations se manifestent lorsque les Wallons rappellent leurs revendications initiales et jamais abandonnées.

Toute identité, parce qu'elle est vivante, doit être alimentée pour se développer progressivement. L'enseignement et la culture sont ses aliments principaux pour les générations montantes. Or, la Wallonie ne maîtrise pas l'enseignement, dirigé de Bruxelles et incolore, inodore et insipide du point de vue wallon parce qu'il doit aussi convenir à Bruxelles. La culture, telle qu'elle est conçue et subsidiée par les pouvoirs publics est soit élitiste et donc conservatrice, soit dite populaire et le plus souvent d'une bêtise à pleurer et d'un quotient intellectuel fort bas.

La Wallonie doit prendre elle-même en charge son enseignement et maîtriser elle-même l'affectation des budgets de la culture. L'un et l'autre dépendent aujourd'hui de la Communauté Wallonie-Bruxelles et doivent être transférés à la Région wallonne et à la Commission communautaire française de la Région de Bruxelles..

Comme toute entité politique, la Wallonie est constituée d'entités locales et sous régionales aux caractéristiques différentes. Ce n'est pas une particularité de la Wallonie. Cela signifie qu'il appartient aux pouvoirs wallons d'éviter une gestion centralisée mais, au contraire, de faire participer au développement les entités locales et/ou sous régionales, tout en assurant la cohérence et la cohésion.

Au plan politique

  • Le système des piliers a vécu

Dans toute démocratie parlementaire il existe des partis politiques. La particularité belge est le système des « piliers ». Chaque courant politique est lié à un parti politique et des organisations sociales, professionnelles ou même religieuses ou philosophiques sont associées à chaque parti politique. Au 19ème siècle en dans la première moitié du 20ème siècle. L'Eglise catholique a été ouvertement liée au Parti catholique, devenu le Parti social chrétien en 1945. En 1953, encore, le cardinal a fait lire une lettre dans toutes les églises au moment des élections. Les Loges maçonniques ont des contacts étroits avec les partis socialistes et libéraux par l'intermédiaire de personnalités politiques qui en font partie.

Le parti socialiste est lié aux organisations syndicales de la FGTB, aux mutualités socialistes et au mouvement coopératif socialiste au sein de ce qu'on a appelé l'action commune. Au PSC sont associés les Syndicats chrétiens et les mutualités chrétiennes et, de manière moins formelle mais réelle, le Mouvement ouvrier chrétien Il existe aussi un syndicat libéral et des mutualités libérales. Ces organisations jouaient un rôle de relais efficaces des partis politiques vers les électeurs et venant des électeurs.

L'apparition des partis politiques dits régionalistes et des partis écologistes un peu plus tard a marqué une première rupture avec le système des piliers, leurs adhérents étant affiliés aux organisations sociales et professionnelles de leur choix. Plus récemment, l'éviction du PSC et du CVP du Gouvernement, après 39 ans de présence ininterrompue au Gouvernement et le plus souvent au poste de Premier Ministre, a marqué une seconde forme de rupture: tout un pan important des organisations sociales et professionnelles s'est trouvé privé de ses liens habituels avec le pouvoir politique.

Ces liens se sont aussi distendus dans la mesure où les organisations telles les syndicats et les mutuelles devenaient des prestataires de services plutôt que les organisations militantes qu'elles étaient au départ. L'affiliation syndicale ou mutualiste crée de moins en moins de liens à caractère politique.

Confiant dans le système des piliers, les principaux partis n'ont pas pratiqué d'ouvertures ni cherché de contacts nouveaux en direction de la société civile qui s'organisait en différentes associations le plus souvent dans un cadre dit pluraliste, c'est-à-dire très concrètement réunissant des personnes issues des divers milieux politiques (en fait des divers piliers).

Ne disposant plus de relais vers les citoyens et venant d'eux, les partis politiques apparaissent coupés des préoccupations et des besoins des gens. Seuls les partis écologistes ont inventé des nouveaux modes de communications ouverts et directs, branchés sur tous les problèmes politiques. Les Etats généraux de l'écologie, une revue de débats, un fonctionnement démocratique interne sur les grands choix politiques en sont les signes.

Parce que le capitalisme financier implique directement les citoyens, parce que le capitalisme ne peut être encadré que par l'Etat ou des organisations d'Etats (l'Union européenne, le FMI, l'ONU, par exemple, parce que la fonction des partis politiques est de conduire les affaires de l'Etat et des organisations d'Etat, le lien entre partis et citoyens ainsi qu'entre partis et associations de la société civile doit s'établir, non plus sur le système des piliers mais sur des modes nouveaux à inventer.

  • Le centre devient le carrefour embouteillé de tous les partis

Sans doute parce que la classe ouvrière s'est réduite en nombre et que les services se sont fortement développés, y compris dans les entreprises industrielles, tous les partis recherchent les voix du centre et affirment eux-mêmes qu'ils se situent au centre, parfois avec les nuances de centre droit ou de centre gauche, voir de nouveau centre (Schroeder en Allemagne). Les programmes ne se distinguent plus les uns et des autres, à des nuances près et lors de changements de majorité politique, les citoyens ne perçoivent pas de changements ou fort peu de changements.

Cette recherche du centre tue la démocratie; à quoi servent les élections puisque tous les partis sont pareils et que rien ne change malgré les problèmes économiques et sociaux vécus, disent les citoyens désabusés et déçus.

L'uniformisation au centre affaiblit les capacités de rupture des partis, en particulier des partis de gauche, avec les situations héritées du passé. L'absence d'une gauche réelle favorise l'apparition des extrêmes, extrême droite notamment, seule formation qui apparaisse comme porteuse de changement.

