Chapitre IX : Sécession d'Etat au sein de l'UE
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Depuis les élections fédérales de juin 2010, le fameux plan B d’un Etat belge résiduel a été brandi dans de nombreux médias, tant par des dirigeants politiques à vocation anesthésiante ou jouant à se faire peur, que par des faiseurs d’opinion en quête de vents porteurs ou des journalistes en mal de papier. Tout cela s’est accompagné, au pire d’un festival d’approximation, au mieux d’analyses juridiques totalement divergentes. A une semaine d’intervalle dans les pages de La Libre, le professeur Christian Behrendt (ULG) et le professeur Marc Verdussen (UCL) 1 arrivèrent ainsi à des conclusions totalement opposées sur la faisabilité de cette Belgique résiduelle. En admettant le postulat non prouvé du départ d’une ou plusieurs des entités composant la fédération Belge, je vais essayer d’expliquer pourquoi, au regard du droit international et de la pratique récente des Etats, ce Plan B n’a quasi aucune chance de voir le jour, la conclusion étant que c’est bien à d’autres fins politiques que ce scénario est utilisé. Notre réflexion sera d’abord élargie à d’autres situation au sein de l’Union Européenne car en 2014 un référendum sur l’indépendance se tiendra en Ecosse ainsi peut-être qu’une consultation populaire sur l’auto-détermination de la Catalogne et du Pays basque/Euskadi. La Belgique n’est pas le nombril du monde ou même de l’Union européenne.
Le droit interne d’un Etat peut-il empêcher la sécession d’une ses composantes ?
Le droit interne des Etats constitue souvent un obstacle à la sécession d’une de ses composantes. Chaque Etat adopte, sur base de son droit constitutionnel et de la mise en œuvre de celui-ci, des positions différentes. La situation du Royaume-Uni et de l’Espagne sont assez fondamentalement différentes de celle de la Belgique.
La victoire franche et massive du Parti National Ecossais (SNP) lors des élections régionales du 5 mai 2011 2 constitue pour le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du nord son plus grand défi politique depuis la victoire, en décembre 1918, du Sinn Fein dans 75% des circonscriptions irlandaises 3.
Les institutions écossaises se sont vues reconnaître par le Scotland act de 1998 une compétence générale sauf pour les matières expressément réservées au Parlement britannique. Westminster demeure seul compétent en ce qui concerne: la réforme de la Constitution, les affaires étrangères, la défense et la sécurité nationale, le contrôle des frontières, la politique économique, la sécurité sociale, la législation du travail, l'emploi et la révision des salaires, les normes de sécurité en matière de transports, le respect de l'union économique en matière de libre circulation des biens et services, la législation bioéthique (y compris l'IVG), la politique nucléaire, les labels pharmaceutiques et la classification des films. Nous pouvons donc déduire de cette liste les compétences des institutions écossaises. Elles comprennent des domaines aussi vastes et importants que la santé, l'enseignement, les collectivités locales, le logement, le développement économique, l'environnement, l'agriculture et la pêche, le tourisme, les transports, la culture et les sports, le système judiciaire et carcéral, la police. Des ministres écossais peuvent prendre part au sein de la représentation britannique auprès du Conseil des ministres de l'UE. Le gouvernement écossais reçoit une dotation annuelle de 31 milliards de Livres. L'autonomie fiscale lui offre la possibilité de d’augmenter de 3% le taux de l’impôt sur le revenu afin d’obtenir des ressources propres, cette possibilité n’a jamais été utilisée jusqu’à présent. La résolution d'éventuels conflits de compétences ou d'intérêts sera confiée à la Cour suprême (Judicial Commitee of the Privy Council composé des Lords Justice). Le cabinet britannique conserve un ministre des affaires écossaises qui est chargé de la bonne entente entre les deux Parlements ainsi que de la défense des intérêts écossais dans les matières réservées.
Enfin le Parlement de Westminster conserve la possibilité théorique d'abolir les institutions écossaises en tant que seul Parlement souverain du Royaume-Uni.
La possibilité pour le parlement écossais d’organiser un référendum sur l’« indépendance » d’ici à 2016 donnait lieu à de nombreuses polémiques, y compris d’un point de vue juridique, notamment au regard du risque de voir des citoyens contester le résultat de celui-ci devant le pouvoir judiciaire. Les gouvernements britannique et écossais se sont donc entendus le 15 octobre 2012 afin que ce référendum dispose d’une base légale claire et indiscutable. Le parlement écossais en adoptera toutes les dispositions légales, et il sera mené d’une manière telle à recueillir la confiance des parlements, des gouvernements et de la population et à apporter une expression claire de l’opinion de la population écossaise permettant que son résultat final soit respecté par tous. Puisque le Parlement britannique est seul souverain, un projet de loi a été déposé par le gouvernement britannique à Westminster afin de conférer au parlement écossais pour une période limitée, à savoir jusqu’au 31 décembre 2014, le droit de prendre toutes les dispositions légales pour organiser ce référendum. (date de tenue, corps électoral, formulation de la question soumise à référendum, financement et déroulement de la campagne référendaire). Le Scotland act de 1998 édictant que l’union entre les Royaumes d’Ecosse et d’Angleterre est une compétence réservée (exclusive) du Parlement britannique, le projet de loi examiné par le parlement écossais depuis mars 2013 et qui devrait être voté cet automne a été pris sur base de la section 30 du même act modifié par Westminster permettant ainsi de lever toute ambiguïté juridique.
