Le Plan Marshall wallon analysé dans POLITIQUE

11 mars, 2011

Le n° 60 de la revue POLITIQUE (mars-avril 2011) consacre un dossier - Marshall en Wallonie (pp.18-46) - très approfondi au Plan Marshall en donnant la parole à une très grande diversité de points de vue. En introduction la revue se pose des questions sur l'implantation d'un centre de stockage informatique à Saint-Ghislain opposant ses 120 emplois et ses 250 millions d'€ d'investissements aux 1200 emplois de la FN Herstal et aux 11.700  emplois du Port autonome de Liège.

Difficultés de la Wallonie

Stéphane Balthazar de la Fondation André Renard  (Un plan qui a le mérite d'exister), rappelle que la Wallonie est au cœur de pôles économiques majeurs (que l'on appelle parfois, la région des capitales européennes avec Paris, Londres, Rotterdam, Bruxelles, Lille, la Flandre et la zone Maastricht-Aix-Cologne), mais qu'elle est en retard de croissance sur les la Flandre, la Belgique et les régions européennes de tradition industrielle, même si l'écart tend à se résorber. Il y a une filiation entre le Contrat d'avenir pour la Wallonie (CAWA)et le Plan Marshall qui ne retient cependant que deux des plans du CAWA (pas la création d'activités ni le développement territorial équilibré) : la création d'activités et le développement du capital humain. Il n'est pas inutile de rappeler les 5 axes du Plan Marshall. 1) Les pôles de compétitivité : aéronautique et espace, agro-industrie, génie mécanique, santé, transports et logistique et fin 2009 les technologies environnementales. 2) La rationalisation des outils d'animation économiques. 3) L'allègement de la fiscalité sur les entreprises. 4) La stimulation de la recherche et de l'innovation. 5) L'amélioration des compétences de la main d'œuvre. Tant pour le CAWA que pour le Plan Marshall l'(auteur souligne que « C'est une première en Wallonie, car on établit enfin des objectifs chiffrés, des indicateurs d'évaluation et un calendrier précis » (p. 20).

L'ensemble du Plan mobilise 1,5 milliard d'€ AVEC également des emprunts supplémentaires alors que la dette publique wallonne est déjà de 4,5 milliards d' €.  L'aspect « vert » a été introduit en 2009 de même que des  partenariats avec Bruxelles et les acteurs économiques flamands à qui les pôles de compétitivité sont ouverts. Il mobilise des moyens supplémentaires, propose un sixième pôle de compétitivité (les technologies environnementales), et des économies d'énergie dans les bâtiments publics. Les causes des  difficultés de la Wallonie sont multiples : main mise flamande sur les principaux leviers économiques et politiques du pays  comme l'a démontré Michel Quévit, mauvaise gestion politique interne. Tout cela ne se résorbera pas en un jour, pense S.Balthazar. Il y faudra l'appui de tous les acteurs locaux importants, un environnement économique national et international stable. L'auteur insiste  comme Michel Paquot sur la nécessité de poursuivre ce plan durant plusieurs législatures, tant ses résultats ne pourront être acquis que sur la longue durée.

Durabilité ? Ecran de fumée des politiques ?

Précisément le Plan Marshall est-il porteur de durée et de développement durable. Selon Anne de Vlaeminck et Muriel Ruol, (Le plan Marshall est-il durable ?, pp. 26-29) en s'orientant vers les technologies environnementales et les économies d'énergie, le Plan Marshall ne se cantonne plus comme sa première version aux seuls secteurs forts de l'économie wallonne. Elles écrivent : « L'idée est d'envisager le défi que représentent les contraintes environnementales comme une opportunité économique et sociale, grâce notamment à la création de nouvelles filières porteuses d'emplois. Sur la période 2009-2014, 873 millions d'€ (dont 600 millions d'€ de financement alternatif, c'est-à-dire obtenu par des emprunts), devraient être affectés aux alliances emploi/environnement, dont la première se concentre sur le secteur de la construction, avec comme cible prioritaire la rénovation et l'amélioration énergétique d'un parc wallon de logements réputés vétustes et mal isolés. » (p.27) Plusieurs mesures permettent de penser que la Wallonie a cette fois intégré le développement durable « sous l'angle d'une nécessaire transition de l'économie wallonne dans son ensemble. » (p.28). mais elles résument aussi les objections de la Cour des comptes qui pensent que, pour être efficaces « les mesures inventoriées dans les différents plans régionaux (...) devraient s'inscrire dans une stratégie commune dotée d'objectifs opérationnels, mesurables à moyen et long terme ainsi que d(indicateurs de suivis et d'échéance. Or une telle stratégie fait ici totalement défaut. » (p. 28) Il manque aussi une coordination verticale de cette politique (avec les autres niveaux de pouvoirs, notamment européens), et horizontales, avec les autres secteurs.

