La ville comme corps, la ville comme hôpital
I. Le mal, la maladie, la mort dans l'Algérie de la conquête et de la colonie. La peur coloniale de la contamination par l'Indigène 1:
Les thèmes majeurs d'une grande partie de la littérature française du XIXème siècle consacrée à l'Algérie convergent autour de l'idée centrale de la menace d'une ville irrationnelle, insalubre et en ruine.
Face aux villes préexistantes vues comme inintelligibles et labyrinthiques, le Corps expéditionnaire a d'emblée brisé leurs structures, ouvert leurs formes, entrepris destructions et modifications architecturales de plus ou moins grande ampleur. Au-delà d'une logique militaire, ces pratiques du vainqueur ont obéit aux phobies de la mort et de la maladie, de l'impur et, d'une certaine manière, de la corruption de l'âme - de son fond chrétien - au contact de l'Islam. Enracinées pour certains de leurs aspects dans l'ancienne mémoire des Croisades, ces phobies ont depuis longtemps été reliées entre elles et réactualisées dans une mythologie et une fantasmagorie de conquête et de colonisation françaises.
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Le texte complet de l'article sera résumé ici même dans quelques jours
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L'organisation des villes et des territoires de la colonie algérienne, comme géographie concrète d’un vaste projet pas seulement économique, renvoie donc à un processus à la fois de rassemblement et de dispersion des populations existantes et à venir. Elle sert de support contraignant à l'expression de pratiques sociales recouvrant les discours, les perceptions et les actions des individus. Elle constitue ainsi une matrice de différenciation et d'intégration forcée, prescrivant à la fois les endroits à fréquenter, les obligations à s'y rendre et les attitudes à y adopter.
Comme en métropole, mais de manière plus forte et plus libre, les productions spatiales en colonie travaillent à la structuration des individus et de la société. La production de l'individu (et de l'individualité) est, en retour, la condition de son "enfermement", en ce sens où celui-ci se forme dans un contexte "d'enregistrement" dans lequel les procédures d'individualisation servent à discipliner les corps et à marquer les exclusions dans une visée de mise en ordre et d’exploitation.
"Cet investissement politique du corps est lié, selon des relations complexes et réciproques, à son utilisation économique; c'est pour une bonne part, comme force de production que le corps est investi de rapports de pouvoir et de domination; mais en retour sa constitution comme force de travail n'est possible que s'il est pris dans un système d'assujettissement (où le besoin est aussi un instrument politique soigneusement aménagé, calculé et utilisé); Le corps ne devient force utile que s'il est à la fois corps productif et corps assujetti". 2
Finalement, nous pouvons remarquer que la maîtrise des forces violentes de l'Indigène et de l'ensemble des corps sociaux par la mise en forme du projet colonial dans toutes ses dimensions est analogue, au fond, à celle du corps moderne - question fort bien traitée par Robert Muchenbled dans L'invention de l'homme moderne. Ce rapprochement avec la modernisation du corps peut être tenté avec d'autant plus de raison que nous pouvons faire du corps social une analyse où transparaît la métaphore du corps de chair. Or, le corps en question - à la fois la société colonisée et sa "médina" - apparaît essentiellement comme un corps féminin violenté, à travers notamment l'image du viol par la ligne droite, par les larges pénétrantes, etc., mais celle aussi du retrait derrière le voile du visage féminin qui, de là, regarde sans être vu, préservant ainsi son identité propre.
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