Les partis socialistes qui s'affirment toujours à gauche devraient logiquement prendre une position de combat plus nette à l'égard du capitalisme financier, comme ils l'ont fait il y a environ 100 ans à l'égard du capitalisme industriel. C'est, sans doute, à cette condition qu'ils trouveront ou retrouveront un électorat prêt à les suivre, mais qui s'éparpille ailleurs faute des positions claires.

Les partis écologistes gagneraient sans doute à préciser leurs positions économiques et surtout leurs positions wallonnes, bien que, par nature, ils soient les seuls à se situer normalement au centre.

Au plan institutionnel: l'Etat, oui mais autrement

  • Contrôle démocratique et politique des organismes internationaux

Le capitalisme financier et mondialisé, même s'il est loin d'être arrivé à son terme de développement, a déjà montré ses limites et les réactions se sont déjà manifestées: accroissements des inégalités sociales partout, accroissements des inégalités entre les peuples et entre les pays, dégâts à l'environnement, domination de l'argent sur l'humain dans tous les compartiments de la vie sociale, y compris le sport, les loisirs, la culture, l'information.

Comme le capitalisme industriel autrefois, le capitalisme financier doit être encadré et cet encadrement doit être contrôlé. Des grandes zones de libre-échange se sont créées: l'Union européenne, l'Espace économique européen, l'Aire de libre échange nord américaine (ALENA, NAFTA en anglais), le marché commun d'Amérique du Sud (MERCOSUR), l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) en sont les exemples principaux. Ce sont les Etats partenaires qui ont, en principe, la gouverne de ces organisations de libre échange

Les organismes mondiaux dans le cadre de l'ONU, comme le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale, l'Organisation mondiale du Commerce (OMC), l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) sont statutairement dépendant des Etats partenaires, souvent au prorata de leurs participations ou de leur PIB

Si les Etats détiennent, en principe, le pouvoir au sein des ces organisations, le rôle des responsables permanents est déterminant; ce n'est pas pour rien qu'on parle de technocrates, c'est une réalité. Très peu de ces organisations internationales ou multinationales disposent d'organes politiques de gestion et le contrôle démocratique est souvent faible, sauf, petit à petit en ce qui concerne l'Union européenne. Les fonctions de gestion et de contrôle sont aussi laissées à des technocrates au sein des Etats: banques centrales, hauts fonctionnaires,¼

Lorsque les Etats ou des Etats sont présents au niveau de décisions, ils sont naturellement représentés par leurs Gouvernements respectifs. La fonction première d'un Gouvernement est de défendre les intérêts économiques et politiques nationaux, qui peuvent être mis en cause par ces institutions. La gestion devient une question de marchandage entre Gouvernements et la fonction politique au sens large de l'institution, c'est-à-dire l'intérêt de l'ensemble des pays sur lesquels elle exerce son autorité n'est pris en compte par personne sinon, partiellement, par les permanents technocrates. C'est ainsi qu'on voit certains organismes internationaux servir les intérêts des USA parce qu'ils sont les plus puissants.

Les Parlements fédéraux et nationaux devraient assurer un contrôle réel. Ils en ont le pouvoir mais ils ne l'exercent pas ou fort superficiellement. Forcément, ils ne rendent compte ni aux composantes fédérées (chez nous les Régions), ni aux citoyens.

Les Parlements régionaux devraient prendre des initiatives d'information dans un premier temps, de contrôle et de directives ensuite, tant les décisions prises au niveau international ont d'importance sur le développement régional. Cela impose, sans doute, un changement profond des habitudes et, peut-être des précisions institutionnelles dans les rapport entre l'Etat fédéral ou central et ses composantes régionales. Au minimum, il faut étendre et transposer les relations Etats - Régions qui existent au niveau de l'Union européenne aux autres organisations internationales.

  • Rapport de force entre travail et capital

Sous l'influence idéologique du néolibéralisme, les Etats ont progressivement et insensiblement glissé d'une fonction d'arbitrage, d'équilibre, de maîtrise des excès de pouvoirs du système économique à une fonction de serviteurs du libre échange, donc de l'argent et du capitalisme.

La droite et la gauche n'ont pas les mêmes conceptions des libertés, ni les mêmes rapports entre droits individuels et droits collectifs.

Ce n'est que sous la pression des citoyens que pourra se rétablir un certain équilibre. C'est, sans doute aussi, un rôle que les Régions pourraient assurer.

Un fédéralisme à achever

Le fédéralisme à la belge en est seulement à sa première étape. En 1974, une régionalisation dite provisoire a réparti des compétences d'exécution à des conseils ministériels régionaux au sein du Gouvernement national. En 1980, on a régionalisé le minimum indispensable en veillant surtout à maintenir toutes les possibilités de retour en arrière. En 1988, les compétences de départ ont été élargies mais sans attribution de réelles compétences nouvelles et une loi de financement a supprimé la dépendance des régions à l'égard d'un vote des dotations par le Parlement national. Après ces préliminaires, la première étape vient en 1993: le fédéralisme est inscrit dans la Constitution et les Régions disposent chacune de leur Parlement autonome, les élections auront lieu en 1995. Bruxelles avait été servi par priorité en 1989, avec élections en 1989.

Le fédéralisme est minimum pour les Régions car:

- beaucoup de matières sont restées de la compétence de l'Etat fédéral;

- d'autres compétences sont bridées ou limitées à l'exécution de lois fédérales en raison du principe d'unité monétaire et d'union économique;

- les dispositifs relatifs à l'unité administrative et à la stabilité intérieure sont maintenus comme en 1831.