En contrepartie de cette liberté législative qui vise principalement la possibilité de donner le droit de vote pour ce référendum à tout citoyen écossais (ou étranger résidant en Ecosse depuis 5 ans) âgé de 16 ans et plus, le gouvernement écossais a accepté le contrôle de la commission électorale indépendante britannique appliquant les normes adoptées par le Parlement britannique en matière principalement de dépenses électorales ainsi que de ne poser qu’une unique question sur l’indépendance à laquelle il ne pourra être répondu que par Oui ou Non ; il renonçait ainsi à son idée initiale de poser une seconde question portant sur une autonomie élargie.
C’est donc le 18 septembre 2014 que l’électorat devra répondre par oui ou par non à cette question : l'Écosse devrait-elle être un pays indépendant ? 4 En 1999, Toudi écrivait : « L'éditorialiste politique du Glasgow Herald considère que la seule conclusion à retenir de ces élections n'était plus de savoir si l'Écosse serait un jour un Etat indépendant et souverain mais bien quand elle le serait. L'Écosse va dorénavant connaître une vie politique proche de celle que connaît le Québec. La vie politique s'articulant sur l'opposition entre un grand parti fédéral (les travaillistes en Grande-Bretagne, les Libéraux au Canada) et un parti indépendantiste (le SNP, le Parti Québécois, ces deux partis entretenant d'ailleurs d'excellents rapports). (…) L’hypothèse d'une victoire électorale du SNP est plausible, celle-ci débouchant sur la tenue d'un référendum sur la souveraineté à l'issue inconnue » 5, nous y sommes donc…
La souveraineté aurait, à priori, peu de conséquences économiques, le PIB écossais par habitant est quasi au même niveau que celui du Royaume-Uni, l’Ecosse disposant en particulier du pétrole et du gaz de la mer du nord mais aussi des milliards de livres générés par le commerce du Whisky. Selon tous les sondages récents, le sentiment souverainiste est estimé à 30% mais de nombreux Ecossais demeurent indécis. Même s’il a recueilli une majorité de sièges en 2011 au parlement écossais, le SNP n’a pas recueilli une majorité absolue des suffrages exprimés (environ 45%) et le taux d’abstention, légèrement en hausse par rapport à 2007, était de 50%. Par contre, il est généralement considéré que le sentiment souverainiste n’est pas cantonné aux seuls rangs du SNP, une frange minoritaire mais non négligeable de l’électorat travailliste et libéral-démocrate ne serait pas insensible aux arguments du SNP. C’est, en grande partie, le gouvernement britannique qui tiendra l’une des clés du résultat de ce référendum car ce seront surtout les politiques qu’il mènera à l’avenir qui auront une influence fondamentale sur l’attitude des électeurs écossais. Face à une Angleterre, soit près de 80% de la population du Royaume-Uni, bien ancré à droite comme pourrait le montrer les prochaines élections législatives qui auront sans doute lieu aussi en 2014, la société écossaise pourrait finalement opter pour la voie de la souveraineté politique comme meilleure garante de son consensus social, économique, éthique et politique fruits d’une société, d’une nation historiquement distincte.
La situation est beaucoup plus tendue en Espagne, saisi par le gouvernement espagnol, le tribunal constitutionnel du Royaume d’Espagne s’est prononcé le 11 septembre 2008 6 sur la possibilité pour les autorités du Pays basque ou Euskadi 7 d’organiser une consultation populaire portant sur deux questions : l’ouverture de négociation politiques avec l’ETA et sur le fait « que les partis politiques basques, sans exclusion, entament un processus de négociation pour parvenir à un accord démocratique sur l'exercice du droit à décider du peuple basque, et que cet accord soit soumis à référendum avant la fin de l'année 2010 ?". Le tribunal constitutionnel a déclaré inconstitutionnel et annulé la loi votée par le parlement basque le 27 juin 2008. Il a d’abord considéré que, même si le parlement basque parlait de consultation populaire, il s’agissait en droit d’un référendum or la constitution dans son article 149.1.32 réserve en tant que compétence exclusive du gouvernement espagnol « l’autorisation de convoquer les électeurs à des consultations populaires par voie de référendum.». En outre, le tribunal constitutionnel considérant que l’exposé des motifs de la loi basque précisait que cette consultation populaire a pour objet d’établir “las bases de una nueva relación entre la Comunidad Autónoma del País Vasco y el Estado español”, cette nouvelle relation vise celle entre Euskadi et l’Etat espagnol et toutes ses composantes dans sa globalité et pas uniquement celle entre Euskadi et l’Etat central espagnol. Il s’agit donc là d’une question touchant les fondements même de l’ordre constitutionnel espagnol, seule la procédure prévue à l’article 168 de la constitution peut être mise en œuvre.8 Enfin, cette loi basque lorsqu’elle parle de « l'exercice du droit à décider du peuple basque » instaure selon le tribunal un sujet de droit titulaire de la souveraineté équivalent voire concurrent du peuple espagnol et de la Nation espagnole constituée en Etat, détenteurs exclusifs selon la Constitution espagnole de la souveraineté. 9 Le « référendum » annoncé pour 2014 par la coalition au pouvoir en Catalogne a débouché sur une nouvelle querelle juridique, le gouvernement de droite à Madrid refusant catégoriquement d’organiser ce référendum, le blocage est actuellement complet entre l’Etat espagnol et deux de ses communautés historiques.
