Les données profondément modifiées de la question wallonne (+ les transferts)
Depuis juin 2007, les données de la question wallonne se sont profondément modifiées. Une chose n'a pas particulièrement frappé les observateurs: le fait que les partis flamands radicaux ne rappellent plus guère, depuis les élections de juin 2007, la théorie des transferts flamands. Sans doute parce qu'ils veulent de nouvelles compétences et qu'une réforme de l'Etat impliquant que les Wallons leur donnent leur accord, ils ont à les ménager. Mais est-ce la seule raison?
La théorie des transferts, aujourd'hui tue par les politiques flamands
Ces théories ne sont-elles pas surtout nées d'un certain ressentiment flamand à notre égard et qui sert surtout à trouver une revanche sur des temps où nous étions économiquement plus prospères que les Flamands? Il ne faut pas avoir une mémoire historique prodigieuse pour se souvenir que ces comparaisons sont apparues au courant des années 70, soit peu de temps après que les performances économiques flamandes - c'est de notoriété générale - ont dépassé celles de la Wallonie, le PIB par habitant étant cette année-là [1966] de 76.700 F par habitant en Flandre et de 75.400 F en Wallonie 1 Il est tout autant de notoriété générale que bien des Flamands radicaux en ont tiré la conclusion que la Wallonie vivait à leurs crochets et qu'elle était un obstacle à l'envolée de la Flandre vers les sommets de la performance économique en Europe. Pourtant, depuis trois décennies que ces théories sont répétées, il est difficile de dire que c'est ce qui aurait poussé la seule Flandre à inviter l'ensemble de la Belgique à transférer les compétences de l'Etat fédéral aux Régions. Annemie Neyts rappelle qu'Anne-Marie Lizin - qu'on ne connaissait pas si wallingante - avait réclamé au début des années 90, la scission du corps diplomatique belge 2. C'est un autre acquis récent: on commence à se rendre compte que la marche vers le confédéralisme est en réalité - même si c'est à travers bien des controverses, ressentiments ou contentieux objectifs - une démarche commune aux Wallons et aux Flamands. Il est vrai que certaines compétences ont été surtout réclamées par la Flandre comme la tutelle complète sur les communes, qu'on explique souvent, à juste titre, par la volonté flamande de garder le contrôle sur la périphérie francophone de Bruxelles. Mais, on pourra noter que le seul Parlement qui ait entamé un travail législatif dans ce domaine, c'est le Parlement wallon, à peu près dès que cette compétence fut transférée. Et un travail qui modifie considérablement tant le mode de désignation des bourgmestres que la pérennité des majorités politiques souvent formées le lendemain des élections communales. Avant, ces majorités et les places acquises au sein de celles-ci, étaient acquises pour six ans. Aujourd'hui, le conseil communal peut, par une motion de défiance constructive, modifier la majorité politique en place et remplacer tout ou partie du collège communal (bourgmestres et échevins), par d'autres personnes. C'est un vrai acquis pour la démocratie. On a souvent dit que le PS était surtout installé et très fort dans les communes et on a souvent dit aussi à juste titre, qu'il s'y comportait de manière soviétique. Ce temps-là est passé. Et il faut admettre que c'est une coalition politique wallonne où le PS est dominant qui a mis en place cette réforme qui sape à la base l'avidité de pouvoir du PS à l'échelon local. Pas seulement celle du PS d'ailleurs. Le système fédéral prétendument mis en place par le PS uniquement parce qu'il y trouvait avantage (certes, ce n'est qu'à moitié faux), se retourne ainsi contre le PS. C'est la force des choses qui peut aller ensemble avec la Justice. Avant de revenir sur la question des transferts plus loin dans cette analyse, nous voudrions démontrer que le monde politique est pris dans une "force des choses" qui l'amène à donner la priorité au régional.
Les élections à répétition
Elections régionales et fédérales en 1995 et 1999 sont couplées. A partir de là les deux élections ont lieu à des dates différentes. En 2003, élections fédérales, en 2004 élections régionales, en 2007 élections fédérales, en 2009 élections régionales, en 2011 élections fédérales, en 2014, élections régionales, en 2015, élections fédérales, en 2019 élections régionales et fédérales. Et ensuite, les choses se redécouplent comme à partir de 1999. Chaque élection concerne en réalité l'ensemble du pays et de deux en deux ans, ces élections amènent à la fois politiquement et arithmétiquement à des coalitions différentes selon les trois régions du pays et au fédéral. On collabore à tel niveau, mais, à tel autre, on ne collabore plus. S'il ne s'agissait que de coalitions dans des communes, même dans de grandes villes, les responsables aux divers niveaux, seraient très différents, les enjeux l'étant tout autant. Ici, les responsables ne sont pas nécessairement toujours si différents. Elio Di Rupo a été à la tête de la Wallonie depuis la chute de Van Cauwenberghe à l'automne 2005 jusqu'aux élections de juin 2007. Tout en demeurant président de parti face à Didier Reynders, lui aussi président de parti et vice Premier ministre. ll est vrai que dans les Etats fédéraux comme l'Allemagne, les élections des Länder influent la politique fédérale. Mais la distinction dans un pays de 90 millions d'habitants entre la Bavière qui en a 9 millions et la RFA est bien réelle. En Belgique les deux enjeux se distinguent infiniment plus mal. Les élections régionales wallonnes de 2004 mettent largement le PS en tête et son président négocie au niveau wallon une alliance CDH-PS qui se substitue à l'alliance PS-MR-Ecolo. Il s'agit de gouverner la Wallonie, non la Belgique et il est assez juste dans l'esprit du fédéralisme de former des gouvernements distincts sur le plan politique. Mais les partis sont en lutte d'une manière étrange en Belgique. Ils se sont tous scindés linguistiquement, de sorte que chaque élection - qu'elle soit régionale ou fédérale - devient en même temps un enjeu à la fois wallon/bruxellois côté francophone, mais aussi national belge, un enjeu à la fois flamand, mais aussi national belge côté flamand. Les enjeux électoraux sont à la fois régionaux et nationaux. En juin 2007 Reynders et Di Rupo se battent pour le leadership dans l'espace wallon, peu importe que la finalité de l'élection soit fédérale. Le MR tente de jouir des fruits de sa victoire au plan national, mais, là, il doit jouer dans cette scène complexe où, aux clivages entre les partis et leurs idéologies (leurs egos aussi, mais les partis ne sont pas seulement des machines à faire voter, ils émanent de la société civile), s'ajoute le clivage Wallons (et francophones)/Flamands.A peine une lutte entre partis a-t-elle trouvé sa conclusion dans une élection décisive qu'une autre élection décisive se pointe dans les deux ans. Or, depuis juin 2007, les élections n'ont pas débouché sur la coalition qui semblait s'imposer au plan national. Et même, à vrai dire, la crise politique n'a jamais été vraiment résolue au plan fédéral où nous avons eu un gouvernement de transition de Noël 2007 à Pâques 2008 (Verhofstadt), puis un autre, le gouvernement Leterme, dont le Premier ministre remit déjà sa démission au roi au mois de juillet suivant, pour repartir ensuite mais seulement jusqu'en décembre 2008 et être à nouveau remplacé par un gouvernement dont le Premier ministre est peut-être plus solide. Mais dont la structure de base risque de s'effondrer dès juin de cette année parce que tant en Flandre qu'en Wallonie et à Bruxelles, les électeurs risquent de modifier à nouveau profondément les données du jeu politique.
