République? Monarchie? Le cas intéressant de l'Australie

Toudi mensuel n°24, janvier 2000

Ainsi donc, le 6 novembre 1999, par 55% des suffrages exprimés 1, l'électorat australien a préféré conserver le souverain britannique comme chef de l'Etat du Commonwealth d'Australie plutôt que d'instaurer une République le 1er Janvier 2001. Peu de temps avant ce référendum, un sondage avait montré que seulement 9% des Australiens éprouvaient un quelconque sentiment d'attachement vis à vis d'Élisabeth II ou de l'institution monarchique. Comment expliquer cette attitude pour le moins contradictoire ? Le débat sur la République agite, à des degrés divers, le Commonwealth d'Australie depuis son institution en 1901. À l'origine, les premiers républicains se recrutaient surtout parmi les immigrants irlandais, ceux-ci ayant emporté avec eux leur vieille tradition républicaine. Il n'est pas sans intérêt de rappeler par ailleurs que parmi les premiers Australiens " blancs " se trouvaient de nombreux républicains irlandais qui, suite aux révolutions de 1798 et 1848, furent condamnés par la Justice impériale à une peine d'exil plus ou moins longue.

Le régime politique en Australie

Les partisans de la République se retrouvèrent donc surtout là où les Irlando-australiens étaient bien implantés, c'est-à-dire au sein du Parti Travailliste, des syndicats et de l'Église Catholique.?Ce premier cercle s'agrandit au fur et à mesure de la conquête par la Fédération australienne d'une autonomie accrue. Le représentant du monarque britannique, dénommé dans le cas australien " Gouverneur-Général ", qui exerce les pouvoirs de celui-ci dans les diverses Constitutions des Dominions (en 1931: Canada, Terre-Neuve, Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud, Irlande) est choisi par le gouvernement central de ces derniers. Le souverain britannique, bien que pouvant théoriquement s'opposer à ce choix ne l'a jamais fait 2. En contrepartie, aucun gouvernement de Dominion n'a démis le représentant de la Couronne avant l'échéance de son mandat, bien qu'une telle possibilité soit constitutionnellement possible. En 1931, le Statut de Westminster accorda aux Dominions la possibilité de mener une politique étrangère autonome de celle de la Métropole, ce qui permit à l'Irlande de de Valera de rester neutre lors de la Deuxiéme Guerre mondiale mais aussi, malheureusement, à l'Afrique du Sud de défier la communauté internationale en instaurant à partir de 1949 les lois d'apartheid. Tous ces États abandonnèrent progressivement l'hymne britannique comme hymne national. " Australia Fair " devint l'hymne national australien en 1977. En pratique donc, le souverain britannique est à la tête du pouvoir exécutif de la Fédération Australienne, ses pouvoirs étant exercés par le Gouverneur-Général, celui-ci ne pouvant agir que s'il est couvert politiquement par le premier ministre ou un membre du gouvernement fédéral. Ce Gouverneur-Général dispose de quelques compétences dites " réservées ", c'est à dire qu'il peut exercer sans être couvert par le gouvernement fédéral: il s'agit principalement de la nomination et du renvoi du Premier Ministre ainsi que de la dissolution ou du refus de dissolution du parlement fédéral.

L'exercice de ces compétences devant respecter les coutumes constitutionnelles établies, ainsi le Premier Ministre est toujours le leader du parti ou de la coalition disposant d'une majorité à la chambre basse du parlement fédéral. Ce sont ces compétences " réservées " qui vont donner une nouvelle vigueur au mouvement républicain. En 1975, le Gouverneur Général renvoya le Premier Ministre travailliste Gough Whitlam suite au rejet par le Sénat fédéral du projet de Budget, il est apparu à beaucoup que ce renvoi tenait plus à la politique étrangère de Whitlam, ce dernier, contrairement à ces prédécesseurs conservateurs, s'opposant à l'intervention américaine au Vietnam et aux essais nucléaires britanniques et français.

Les travaillistes perdirent les élections qui s'ensuivirent et furent relégués dans l'opposition jusqu'en 1983. Les gouvernements travaillistes de Bob Hawke et Paul Keating n'oublièrent pas ce camouflet et mirent en place le processus qui culmina en février 1998 avec la tenue d'une Convention constitutionnelle sur la République. Cette Convention se composait de 152 délégués, 76 avaient été élus par le corps électoral 3 , 76 avaient été nommés par le Gouvernement fédéral, 40 étant issus du Parlement fédéral et des Parlements des 6 États et 2 Territoires fédérés. La Convention souhaita qu'au 1er janvier 2001 le Commonwealth d'Australie devienne une République, ce terme de " Commonwealth " étant préféré à celui de " Republic ". Les pouvoirs du Souverain britannique et du Gouverneur-Général étant exercés par un Président désigné de manière " bipartisanne ". Le mode de désignation divisa profondément la Convention, la formule retenue n'obtenant que 75 voix contre 71 et 4 abstentions.

S'inspirant de la coutume constitutionnelle régissant la désignation du Gouverneur-Général, la Convention proposa une légère modernisation de celle-ci. Le Parlement fédéral était chargé d'instituer un comité ou seraient représentés les Parlements fédéraux et fédérés, les collectivités locales, diverses associations tels les syndicats et la société civile. Ce Comité aurait eu pour fonction de présenter au Premier Ministre fédéral une liste limitée de candidats " acceptables " à la fonction présidentielle. Celui-ci aurait choisi alors, après accord du leader de l'opposition parlementaire, un seul candidat qui devait être accepté à la majorité des 2/3 par une session commune des deux Chambres du parlement fédéral. Par 73 voix contre 57 et 22 abstentions, la Convention souhaita enfin que ces conclusions fassent l'objet d'un référendum constitutionnel au cours de l'année 1999.