La Constitution belge ne prévoit pas le droit de sécession pour ses entités mais il est clair que dans le cas d’une volonté clairement exprimée en ce sens d’une partie de la population belge, un raisonnement identique au jugement de la cour constitutionnelle du Canada en 1998 pourrait s’appliquer par analogie. « La Constitution assure l'ordre et la stabilité et, en conséquence, la sécession d'une province ne peut être réalisée unilatéralement «en vertu de la Constitution», c'est‑à‑dire sans négociations, fondées sur des principes, avec les autres participants à la Confédération, dans le cadre constitutionnel existant. Nos institutions démocratiques permettent nécessairement un processus continu de discussion et d'évolution, comme en témoigne le droit reconnu par la Constitution à chacun des participants à la fédération de prendre l'initiative de modifications constitutionnelles. Ce droit emporte l'obligation réciproque des autres participants d'engager des discussions sur tout projet légitime de modification de l'ordre constitutionnel. Un vote qui aboutirait à une majorité claire au Québec en faveur de la sécession, en réponse à une question claire, conférerait au projet de sécession une légitimité démocratique que tous les autres participants à la Confédération auraient l'obligation de reconnaître (...) l'ordre constitutionnel canadien existant ne pourrait pas demeurer indifférent devant l'expression claire, par une majorité claire de Québécois, de leur volonté de ne plus faire partie du Canada. Les autres provinces et le gouvernement fédéral n'auraient aucune raison valable de nier au gouvernement du Québec le droit de chercher à réaliser la sécession, si une majorité claire de la population du Québec choisissait cette voie, tant et aussi longtemps que, dans cette poursuite, le Québec respecterait les droits des autres. Les négociations qui suivraient un tel vote porteraient sur l'acte potentiel de sécession et sur ses conditions éventuelles si elle devait effectivement être réalisée.» 10. En résumé, toute sécession devra faire l’objet d’une négociation « politique » préalablement avant de produire ses effets. L’existence d’un ordre constitutionnel donné, n’est pas en soi un obstacle insurmontable à une sécession, comme l’a résumé la cour suprême du Canada: « Même s'il n'existe pas de droit de sécession unilatérale en vertu de la Constitution ou du droit international, cela n'écarte pas la possibilité d'une déclaration inconstitutionnelle de sécession conduisant à une sécession de facto. Le succès ultime d'une telle sécession dépendrait de sa reconnaissance par la communauté internationale qui, pour décider d'accorder ou non cette reconnaissance, prendrait vraisemblablement en considération la légalité et la légitimité de la sécession eu égard, notamment, à la conduite du Québec et du Canada. Même si elle était accordée, une telle reconnaissance ne fournirait toutefois aucune justification rétroactive à l'acte de sécession, en vertu de la Constitution ou du droit international.» 11
Examinons maintenant justement ce que prévoit le droit international.
Le droit international protège-t-il l’intégrité territoriale des Etats ?
Dans la cadre de l’hypothèse posée, il faut d’abord déterminer si l’intégrité territoriale d’un Etat est protégée par le droit international ? La Cour Internationale de Justice dans son avis du 22 juillet 2010 relatif à la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo a rappelé que la portée du principe de l’intégrité territoriale inscrit dans la Charte des Nations Unies et développé dans la résolution 2625 de l’Assemblée générale est limitée à la sphère des relations interétatiques 12. Cette protection juridique offerte aux Etats ne couvre donc que les implications d’un Etat tiers dans un processus interne de « séparation ». Il est donc impossible de transposer ce principe applicable aux relations entre Etats aux relations entre un Etat et une ou plusieurs des entités le composant. On peut donc conclure à la neutralité de l’ordre juridique international à l’égard des séparations, il n’existe pas d’interdiction des « sécessions » en droit positif, le fait de séparer ou d’agir en vue de provoquer une séparation ne peut être considéré comme une violation du droit international.13
La déclaration d’indépendance et le droit international
Toute séparation est normalement précédée d’une déclaration d’indépendance de la partie ou des parties se séparant d’un Etat. Là aussi, la Cour Internationale de Justice est très claire. La pratique des Etats ne semble pas indiquer que la déclaration unilatérale d’indépendance ait jamais été considérée comme une transgression du droit international, que ce soit dans le contexte de l’autodétermination des peuples des territoires non autonomes ou soumis à la subjugation, à la domination ou à la domination étrangères ou en dehors de ce contexte. La condamnation exceptionnelle par le Conseil de sécurité de certaines déclarations d’indépendance, notamment celle de la Republika Srpska par les Serbes de Bosnie en 1992, ne visait pas le caractère unilatéral de celles-ci mais tenait au fait « que celles-ci allaient de pair avec un recours illicite à la force ou avec d’autres violations graves de normes de droit international général, en particulier de nature impérative (jus cogens). 14
Les différents types de séparation d’Etats
Notons tout d’abord que depuis 1945, si l’on excepte le processus de libération des peuples vis-à-vis des diverses puissances colonisatrices, les phénomènes de démembrement d’un Etat étaient relativement rares. 15 Ils connaissent une nouvelle vigueur depuis la fin des années 80 avec la disparition de la Yougoslavie, de l’URSS, de la Tchécoslovaquie et d’une certaine manière de la République Démocratique d’Allemagne, auxquels il faut ajouter les sécessions de l’Erythrée et du Kosovo, la fusion des deux Yémen, La sécession du Monténégro de l’Union étatique de Serbie-et-Monténégro et la séparation du Soudan du Sud du Soudan. Face à cela, l’Association de droit international (ILA) a mis en place en 2003 un comité sur les aspects du droit de la succession d’Etats qui a rendu ces conclusions en 2008 16, celles-ci guideront largement les lignes qui suivent.