Déclin de la "scène" nationale (ou fédérale), puissance du sentiment belge en Wallonie
Il était peut-être prévisible qu'il en serait ainsi à partir du moment où l'on découplait élections fédérales et régionales. Ce n'est pas le fait que les partis politiques wallons actuels soient très wallons qui a introduit le désordre actuel. Ce n'est pas qu'ils soient obnubilés par la "scène wallonne" (au sens où les journaux québécois distinguent deux théâtres d'opérations politiques: la "scène" québécoise et la "scène" canadienne). C'est le fait que ce soit des partis avant tout soucieux de leur positionnement politique peu importe où. Mais comme ils poursuivent ces enjeux dans une structure fédérale et même confédérale, leurs rivalités simplement électorales qui leur sont subjectivement si chères mettent violemment en lumière les espaces politiques où ils évoluent. Et, du côté francophone, plus la Wallonie que Bruxelles par exemple, ce qui frustre les Bruxellois dont le réveil régionaliste est peut-être un régionalisme de rattrapage, tandis que le réveil régionaliste wallon est un réveil de continuité. Enfin, si la complexité du jeu politique bloque les choses au fédéral et, d'une certaine façon, à Bruxelles, les gouvernements régionaux wallon et flamand, communautaire francophone travaillent, assurent la continuité des choses.
Ces niveaux de pouvoir vont devenir plus importants avec les négociations dites communautaires déjà conclues sur certains points. La Flandre, via son président Kris Peeters, souhaite une révolution copernicienne où ce ne sont plus les Etats fédérés qui tourneraient autour du fédéral, mais où c'est le fédéral qui se mettraient à leur service. Les actuels partis wallons et francophones doivent compter avec les chants du cygne unitaristes de l'automne 2007. Mais ils savent aussi que les drapeaux belges arborés sur les maisons avec balcons (un peu partout), ou vue sur la Meuse (dans les appartements sélects en amont et en aval de la Présidence wallonne à Namur), ne représentent qu'un épiphénomène. La manifestation de Bruxelles le 18 novembre n'a rassemblé que des bourgeois bruxellois, comme le notait le lendemain le journal Libération. Deux autres manifestations de ce genre eurent déjà lieu, l'une le 31 mars 1962, analysée par La décision politique en Belgique, Crisp, Bruxelles, 1965, comme ne rassemblant que des Bruxellois et des Flamands francophones, l'autre le 25 avril 1993, décrite par un témoin avisé comme Michel Molitor, qui nous le confia à l'époque, comme ne rassemblant que des privilégiés qui n'avaient jamais eu l'occasion de manifester. Les images à la RTBF des femmes et hommes rassemblés par Marie-Claire Houard, le 18 novembre vers midi ont donné le même sentiment. Un train spécial venant de Liège emmenait 70 manifestants. La manifestation n'a atteint sa participation maximum que vers midi, au fur et à mesure que des habitants de Bruxelles en venaient grossir les rangs au long de la matinée. Les manifestants parvenus au Cinquantenaire, rentrèrent alors chez eux "pour dîner" précisait le JT de la RTBF. Le ciel de Wallonie vide d'hélicoptères personnels en direction de Charleroi, Mons, Tournai, ou Namur, Liège, Wavre et Arlon, permettait de conclure que ceux qui allaient prendre le repas du dimanche ne provenaient pas de ces villes. Elio Di Rupo explique ici en néerlandais pourquoi il y a surtout des francophones dans la manifestation et Anne-Marie Lizin que la Belgique est un beau pays 3. Le commentateur d'Antenne-Centre parle de manifestants essentiellement francophones tout en ajoutant paradoxalement qu'il y a de très nombreux néerlandophones 4. Essentiellement francophone, oui.
Cette opinion nationaliste belge en Wallonie est manifeste, certes de manière ahurissante. Ce sentiment belge non explicité rationnellement est inapte à déboucher sur un projet politique. Les manifestations du 31 mars 1962, du 25 avril 1993 (avec Julos Beaucarne en vedette), et du 18 novembre 2007 ne sont plus seules à concrétiser le désuet de la Belgique de papa. La monarchie est devenue aussi désuète que ces défilés (tout de même un peu pathétiques), depuis que toute la presse publie les secrets des colloques singuliers comme ce fut le cas fin 2007. Bagehot a souligné dans ses ouvrages que le prestige symbolique de la monarchie ne se nourrit (et ne s'amplifie aussi), d'un vrai rôle politique implicite (sans cesse dénié cependant, mais c'est logique), que si ses partenaires politiques gardent le silence sur le rôle du roi. La crise ouverte par les élections de juin 2007 a fait tomber l'un des derniers tabous de la Belgique ancienne, violé d'ailleurs déjà en 1990, après l'interruption de règne (sur l'avortement), lors de l'intervention militaire belge au Rwanda de l'automne de cette année. Dont un ministre désigna l''origine réelle dans une pression du roi sur le gouvernement. En fin 2007, les confidences de tous les interlocuteurs du roi se lisaient partout car ces interlocuteurs en avaient fait état partout.