La stratégie économique de la Wallonie qui est plus indépendante de l'Etat belge qu'auparavant doit s'insérer par ailleurs dans les prescrits européens comme ce projet de l'Europe d'arriver en 2020 à une croissance plus « intelligente », « durable » et « inclusive », avec 75% de la population entre  20 et 64 ans avec un emploi, 3% du PIB consacré à la recherche, un taux de pauvreté réduit de 20 millions, 40% des jeunes générations avec un diplôme. Mais ce projet européen fait confiance aveuglément au marché pour y parvenir. Les auteures espèrent donc que le gouvernement wallon poussera à une large concertation sociale et même plus largement sociétale, car l'expérience montre que seuls les pouvoirs publics sont à même lutter contre les inégalités. La concertation doit se développer à tous les niveaux : à l'intérieur du gouvernement wallon, avec les grandes forces sociales organisées, avec l'ensemble des citoyens wallons.

Sceptique sur le Contrat d'Avenir, l'Union wallonne des entreprises qui s'exprime dans le n° de Politique par la voix de Michel Paquot (Satisfaisant mais peut mieux faire, pp. 30-33). Il pense que par rapport au Contrat d'avenir le Plan Marshall a eu le mérite de fixer des objectifs limités (cinq, soit les pôles de compétitivité), et une série limitée de mesures (30). Avec un financement budgété : 1, 4 milliards d'€. L'UWE considère que le Plan Marshall est un pas dans la bonne direction mais constate actuellement un certain essoufflement du projet. Pour lui, l'intérêt du projet soutenu par son association qui représente 60% des entreprises wallonnes c'est qu'il a été conçu également avec d'autres associations d'entreprises et que ses engagements budgétaires ont été tenus. Les universités, les entreprises, les centres de recherche ont fait preuve d'enthousiasme. Pour lui les projets son lancés, reste à les valoriser et perpétuer et c'est à ce stade où nous sommes. Il est déçu par les réalisations dans le domaine de l'amélioration de la main d'œuvre et en ce qui concerne la création de nouvelles activités. Il souligne aussi que les entreprises qui n'ont pas participé aux pôles de compétitivité « ont continué à buter contre les rigidités, les lenteurs et les contraintes administratives, à éprouver des difficultés à recruter de la main d'œuvre qualifiée ou simplement motivée, à subir les retards de paiement des pouvoirs publics, à faire face à un niveau d'activité médiocre qui a tourné au dramatique lors de la crise de 2008-2009. Pour ces entreprises, le plan Marshall n'est pas une réussite, au contraire, c'est un nouvel écran de fumée déployé par les politiques. » (p.32). Il pense que l'économie wallonne a mieux résisté à la crise que dans d'autres circonstances du passé et que la reprise semble s'y être plis vite amorcée, avec une stabilisation rapide du chômage sous la crise, une meilleure rentabilité des PME wallonnes par rapport à leurs homologues flamandes, et que de toute manière le Plan Marshall n'a encore eu d'effet que sur le noyau dur de l'économie wallonne. Les difficultés à recruter de la main d'œuvre qualifiée dans une région où le chômage est élevé est selon lui inacceptable et tout le monde en est responsables, l'enseignement comme les entreprises qui rechignent à former leurs employés. Il pense aussi que « Les pouvoirs publics ont attaqué de front les difficultés économiques structurelles dont souffre la Wallonie. La mise en œuvre, la gestion et le début d'un processus d'évaluation du Plan Marshall ont aussi permis un bond qualitatif dans la gestion publique. » (p.33). Et en conclusion estime que si cette politique est maintenue, mais il faudra un effort de très longues années, le déclin économique s'avérera ne pas être une fatalité.

