Léopold III restauré par « Le Monde »
Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose
(Voltaire)
Léopold III au fond n'a pas menti dans son livre Pour l'histoire (Racine, Bruxelles, 2001). Le travail des rois n'est bien accompli que par les courtisans. «Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose.» Si Léopold III n'a pas menti (au risque de se perdre), on aura menti pour lui. Mais jamais peut-être aussi bien que dans cet article paru dans Le Monde. L'ignominie de ce texte n'apparaît pas tout d'abord. Le voici in extenso.
Léopold III, ce passé belge qui ne passe pas...
(in Le Monde du 22 juin 2001 p. 14, article signé Jean-Pierre Stroobants)
Jamais sans doute un livre ne s'était aussi bien vendu au royaume de Belgique: en l'espace d'une semaine, les notes posthumes du roi Léopold III, publiées simultanément en français et en néerlandais, ont été diffusées à trente-cinq mille exemplaires. Un succès colossal étant donné les dimensions du pays: un succès d'autant plus étonnant [note de TOUDI: étonnant? avec une émission spéciale du JT comme lancement?] que l'auteur, le père de l'actuel roi Albert II, est décédé depuis dix-sept ans. Comment expliquer cette performance qui a, comme le relève l'un des éditeurs, dépassé d'Ostende à Liège, les scores de Harry Potter?
Peut-être parce que, ainsi que le souligna un jour l'ancien premier ministre Achille van Acker, «les Belges ont besoin de monarchie comme de pain» et que tous les livres consacrés à leurs rois, princes et princesses sont assurés d'une bonne audience. Plus vraisemblablement parce que l'ouvrage posthume de Léopold III, intitulé Pour l'histoire, sur quelques épisodes de mon règne, évoque l'une des étapes les plus sombres de l'histoire nationale, celle de la «question royale». Fils d'Albert Ier, le héros de la guerre 1914-1918, Léopold III fut le plus contesté des rois belges. En 1940, tandis que son pays est envahi par les troupes allemandes, il est sollicité par son gouvernement pour s'exiler avec lui. Le monarque refuse. Il a retenu la leçon paternelle qui veut que le chef de l'État et de l'armée n'abandonne jamais [note de TOUDI: quoi, où, comment?]. Il est, par ailleurs, très critique à l'égard des partis et des ministres, auxquels il reproche d'avoir affaibli le pays en multipliant les crises.
Enfin et son livre le confirme aujourd'hui, il considère très vite que la guerre est terminée et que le peuple belge a tout à gagner à une politique attentiste. Aujourd'hui encore, c'est cette prise de position qui divise le monde politique, les historiens et une partie de l'opinion, celle qui a connu la guerre et se scinda brutalement en 1950, lorsque fut organisée une consultation populaire sur le retour du roi, exilé en Autriche puis en Suisse. Plus de 57% des habitants se montrèrent favorables à l'idée de voir Léopold III remonter sur le trône Mais, divisé entre « léopoldistes» et «antiléopoldistes», le pays faillit alors basculer dans la guerre civile, le conflit se doublant d'une forte opposition entre francophones et Flamands.
Léopold III préféra en définitive abdiquer en 1951 au profit de son fils, Baudouin, qui avait tout juste vingt ans et allait permettre à la monarchie de survivre. Le mérite du livre, publié à l'initiative du de la princesse Lilian la deuxième épouse de l'ex-roi, est peut-être de préciser certains éléments à destination des thuriféraires, comme [note de TOUDI: Léopold III «objectif» comme la presse!] des opposants les plus radicaux de Léopold III.
Aux premiers, le livre indique que, contrairement à la légende tenace qu'ils forgèrent [note de TOUDI: c'est Léopold III qui «forgea»], le roi ne songeait pas à se battre plus longtemps avec les Alliés, jugeant que la France ne se relèverait pas de la défaite de Sedan. Aux autres, il montra qu'on a accusé à tort Léopold III de vouloir conclure une paix séparée avec l'Allemagne ou de vouloir régner pendant l'Occupation. Tout au plus évoqua-t-il un jour l'éventualité d'assurer ses prérogatives de chef de l'État sur l'une des provinces belges que les nazis auraient libérées, à l'instar de Pétain à Vichy... Ce n'est pas là sans doute qu'il faut chercher les causes principales du malaise persistant qu'engendre chez de nombreux Belges l'évocation de ce passé trouble. mais bien dans d'autres épisodes rappelés par le livre.