La réalité du confédéralisme
Dès 1984, Robert Tollet, Michel Quévit et Robert Deschamps proposait une réforme confédérale de l'Etat belge dans le cadre d'une union monétaire maintenue, s'appuyant déjà sur des traits de confédéralisme présents dans une Belgique qui ne se disait guère pourtant alors pays fédéral. Ils insistaient notamment sur ce trait de confédéralisme qu'est l'équipollence des normes soit le fait que les lois votées par les parlements des diverses régions et communautés ont la même force juridique et qu'il n'existe pas de clause qui fasse prévaloir le droit fédéral sur le droit régional ou communautaire 5. En avril 1992, dans le numéro 1 du journal République, je revenais sur cette affirmation du confédéralisme, le liant à l'épisode historique de la question royale où malgré la majorité de Belges en faveur du retour de Léopold III lors de la consultation populaire de mars 1950, la minorité wallonne imposait une sorte de veto en s'insurgeant lors du retour effectif au pays de Léopold III en juillet, insurrection en quelque sorte légitimée par le discours de Jean Rey à la Chambre belge où le ministre wallon du gouvernement Eyskens avouait ne pas imaginer un retour du roi possible sans que celui-ci n'obtienne une majorité dans "chaque région du pays" 6. Et en effet dans une confédération, l'accord de tous les Etats confédérés est requis pour prendre une décision. En 2003, Charles Etienne Lagasse affirme à propos de la manière dont Régions et Communautés signent des accords de coopération, que ''le confédéralisme n'est pas loin'' 7 Les fédéralistes européens signalent une disposition différente dans le cadre de l'Union européenne en l'opposant au système belge, pour déclarer que l'Europe est une organisation politique de type fédéral (par contraste donc avec la Belgique, c'est ce que dit implicitement cet avis). C'est le cas de Michele Ciavarini Azzi, Président de l'UEF qui écrit ''Au niveau européen, conformément à la jurisprudence de la Cour de Justice Européenne, le droit communautaire prime sur le droit des États alors qu’il y a souvent équipollence des normes au sein d’un État fédéral. En Belgique par exemple, la loi (nationale) et le décret (régional ou communautaire) sont sur un pied d’égalité. Il faut aussi rappeler que la Cour de Luxembourg incarne non seulement les fonctions de juridiction internationale, mais qu'elle est aussi la garante de l’unité d’interprétation du droit communautaire (comme les Cours de Cassation dans la plupart des États), de la légalité des règlements (comme le Conseil d’État en Belgique), et du respect de la Constitution par les législateurs (Cours Constitutionnelles ou, en Belgique, Cour d’Arbitrage) 8.
Vincent de Coorebyter, directeur du CRISP écrit: ''La Belgique est (...) incontestablement, une fédération : il n’y a aucun doute (...) Cela étant, la fédération belge possède d’ores et déjà des traits confédéraux qui en font un pays atypique, et qui encouragent apparemment certains responsables à réfléchir à des accommodements supplémentaires dans un cadre qui resterait, vaille que vaille, national.'' 9. Vincent de Coorebyter, directeur du CRISP, disait déjà dans La Revue nouvelle de janvier 2008 (p.42): ''Dans l'exercice de leurs compétences, les Communautés et les Régions sont souveraines. Exactement comme un Etat est tout à fait indépendant dans sa sphère de souveraineté, même s'il est par ailleurs membre d'une confédération.'' Les mots sont forts et on rappellera qu'en principe une confédération réunit des Etats indépendants ou souverains. Quand on sait l'extrême timidité avec laquelle le fédéralisme est souvent décrit, "parlé" par les professeurs de droit constitutionnel qui continuent à parler d'entités fédérées plutôt que d'Etats, par exemple, quand on songe à la fin de non-recevoir opposée par Elio Di Rupo, encore en 2006, au projet de Constitution wallonne qui proposait que les termes Région wallonne soient remplacés tout simplement par Wallonie (deux propositions déjà faites dans l'annuel TOUDI n°6 en 1992, par Jean-Marie Klinkenberg), on mesure le chemin parcouru depuis quelques mois.
Des transferts réels mais aux utilisations politiques contradictoires
La FEB, l'organisation patronale belge a décrit en 2003 les transferts d'une région à l'autre comme suit: "Les habitants d'une région, d'une province ou d'un arrondissement paient un certain montant d'impôts ou d'autres cotisations à une autorité nationale centrale. En contrepartie, cette autorité remplit un certain nombre de missions publiques générales (défense, justice etc.), et paie des allocations sociales (pensions, prépensions etc.) (..) Ainsi, certains contribuent plus au budget des autorités fédérales qu'ils n'en retirent (par exemple les travailleurs en bonne santé), alors que c'est le contraire pour d'autres(par exemple les malades ou les chômeurs), il y a donc un transfert interpersonnel d'une personne à une autre. Considérée au niveau de la région, de la province ou de la commune, la somme de tous les transferts interpersonnels débouche sur le transfert financier entre régions, provinces et communes..." 10. Selon la FEB, la Flandre en ce sens, contribue pour 3,5% de son PIB à la solidarité nationale 11. La FEB, dans le document que nous citons estime que ces transferts, à l'intérieur de la Belgique, ne sont pas très importants quand on les compare aux transferts observables dans d'autres pays d'Europe. Ainsi par exemple, l'étude de la FEB estime que 5 % du PIB du Nord-Pas-de-Calais, région au passé industriel, politique, social et économique comparable à celui de la Wallonie, sont des transferts, 6% pour la Région Midi-Pyrénées, 8% pour le Languedoc ou encore que 11% du PIB régional du Pays de Galles sont des transferts à l'intérieur du Royaume Uni. Cela ne place tout de même pas la Wallonie dans une situation de dépendance aussi catastrophique qu'on ne la décrit encore aujourd'hui dans les cercles ultra-rattachistes et telle qu'on la décrivait dans les cercles flamingants avant juin 2007. C'est d'autant plus frappant que la Wallonie qui ne dispose tout de même pas, comme le Nord-Pas-de-Calais, de trois ports de mer au trafic comparable à la moitié des ports flamands 12, qui n'a pas de métropole sienne comme c'est le cas de la Région française avec Lille, réalise des performances, sur les plans économiques et humains, identiques sinon même supérieurs à une Région française disposant de transferts semblables. Des chercheurs wallons et du Nord-Pas-de-Calais ont longuement étudié ces chiffres et les ont comparés. A propos de la légère différence entre le PIB/habitant de la Wallonie et du NPDC (un avantage en faveur de celui-ci de 4%), les auteurs de l'étude soulignent que "Compte tenu des incertitudes de la mesure il est raisonnable de penser que les deux régions se situent au même niveau... " 13.