Il faut d’abord examiner la convention de Vienne de 1978 sur la succession d’Etats en matière de traités, celle-ci est entrée en vigueur en 1996. Selon l’article 2§1b), il y a succession d’Etats lorsqu’un Etat se substitue à un autre dans la responsabilité des relations internationales d’un territoire. Cela recouvre pour la convention trois situations : les cas de cession de territoire d’un Etat à un autre (partie II), les Etats nouvellement indépendants issus de la décolonisation (partie III) et l’unification et la séparation d’Etats (partie IV). Nous n’aborderons ici que les cas couverts par la partie IV de la convention, tout en en faisant une distinction entre l’unification et la séparation d’Etats, la pratique récente des Etats ayant montré une approche différente. L’unification d’un Etat est provoquée par la fusion de deux ou plusieurs Etats existants qui donnent naissance à un nouvel Etat, ce fut le cas en 1990 de la fusion entre la République arabe du Yémen et la République populaire démocratique du Yémen pour former la République du Yémen. Elle peut aussi résulter de l’incorporation au sein d’un Etat existant d’un ou plusieurs autres Etats, tout en laissant subsister l’Etat incorporateur, ce fut le cas en 1990 pour la RDA au sein de la RFA. L’article 34§1 de la convention de Vienne de 1978 considère qu’il y a séparation d’Etats « lorsqu’une partie ou des parties du territoire d’un Etat s’en séparent pour former un ou plusieurs Etats, que l’Etat prédécesseur continue ou non d’exister. » Ce concept générique doit être appréhendé selon une double perspective, celle de la partie ou des parties qui se séparent, il s’agira alors d’une sécession ou d’une scission et celle de l’Etat démembré, celui-ci continuant son existence juridique avec un territoire amputé ou étant purement et simplement dissout. Si l’on adopte le point de la partie ou des parties se séparant d’un Etat souverain, la sécession résulte de la volonté de séparation de la part d’une ou plusieurs entités constitutives. En 1971, le futur Bangladesh fit sécession du Pakistan, de même en 1993 pour l’Erythrée vis-à-vis de l’Ethiopie, en 2006 du Monténégro vis-à-vis de la Serbie ou en 2011 du Soudan du Sud par rapport au Soudan, ces quatre Etats ont continué leur existence juridique avec un territoire amputé. Notons toutefois déjà que la sécession pourra, selon les cas, entrainer ou pas la dissolution de la partie résiduelle de l’Etat concerné mais nous y reviendrons. La scission concerne quant à elle les cas où la séparation est directement provoquée par la volonté concomitante et les actes simultanés de toutes ses parties constitutives qui représentent la totalité du territoire et de la population, elle a donc pour conséquence l’absence de partie résiduelle de l’Etat prédécesseur et la dissolution de ce dernier. L’exemple le plus récent est la scission le 31 décembre 1992 de la République fédérative Tchèque et Slovaque en la République Tchèque et la République Slovaque. Adoptons maintenant la perspective de l’Etat démembré. Dans la plupart des cas, comme déjà évoqué dans les cas du Pakistan, de l’Ethiopie, de la Serbie et du Soudan, la perte substantielle dont l’Etat est victime suite à une sécession d’une ou de plusieurs de ces parties constituantes ne porte pas atteinte à son identité juridique, l’Etat résiduel ou amputé est considéré comme juridiquement identique à l’Etat prédécesseur dont il continue la personnalité internationale 17, il est souvent qualifié d’Etat continuateur. La dissolution quant à elle peut être le résultat d’une scission, c’est le cas Tchécoslovaque, mais aussi résulter du fait que la partie résiduelle de l’Etat démembré, suite à une ou plusieurs sécessions, est considérée comme substantiellement différente de l’Etat prédécesseur au point de lui refuser la reconnaissance d’une personnalité juridique identique, cette partie résiduelle étant alors considérée comme un nouvel Etat. 18 A titre d’exemple, mais dans le cadre d’un conflit armé, la République socialiste fédérative de Yougoslavie, devenue ensuite la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro), amputée de 4 de ses 6 entités constitutives 19 n’a pas été reconnue comme Etat continuateur par la plupart des Etats membres des Nations Unies. A l’opposé, malgré la séparation de plusieurs Républiques soviétiques, la Fédération de Russie a été considérée en 1991 comme Etat continuateur de l’URSS.
Quand un Etat amputé est-il considéré comme un Etat continuateur ?
Récapitulons, la question de la subsistance d’un Etat continuateur ne pose aucun problème juridique lorsqu’il s’agit d’une cession de territoire ou d’une unification d’Etats par incorporation. A contrario, il ne subsistera aucun Etat continuateur dans le cas d’une unification d’Etats par fusion ou d’une séparation par scission. Les choses se compliquent singulièrement dans le cas d’une séparation par sécession comme l’a montré les solutions divergentes adoptées dans les cas de la succession de l’URSS et de la Yougoslavie. Je cite intégralement Alexis Vahlas car son commentaire est important « si une seule sécession survient mais qu’elle implique la majeure partie de la population et du territoire d’un Etat ou le lieu d’installation de ses autorités gouvernementales, on peut imaginer que cela aboutisse à la dissolution de cet Etat. Dans ce cas, la partie subsistante est perçue comme si différente de l’Etat parent qu’elle ne peut être considérée comme l’Etat continuateur de sa personnalité juridique.» 20 L’Association du droit international, après analyse de la pratique des Etats, a quant à elle conclu à l’impossibilité d’établir un critère évident permettant de distinguer les cas de sécessions « simples » de celles provoquant la dissolution d’un Etat. Ni un changement dans la structure, le nom, la forme de gouvernement, l’étendue du territoire et l’importance de la population ne constituent des éléments d’appréciation suffisants en soi. La reconnaissance par les Etats tiers de la qualité d’Etat continuateur est un élément important mais elle repose essentiellement sur des critères politiques et non juridiques. De même, le ou les Etats qui se sont séparés ou la communauté internationale ne peuvent déclarer unilatéralement la dissolution d’un Etat. L’association conclut en précisant que la solution ne peut être trouvée qu’au moyen d’une analyse objective à la lumière de toutes les circonstances prévalant sur le terrain. 