Les «Instructions de Berne»
Et d'abord dans l'entrevue entre le roi et Hitler, à Berchtesgaden, en novembre 1940: «À une époque», souligne Antoinette Spaak, fille de l'ancien ministre des affaires étrangères Paul-Henri Spaak, «où l'on connaissait la réalité du régime hitlérien et des camps.» Léopold III affirme s'être rendu chez le Führer «pour obtenir la libération des prisonniers de guerre», «Sans discrimination» ajoute-t-il, comme pour calmer tardivement des Wallons qui furent toujours persuadés que les détenus flamands avaient fait l'objet d'une plus grande sollicitude. Les autres objectifs du chef de l'État belge étaient d'obtenir l'allégement des charges pesant sur son pays et l'augmentation des rations alimentaires. Il repartit avec une seule garantie, celle que Hitler ne toucherait pas à la Maison royale.
Avec courage, mais sans regret apparent, Léopold évoque aussi la question dite «des instructions de Berne», en fait l'ordre transmis aux diplomates belges de se montrer «courtois» à l'égard de leurs homologues allemands et de ne plus soutenir les ministres en exil [note de TOUDI: signe évident de sa volonté de ne plus régner?]. Enfin, au fil de ses Mémoires qui ne veulent pas dire leur nom, l'ex-roi donne l'impression constante de préparer l'après-guerre pour la monarchie belge en élaborant une réforme constitutionnelle qui aurait renforcé les pouvoirs du palais, au détriment des partis, du Parlement et des syndicats. Toutefois, dès la Libération, le roi en exil allait devoir constater que le gouvernement, soutenu par son frère, le prince régent Charles, entravait ses projets.
Pourquoi, alors que certains historiens affirment aujourd'hui qu'il savait que «les jeux étaient faits», s'accrocha-t-il jusqu'à conduire son pays au bord du gouffre? C'est la dernière zone d'ombre de ce livre déjà dépeint comme une «apologie intéressante».
Ces thèmes sont généralement occultés du débat public ou des programmes scolaires. Ce qui n'empêche passant depuis quelques mois, des hommes politiques flamands comme francophones, de lancer des appels à la discussion [note de TOUDI: y compris sur la Dynastie face aux nazis?] sur ce passé qui ne passe pas.
Jean-Pierre Stroobants
Notre commentaire : Les rois ou le pouvoir de faire mentir
Avec la monarchie, tout est possible. À première vue, ce texte est «correct».
Il ne l'est pas. Mais reflète l'effet d'un livre aux énormes maladresses habilement réparées par des commentaires partisans dont la thèse wallonne de gauche a été partout exclue:
1) le succès du livre est lié (un «peut-être» sournois) au besoin de monarchie «comme de pain», monarchie qui menaça l'existence d'un pays sauvé par les politiques (dont, eux, on se passe?);
2) la division du pays ne concernerait que les 4 x 20 [«l'opinion qui a connu la guerre»]. On parle seulement du résultat global belge à la Consultation de mars 50, omettant les réponses divergentes: Wallonie = NON à 58% et Flandre = OUI à 72%. Une «guerre civile» est évoquée pour dénaturer la seule violence d'alors: gendarmes belges/Wallonie insurgée;
3) la division d'alors recoupe la division droite/gauche, se consolide du fait des deux nations en Belgique et empêche tout référendum belge aux résultats fatalement divergents. Stroobants n'en dit pas un mot (seuls les 4 X 20 seraient concernés);
4) «Le roi qui préfère abdiquer»! Alors qu'il y fut contraint dans la nuit du 31 juillet au 1er août 1950, Baudouin devenant le chef de l'État dès le 11 août 1950, l'abdication officielle n'ayant lieu qu'en juillet 51.