Il faut souligner la chose d'autant plus fortement que, en réponse au discours d'Elio Di Rupo comme Président du Gouvernement wallon le 31 janvier 2007, Yves Leterme, alors président du gouvernement flamand, répondait que la Flandre était la région du monde où se vendaient le plus de produits flamands, ce qu'une observation rapide des véhicules qui sillonnent les autoroutes wallonnes confirme aisément. Les transferts, en matière de sécurité sociale ou de fiscalité, entre les citoyens ou les personnes, comme les transferts entre régions, n'ont rien d'unilatéral. Ils participent en un sens d'une sorte d'économie du don : ce qui se donne se contre-donne. Les Wallons n'ont pas à rougir d'une dépendance somme toute raisonnable, voire banale et, surtout, réciproque.
Nous l'avons dit, il est étonnant que les milieux ultra-rattachistes se soient emparés de cet argument. C'est, de leur part, épouser une certaine vision de la Wallonie qui n'est pas particulièrement marquée par l'estime qu'ils devraient avoir à son égard. Il est vrai qu'en décrivant la Wallonie comme la pauvre assistée d'un peuple hostile (?), sans être vraiment gênés de la source à laquelle ils puisent leur inspiration, ils cherchent ainsi à présenter la grande soeur française comme celle qui ne pourrait qu'ouvrir les bras à la petite Wallonie mourante.
Politique et "psychologie"
Que les Flamands aient eu tendance à mettre en avant les transferts parce que cela confirme une certaine prospérité de la Flandre, on peut le comprendre, c'est en quelque sorte psychologiquement logique. Cela relève de la sociologie des peuples autrefois humiliés en quête d'estime. Que les Wallons y accordent de l'importance, c'est logique aussi car, sans être à la racine des humiliations flamandes par la bourgeoisie francophone de Flandre, ils peuvent réellement nourrir un sentiment d'échec profond face au délitement de leur économie qui fut, en termes relatifs (parfois absolus, comme pour la production de charbon, voire d'acier, à certaines époques) et d'indices de développement, la deuxième du monde:
Hiérarchie des grandes puissances industrielles (1810-1910) (Classement par niveau de développement industriel) 14
Rang | 1810 | 1840 | 1860 | 1880 | 1900 | 1910 |
1 | Royaume-Uni | Royaume-Uni | Royaume-Uni | Royaume-Uni | Etats-Unis | Etats-Unis |
2 | Belgique | Belgique | Belgique | Belgique | Royaume-Uni | Royaume-Uni |
3 | Etats-Unis | Etats-Unis | Etats-Unis | Etats-Unis | Belgique | Belgique |
4 | France | Suisse | Suisse | Suisse | Suisse | Allemagne |
5 | Suisse | France | France | Allemagne | Allemagne | Suisse |
6 | Allemagne | Allemagne | Allemagne | France | France | France |
7 | Suède | Suède | Suède | Suède | Suède | Suède |
8 | Espagne | Espagne | Espagne | Espagne | Espagne | Espagne |
9 | Italie | Italie | Italie | Italie | Italie | Italie |
10 | Russie | Russie | Russie | Russie | Russie | Russie |
11 | Japon | Japon | Japon | Japon | Japon | Japon |
On sait qu'en réalité, le mot "Belgique", dans ce tableau, et pour la période indiquée, peut se remplacer par Wallonie. Pour Philippe Destatte la Wallonie est bien la ''deuxième puissance industrielle du monde proportionnellement à sa population et son territoire" 15. Philippe Raxhon souligne que "Ce n'est pas de la propagande mais une réalité que les régions wallonnes devinrent la seconde puissance industrielle après l''Angleterre" 16 Michel De Coster considère que les historiens et les économistes disent que la Belgique fut la deuxième puissance industrielle du monde après l'Angleterre, proportionnellement à sa population et à son territoire (...) Mais que ce rang est celui de la Wallonie où étaient concentrés les charbonnages, l' industrie du fer et du zinc, l'industrie lainière, le verre, l'industrie de l'armement... 17. Le Professeur donne cet exemple comme un révélateur des difficultés de l'identité wallonne dans la mesure où, comme ici, l'on attribue à la Belgique toute entière ce qui revient en fait à la Wallonie seule. ''The sole industrial centre outside the collieries and blast furnaces of Walloon country was the old cloth making town of Ghent'' (''Le seul centre industriel qui n'étaient pas situé parmi les hauts-fourneaux et les charbonnages wallons était la vieille cité des tisserands de Gand.'' fait remarquer ce site en anglais 18.
Ce tableau en dit sans doute plus long qu'on ne le pense sur les querelles communautaires. Longtemps la Wallonie s'est représentée comme la Région moderne, émancipée, éclairée de la Belgique face à une Flandre plus archaïque, réactionnaire, cléricale, aux habitants moins prospères et moins délurés. Il ne s'agit pas ici d'un complexe de supériorité francophone, mais plus spécifiquement wallon : dans les lieux qui faisaient la modernité de la Wallonie - les grandes entreprises industrielles - le langage utilisé était en fait le wallon 19.
La Flandre craint de ne pouvoir payer ses pensionnés, elle sait que la plus grande part de ce qu'elle produit est vendu en Wallonie qu'une attitude de rupture brutale à la "Bye, bye Belgium" la mettrait en danger à Bruxelles. L'affaiblissement évident du réunionisme ultra vient du fait que l'on ne pense plus réellement que la France serait une issue à cette question économique: le Nord-Pas-de-Calais qui reçoit autant de transferts que la Wallonie ne fait pas mieux qu'elle, fait même peut-être moins bien. Voilà quelques arguments qui font que l'avenir est à une réforme progressive - relativement rapide finalement: il y a 30 ans, tout était encore centré dans l'Etat national qui a perdu la moitié de ses compétences - qui va mener à une confédération d'Etats indépendants. Il n'y a aura pas de dépendance de la Wallonie à l'égard de la Flandre, car les transferts, même bien réels, ne sont pas importants et relèvent d'une fine mécanique que la Flandre ne veut pas risquer d'enrayer. Il ne s'agit pas en effet de dons délibérés dont il y aurait à revoir le montant chaque année. Il s'agit plutôt de la conséquence d'un système de sécurité sociale et d'un système fiscal. Certes, les Flamands les plus radicaux, en dénonçant la chose, la mettent d'une certaine façon en cause, mais depuis la bonne vingtaine d'années qu'ils le font, rien n'a été modifié de cette mécanique complexe dont on peut penser qu'il serait infiniment malaisé, mais aussi très dangereux de la modifier. On le sait, une assurance est d'autant plus solide qu'elle a plus d'assurés. La Flandre qui vieillit plus rapidement que la Wallonie n'a sans doute pas avantage à brusquer des réformes en ce domaine. Les Flamands modérés, une partie des Flamands radicaux ne songent même pas à modifier la solidarité entre personnes de la Sécurité sociale. L'idée même des transferts peut être critiquée d'un point de vue théorique, les transferts étant d'ailleurs eux-mêmes une théorie, il ne faut pas l'oublier. C'est ainsi que Giuseppe Pagano, Miguel Verbeke, Aurélien Accaputo font remarquer, par exemple dans le domaine des rémunérations des fonctionnaires, ''le fait que la part des rémumérations versées aux agents wallons et bruxellois excède la part de ces deux régions dans les recettes fiscales totales de l'Etat'" 20, n'est pas à proprement parler un transfert puisque la rémunération qu'ils reçoivent est un droit. A mon sens, on pourrait appliquer la même idée aux entreprises qui travaillent pour l'Etat: ce qu'elles ''reçoivent'' de l'Etat est-il réellement un transfert? En matière de sécurité sociale, les pensions versées correspondent également à un droit. D'une manière générale, on instaure, dans bien des relations sociales aujourd'hui,,sans même y penser, l'évidence (fausse), qu'il n'y aurait pas de dépendance réciproque. Les dépenses en sécurité sociale représentent 25% du PNB belge.On les présentent à la limite comme un privilège, alors que ce "privilège" sert l'industrie pharmaceutique, la recherche médicale, bien des privilégiés, dentistes, médecins... Il y a quelque chose de cassé dans le monde vécu des sociétés modernes, trop incapables de voir que le social, le non-marchand, les pouvoirs publics nourrissent aussi l'économie.