Une extension des compétences des régions

Le moment est venu de réaliser une seconde étape. Il faut étudier rapidement le transfert aux Régions des compétences nouvelles, avec les financements correspondants et dans le respect des règles européennes. L'existence de l'euro ne justifie plus le principe de respect de l'unité monétaire ni de l'union économique dans le cadre belge. Ces transferts devraient notamment concerner les matières suivantes:

à l'exclusion des communes à facilités:

- ce qui relève actuellement des lois provinciale et communale;

- les limites des villes et communes;

- la nomination des bourgmestres et des commissaires de police;

- la possibilité de supprimer les provinces, en tout cas comme échelon politique, et la possibilité d'assurer un redécoupage des provinces;

- la loi électorale communale;

- la tutelle exclusive sur les communes et provinces;

- la protection civile, les pompiers et les plans de secours;

en matière économique:

- la politique agricole dans son entièreté;

- la recherche scientifique, quels que soient les domaines, y compris la recherche spatiale;

- le transit des déchets;

- les marchés publics;

- le commerce extérieur hors Union européenne et la coopération au développement;

- une capacité fiscale dans des fourchettes des taux nominaux, en plus ou en moins de l'impôt des personnes physiques, des personnes morales, des sociétés, du précompte mobilier, la part des centimes additionnels des communes et provinces étant intégrée dans ces fourchettes;

- la politique de l'énergie sauf ce qui concerne le cycle du combustible nucléaire;

- une participation à la gestion d'organismes tels que la SNCB, la poste, Belgacom, les instituts scientifiques de l'Etat;

en matière d'emploi et travail:

- la réglementation et l'octroi des permis de travail;

en matière sociale et de santé:

- les règles relatives aux Centres publics d'aide sociale à l'exception du montant du minimex;

- la politique d'aide sociale, sauf la fixation du montant du minimex et du minimum légalement garanti aux personnes âgées;

en matière administrative:

- les archives dites du Royaume, moyennant le respect de conventions de garde des archives fédérales existantes;

en matière de justice:

- une consultation sur le découpage des circonscriptions judiciaires et sur les cadres judiciaires;

- l'exécution des peines alternatives,

- les dispositifs d'un meilleur accès à la justice;

- l'assistance judiciaire (autrefois le pro deo);

- l'aide sociale aux sortant de prisons;

Il appartient aux Wallons et au mouvement wallon d'affirmer leurs priorités dans cet ensemble de revendications

Une rétrocession de compétences communautaires vers les régions

Pour renforcer tant la Wallonie que Bruxelles, et donc sans nuire à la solidarité entre la Wallonie et Bruxelles ou vice-versa, l'enseignement fondamental et secondaire doit être transféré vers la région wallonne d'une part et vers la Commission communautaire française de la Région de Bruxelles (COCOF).

La Radiodiffusion et Télévision belge francophone (RTBF) doit changer de nom et pourrait s'appeler Radiodiffusion et Télévision Wallonie Bruxelles.

La nouvelle RTWB de même que les Universités devraient être cogérées par le Gouvernement wallon et l'Exécutif de la COCOF, au lieu d'être sous la tutelle de la Communauté française. Tant la COCOF que le Parlement wallon seraient concernés par le contrôle de ces institutions disposant d'une large autonomie, chaque Parlement votant les crédits qui le concerne selon une clé de partage tenant compte, par exemple du PIB, du nombre d'habitants ou du nombre d'étudiants de chaque région.

Les télévisions communautaires devraient être transférées à la Wallonie et à Bruxelles selon leurs lieux d'implantation. La Wallonie pourrait utilement constituer un réseau des ces télévisions locales permettant une alternative déconcentrée à une télévision wallonne et bruxelloise (RTWB).

Les communes dites à facilités linguistiques

La situation actuelle est conflictuelle et le restera en permanence. Les Wallons ou Bruxellois francophones ont, régulièrement, à mener des combats défensifs. Il faut améliorer cette situation. Dès lors, même si cela paraît utopiques à certains, les revendications suivantes devraient être mises en avant:

- intégration à la Région de Bruxelles des communes à facilités linguistiques de la périphérie moyennant l'adaptation des critères actuels de la représentation des néerlandophones et des francophones (ces deux termes se justifient pleinement ici compte tenu du fait qu'il s'agit de facilités linguistiques),

- création d'un statut birégional accessible à chacune des autres communes à facilités linguistiques selon les résultats d'un référendum dans chaque commune.

Le statut birégional ne devrait porter pas porter atteinte aux compétences de chacune des Régions telles que définies dans la lois spéciale dite de réformes institutionnelles, ni aux limites des régions linguistiques. Par contre, les compétences communautaires telles que définies à l'article 127 de la Constitution trouveraient à s'appliquer (enseignement, matières culturelles) et de plus ces communes deviendraient bilingues en ce qui concerne les actes administratifs. La Commune de Fourons conservera, bien entendu, ce qui lui est particulier dans son statut actuel.

Contentieux communautaire

Toute matière peut être potentiellement source d'un contentieux entre les communautés, tout simplement parce que les situations, les structures, les mentalités et, donc, les intérêts sont différents. Des négociations et des compromis peuvent permettre d'en sortir.

Sans compter la difficile et délicate question des communes à facilités linguistiques, trois questions sont difficiles à régler: la dette publique, la Sécurité sociale, le droit social. La plupart des autres questions soit ne créent pas un véritable contentieux, soit sont réglées au niveau européen ou le seront dans un avenir proche. Il a été question, ci-dessus de la fiscalité.

La sécurité sociale et le droit social

La sécurité sociale et le droit social, y compris le droit du travail, sont liés à l'héritage bénéfique du pacte social de l'après-guerre et aux réalités du consensus entre partenaires sociaux. Tant les organisations syndicales que les organisations patronales sont et restent organisées sur une base unitaire belge, même si dans les organisations syndicales des modes de fonctionnement interne donnent une place aux expressions régionales et si les employeurs ont créé l'Union wallonne des entreprises.