5) pour faire «objectif» on rappelle aux léopoldistes la résignation du roi à la victoire allemande et aux antiléopoldistes que Léopold III ne voulait pas conclure une paix séparée, que le projet de régner dans une zone non-occupée à la Pétain n'a été qu'une éventualité vite oubliée. Mais dès juin, 1945, sans se préoccuper de ces développements historiographiques post factum, les responsables politiques firent savoir au roi que son retour au pays provoquerait un bain de sang. Il aurait passé outre mais aucun ministre ne voulait assumer cette responsabilité du sang versé s'ajoutant aux horreurs de la guerre. Cinq ans plus tard, c'est ce qui se produisit, avec attentats à l'explosif par dizaines, 500.000 grévistes, menace d'abandon de l'outil et de sécession wallonne;
6) tout le monde sait que Léopold III n'aurait pas exigé de Hitler la seule libération des Flamands et personne n'a à être «calmé tardivement»: Hitler opéra cette discrimination avec l'aide de collabos flamands. Ce «calmer tardivement»! Alors que Stroobants passe sous silence le caractère profondément réactionnaire du roi, avoué par lui-même! sur les syndicats, le Front populaire, la gauche, la décadence de la société en 1983... Un texte pareil en France, s'il était lu, soulèverait la commisération pour un personnage d'aussi petite envergure, têtu, borné, mesquin, rancunier, se gobant en permanence. Heureusement qu'il y a Stroobants pour le sauver;
7) JP Stroobants termine son article en disant que ces événements sont occultés dans le débat public! Veut-il dire que lui les met en lumière? On est anéanti par tant de duplicité, fière de son «objectivité».
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Le livre de Léopold III était pourtant d'une maladresse insigne. Son autoritarisme, son aveuglement sur le sens de la Deuxième guerre, ses rancunes contre les opposants de l'élite, son mépris de l'opposition populaire à son retour (manifestée là seulement où les gens sont «soumis aux gauches» écrit-il), suffirait à le condamner.
Sans même y ajouter ce que l'on sait (mais publié en néerlandais); l'antisémitisme de Léopold III, l'admiration pour le nazisme et Hitler, la collaboration directe (presse, administration, soldats à l'est, sympathie pour les officiers italiens combattant les armées belges etc.).
Le secret de ces mensonges, c'est celui de la monarchie. En toutes circonstances, l'action d'un roi des Belges (surtout jusqu'en 50) étant secrète ou assumée par d'autres, il n'a à répondre de rien tout en restant le seul maître. Si vous ne le croyez pas, lisez Léopold III! On peut dire que Léopold III ne régna pas en 40-44. Ou l'inverse! Régner étant une activité impossible à définir.
La Belgique francophone consentant toujours au prestige, au sens (et au rêve...), lié à ce Pouvoir, rien d'autre ne peut exister du même type, à la même hauteur, comme la dignité d'un peuple par exemple. Si «le roi ne peut mal faire», si la monarchie est à l'abri de tout dans son excellence, nous n'avons plus qu'à démissionner tous, comme citoyens et êtres humains.
Quand donc comprendra-t-on que, sans la République, la Wallonie est impossible. La France l'était qui «tua» Louis XVI le 6 janvier 1793. La Wallonie l'était qui, en 1950, «tua»Léopold en le chassant par un acte qui n'est pas abouti, qui peut se transformer en échec.
Car, via Stroobants notamment et Le Soir, (que nous lirons désormais aussi dans Le Monde?), Léopold III est revenu. Ce Stroobants succède à un Rosenzweig comme correspondant du " Monde " en Belgique et est conscient que son prédécesseur, via l'ambassadeur de Belgique à Paris, a été sérieusement inquiété par le Palais. L'ennui pour lui, c'est que tout le monde le sait dans la profession et pas seulement l'auteur de ces lignes. Enfin, on remarquera (il l'a déjà fait dans une correspondance précédente sur les Fourons), à quel point Stroobants traite les problèmes Wallons/Flamands avec condescendance. Là aussi, seuls les Wallons en pâtiront. Le Soir ne sait pas à quel point son image est détériorée en Wallonie. Nous connaissons des laïques qui préfèrent désormais «La Libre»: ce journal, lui, nuance. Et donne la parole à Jean Stengers à l'heure où nous bouclons (2/7/2201).