21 Même l’accord des composantes d’un Etat démembré ne semble pas suffisant. Si un certain nombre des républiques socialistes composant l’URSS, au moyen des déclarations de Minsk du 8 décembre 1991 puis d’Almaty du 21 décembre 1991, ont reconnu la qualité d’Etat continuateur à la Fédération de Russie, le cas tchécoslovaque sur un point bien particulier qui est celui de la qualité de membres de certains organes spécialisés des Nations Unies semble aller dans une direction contraire. En effet, quelques jours avant la dissolution de la Tchécoslovaquie, le parlement fédéral et les conseils nationaux tchèques et slovaques avaient répartis les diverses participations de la Tchécoslovaquie aux organisations internationales entre les deux futurs Etats. Par le biais d’une simple notification de continuité, dans certains cas, la Tchéquie aurait été l’Etat continuateur, dans d’autres cela aurait été la Slovaquie. Les organisations internationales concernées ont rejeté cette solution, la Tchécoslovaquie étant dissoute, les deux Etats successeurs durent déposer des demandes formelles d’adhésion dans toutes les organisations internationales initialement visées. 22
Les conséquences juridiques d’une séparation d’Etat en matière de traités
La convention de Vienne de 1978 a posé d’abord comme principe général dans son article 11 que la succession d’Etats ne peut porter atteinte à une frontière établie par un traité ou aux obligations et droits établis par un traité et se rapportant au régime d’une frontière. Cette disposition est issue de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités et a force de coutume. 23 Pour ce qui concerne les cas de séparation, le principe posé par l’article 34 est celui de la continuité automatique des traités que l’Etat prédécesseur soit dissout ou pas. Ce principe admet deux exceptions, soit le ou les Etats en conviennent autrement ou qu’il ne ressorte du traité ou de son application à l’égard de l’Etat successeur ou de l’Etat prédécesseur qu’il serait incompatible avec l’objet et le but du traité ou changerait radicalement ses conditions d’exécution. Par exemple, un Etat perdant ses eaux territoriales suite à une séparation ne devra plus appliquer la plupart des dispositions des traités conclus dans ce domaine. La pratique récente des Etats révèle, selon l’ADI qu’en général tous les Etats touchés par une succession d’Etats se sont référés aux règles de l’article 34 concernant tant le principe de continuité que les exceptions à celui-ci.24 Les Etats amputés ont préféré confirmer leurs obligations par une déclaration générale de continuité des traités affirmant ou revendiquant ainsi leur qualité d’Etat continuateur et clarifiant ainsi les conséquences juridiques de celle-ci.25 De même, le ou les Etats qui se sont séparés et sont devenus des Etats successeurs ont dans la pratique appliqué la règle de la continuité de tout ou partie des dispositions des traités, une minorité préférant appliquer le principe de la table rase. Il y a donc eu globalement une pratique de négociation des traités au cas par cas sur le fondement d’une présomption de continuité modulée par les exceptions reconnues par la convention de Vienne de 1978, les Etats continuateurs ou successeurs ne pouvant spolier une partie de leur souveraineté au nom d’un principe de succession automatique universelle aux traités. 26
Les conséquences juridiques d’une séparation d’Etat en matière de traités constitutifs des Organisations internationales
Tout d’abord les dispositions de la convention de Vienne de 1978 ne sont d’application que sous réserve des règles d’acquisition de la qualité de membre prévues par l’organisation concernée et de toutes autres règles pertinentes de cette dernière. Récapitulons, la question ne pose aucun problème juridique lorsqu’il s’agit d’une cession de territoire ou d’une unification d’Etats par incorporation, l’Allemagne unifiée est restée membre des Nations Unies. A contrario, dans le cas d’une unification d’Etats par fusion, sauf si les parties fusionnées étaient déjà membres de l’organisation concernée comme c’était le cas des deux Yémen, ou d’une séparation par scission, le ou les nouveaux Etats devront déposer une demande formelle d’adhésion à l’organisation internationale concernée qui, éventuellement, fera l’objet d’une procédure d’examen simplifiée. Ainsi, la République Tchèque et la République Slovaque furent admises comme membres des Nations Unies dès le 19 Janvier 1993, soit moins de trois semaines après leur création. Les choses se compliquent singulièrement dans le cas d’une séparation par sécession comme l’a montré les solutions divergentes adoptées dans le cas de l’URSS et de la Yougoslavie. Pour ce qui concerne le ou les Etats successeurs issus d’un démembrement, les choses sont simples, la règle générale apparait comme étant une règle de non succession en tant que partie aux traités constitutifs et en tant que membre d’organisations internationales. 27 Par contre, concernant la partie résiduelle, « à partir du moment où la qualité de continuateur (de celle-ci) est acceptée, une simple notification de continuation suffit pour poursuivre la qualité de partie au traité constitutif et de membre de l’organisation. Le principal problème reste, malgré tout de nature politique : arriver à un accord entre les organisations et les Etats sur la qualité ou non de continuateur.» 28 Il est aussi établi qu’un Etat continuateur diminué aura moins de droits et d’obligations financières que son prédécesseur et inversement pour un Etat agrandi. En conclusion, la succession automatique est en principe exclue sauf si celle-ci est admise par les chartes constitutives et la pratique des organisations et si elle répond aux besoins spécifiques de celles-ci. 29 Ainsi la Serbie en 2006 et le Soudan en 2011 restèrent membres des Nations-Unies et de ses institutions spécialisées.
L’impossible Belgique résiduelle en droit international
Maintenant que les principes juridiques ont été posé, entrons maintenant de plein pied dans la pure politique fiction. Rappelons d’abord que, même si l’Espagne, le Royaume-Uni et la Belgique ne sont pas parties à la convention de Vienne de 1978, la pratique récente a montré que les principes posés par cette convention seront de toute façon utilisés comme base de référence, de nombreuses dispositions de celle-ci ayant déjà force de coutume.