Il nous semble qu'à travers cette théorie des transferts, la Flandre prend aussi une revanche sur les périodes de l'histoire où elle était considérée comme pauvre et arriérée par rapport à la Wallonie. Tandis que la théorie des transferts en Wallonie peut y être vécue comme une nouvelle attestation "scientifique" de la conscience qu'ont les Wallons d'avoir reculé depuis quelques décennies. Elle peut être aussi vécue comme un argument supplémentaire en faveur d'un attachement à la Belgique qui a ses propres motivations, dans la mesure où la fin d'une Belgique à laquelle on est attaché pour des raisons autres que l'intérêt terre-à-terre (souvenirs des guerres, de la résistance etc.), peut effrayer aussi non seulement en raison d'une perte symbolique mais également d'une perte réelle. Au bout du compte, la théorie des transferts marque les esprits bien plus en raison du fait qu'elle nourrit une mémoire collective qu'en raison d'une rationalité dont devraient tenir compte les dirigeants et les citoyens.
Cette théorie des transferts est néolibérale avant d'être flamingante.
Le Manifeste pour la culture wallonne dans des études récentes en anglais
En définitive, on en revient un peu toujours au Manifeste pour la culture wallonne de 1983. Il existe aujourd'hui des ouvrages de langue anglaise dont l'existence souligne l'importance de ce texte, non pas seulement parce que le fait d'être commenté si "loin" de la Wallonie illustre la pertinence de la démarche (en fait, ces auteurs sont parfois des Flamands ou des Wallons, mais pas toujours), mais aussi parce que l'on trouve dans ces analyses extérieures au phénomène wallon une excellente manière de synthétiser la problématique dont il surgit et de le faire en un contexte moins passionné que celui de débats difficiles. Ainsi, par exemple, Michael Keating, John Loughlin, Kris Deschouwer situent bien ce qui oppose la proposition wallonne de 1983 à ce que l'on appelle parfois les "communautaristes": "Depuis des années" écrivent ces trois chercheurs "les élites de la Belgique francophone défendent le principe qu'il n'y a pas de différence entre la culture française en Belgique et en France. Confrontée à une communauté flamande unie, l'idée d'une culture française une, se référant à la grande voisine du sud, mais non sans rapport avec le contexte belge actuel, relève d'une validité politique, tant pour les Wallons que les Bruxellois francophones, excluant ainsi l'idée d'une culture wallonne séparée.'' 21. Pour Dimitrios Karmis et Alain Gagnon, ce manifeste a marqué une période d'une grande intensité sur le chemin de l'affirmation culturelle de la Wallonie 22. On pourrait se demander si ce n'est pas en raison du fait que dans la période où le Manifeste a été écrit, la tension qui existait dans les élites culturelles entre l'appartenance à la Belgique ou à la Wallonie et la référence à la norme culturelle française n'avait commencé à se résoudre. Le lundisme , cette idée qu'il n'existe pas de différences entre culture française et culture francophone belge, aurait peut-être été une façon de résoudre la contradiction entre l'appartenance "française" et belge/wallonne (fatalement entachée de régionalismes linguistiques ou culturels), en niant cette dernière, soit l'un des pôles de la tension (normes françaises/ appartenance belge ou wallonne). C'est d'autant plus tentant de le penser que l'on retrouve quelque chose du lundisme même chez des écrivains régionalistes, comme chez Arthur Masson, mort en 1970 et, cela, alors que le lundisme réprouvait le régionalisme qui lui semblait marquer trop la littérature en Belgique (ou Wallonie). Ainsi Emmanuelle Labeau fait remarquer que les romans d'Arthur Masson sont situés "non pas seulement en province, mais aussi dans un pays différent de celui qui possède la légitimité linguistique: la France. Cela vaut la peine de noter qu'une image positive est donnée de cette région périphérique, reliées non pas à des compétences linguistiques mais aux qualités du coeur. D'une autre côté, les romans de Masson prétendent à une certaine reconnaissance culturelle sur la base de l'exotisme de ces populations qu'ils exploitent [...] Dans ses oeuvres, Masson a comme souci de se faire le relais de l'attitude ambivalente de la Belgique francophone cultivée: les formes du français régional sont vécues comme possédant des caractéristiques positives du point de vue du coeur mais manquent de raffinement. En inscrivant ses écrits dans deux registres - la langue de son héros qui utilise sans aucun complexe les régionalismes et la sienne qui prétend à la neutralité - Masson a essayé de résoudre les tensions qui caractérisent le complexe linguistique national." 23.