La sécurité sociale fonctionne sur un principe d'assurances obligatoires. Comme dans tout système d'assurance plus on élargit la base, plus équilibré est le système. Dans une perspective européenne, il faudrait donc aller vers un système européen. Certes, les systèmes existants sont différents de pays à pays en raison de leurs passés et en raison de leurs développements économiques: même si les principes sont identiques, les modalités sont différentes et ne peuvent pas être facilement harmonisées. Dans l'environnement idéologique néolibéral de l'Union européenne, il y a lieu de craindre qu'une harmonisation se fasse vers le bas, ce qui constituerait un recul social pour beaucoup.

Il devrait, cependant, être possible d'organiser une solidarité européenne entre les système nationaux, en harmonisant les cotisations de sécurité sociale patronales à un niveau assez élevé, par exemple, la moyenne des trois pays ayant le taux de cotisation le plus élevé. Cette européanisation serait, en outre, bénéfiques au respect des règles de concurrence.

Les politiques dites de l'emploi suivies dans plusieurs pays sous l'influence néolibérale conduisent à réduire les cotisations patronales de sécurité sociale. C'est, déjà, une forme de détricotage de la Sécurité sociale qui risque bien de se poursuivre. Les ressources manquantes sont alors reportées soit sur les consommateurs par des taxes ou des augmentations de TVA, soit sur les contribuables, comme l'est en France la contribution sociale généralisée (CSG). Une cotisation européenne bloquerait cette tendance et éviterait la surenchère entre pays pour attirer ou maintenir des entreprises chez eux.

Dans la mesure où une forme suffisante de solidarité peut être organisée, soit à un niveau national, soit, de préférence, à un niveau européen, il serait possible de scinder la sécurité sociale graduellement de manière à pouvoir l'adapter aux réalités propres à chaque région, notamment en ce qui concerne les modalités d'attribution des allocations dans le cadre d'un budget précis.

Les pensions

Globalement, l'évolution démographique, sociale et de l'emploi, joue davantage en faveur de la Wallonie que de la Flandre et la population wallonne est déjà plus jeune que la population flamande et elle vieillit moins vite à considérer les indices respectifs (rapport du nombre des plus de 60 ans au nombre des moins de 20 ans).

Toutes proportions gardées, la charge des pensions va s'alourdir moins fort en Wallonie qu'en Flandre. Il en est de même de la charge de l'assurance maladie-invalidité, notamment par la réduction des charges dues aux maladies professionnelles liées à l'industrialisation lourde. Par contre, dans les conditions uniformes actuelles, la charge des allocations familiales pourrait s'alourdir légèrement pour la Wallonie au regard de la Flandre.

Il reste que la Wallonie est pénalisée par un taux de chômage actuellement plus élevé qu'en Flandre. On en connaît les raisons, mais dans ce domaine aussi la reconversion économique de la Wallonie est bien en route même s'il faut encore du temps pour qu'elle se marque plus nettement en terme d'emploi. 3

On a dramatisé toute régionalisation de la sécurité sociale, affirmant qu'elle conduirait automatiquement à l'éclatement de la Belgique. Cette affirmation est sans fondement si on y réfléchit bien. Elle poserait des problèmes aux uns et aux autres dans certains domaines, notamment quant à la définition des normes comme celles des hôpitaux, mais des solutions sont toujours possibles.

Les Wallons et les Bruxellois francophones ne doivent pas craindre une discussion sur des formes de régionalisation de la sécurité sociale. Même si la Wallonie n'en perçoit pas d'avantages actuellement, c'est, peut-être, parce que ce sujet a été et reste tabou. L'évolution divergente de la démographie en Flandre et en Wallonie conduira, tôt ou tard, la Wallonie à demander des réformes comme l'a déjà fait la Flandre pour les allocations familiales.

A condition de pouvoir s'appuyer sur des solidarités maintenues au niveau belge et, de préférence, organisées au niveau européen et à condition de la réaliser graduellement, une séparation de la sécurité sociale entre la Wallonie et la Flandre peut convenir aux intérêts économiques et sociaux wallons. Il convient d'en examiner, dès à présent, les modalités.

Dans l'immédiat, rien n'empêcherait - par exemple en ce qui concerne les allocations familiales- une régionalisation des modalités d'attribution des allocations dans le cadre d'un budget précis, à condition que les cotisations et leur perception restent inchangées afin de ne pas introduire des distorsions de concurrence entre les entreprises et à condition que les Régions ne distraient pas les cotisations recueillies de leur objectif: le paiement des allocations familiales aux familles..

Et si la Belgique éclatait ?

On entend couramment dire à Bruxelles et en Wallonie, que "la Flandre" veut quitter la Belgique. Il faut, à toutes forces, éviter de tomber dans ce piège.. Si les Wallons et les Bruxellois francophones le croient réellement, alors ils se mettent délibérément en situation d'infériorité à l'égard de toute revendication flamande: ils sont, d'avance, prêts à céder pour éviter un éclatement de la Belgique qu'ils croient néfaste à la Wallonie et à Bruxelles.

Quand on parlait de fédéralisme, les conservateurs prédisaient la catastrophe pour la Wallonie. Le fédéralisme réalisé aujourd'hui est plus large que celui dont on parlait alors et la Wallonie est occupée à s'en sortir depuis 1986, moment où les impulsions d'un Gouvernement wallon ont pu commencer à avoir des effets.

C'est bien dans l'Etat belge que la Wallonie n'avait pas sa part. C'est bien l'Etat fédéral qui privilégie encore la Flandre. On vient encore de le voir dans l'accord sur l'affaire du bruit des avions.