L'échec du référendum sur la République

Le référendum du 6 novembre vit donc le rejet du compromis constitutionnel élaboré par la Convention. Comment expliquer cet échec? Plusieurs raisons doivent être appréhendées simultanément.

En premier lieu, le gouvernement fédéral en place était très divisé sur cette question, le Premier ministre se déclarait monarchiste, de nombreux membres de son cabinet soutenaient la République, ce qui empêcha de mettre au service de celle-ci le poids de la machine gouvernementale et accru la confusion du débat. Ensuite, l'approbation par référendum d'une modification constitutionnelle est presque impossible, une majorité de suffrages devant être réuni dans toute la Fédération et dans 4 des 6 Etats composant celle-ci. Depuis 1901, sur près d'une cinquantaine de proposition, seules 4 ont franchi ce double écueil. Il faudrait d'ailleurs se demander d'une manière plus générale si la procédure référendaire n'a pas en elle-même plus pour effet de générer l'immobilisme ou le conservatisme que le changement, mais cette question mériterait un article à elle seule.

En outre, les dirigeants de la campagne républicaine sont apparus à beaucoup comme étant issus de l'establishment, le leader républicain Malcom Turnbull est un richissime homme d'affaires, Rupert Murdoch colossale fortune du monde des médias soutenaient aussi la République. Enfin le système de désignation " bipartisan " du Président apparut à beaucoup, y compris à de nombreux républicains, comme bancal et finalement peu démocratique. De plus, ce Président ne se voyait attribuer que des compétences identiques à celles du Gouverneur-Général, et comme ce dernier, il pouvait d'ailleurs être démis de ses fonctions par le Premier Ministre, la seule nouveauté étant la nécessité d'obtenir l'approbation dans les 30 jours de ce renvoi par une majorité de la chambre basse du parlement fédéral.

Enfin il faut signaler l'existence du parti xénophobe et populisto-démagogue du parti " One Nation " de Pauline Hanson, ce parti, qui a recueilli prés de 10% lors des dernières élections fédérales, ayant fait campagne contre la " République des politiciens ". Dans ces conditions, il n'est guère étonnant que le statu-quo l'emporta.

Signalons ici, un effet amusant de cet échec australien, le mouvement républicain néo-zélandais s'est senti tout ragaillardi et souhaite mobiliser ces troupes pour devancer l'imposant voisin du nord en l'instauration, au moyen d'un référendum d'initiative populaire, la République de Nouvelle-Zélande en 2005 au plus tard. Cela met-il fin à la question de la République en Australie? Non, bien évidemment, l'opposition travailliste s'est déjà engagée, si elle remporte les élections fédérales d'octobre 2001, à organiser une consultation populaire (et non un référendum) sur la question de la République et sur le mode de désignation du Président en 2004. D'une manière plus globale, l'idée moderne de République, telle qu'issue des Révolutions américaine et française, est un concept qui dépasse la " simple " forme républicaine de gouvernement.

Les valeurs républicaines ne peuvent se décréter

Les valeurs ou une culture républicaines, contrairement à l'institution républicaine, ne peuvent se décréter et sont toujours le fruit d'une expérience " nationale " spécifique. Ainsi, il a fallu attendre le dernier quart du XIXe siècle pour que la République s'installe pour de bon en France, l'amendement du député Wallon instaurant le régime républicain n'ayant d'ailleurs été adopté par le Congrès qu'à une voix de majorité en 1877.

En Italie, il aura fallu presque 100 ans pour que s'impose la République proclamée dès 1849 par Mazzini, la compromission de la maison de Savoie avec le Fascisme ayant bien sûr contribué à la mise en place de celle-ci. La République d'Irlande dût attendre de 1798 à 1937 pour s'imposer dans presque toute l'île. Par un paradoxe seulement apparent, il n'est pas rare de trouver une telle culture républicaine parmi certaines Nations gouvernées par un monarque: pensons au Danemark, à la Suède.

Comme il a été évoqué dans TOUDI n°20, la Nation Écossaise me semble posséder cette culture républicaine: on pourrait multiplier les exemples qui montrent qu'abolir la Monarchie n'est, au fond, rien de très simple mais qu'instaurer la République, voilà quelque chose qui est toujours issu d'un processus lent, parfois chaotique et de longue durée. Peut-être vaut-il donc mieux que le référendum australien se soit soldé par la victoire du non? La République a sans doute encore besoin de quelques années pour révéler, notamment aux citoyens australiens, ce qu'elle est réellement: un idéal sans fin et en perpétuelle évolution articulant et dépassant la citoyenneté et la souveraineté, l'universel et le local, bref une évidence...

Notes


OUI

NON

participation: 95,1%

suffrages exprimés

%

suffrages exprimés

%

Fédération

5.273.024

45.13

6.410.787

54.87

New South Wales

1.817.380

46.43

2.096.562

53.57

Victoria

1.489.536

49.84

1.499.138

50.16

Queensland

784.060

37.44

1.309.992

62.56

Western Australia

458.306

41.48

646.520

58.52

Southern Australia

425.869

43.57

551.575

56.43

Tasmania

126.271

40.37

186.513

59.63

Austr. Central Territory

127.211

63.27

73.850

36.73

Northern Territory

44.391

48.77

46.637

51.23


  1. 1. Résultats définitifs publiés par la Commission électorale australienne www.aec.gov.au
  2. 2. Ainsi en 1991, le dirigeant travailliste " républicain " Bill Hayden fut nommé Gouverneur-Général.
  3. 3. Seuls 46.5 % de l'électorat australien participeront au scrutin