Evidemment, les formes de français régional qu'évoque E. Labeau ne sont pas nécessairement du wallon, mais elles lui sont liées et, d'ailleurs,on peut supposer que l'auteur évoque aussi l'usage chez Masson de la langue wallonne qui est toujours soigneusement distinguée chez lui de l'usage du français (contrairement à Paul Biron qui mélange les deux et écrit l'authentique façon de parler en Wallonie à la même époque). Il est important de souligner à cet égard le sentiment d'un Américain s'exprimant sur la recherche d'identité dans le cinéma belge qui - très clairement, beaucoup plus que pour la littérature - est aussi assez largement reconnu comme un cinéma wallon. Philippe Mosley quand il évoque le Manifeste pour la culture wallonne de 1983 qu'il considère comme lié au cinéma dont il parle explique que ''la langue wallonne n'a ni bénéficié d'un statut officiel comme langue de l'administration, de l'Eglise ou de la politique, ni du poids suffisant qui lui auraient permis d'être le support bien diffusé et influent de l'affirmation de l'identité culturelle wallonne. Au lieu du wallon, cette tâche a été assumée dans les trente dernières années par des auteurs usant du français, dotés d'une conscience politique et qui publièrent notamment le Manifeste pour la culture wallonne.'' 24
Le Manifeste fut violemment critiqué dans les milieux élitistes belgicains et aussi bruxellois. Il me semble n'avoir jamais lu une analyse aussi concise et sereine d'une pareille question. Lisons-la: ''A Bruxelles, en dépit du processus de fédéralisation du pays,la vision unitaire, historiquement caractéristique des Bruxellois francophones semble avoir toujours quelque influence. Aux yeux des Franco-Bruxellois, le pays est loin de la représentation qu'en propose le Manifeste pour la culture wallonne. Siège de la Commission européenne, capitale de la Belgique et bastion du nationalisme panbelge depuis 1830, Bruxelles a tendance à mépriser les identités wallonne et flamande qui sont jugées trop particularistes dans le contexte de l'intégration européenne. Le nationalisme panbelge de Bruxelles a souvent manifesté un sentiment de supériorité morale et s'est souvent conçu lui-même comme la voie vers une appartenance plus unbiversaliste dans une perspective semblable à celle de Trudeau 25.'' 26. Le thème du repli sur soi que j'ai analysé dans Le discours antiwallon en Belgique francophone (TOUDI mensuel, n° 13, septembre 1998), marque cette tendance bruxelloise.
Il est possible de lire la remarque de Gagnon et Karmis dans la perspective pessimiste de Michel Biron qui, analysant le courant de la belgitude en l'opposant à celui du Manifeste wallon écrit : ''On comprend, lisant ces lignes, pourquoi les questions identitaires constituent un éternel malaise chez les écrivains belges. elles trahissent des différences culturelles si profondes qu'elles échappent à tout récit commun.'' 27. Ou encore dans la perspective relativiste de Jacques Dubois: ''Aujourd'hui, la génération montante des écrivains, qui en a assez largement fini avec le complexe du "petit Belge'', donne l'impression de peu se soucier de modernité parisienne et de ne pas se préoccuper davantage de fonder une littérature nationale affirmée. C'est d'abord que, à une littérature française qui n'a plus la légitimité orgueilleuse d'antan, elle accède sans trop de mal, ainsi qu'on l'a vu, et se fait accepter. C'est ensuite que, du côté belge, elle existe en quelque sorte de facto, s'accommode des moyens offerts et trouve dans l'aide d'Etat la reconnaissance qui lui suffit. Tout cela perpétue sans doute l'identité fragile d'une littérature qui se cherche depuis un siècle. Et c'est un peu comme si cette littérature échappait une fois de plus à son destin, alors même qu'elle connaît une période grande vitalité.'' 28 Suivant Michael Keating, John Loughlin, Kris Deschouwer en 2003, ''La ''pure et simple culture française'' est encore le discours officiel, et est défendue par les autorités de la Communauté française (...) Le mouvement wallon d'aujourd'hui, soutenu par un petit nombre d'élites intellectuelles, défend fort l'originalité et la différence wallonne, mais n'a pas été capable de parvenir à mobiliser en sa faveur.'' 29 En décembre 2006, un manifeste, bruxellois cette fois, fut publié 30. Ce manifeste a été aussi signé par des auteurs de renom comme les philosophes Philippe van Parijs et Jean-Marc Ferry, et, écrit la revue bruxelloise Brussels studies, ''rédigé d'une telle façon qu'il a donné aux régionalistes wallons l'occasion de rappeler à chacun qu'ils en avaient appelé aussi à la fin de la Communauté française, et le transfert de toutes ses compétences, spécialement en matière de culture et d'enseignement, à la Région wallonne depuis leur Manifeste pour la culture wallonne...'' 31. La mobilisation a retrouvé par là bien des chances de se relancer comme la réunion du Mouvement du Manifeste wallon du 29 février 2008 en a témoigné et les déclarations régionalistes de leaders FDF ou PS durant les mois suivants.
"Nous nous réclamons du Manifeste pour la culture wallonne et du renardisme"
Benoît Lechat a résumé ainsi le problème: ''Bien que la dimension culturelle était déjà présente dans le renardisme ce fut avec le Manifeste pour la culture wallonne que la culture devint une priorité pour la culture wallonne. A l'inverse, certains défenseurs de la Communauté française ontsoutenu l'idée d'une fusion de la Région walonne et de la Communauté française. C'est l'argument de la ''Nation francophone'' défendue à l'époque par le président du PRL Jean Gol, et d'autres qui reprochèrent aux régionalistes de se replier sur une identité wallonne. Récemment, un régionalisme bruxellois est apparu, en particulier au sein de l'association Manifesto qui défend l'idée de politiques culturelles et d'enseignement adaptée aux besoins de Bruxelles. Les régionalistes wallons et bruxellois privilégient un système institutionnel fondé sur trois régions avec des niveaux identiques d'autonomie et de compétences. Le mouvement flamand a toujours marqué sa préférence pour un fédéralisme à deux régions principales, la Flandre et la Wallonie, en vue du gouvernement conjoint de la région bruxelloise. 32
Le Manifeste wallon fait aussi l'objet d'analyses nombreuses dans Kas Deprez, Louis Vos, Nationalism in Belgium, MACMILAN Press, London, 1998, ST.MARTIN'S PRESS, New York, 1998.