Deux renardistes

Francis Bismans professeur d'économétrie à l'université de Nancy (De Marshall à Marshall et au-delà... dédié à Jacques Yerna, pp 34-38.) souligne d'entrée de jeu que l'économie belge a amorcé une reprise rapide en 1944. Par rapport à une moyenne européenne = 100 en 1953, son PNB est à 85 en 1948 contre 69 pour les autres pays de la CEE. Mais en 1958, elle n'est plus qu'à 113 (toujours par rapport à l'indice de 1953), alors que la CEE est à 119.  C'est face à cette situation que le secrétaire général adjoint de la FGTB  lança l'idée de réformes de structures de l'économie belge en vue d'améliorer sa compétitivité dont les trois mots d'ordre sont la nationalisation du secteur de l'énergie, le contrôle du crédit et une planification souple selon les idées de De Man et Keynes. S'il n'est pas question de fédéralisme dans ces projets, le mutisme des dirigeants syndicaux n'est qu'apparent. En fait, ce que l'on croira être un tournant de la grève de 60-61 avait été longuement mûri par des dirigeants syndicaux 1 Il est tout à fait intéressant de voir, sur la base de ce qu'affirmait André Renard à l'époque, notamment l'idée que le fédéralisme « donnerait à coup sûr la possibilité à la Wallonie la possibilité les mesures de redressement impliquées, entre autres, dans un plan social et économique » (Renard, cité p. 36 : extrait de A propos d'une synthèse applicable à deux Peuples et à trois communautés, in Synthèses, n° 186, novembre 1961, p. 16.). Or comme le fait remarquer F.Bismans, de telles ambitions n'auraient pas pu être réalisées dans le cadre du simple fédéralisme. C'est sans doute que Renard voyait beaucoup plus loin et il faut reconnaître avec F.Bismans que le mot « fédéralisme » à l'époque effrayait (mais, ajouterions-nous, peut-être parce que l'opinion qui en avait peur voyait aussi loin que Renard ?). Or, selon F.Bismans, les moyens politiques et économiques des Régions démurent extrêmement limités. En tout cas trop limités pour que l'on puisse espérer une vraie relance de l'économie par les moyens étatiques de la Région. Il cite les chiffres le taux de croissance réelle de la Wallonie de 1995 à 2000 : 2,32 % pour 2,7 % au niveau belge et 2,74 % au niveau européen. La Wallonie a moins bien fait que la moyenne belge en 2006 (2,18% contre 2,77%), et 2007 (2,08 contre 2,94). Par contre en 2008, la Wallonie fait 2,08 contre 1,04. C'est souvent le cas en Wallonie (l'analyse est ici différente de celle de M. Paquot) et d'ailleurs en 2009, la Wallonie régresse de 3,12% contre une moyenne belge de régression de 3,02%. F. Bismans n'est pas opposé au Plan Marshall, il constate qu'il n'est pas assez efficace et que « ses limitations sont simplement celles des compétences et des moyens financiers à la disposition de la Région wallonne, d'où l'idée qu'il faut aller à une Confédération d'Etats.

Xavier Dupret qui se décrit comme un néo-renardiste, rappelle (Stimulation = politique de crédit, pp 43-46), que l'épargne des ménages belges équivaut à 266, 35 % du PIB et que leur endettement représente 54,73% du PIB. Il décrit très pédagogiquement la différence entre PIB et PNB  (ou encore PIB régional et PRB): n'interviennent dans le PIB que les activités localisées dans la région, le produit régional brut mesure les revenus du travail perçus par les Bruxellois, les Wallons et les Flamands. En termes de PIB, les parts de BXL, Flandre et Wallonie sont respectivement 19,2%, 57,5 % et 23,3%, mais en termes de PRB 12,8 %, 60,6% et 26,6%. Ceci l'amène à considérer que l'épargne des ménages wallons est équivalente à 224% de leur PRB et leur endettement équivalent à 64 %. Ces calculs ont été rendus nécessaires selon lui parce que les statistiques wallonnes sont muettes sur ces questions. Et ceci contrairement aux statistiques en France qui, elles, mesurent les données financières régionales, avec moins de jacobinisme qu'en Belgique. Il écrit : « La solvabilité des ménages wallons s'établit aux alentours de 160% du PIB local contre 153% aux Pays-Bas, 130% en Allemagne. Il se pose alors la question de savoir pourquoi il n'y a jamais eu en Wallonie « d'entreprise visant à se doter d'un appareil bancaire avec l'objectif de faire fructifier l'épargne des résidents au sein du tissu économique régional » (p. 45) Il montre que si cela a été le cas au Québec avec les caisses Desjardins (96e dans le top 100 des banques mondiales avec des actifs de 118 milliards d'€ et qui, au regard de la crise bancaire et financière est une « bonne » banque), avec aussi une institution publique de crédit la caisse de dépôt et de placement qui gère près de 100 milliards d'€. Mais ces institutions s'expliquent par le passé du Québec vieil Etat autonome dans le cadre de la fédération canadienne. Pour Xavier Dupret, la crise bancaire et financière a ébranlé les dogmes néolibéraux ce qui réactualise l'une des propositions du renardisme à savoir la mise sous tutelle publique des banques et institutions de crédit.