Commençons par les deux hypothèses le plus simples. La Belgique se démembre et décide de céder les diverses parties de son territoire à ces voisins : France pour la Wallonie, Pays-Bas pour la Flandre, Luxembourg ou Allemagne pour les communes germanophones. La Belgique est dissoute et ces quatre Etats voisins se retrouvent donc agrandis, les divers traités conclus par la Belgique cessent leur application au profit, sauf exception, des traités français, néerlandais, etc. sur les territoires respectifs de ces Etats. Ceux-ci restent membres de diverses organisations internationales dont l’Union européenne mais leur accroissement territorial et de population nécessitera une révision du Traité de Lisbonne, notamment concernant la pondération des voix de chaque Etat, 30 modification qui devra être ratifiée par tous les Etats membres.
Seconde hypothèse, la Belgique est dissoute par scission et donne naissance à 2, 3 voire même 4 Etats. Ces Etats seront, sauf exception, les continuateurs des traités conclus par la Belgique et devront déposer leur demande d’adhésion à diverses organisations internationales y compris l’Union européenne même si cela se fera sans doute au moyen d'une procédure simplifiée menée par le Conseil européen.
L’issue la plus compliquée est donc celle de la sécession d’une ou plusieurs parties composant un Etat, le Royaume-Uni et l’Espagne, même amputés ne seraient probablement pas considérés comme dissout. Une éventuelle séparation de l’Ecosse du Royaume-Uni verrait ce dernier amputé d’environ un tiers de sa superficie mais il garderait quand même plus de 90% de sa population totale, son PIB n’en souffrirait pas trop même si le gaz et pétrole sont en Mer du Nord. On imagine mal l’Ecosse fermant du jour au lendemain les bases militaires britanniques, y compris celles abritant les sous-marins nucléaires Trident, d’autant plus qu’elle sera sans doute candidate à l’adhésion à l’OTAN. Le Royaume-Uni diminué de l’Ecosse sera donc reconnu et considéré sans trop de difficulté comme Etat continuateur par l’UE et la communauté internationale en général. Rappelons que le Royaume-Uni a déjà subsisté à la sécession des 3/4 de l’Irlande en 1922. Le gouvernement écossais dirigé par le SNP, dans son livre blanc "Scotland's Future" publié le 26 novembre 2013, expose ses arguments en faveur de l'indépendance et propose une période de transition de 18 mois entre un éventuel vote positif pour l'indépendance en 2014 et l' accès à l'indépendance elle-même le 24 mars 2016. Sur le plan interne, cette période permettra au Parlement écossais d'adopter une loi qui mettra en place une convention constitutionnelle ayant une assisse et une représentativité la plus large possible qui sera chargée de rédiger la Constitution écrite du Royaume d'Ecosse puisque la monarchie sera conservée. Simultanément au plan international, le gouvernement écossais entamera des négociations avec le gouvernement britannique, il s'agira de régler le partage de la dette publique, le sort des fonctionnaires britanniques (notamment le paiement des pensions), la présence des bases terrestres, aériennes et navales des forces armées britanniques et surtout de l'armement nucléaire sur le territoire écossais, etc. Simultanément avec le gouvernement britannique, les discussions seront entamées avec les institutions européennes et les Etats-membres afin d'assurer le principe de continuité des effets en droit international (et européen). Le gouvernement écossais souhaiterait que soit utilisé l'article 48 du Traité sur l'Union européenne, c'est-à-dire l'amendement des traités par le Conseil européen, plutôt que l'article 49 qui est utilisé lors de l'adhésion d'un nouvel Etat. Mais Il reconnait que ce sera aux 28 Etats membres réunis au sein du Conseil européen de choisir la procédure la plus appropriée tout en espérant que l'appartenance de l'Ecosse depuis plus de 40 ans seront pris en compte. Le gouvernement écossais propose en tout cas que l'Ecosse conservera la Livre comme devise et ne rejoindra donc pas l'Euro, de même elle ne participera pas à l'espace Schengen et souhaite conserver certaines des clauses d'exemptions britanniques notamment pour ce qui concerne la Justice et les Affaires intérieures.
Le cas espagnol est plus compliqué car la Catalogne représente 6% du territoire mais 16% de la population et est la 4ème région la plus riche du pays représentant environ 20% de l’économie espagnole. Euskadi constitue environ 1,5% du territoire et un peu moins de 5% de la population mais elle est la région la plus riche du pays et fait partie des dix régions dont le niveau d’industrialisation et le niveau de richesse les plus élevés de l’UE. Mais même privée d’une ou de ces deux communautés autonomes, l’Espagne resterait encore un des grands pays de l’UE avec plus de 35 millions d’habitants, on peut donc raisonnablement conclure, là aussi, à sa reconnaissance comme Etat continuateur.