Si on examine les revendications flamandes depuis le début du siècle, elles ont, toujours, été accompagnée d'un courant hostile à la Belgique allant jusqu'à son rejet. Les partis flamands traditionnels ont délibérément joué et continuent délibérément à utiliser cette menace, pour faire céder les Wallons et Bruxellois francophones, faire adopter leurs revendications par l'Etat belge et gérer l'Etat belge dans le sens des intérêts flamands. C'est cette attitude outrecuidante que n'ont cessé de dénoncer les partis wallons et les mouvements wallons organisés.

Il n'existe aucun risque que les partis majoritaires de Flandre mettent à exécution la menace de quitter l'Etat belge. Où irait une Flandre qui aurait largué la Belgique ? Aucun autre pays n'en voudra et elle éprouverait bien des difficultés à se faire reconnaître internationalement. La Flandre le sait.

Si, par la volonté de la Flandre -quod non, comme disent les juges - la Wallonie et Bruxelles se retrouvaient seuls gestionnaires de la Belgique, quels risques courent-ils ? La situation ne serait ni plus grave, ni moins grave qu'actuellement. Et, contrairement à la Flandre, la Wallonie pourrait trouver des solutions au niveau international.

Ce qui est, par contre certain dans un tel scénario, c'est une émigration des instances européennes et internationales actuellement localisées à Bruxelles. La Flandre en pâtirait tout autant que Bruxelles ou la Wallonie.

Les Wallons et les Bruxellois francophones doivent cesser de croire que le scénario de largage de la Belgique par la Flandre pourrait un jour se réaliser. C'est du pur chantage de la part de certains courants flamands qui sert bien la stratégie des principaux partis flamands

L'Union européenne à 6, 9, 12 ou 15, mais à 20, 25 ou même 30 ?

Position des petits pays et des régions

L'élargissement de l'Union européenne ne pourra se faire sur base des structures de fonctionnement à six, chaque pays disposant d'au moins une voix dans les Conseils des Ministres et pouvant désigner au moins un membre de la Commission. On voit mal comment donner un quasi droit de veto à un seul pays vis-à-vis de 20 ou 29 autres; on voit mal une Commission composée de 40 membres au sein de laquelle le consensus doit être rechercher comme il est de règle au sein d'un Gouvernement ou d'un Exécutif.

Il faudra nécessairement que des regroupements s'opèrent. Le fonctionnement du Fonds monétaire international en donne un exemple. Dans une Union européenne multiculturelle, des regroupements vont se produire sur base de critères culturels, pas seulement la langue mais surtout la conception de la société et des rapports de la personne à la collectivité organisée. Verra-t-on un ensemble germanique, un ensemble scandinave, un ensemble slave, un ensemble latin, un ensemble français ?

D'ailleurs, la minoration inévitable des petits Etats, les entraînera, soit eux-mêmes, soit leurs composantes à chercher des alliances qui puissent prendre en compte leurs points de vue dans le fonctionnement et dans la construction européenne. Dans cette perspective, il serait tout à fait insupportable pour la Wallonie que le Benelux, actuellement en veilleuse mais juridiquement existant, soit ranimé. Dans le Benelux, en effet, la Wallonie se verrait minorisée dans son développement économique et dans son existence politique.

Si des éléments de la sécurité sociale passent, petit à petit, dans la sphère européenne, encore que cela n'apparaisse pas imminent à l'heure actuelle, il faudra:

- soit disposer d'une organisation à plusieurs niveaux, le découpage des Etats actuels, n'étant sans doute pas le plus adéquat pour établir la solidarité des assurances sociales vu les tailles trop différentes des Etats. Les Régions retrouveraient là une fonction sociale importante, en lien direct avec leurs structures sociales et démographiques;

- soit recomposer des ensembles plus vastes; alors, le même problème se pose qu'au niveau politique, composer un ensemble Benelux ou adhérer à la France.

L'intégration économique est forte entre la Wallonie et la France: sur base du critère du chiffre d'affaires, les groupes français contrôlent, seuls ou avec une participation belge, 37 % des grandes entreprises situées en Wallonie, loin devant la Belgique: 24 %, les Pays-Bas: 22 %, les Etats-Unis et l'Allemagne, chacun 4 %, l'ensemble des autres pays: 10 % 4

Cette situation est, évidemment, importante dans une construction européenne dans laquelle l'économie est dominante.

Au cours des siècles, les territoires qui forment aujourd'hui la Wallonie ont toujours été une marche de la francité dans un territoire de culture germanique, même aux temps où la Principauté de Liège faisait partie du Saint Empire romain germanique.

Les liens économiques importants entre la Wallonie et la France, le partage d'une même culture française (langue, littérature, droit, conception du citoyen et de l'Etat, notamment) conduisent à renforcer des liens politiques dès maintenant en vue de préparer les discussions européennes sur les structures futures de l'Union européenne. Ces liens peuvent déjà être bénéfiques actuellement.

Rôle de Bruxelles dans les institutions futures

Dans l'élargissement, que deviendra la fonction de Bruxelles ? Le centre administratif et politique ne risque-t-il pas de se déplacer vers Berlin, très grande ville est géographiquement plus centrale dans une Union européenne qui s'étendra principalement vers le nord et l'est ? Certains l'évoquent déjà.

La Wallonie et Bruxelles ont un intérêt commun à maintenir à Bruxelles les institutions européennes qui s'y trouvent et sont appelées à se développer. Cet intérêt est d'ailleurs aussi partagé par la Flandre.

La Wallonie devrait aussi mettre cet aspect dans les contacts à prendre avec la France dès maintenant.

La Wallonie et Bruxelles

La Communauté Wallonie-Bruxelles (anciennement la Communauté française de Belgique), par son histoire, elle existe depuis 1971, neuf ans avant la Région wallonne et dix huit ans avant la Région de Bruxelles, et par les matières de sa compétence est l'héritière directe de l'Etat unitaire belge et de l'identité belge résiduaire (ou irréductible).