Un Plan Marshall contre la démocratie

Pour Henri Houben,  le Plan Marshall est en réalité l'application du processus de Lisbonne approuvé par les Etats européens (Une application à la lettre de la stratégie de Lisbonne, pp. 39-42). C'est d'ailleurs ainsi que le gouvernement belge le justifie vis-à-vis de la Commission européenne. Si le Plan Marshall propose de créer de l'emploi, il ne s'agit là selon lui que « d'appâter le client » (p. 40) et dans une région où le chômage attient 17,6 % c'est une vieille revendication syndicale. Mais cette augmentation d'emploi ne peut s'opérer que via des entreprises privées et qui pour engager doivent être compétitives par la réduction des charges fiscales et administratives, la baisse des salaires ou des coûts salariaux, une flexibilisation de la main d'œuvre, une formation qui se soumet aux désidératas des entreprises. La baisse des salaires est « le fil rouge tant du processus de Lisbonne que du plan Marshall ». (p. 40) Il souligne que la compétitivité des entreprises est une sorte de lutte à mort entre elles en vue d'acquérir la mainmise totale sur un secteur. Si, par ailleurs, c'est le marché qui détermine tout, c'est alors la demande solvable qui devient souveraine et la production suit ceux qui ont le plus de besoin et de moyens mais laisse tomber ceux qui ont peu de moyens. Ce qui est profondément contradictoire avec les idéaux de l'équipe au pouvoir en Wallonie. Henri Houben a découvert qu'il existait un (Alfred Marshall), économiste britannique qui inventa la notion de « district industriel » : « Il s'agit d'une zone de proximité géographique où des firmes qui peuvent être de taille modeste bénéficient de cette concentration territoriale pour obtenir des avantages d'échelle : un marché captif par des échanges interentreprises privilégiées, des infrastructures développées pour fournir l'ensemble de la région, une main d'œuvre qualifiée qui trouve à s'employer dans l'une de ces compagnies, l'utilisation de technologies avancées qui seraient trop chères pour chaque firme séparée... » (p.41) Dans ce processus l'Etat fournit un cadre permettant aux entreprises de gagner la compétition mondiale : les gains sont privatisés, les pertes ou ce qui est moins rentable c'est l'Etat qui l'assume. L'UE a toujours les mots « démocratie » à la bouche mais se met entièrement au service de l'entreprise, la structure la plus hiérarchique et la plus autoritaire de la planète. Les responsables européens sapent le pouvoir étatique au profit d'entreprises dans lesquelles on les retrouve ensuite. Le Plan Marshall est donc un instrument antidémocratique finalement. On pourrait, sans oublier cette leçon pertinente, mettre en cause la critique d'Henri Houben qui estime que la mise en avant de l'objectif de l'emploi tend à masquer le fait que ce que l'on veut réellement ce sont des entreprises compétitives. Dans la mesure où il en a été toujours ainsi. Car l'objectif du plein emploi que propose aussi l'Europe d'ici 2020  est cependant difficile à mettre en cause en soi, d'autant plus que, comme le disait Merleau-Ponty, personne parmi nous n'a cent ans de vie devant lui. 2

 

La revue TOUDI a recensé une autre analyse du Plan Marshall à l'été 2009: Plan Marshall pour la Wallonie: un jugement indépendant

La revue TOUDI annuelle a publié de Francis Bismans La voie au socialisme  (1990) qu'il cite dans son anayse du Plan Marshall en insistant sur l'importance de cette réflexion.

  1. 1. Voir sur ce site de la revue TOUDI Une thèse inédite sur 60-61. Il est à noter aussi que sur le planisme, F. Bismans avait publié La voie au socialisme dans la revue TOUDI annuelle en 1990, pp. 36-41, article non encore archivé.
  2. 2. Marxisme et sentiment national