L’issue la plus compliquée est donc celle de la sécession d’une ou plusieurs parties composant la Belgique. Imaginons que la Flandre se sépare de la Belgique, elle se trouve dans la situation d’un Etat successeur que je viens juste d’examiner y compris concernant l’adhésion à l’UE. Reste donc un Etat amputé de quand même 58% de sa population, 40% de son territoire, la plus grosse partie de son PIB, etc., cette fameuse Belgique résiduelle a-t-elle la moindre chance d’être considérée comme Etat continuateur ? Je réponds que c’est quasi impossible et ce pour un certain nombre de raisons. Sur le plan politique, la probabilité est nulle. Pour rappel, l’accord des composantes de l’Etat démembré ne semble pas un élément suffisant. Or j’imagine mal le nouvel Etat Flamand accepter une situation où cette Belgique amputée pourrait demeurer membre de l’UE alors qu’elle devra, de son côté, y déposer sa candidature. Ensuite, face à une telle secousse en plein cœur de l’UE, reconnaitre le statut d’Etat continuateur à cette Belgique résiduelle, ce serait pour les Etats tiers prendre parti dans le conflit en cours. Rappelons ici ce qui s’est passé lors de l’implosion de la Yougoslavie : les Etats n’y ont vu que leurs intérêts économico-stratégiques, ils ne sont pas posé la question des responsabilités dans ce processus de désintégration. Prendre parti, ce serait non seulement délicat pour les relations futures mais aussi risqué, le statut d’Etat continuateur ayant pour conséquence le maintien de la qualité d’Etat membre de l’UE, cette Belgique amputée pouvant bloquer, même provisoirement, toute demande d’adhésion de l’Etat flamand, on imagine déjà la panique… De toute façon, cette Belgique résiduelle réduite à 4,5 millions d’habitants va nécessiter une révision du traité de Lisbonne, elle ne peut évidemment avoir les mêmes droits et obligations au sein de l’UE qu’un Etat de 11 millions d’habitants. Les Etats membres de l’UE décideront en toute logique, puisqu’il faudra de toute façon réviser le traité européen, qu’il n’y a pas d’Etat continuateur à la Belgique mais bien une scission ayant entrainé une dissolution. Dans ce cas, les Wallons qui auront cru rester belges « tout seul » en restant scotchés avec les Bruxellois se retrouveraient bien embêtés… Sur le plan pratique, je rappelle les conclusions de l’ILA sur l’impossibilité d’établir un critère évident permettant de distinguer les cas de sécessions « simples » de celles provoquant la dissolution d’un Etat, la solution ne peut être trouvée qu’au moyen d’une analyse objective à la lumière de toutes les circonstances prévalant sur le terrain. La question n’est donc pas de savoir si cette Belgique résiduelle présentera bien effectivement les caractéristiques d’un Etat, 31 ce qu’elle aura forcément, mais bien de déterminer jusqu’à quel point on peut conclure à sa continuité juridique sur base de divers éléments sociaux, politiques culturels de son identité matérielle ancienne et nouvelle. 32 Or, une analyse objective de cette Belgique résiduelle ne peut déboucher que sur la conclusion qu’il n’y a pas « identité » entre celle-ci et la Belgique d’avant la séparation. La Belgique d’après 1918 est fondée sur la dualité entre les Flamands et les Wallons, toutes ces institutions, y compris sa structure fédérale, en portent la marque profonde (autonomies régionales et communautaires fortes, parité linguistique au sein du conseil des ministres, répartition obligatoire des députés et sénateurs en groupes linguistiques au sein desquels la majorité absolue doit être atteinte pour certaines lois, etc.) Une Belgique privée de l’une de ses composantes principales, que ce soit la Flandre ou la Wallonie d’ailleurs, ne serait plus la Belgique, elle serait si substantiellement différente de l’Etat prédécesseur que la communauté internationale lui refusera la reconnaissance d’une personnalité juridique identique, cette partie résiduelle étant alors considérée comme un nouvel Etat…
Revenons maintenant à l’adhésion de ces Etats au sein de l’UE, il est évident que face à une telle crise en son sein, le Conseil européen, outre l’urgence d’étouffer l’instabilité politique ainsi créé, appliquera une procédure simplifiée et accélérée d’adhésion. En 1993, le Conseil européen avait fixé trois critères 33 pour l’adhésion de nouveaux Etats : le respect de l’Etat de droit, l’existence d’une économie de marché et le respect de l’acquis communautaire. Ce dernier point est fondamental car, en général, il explique la longueur des négociations d’adhésion. L’acquis est divisé en 31 chapitres et comporte des milliers de dispositions où, pour chacune d’entre elles, il faut déterminer à quelle date l’Etat candidat sera à même de les appliquer ainsi que les périodes de transition éventuellement requises. Dans le cas belge, comme d’ailleurs, dans les cas espagnols et britanniques, les Etats successeurs ayant fait partie d’un des Etats fondateurs ou membres de l’UE depuis plusieurs décennies, ils sont sensés déjà être à même d’appliquer tout ou quasi tout cet acquis communautaire ! Il est probable que quelques semaines suffiraient à fixer ces périodes de transition, une fois le traité de Lisbonne révisé, la date d’adhésion de ces Etats pourrait même, par le biais d’une fiction juridique, être fixée de manière rétroactive à la date de dissolution de l’Etat belge ou des indépendances de ces nouveaux Etats, toute insécurité juridique, même de quelques semaines, étant ainsi évitée. Rappelons aussi qu’il n’y a pas concordance entre l’appartenance à la zone Euro et celle de l’UE, un Etat peut toujours choisir librement la devise monétaire qui sera en vigueur son territoire, Euskadi ou la Catalogne indépendantes peuvent très bien décider de re-prendre l’Euro comme devise monétaire, elles devront bien sur déposer une demande d’adhésion aux institutions de la zone Euro mais elles peuvent immédiatement l’utiliser en tant que devise monétaire nationale. Ainsi le Monténégro, Monaco, Andorre, le Vatican et Saint-Marin ne font pas partie de l’UE ni des institutions de la Zone Euro mais utilisent actuellement l’Euro comme devise monétaire.
Pourquoi ce plan B a-t-il eu un si large écho médiatique ?
