Evolution favorable au "Soir"?

Toudi mensuel n°38-39, mai 2001

Il y a une continuelle dérive belgicaine du JT1 de la RTBF: l'information wallonne - -et non pas « régionale » - y est traitée en mineure, ce que TOUS les journalistes des centres régionaux de la RTBF vous confirmeront. La moindre anicroche dans les communes à facilités peut faire la une. Pas la sidérurgie wallonne sauf quand elle va mal, À un récent Faire le point quelqu'un, aussitôt démenti sur le plateau, a parlé de Bruxelles comme " une Belgique en petit ". Mais c'est ce passage-là qui a été repris dans le JT du soir. Ce n'est pas anecdotique. Quelle que soit la volonté des responsables du JT, ils dépendent des idées acquises, vues comme plus " objectives " car moins sujettes à controverses.

Presse objective /presse militante, une distinction à revoir

Les responsables de quotidiens, radios ou télés esquissent la comparaison entre leur presse plus « objective », « plurielle ». que la presse dite « militante » qui selon eux, consisterait à « prêcher à des convaincus, par des convaincus » et serait « monolithique ».

Cette distinction n'est pas tenable. Dans la presse dite « militante » il y a plein de désaccords chez ses acteurs. Nous ne cachons pas ceux qui existent à TOUDI. Nous ne sommes pas monolithiques. Nous agissons certes en fonction du projet républicain et de liberté de la Wallonie et de Bruxelles: c'est notre parti pris. Mais nous ne sommes pas moins objectifs que la presse classique. Celle-ci (l'extrait du « Soir » que l'on va lire est significatif), agit, elle, en fonction de l'état présent des choses, des pouvoirs en place, du consensus dans l'opinion. L' « objectivité » de la presse classique tient au fait qu'elle heurte moins la grande majorité des lecteurs potentiels d'un pays donné, c'est tout. Elle a même moins besoin d'argumenter que la presse soi-disant « militante » qui subit, à la fois chez ses rédacteurs et chez ses lecteurs, l'influence des idées établies. Mais se défend.

Si elle recherche argumentation, chiffres, faits, accepte la contradiction externe et interne, la presse « militante » - pas la presse inféodée à un parti - est bien plus à la recherche du vrai que quotidiens, radios et télés lus et écoutés par le plus grand nombre. Qui se soumettent aux idées reçues. La presse « militante » participe de la novation et du dynamisme d'une société alors que la presse classique procède des inerties sociales. Tous nos journaux sont au moins âgés de 80 ans. Si la presse ne va pas bien, ce n'est pas parce qu'elle n'innove pas (ça!), mais parce qu'elle ne crée rien depuis un siècle. Et les tentatives de création ont toutes avorté ou sont le fait des centres régionaux de la RTBF, de revues comme la nôtre, de l'Institut Destrée, de chercheurs, d'écrivains. La presse reflète le blocage absolu d'une Belgique francophone figée, cette « société sournoise » que Jean Louvet dit magnifiquement dans toute son oeuvre (et à laquelle acquiesce la belgitude, notamment Pierre Mertens).

Le Soir admet toutes les sortes de Wallonie sauf la Wallonie citoyenne

Le texte qu'on lira en encadré le confirme. Si « Wallonie-Bruxelles » revient 2 fois, « Wallonie » (seul) 2 fois aussi, « Bruxelles » (seul) revient 4 fois et « Belgique » 5 fois. « Flandre » est plus cité (seul) que « Wallonie » (seul). « Grand-Duché » est cité une fois et « Bruxelles » seul ou avec « Wallonie » est la plus importante occurrence (6 fois). Ce ne sont pas des comptes d'apothicaires: ceci révèle que Le Soir , tel que « Radioscopie de la presse » le disait en 1970 ou Guy Duplat en 1990, est et demeure avant tout un journal bruxellois. Même si 60% de ses lecteurs habitent en Wallonie. Très dépendant de son parti pris hostile au mouvement wallon, Le Soir accepte cependant - et de manière structurelle donc significative, nous l'admettons - de dire « Espace Wallonie-Bruxelles ». C'est une évolution que nous saluons! Mais les occurrences repérées démontrent que, dans cet espace, Bruxelles et la Belgique francophone restent prédominants.

On peut s'en assurer encore mieux par le fond de l'édito. de Pierre Lefèvre. Si Le Soir évolue quand même (très peu), vers une certaine reconnaissance du fait wallon (pudiquement baptisé « Espace Wallonie-Bruxelles »), c'est pour une bonne raison, et nous citons Pierre Lefèvre: « Qu'on le veuille ou non, par volontarisme politique ou par nécessité, du fait de l'évolution institutionnelle croissante de la Flandre, du fait du redimensionnement européen, cette région [remarquons l'euphémisation] devient un lieu spécifique de vie, d'appartenance et d'appui politique. »

Conclusion affreuse: pour Le Soir, s'il y a un jour une « appartenance politique » pour la Wallonie et les Bruxellois, ce sera « du fait des autres ». Ce que nous sommes, ce que nous serons, il ne faut en tout cas pas que ce soit parce que nous l'aurions voulu.