Faute de disposer de ses propres institutions entre 1971 et 1980, la Wallonie s'est partiellement servie de la Communauté pour montrer son existence.

Par la force des choses, la Communauté Wallonie Bruxelles n'est ni wallonne, ni bruxelloise francophone, elle ne peut plus, dès lors, qu'être "belge francophone" ou simplement "francophone". Pour le constater, il suffit d'écouter les journaux d'information et les émissions de la première, en radio ou en télévision: du belge, rien que du belge, parfois du francophone. Jamais le terme "Wallon" ou Wallonie" n'apparaît, pas plus que le terme "Bruxellois". On y préfère utiliser l'expression surréaliste de "sud du pays" ou "sud de la Belgique", ainsi on réaffirme chaque fois le cadre unitaire belge, alors même que la Constitution affirme la structure fédérale depuis sept ans.

Dans l'enseignement, il n'existe toujours pas de cours d'histoire de la Wallonie (ou de Bruxelles). Alors que les Français ont été accueillis comme des libérateurs en 1792, les manuels parlent toujours de l'occupation ou de la domination française.

Parce qu'elle ne peut être ni wallonne, ni bruxelloise, la Communauté tourne en rond dans l'immobilisme, ne contribue pas à la formation d'une identité wallonne (ni d'ailleurs d'une identité bruxelloise), pire encore elle participe, sans doute sans le vouloir expressément, à la désagrégation de identité wallonne.

Il faut cesser de faire croire que la Communauté Wallonie Bruxelles constitue le ciment entre les Wallons et les Bruxellois francophones, tout simplement parce que c'est une vue de l'esprit ne correspondant pas à une réalité.

La solidarité existe, en tout cas venant de la Wallonie; elle n'a pas besoin d'une institution Communauté française pour exister et pour se manifester.

Il faut mettre fin à la Communauté Wallonie-Bruxelles, partager ses compétences entre la Wallonie et la Commission communautaire de la Région de Bruxelles-Capitale et conclure une accord de coopération et de solidarité mutuelle dans toutes les matières qui seront jugées nécessaires et non seulement dans les matières actuelles de la Communauté.

Cet accord peut créer un organe permanent commun d'exécution de certaines fonctions relevant de cet accord. Ainsi la solidarité entre Bruxelles et la Wallonie serait affirmée plus nettement encore que dans le magma actuel et, simultanément, l'identité wallonne d'une part, l'identité bruxelloise d'autre part seraient confirmées et renforcées.

Et la monarchie ?

Un système peu démocratique

La monarchie a été imposée à la Belgique par les grandes puissances en 1831, après le coup d'Etat des journées de septembre et le putsch qui s'en est suivi. La Belgique est devenue puissance industrielle par la Wallonie; elle a survécu jusqu'ici parce qu'elle se trouvait à l'intersection géographique des trois grandes puissances économiques européennes: France, Grande-Bretagne et Allemagne. Aucune ne voulait, en effet, que cette capacité industrielle ne tombe aux mains de l'un des autres. A partir de 1945 et de la création de l'ONU, les frontières de tous les Etats se sont figées et le restent encore.

Depuis 1831, la Constitution n'a été modifiée que sur un seul point en ce qui concerne la monarchie: l'accession des femmes au trône. C'est dire si le système actuel est vieillot. Les démocrates wallons, bruxellois et flamands s'en sont accommodés jusqu'ici, les pratiques s'étant plus ou moins bien adaptées à l'évolution de la démocratie.

Le décalage est, cependant, devenu excessif et, à certains égards, insupportable. Les pouvoirs de toutes les autres monarchies constitutionnelles existant encore en Europe ont été fortement réduits de manière à laisser la démocratie fonctionner comme elle se doit.

Selon la Constitution belge, la personne du Roi est inviolable, on ne peut donc pas lui demander des comptes. Cela se traduit par l'expression: "on ne découvre pas la couronne"; elle signifie le secret complet sur tous les entretiens que le Roi a avec qui que ce soit. En contrepartie, le Roi ne peut agir que sous le contreseing d'un Ministre qui, de cela seul, devient responsable.

Néanmoins, le Roi fait partie intégrante du pouvoir exécutif fédéral. Le Roi signe personnellement tous les arrêtés royaux, les nominations dans l'administration, la justice, l'armée, les projets de loi. Il sanctionne et promulgue les lois votées par le Parlement (on se souvient du refus de Baudouin de signer la promulgation de la loi votée sur la dépénalisation partielle de l'avortement). Il nomme et révoque ses Ministres (article 96 de la Constitution). Il a le droit de conférer les titres de noblesse et les décorations.

En cas de révision de la Constitution, il faut l'accord du Roi pour déclarer les articles soumis à révision et les Chambres statuent de commun accord avec le Roi sur toute révision d'un article. Les Chambres seules ne peuvent voter une révision, il faut aussi l'accord du Roi sur le texte dans une forme identique à celle des Chambres. Bien entendu, l'accord du Roi se fait sous le couvert de la signature d'un Ministre au moins. C'est un pouvoir beaucoup plus grand que celui de sanctionner les lois.

Les milieux monarchistes, dans le souci de défendre le principe de la continuité du système et se rendant compte qu'il est en décalage avec les pratiques démocratiques actuelles ont tendance à minimiser les pouvoirs du Roi pour mieux le faire accepter. Le Roi ne serait, à la limite, qu'une machine à signer. Attitude paradoxale pour des monarchistes, parce que si le Roi est devenu un simple machine à signer, alors¼ la preuve est faite de son inutilité et rien n'empêche de supprimer le système monarchique.