Nous voulons d’abord, à nouveau, insister sur le caractère fictionnel du Plan B, il repose sur l’hypothèse absolument non prouvée que les partis politiques flamands seraient prêts à se séparer d’un Etat belge qu’ils dominent politiquement, économiquement et socialement et ce même au prix de la perte de Bruxelles. Personnellement, nous considérons qu’il s’agit plus d’une tentative de bluff qu’une menace sérieuse… Il faut donc se poser la question de savoir à qui peut donc profiter ce genre de bruit médiatique ? En présentant comme évidente et insoluble le lien entre la Wallonie et les Bruxellois francophones et la survie de la Belgique, celle-ci vise surtout à anesthésier les Wallons en espérant que ceux-ci ne prennent pas leur destin en main, ce qui passe par une réflexion quant à leur place au sein d’un Etat belge agonisant et sur la nécessité d’un lien avec Bruxelles… Le plan B, c’est la plus belle expression du conservatisme mais aussi de la peur des dominants dont les statuts et privilèges sont liés à la fonction de capitale de Bruxelles. Dans ce cadre, les positions sociales acquises sont appelées à demeurer puisqu’il y aura toujours la Belgique "éternelle" avec la famille royale et où l’on pourra enfin de nouveau chanter la Flandre en français sans ces empêcheurs de tourner en rond que sont les Flamands… Le plan B n’est donc pas une hypothèse juridique crédible pour toutes les raisons que nous venons de montrer, il n’est rien d’autre qu’un projet politique déguisé sous des habits juridiques, aux Wallons et aux Wallonnes de le comprendre et, nous le pensons, de le combattre sans répit !
- 1. La Libre du 23 octobre 2010 et La Libre du 30 octobre 2010)
- 2. Une première analyse détaillée est disponible sur le site du Parlement écossais
- 3. Voir notamment mon article de la revue Toudi
- 4. Should Scotland be an independent country? Yes or No
- 5. Voir l'article de la revue Toudi : Une Ecosse autonome et de gauche
- 6. Décision du tribunal constitutionnel d'Espagne
- 7. Est donc visée ici uniquement la Communauté autonome du Pays basque formée par les provinces de l'Alava, la Biscaye et le Guipuscoa, par opposition au Pays basque linguistico-culturel ou Euskal Herria qui inclut la province de Navarre ainsi qu'une portion du département français des Pyrénées-Atlantiques
- 8. Article 168. 1. Toute proposition visant à la révision totale de la Constitution ou à une révision partielle du titre préliminaire, du chapitre deux, section première du titre I, ou du titre Il, sera approuvée, quant au principe, à la majorité des deux tiers de chaque Chambre et l’on procédera à la dissolution immédiate des Cortès. 2. Les Chambres élues devront ratifier la décision et procéder à l’étude du nouveau texte constitutionnel qui devra être approuvé par les deux Chambres à la majorité des deux tiers. 3. Après avoir été approuvée par les Cortès générales, la révision sera soumise à ratification, par voie de référendum.
- 9. Article 1.2. La souveraineté nationale réside dans le peuple espagnol; tous les pouvoirs de l’État émanent de lui. (…). Article 2. La Constitution a pour fondement l’unité indissoluble de la Nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols. Elle reconnaît et garantit le droit à l’autonomie des nationalités et des régions qui la composent et la solidarité entre elles.
- 10. cour suprême du Canada 20/8/1998 in RENVOI RELATIF A LA SECESSION DU QUEBEC
- 11. cour suprême du Canada 20/8/1998 in RENVOI RELATIF A LA SECESSION DU QUEBEC
- 12. Avis consultatif de la Cour Internationale de Justice du 22 juillet 2010 sur la conformité au droit international de la déclaration unilatérale d'indépendance relative au Kosovo
- 13. Alexis Vahlas : Les séparations d'Etats : L'Organisation des Nations Unies, la sécession des peuples et l'unité des Etats, thèse de droit présentée à l’Université Panthéon-Assas, Paris 2 en 2000, §654 et 656
- 14. CIJ, avis consultatif du 22/7/2010 précité, §81
- 15. 1947: sécession du Pakistan de l’Union indienne ; 1961 : sécession de la Syrie de la République arabe unie formée en 1958 avec l’Egypte ; 1965 : sécession de Singapour de la Fédération de Malaisie ; 1971 : sécession du Pakistan oriental (le futur Bangladesh) du Pakistan
- 16. 73rd conference of the International Law Association, resolution n°3/2008, Rio de Janeiro, voir www.ila-hq.org/en/committees/index.cfm/cid/11
- 17. Alexis Vahlas, op cit, §28
- 18. Alexis Vahlas, op cit, §23
- 19. Slovénie, Croatie, Macédoine, Bosnie-Herzégovine
- 20. Alexis Vahlas, op cit, §23
- 21. ILA, résolution N°3/2008, P70
- 22. ILA, résolution N°3/2008, P42
- 23. Il s’agit des frontières internationales, cet article ne pourrait être d’application pour les limites internes à la Belgique (par exemple celles fixant les 4 régions linguistiques), à l’Espagne ou au Royaume-Uni,
- 24. ILA, résolution N°3/2008, P18
- 25. ILA, résolution N°3/2008, P16
- 26. ILA, résolution N°3/2008, P27
- 27. ILA, résolution N°3/2008, P43
- 28. ILA, résolution N°3/2008, P38
- 29. ILA, résolution N°3/2008, P46
- 30. Chaque Etat membre de l’UE lorsqu’il vote au Conseil dispose d’un certain nombre de voix pondéré par rapport à sa population, etc. L’Allemagne dispose de 29 voix, Malte de 3 voix, la Belgique de 12 voix
- 31. Un gouvernement stable et effectif sur un territoire déterminé
- 32. Matthew C.R. Craven « the problem of State succession and the identity of States under international law”, European Journal of International Law, 1998, N°1, P18
- 33. Critère politique : institutions stables garantissant la démocratie, l'Etat de droit, le respect des minorités et leur protection ; critique économique : économie de marché viable et capable de faire face aux forces du marché et à la pression concurrentielle à l'intérieur de l'Union ; acquis communautaire : aptitude à assumer les obligations découlant de l'adhésion, et notamment à souscrire aux objectifs de l'Union politique, économique et monétaire