Le Soir se désembourbe du belgicanisme. Il veut bien admettre que les Wallons soient. Mais certainement pas parce qu'ils auraient voulu l'être! Que la Wallonie existe, on l'admet! À condition qu'on puisse se dire que c'est à cause de la Flandre et de l'Europe, non par volonté démocratique et politique. La Wallonie, objet, sujet, oui! Mais la Wallonie, citoyenne, cela? Jamais!

Au-delà de l' « identitaire » , notre combat contre la belgitude, c'est celui de la citoyenneté, de l'auto-législation des peuples, de la démocratie. Le Soir reste hostile à la Wallonie, qu'on ne s'y trompe pas, et hostile à la démocratie prise au sérieux. Cela fait partie de notre combat de le dire et redire car Le Soir exprime la Pensée unique belge et le contraire de ce que nous voulons.

Ce que nous voulons, c'est la Wallonie et la République.

Le Soir en ses régions

Premier quotidien francophone de Belgique, organe d'informations nationales, Le Soir est aussi un journal de proximité. Proche de ses lecteurs, sensible à ce qui les touche, présent dans leur environnement immédiat. D'où l'importance qu'il donne à l'information régionale.

Régionale? Cette dimension est devenue complexe en Belgique. De plus en plus, la région des lecteurs du « Soir » est l'espace Wallonie-Bruxelles, espace géographique de la communauté de langue française.. Qu'on le veuille ou non, par volontarisme politique ou par nécessité, du fait de l'autonomie institutionnelle croissante de la Flandre, du fait du redimensionnement européen, cette région devient un lieu spécifique de vie, d'appartenance et d'appui politique.

Avec environ 60 pour cent de ses lecteurs en Wallonie et 40 pour cent à Bruxelles, Le Soir journal emblématique de la Belgique est aussi par excellence l'organe de presse ce tette région d'Europe. Et il entend tenir ce rôle. Il veut être à la fois l'expression de cette communauté et une passerelle entre ses différentes parties, faisant vivre à Bruxelles ou dans le Brabant l'information du Luxembourg, de Namur, de Liège ou du Hainaut, et inversement. Attentif également aux francophones de Flandre.

C'est non seulement répondre aux attentes de nombreux lecteurs qui ont un point d'attache dans l'une et l'autre de ces régions, qui voyagent dans cet espace au cours d'une même journée, d'un week-end ou d'une vie, et qui veulent savoir ce qui se passe en ces points multiples. C'est aussi décloisonner un certain provincialisme, ouvrir les horizons, participer à la vie et à la consolidation de cette communauté de quatre millions et demi de francophones.

D'où le choix que nous avons fait, depuis le 12 décembre dernier, d'offrir à tous nos lecteurs, en une même édition, l'ensemble de nos informations régionales.

Mais en Belgique, les régions ce sont aussi ces ensembles géographiques formés par les provinces, autour des villes principales, selon les subtils découpages et les empreintes indélébiles qu'une histoire tortueuse nous a laissés en héritage.

Lors de la modernisation du journal entreprise en décembre dernier, animés par ce souci de transversalité régionale, nous n'avons sans doute pas assez tenu compte de cette réalité. De nombreux lecteurs nous l'ont fait remarquer. Ils ont été entendus.

Désormais - on le découvrira dès aujourd'hui dans le deuxième cahier de ce journal - Le Soir rend leur pleine place aux régions et sous-régions. Nous allons décliner l'information de proximité selon les lieux: l'espace Wallonie-Bruxelles ou Wallonie, certes, mais aussi Bruxelles, et sa périphérie, le Brabant wallon, Liège, le Hainaut, Namur et le Luxembourg, sans oublier la Flandre et ce voisin proche qu'est le Grand-Duché de Luxembourg.. Avec des repères de lecture clairs, permettant d'identifier immédiatement la région où l'on veut se plonger d'abord. Cette approche qui conjugue la transversalité et l'information locale est unique et ambitieuse. Elle réclame de l'espace et en même temps qu'une présentation claire de l'information. Le Soir a décidé d'en faire l'investissement en termes de pages et, avec des bureaux dans chaque province comme à Bruxelles, en nombre de journalistes.

Dans le même esprit de clarté, nous allons désormais regrouper la vie judiciaire et le fait divers belges, domaine spécifique de l'information, dans une page spéciale quotidienne qui viendra compléter notre rubrique « Belgique » en début de journal. C'est un autre rendez-vous fort et immédiatement identifiable que nous proposons à nos lecteurs.

Le Soir poursuit donc sa réforme, à l'écoute de ses lecteurs, en mettant de nouveaux accents, sir l'information régionale et sur le fait divers, mais avec son souci naturel de qualité et de proximité, sans tomber dans le sensationnalisme ni l'esprit de clocher.

Pierre Lefèvre, rédacteur en chef, in Le Soir 3 mars 2001, p. 1.