Mais la référence de Benoît Lechat au renardisme nous permettra de mieux conclure. Après tout, lors du récent cinquantième anniversaire du CRISP, Xavier Mabille et Vincent de Coorebyter, invités à donner le nom d'une personnalité qui aurait marqué le demi-siècle écoulé, donnèrent un nom pour la Flandre, Gaston Eyskens et un autre pour la Wallonie, André Renard. La revue TOUDI s'est toujours réclamée du renardisme. Pour nous, la quête d'autonomie wallonne ne se sépare pas d'un projet de société républicain. Pour nous, la quête d'autonomie signifie que nous assumons avec ferveur la tradition des combats de la classe ouvrière en Wallonie. Le combat pour la culture wallonne ne se sépare pas de l'espoir de redonner à l'ensemble de ce que l'on appelle "les pouvoirs publics" la préséance sur les intérêts privés qui jusqu'à la fin de l'an passé ont paru pouvoir se substituer en fait à la définition de l'intérêt collectif à travers le libre débat. En fait, mais aussi, en droit, ce qui est encore plus grave. En 1983, le Manifeste pour la culture wallonne avait été accusé par la gauche d'inspiration marxiste de dissimuler derrière l'intérêt régional, les divergences d'intérêt des diverses classes sociales et, en particulier, le sort des dominés et des opprimés. Ce n'est peut-être plus un vocabulaire à la mode mais TOUDI l'a utilisé et ne renie rien là non plus. La revue demeure fidèle au refus des dogmatismes, fussent-ils ceux d'une laïcité inauthentique à nos yeux ou du grandiose projet d'émancipation humaine qu'est la pensée de Karl Marx. Nous avons vécu en 1990 (TOUDI annuel n° 4), la fin du socialisme "réel" en URSS et ailleurs. Nous y avions fait largement écho, cherchant notamment avec Habermas des alternatives à l'émancipation des êtres. L'effondrement du dogmatisme néolibéral semble moins acté par la sagesse des nations. Pourtant il est patent. Et il l'est, également, en fait et en droit. En fait parce que, au bout du compte, la crise financière et bancaire révèle que l'Etat demeure malgré les amputations qu'il a subies depuis si longtemps, le dernier recours. En droit aussi, si, simplement, on considère que le caractère démocratique de nos sociétés est un principe agissant.
Blaise Pascal dans ses Pensées a pu dénoncer de mille manières ce qu'un auteur du 19e siècle, que nous venons de citer, appelle le mécanisme idéologique. Il était très sceptique, lui le grand Croyant, devant ceux qui lui lui parlaient de la Majesté divine entrevue sur le visage du roi dont lui parlait un de ses amis qui avait croisé quelque jour le carrosse royal, ébloui. Pascal lui répondit que ce qu'il avait vu, ce n'était pas la Majesté divine mais le prestige que confère à un simple mortel la puissance de faire plier tant de monde par le dernier argument du roi, celui des canons et qu'il s'était illusionné en confondant le visage du Prince et celui de la Transcendance qui sont deux choses à autant de distance l'une de l'autre que l'infiniment grand et l'infiniment petit.
La fausse grandeur de la monarchie française qu'a désintégrée 1789, nous ne pouvons nous empêcher de dire qu'elle nous fait penser à l'écroulement, l'an passé, de tant d'arrogance assise sur tant d'actions, de titres, de produits dérivés dont les propriétaires et les gestionnaires avaient, eux aussi, un visage de Majesté divine ou de parachute doré, dont l'illusion s'est envolée. Pourquoi ne pas citer Pascal avec ces récents événements en tête, le Pascal de la La justice et la raison des effets? Il y a quelque chose dans l'ère qui s'ouvre d'une puissance publique et démocratique retrouvée qui permet à nouveau d'espérer en ce que Pascal désirait:
La justice sans la force est impuissante; la force sans la justice est tyrannique. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force; et pour cela faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit juste. 33
Post-scriptum: Nous reviendrons, dans une très prochaine chronique, sur la démarche des Etats Généraux de Wallonie dont les leaders sont des réunionistes modérés comme Claude Thayse et Jules Gheude.
- 1. Paul Romus L'évolution économique régionale en Belgique depuis la création du Marché commun, in Revue des sciences économiques, septembre 1968, p. 9, cité par Vincent Dujardin et Michel Dumoulin, L'union fait-elle toujours la force?, Le cri, Bruxelles, 2008, p.146.
- 2. Je me souviens encore de mon effarement lorsque, au début des années 90, dans un groupe de travail relations internationales, mis en place par Dehaene, j'ai entendu revendiquer par Anne-Marie Lizin, au nom du PS, la scission du corps diplomatique belge in Le Soir du 10 février page 6
- 3. http://www.youtube.com/watch?v=WK-Dc7AcGqE
- 4. http://www.youtube.com/watch?v=6sye4xJ1-Mw
- 5. Robert Deschamps, Michel Quévit, Robert Tollet, Vers une réforme de type confédéral de l'État belge dans le cadre du maintien de l'union monétaire, in Wallonie 84, n°2, pp. 95-111.
- 6. José Fontaine, La Belgique a déjà disparu, in République n° 1, pp. 1-2.
- 7. Charles-Etienne Lagasse, Les nouvelles institutions politiques de la Belgique et de l'Europe, Erasme, Namur, 2003, p. 405.
- 8. L'Écho du 5 février 2005. Voir la totalité de ce texte : http://www.uef.be/uef_v2_joomla/index.php?option=com_content&task=view&i... en particulier le point ''septimo'' que nous citons.
- 9. Vincent de Coorebyter La Belgique (con)fédérale in Le Soir 24 juin 2008. Michel Quévit, Professeur émérite à l'UCL, que l'on peut assurément décrire comme un Wallon modéré, pense, lui, que ''Le système institutionnel belge est déjà inscrit dans une dynamique de type confédéral'' et que ce confédéralisme ''est une chance pour les Wallons et les Bruxellois''
Le Soir, 19 september 2008 - 10. www.vbo-feb.be/index.html?file=131
- 11. Voir aussi Trends-Tendances du 31/8/2006
- 12. Jan Blomme, Troeven en beperkingen van de Noord-Franse havens in De Franse Nederlanden, 28e année, Stichting ons Erfdeel, 2003, pp 9-36, tableaux reproduits dans TOUDI mensuel n° 56/57, juin 2003.