Le refus du Roi Baudouin de signer la sanction et la promulgation de la loi sur la dépénalisation partielle de l'avortement a fait réfléchir beaucoup de monde dans tous les milieux en Wallonie. On s'est aperçu que, contrairement à ce qu'on pensait le Roi dispose d'un réel pouvoir.

Le système de monarchie constitutionnelle, tel qu'il est établi et fonctionne en Belgique, heurte de front les règles démocratiques de plusieurs manières:

- une personne non choisie par une procédure démocratique détient un pouvoir dont il n'a pas à rendre compte devant les Chambres et donc devant les citoyens;

- une personne non choisie par une procédure démocratique intervient dans les décisions du Gouvernement dans le secret complet;

- une personne non choisie démocratiquement peut s'opposer personnellement à toute modification de la Constitution, en particulier les articles concernant ses propres pouvoirs.

Les partis politiques belges et les citoyens se sont accommodés de cette situation au point qu'ils les considèrent comme normales. Il reste qu'en raison de ses pouvoirs et en raison du secret qui entoure leur exercice, le plus grave est que les partis politiques s'autocensurent dans le choix des Ministres par exemple pour éviter un refus du Roi. Les Ministres, aussi, s'autocensurent en couvrant, sans rien dire, des décisions effectivement prises suites à une intervention du Roi. On connaît, par exemple, la lettre du Roi Baudouin recommandant une intervention au Rwanda pour protéger le Premier Ministre rwandais de l'époque, instigateur du génocide.

Les citoyens sont des « citoyens déclassés », selon le titre d'un livre de José Fontaine: ils ne disposent pas de la plénitude des pouvoirs dont ils disposent, même si l'article 33 de la Constitution prévoit explicitement que « tous les pouvoirs émanent de la Nation ».

Wallonie et monarchie

Dans le système fédéral actuel, les institutions de la Région wallonne comme celles de la Région flamande fonctionnent sans aucune intervention du Roi qui reste totalement hors circuit. On peut dire que la Région wallonne fonctionne sur le mode d'une république pour tout ce qui concerne ses compétences et son gouvernement. Seul le Président du Gouvernement wallon prête serment devant le Roi, mais cela ne comporte aucune conséquence et n'est pas un signe d'allégeance.

Les adhérents des Mouvements wallons n'ont jamais été monarchistes mais ils n'ont pas, non plus, considéré que leur combat wallon passait par une mise en question de la monarchie. Le fédéralisme, la reconversion économique de la Wallonie, l'opposition aux revendications flamandes excessives leur sont apparus comme des objectifs essentiels et prioritaires. La réduction des pouvoirs du Roi, à fortiori le changement de régime, ne leur sont pas apparus comme un point de passage obligé. Aucune tendance antimonarchiste n'a pris véritablement corps jusqu'à ces dernières années mais aucun enthousiasme ou soutien de la monarchie ne s'est manifesté publiquement.

On entend souvent dire qu'il faut un Roi comme arbitre au-dessus de la mêlée des partis. Rien n'est plus faux. La Région wallonne comme la région flamande, la Région de langue allemande ou la Région de Bruxelles ont fait la preuve d'un fonctionnement au moins aussi bon que celui de l'Etat fédéral, le seul à compter le Roi dans ses rouages et les Gouvernements s'y forment plus rapidement qu'au niveau fédéral. La réalité plaide, donc, plutôt pour la République !

Union européenne et monarchie

Le système monarchique de l'Etat fédéral belge est en décalage croissant avec la construction européenne. Le Roi ne participe à aucun sommet européen, bien qu'il fasse partie du pouvoir exécutif, au contraire des Présidents de République dans le cas de régime présidentiel.

Avec l'élargissement de l'Union européenne et les recompositions d'Etats qui se manifesteront inévitablement, le système monarchique sera plus encore en décalage avec les institutions que se donnent les citoyens. Pour faciliter, voire même rendre possible de telles recomposition qui peuvent concerner des Régions ou des Etats entiers, il convient de réduire les pouvoirs du Roi uniquement à un rôle protocolaire comme en Suède ou au Danemark, avant de passer à une République.

La désignation de princes ou princesse à la tête d'organisme officiels ( l'Office belge du Commerce extérieur, la Croix Rouge, ou d'autres), la multiplication des manifestations de présence de la famille royale et l'amplification médiatique à laquelle elles donnent lieu, sont probablement voulues par le Palais, en tout cas acceptées par lui. Il faut ramener le système monarchique à sa place telle que prévue dans la Constitution qui reconnaît le Roi mais ne connaît pas les Princes. Ce dévoiement de la Constitution doit être dénoncé, même si les citoyens ne se laissent pas prendre au jeu.

Dans un premier temps, les pouvoirs du Roi dans le système belge doivent être réduits et ramenés au seul rôle protocolaire. Dans un deuxième temps, dans les recompositions inévitables des Etats européens, on passera à un système républicain.

Conclusion en forme de résumé

Trois évolutions constituent une nouvelle donne pour le mouvement wallon: le fédéralisme est acquis de manière irréversible, le capitalisme industriel national a fait place à un capitalisme financier mondialisé, l'Union européenne s'est affirmée et constitue une unité monétaire et une union économique et pas seulement un marché commun.

Ces évolutions et leurs prolongements attendus entraînent la Wallonie à devoir faire des choix pour pouvoir continuer à maîtriser son avenir et celui des Wallons.

Le fédéralisme actuel n'est qu'une première étape. Aux dépens des pouvoirs fédéraux, les pouvoirs de la Wallonie doivent, donc, s'étendre à des domaines nouveaux tels que les communes, CPAS et provinces, la politique agricole y compris le contrôle des produits, les déchets, les marchés publics, le commerce extérieur, la coopération au développement, la politique de l'énergie, la réglementation du travail, une capacité fiscale propre sur tous les types d'impôts. Ces transferts de compétence doivent, évidemment, être accompagnés des transferts de moyens financiers au détriment de l'Etat fédéral.

Le fédéralisme actuel doit être simplifié par une réorganisation complète de la Communauté Wallonie Bruxelles. L'enseignement, la culture, les télévisions dites communautaires doivent revenir simultanément à la Wallonie et à la Commission communautaire française de la Région de Bruxelles (COCOF); la RTBF, à transformer en RTWB (Radio et télévision Wallonie Bruxelles) de même que les Universités doivent être cogérées par la Wallonie et la COCOF et un accord de coopération couvrant tous les domaines utiles et non seulement ceux de la Communauté Wallonie Bruxelles doit être conclu entre la Wallonie et la COCOF pour organiser une vraie solidarité entre la Wallonie et Bruxelles, ce que la Communauté Wallonie Bruxelles est incapable de réaliser.

L'Etat fédéral doit aussi voir ses pouvoirs nettement diminuer. La nomination des bourgmestres, des Commissaires de police, des Gouverneurs de province maintient la Wallonie sous une tutelle insupportable au moment où il est de plus en plus question d'élargir les rôles des communes, associations de communes et communautés urbaines au développement économique, social, culturel et civique, sécurité notamment.

La manière de gouverner la Wallonie doit aussi s'adapter aux réalités d'aujourd'hui. Le capitalisme financier mondialisé affecte tous les citoyens et pas seulement les travailleurs. La société civile est concernée et on constate d'ailleurs qu'elle a déjà pris des initiatives et en prendra de plus en plus.

La disparition des "piliers" dans le système politique entraîne nécessairement d'autres pratiques politiques, en particulier de la part des partis de gauche ou de centre gauche. Ceux-ci ont à retrouver une capacité de contestation, voire de rupture, à l'égard du système économique comme à l'égard de l'organisation de la société. L'absence de radicalisme dans la poursuite d'un centre noie leur expression propre et permet aux extrêmes, y compris l'extrême droite, de se développer.

L'intangibilité de la Sécurité sociale ne doit plus être un tabou. Quoi qu'on fasse, elle est déjà battue en brèche par les nombreuses exonération de cotisations patronales sous prétexte d'emploi. L'évolution démographique entre la Wallonie et la Flandre étant devenue inverse de ce qu'elle était, il y a dix ans encore, le problème se pose en termes relativement plus favorables pour la Wallonie.

Il faut d'ailleurs œuvrer à une amorce de sécurité sociale sur base européenne, par exemple en fixant à un niveau suffisant les cotisations patronales de sécurité sociale. Ce serait une manière de réaliser un équilibre des règles de concurrence et de bloquer le chantage des grandes entreprises à l'emploi: les Etats entrant dans des réductions compétitives de cotisations patronales de sécurité sociale, reportant la charge sur les citoyens, les travailleurs et les bénéficiaires.

La monarchie constitutionnelle qui forme la structure essentielle du niveau fédéral belge est archaïque et ne correspond plus à la pratique de la démocratie aujourd'hui: il prive le citoyen et les partis politiques d'un partie de leurs pouvoirs. Dans un premier temps et sans tarder, les pouvoirs du Roi doivent être ramenés à un rôle purement protocolaire, comme dans les monarchies suédoise ou danoise. Dans un deuxième temps, le passage à une forme de République s'imposera.

Parce que le capitalisme est devenu mondialisé, le rôle des institutions publiques internationales et supranationales devient fondamental dans l'établissement de règles d'encadrement et de contrôle. Il importe donc d'organiser un contrôle démocratique et politique sur ces institutions. Il appartient au Gouvernement wallon et au Parlement wallon d'exercer les pressions nécessaires sur le niveau fédéral pour qu'il assume ce rôle qui est le sien et informe les autorités fédérées.

L'élargissement de l'Union européenne impose de nouvelles règles de fonctionnement et d'organisation: on ne gouvernera pas une Europe à quinze avec les méthodes et structures d'une Europe à Six. Tous les pays, en particulier les petits pays, ne pourront pas participer en permanence à toutes les instances: ils devront, nécessairement, être "représentés" par d'autres. Cela impliquera des regroupements soit de pays, soit de composantes de pays.

On peut penser que ces regroupements se feront à long terme selon les conceptions et comportements culturels, à savoir conception germanique, anglo-saxonne, scandinave, française, méditerranéenne de la société et des rapports du citoyen et de l'Etat. Dans l'immédiat, les rapports de proximité joueront probablement un rôle déterminant. Deux recomposition s'offre, en théorie, à la Wallonie: soit ranimer le Benelux dans lequel elle sera minorisée à tous points de vue, soit se rapprocher de la France. Entre les deux solutions, le choix est aisé; le rapprochement avec la France doit, dès lors, être préparé rapidement par des contacts concrets.
  1. 1. Jacques Nagels, Du capitalisme sauvage au capitalisme civilisé et de capitalisme civilisé au capitalisme débridé, in Cahiers marxistes, n°203, août-septembre 1996 et Eléments d'économie politique, Editions de l'ULB, 1997
  2. 2. Yves de Wasseige, Nécessaire retour de l'Etat, in Cahiers marxistes n° 203, août-septembre 1996.
  3. 3. Yves de Wasseige, Rayer "déclin wallon" du vocabulaire, in Toudi, n° 6, septembre-octobre 1997 et L'emploi augmente en Wallonie depuis 10 ans, in Toudi, n° 11, mai 1998.
  4. 4. CRISP (Centre d'études et d'information sociopolitiques, Bruxelles), Structure générale de l'actionnariat des entreprises wallonnes, 1998, recherche réalisée à la demande et avec l'aide du Gouvernement wallon.