- 13. http://www.nordpasdecalais.fr/dd/telechargement/indicateurs_regionaux_de_developpement_humain.pdf p. 42 du rapport
- 14. Source Jean-Pierre Rioux, La révolurion industrielle, 1780-1880, Seuil, Päris, 1989 (Coll. Points) [ISBN 2-02-000651-0] qui cite P.Bairoch, Niveaux de développement économique de 1810 à 1910, in Annales (Economies, Sociétés, Civilisations), Novembre décembre, 1965, pp 1091-1117
- 15. Philippe Desttate, L'identité wallonne, Institut Destrée, Charleroi, 1997, pages 49-50
- 16. Philippe Raxhon, Le siècle des forges ou la Wallonie dans le creuset belge (1794-1914), in B.Demoulin and JL Kupper Histoire de la Wallonie, Privat, Toulouse, 2004, pages 233-276, p. 246
- 17. Michel De Coster, Les enjeux des conflits linguistiques, L'Harmattan, Paris, 2007 pages 122-123
- 18. http://en.erih.net/index.php?pageId=114 European Route of Industrial Heritage
- 19. Yves Quairiaux, L'image du Flamand en Wallonie, Labor, Bruxelles, p. 7 Le wallon peut dominer parce qu'il est plus apte que le français à désigner les réalités nouvelles, les techniques nouvelles, de sorte que du manœuvre au directeur, dans les mines en particulier, il est la langue de la sécurité, que tous sont obligés de connaître. On peut voir aussi L.Mauchard-Mausy, Vocabulaire de la houillerie : dialecte de la région du centre, mémoire de philologie romane, ULB, 1949. Paul Minon, Le vocabulaire professionnel des mineurs de Mariemont, Morlanwelz, 1988 (manuscrit). C.Laes, La charrue et le labourage dans la région de Soignies. Éléments de dialectologie, mémoire de licence en philologie romane, Katholieke Universiteit Leuven. J.Haust, La houillerie liégeoise, réédition Liège, 1976. Pour le Nord de France où un phénomène semblable s'observe : A.Viseux, Mineur de fond, Paris, 1991
- 20. Giuseppe Pagano, Miguel Verbeke, Aurélien Accaputo, Courrier hebdomadaire du CRISP, 1913/1914 (2006)
- 21. Notre traduction de ''For years, Francophone Belgian elites defended the principle that there wre no difference between French culture in Belgium and in France. Confronted with a unified Flemish community, the idea of a unified French culture, still referring to the big partner in the south thouh stressing the Belgian context now, had to be valid for both Walloons and Francophone ''Bruxellois'', so excluding a separate Walloon culture.'' in Michael Keating, John Loughlin, Kris Deschouwer; Culture, Institutions, and Economic Development: A Study of Eight European Regions, Edward Elgar Publishing, Cheltenham, 2003 ISBN 1840647019
- 22. Dimitrios Karmis and Alain Gagnon, Federalism, federation and collective identities in Canada and Belgium: different routes, similar fragmentation in Alain Gagnon, James Tully (editors) Multinational Democracies, Cambridge University Press, 2001, pp. 137-170, p. 166 ISBN 0521804736.
- 23. Nous traduisons : ''not only a provincial region, it is also a different country from one that possesses linguistic legitimacy : France. It is worth noting that a positive image -relying on affective and non linguistic qualities - is given of this peripheral region. On the other hand, the novels are intended to obtain literary recognition by exploiting the exoticism of this milieu [...] In his writings, Masson manages to convey the ambivalent attitude of educated Francophone Belgium: regional varieties of French are felt to have positive affective features but lack sophistication. By dividing his writings between two areas - his character's language which unshamefully uses regional features and his own language, which aims at neutrality - Masson tried to resolve the tensions of a national linguistic inferiority complex.'' in Emmanuelle Labeau The paradox of Linguistic specificity and Dependence on Central Norms in the Belgian Regionalist Novels of Arthur Masson in Kamal Salhi Francophone Post-colonial Cultures: Critical Essays, Published by Lexington Books, 2003 pp 275-282, p. 282 ISBN 073910568X : http://books.google.co.uk/books?id=Legc2mKR3-8C&printsec=frontcover&source=gbs_summary_r&cad=0#PPA282,M1
- 24. Nous traduisons: ''The Walloon dialect has carried neither official status as a language in administrative, ecclesiastical, or political affairs, nor sufficient weight to act as a popular and influential vehicle for the expression of Walloon cultural identity. This latter task has fallend instead in the last thirty years to politically conscious writers in French who published for instance a '' Manifesto for Walloon culture'' in Philip Mosley, Belgian Cinema and Cultural Identity'', Suny Press, New-York, 2001,p. 19 ISBN 0791447472
- 25. Pierre Eliott Trudeau, ancien Premier ministre canadien qui tenta de briser le nationalisme québécois par un langage qui est effectivement proche des critiques adressées au Manifeste comme l'accusation de "repli sur soi" que Sarkozy vient d'ailleurs de reprendre à l'égard du nationalisme québécois.
- 26. Nous traduisons ''In Brussels, despite the federalization process the unitary vision historically characteristic of the Franco-Bruxellois still seems to have some hold. In the eyes of many Franco-Bruxellois, the country is far from the picture proposed by the ''Manifeste pour la culture wallonne''. Home of the the EU Commission, Capital of Belgium and bastion of pan-Belgian nationalism since 1830, Brussels tends to be contemptuous of Walloon and Flemish identities, which are considered too particularistic in the context of the European integration. Brussels pan-Belgian nationalism has professed moral superiority and has often conceived itself as the path toward a more universal belonging, in a perspective similar to Trudeau's vision...'' in D.Karmis and A.Gagnon, Federalism, federation and collective identities in Canada and Belgium: different routes, similar fragmentation, p.168.
- 27. Michel Biron, DE LA BELGITUDE, Jacques Sojcher publie La Belgique malgré tout in Jean Pierre Bertrand, Michel Biron, Benoït Denis et Rainier Grutman (directeurs) Histoire de la littérature belge, Fayard, Paris, 2004, pp. 489-497, p. 496.
- 28. Jacques Dubois, Création de la Communauté française de Belgique in Histoire de la littérature belge, op. cit, pp. 499-511.
- 29. Nous traduisons ''The "single French culture" is still the official discourse, and is defendedf by the French community authorities (...) The Walloon movement of today, supported by a small number of intellectual elites, defends very much the typical Walloon difference, but has not been able to moblise for it.'' in Michael Keating, John Loughlin, Kris Deschouwer Culture, Institutions, and Economic Development: A Study of Eight European Regions'', pp.96-97
- 30. http://www.bruxsel.org/?q=fr/appeal Nous existons
- 31. Nous traduisons ''so that the Brussels manifesto has given the Walloon "regionalists" an opportunity to remind everyone that they have been calling for an end to the French-speaking Community and the transfer of its powers, especially its responsibilities for education and culture, to the Walloon Region since their 1983 "Manifesto for Walloon culture"... http://www.brusselsstudies.be/PDF/EN_61_BruS19EN.pdf The institutionnal future of Brussels double vision
- 32. Nous traduisons ''Although the cultural aspect was already present in the renardisme, it was with the Manifeste pour la culture wallonne that culture truly became a priority within the Walloon culture. Conversely, some defenders of the French-speaking community have supported the idea of a fusion between the Walloon Region and the French-speaking Community. It’s the argument of the “French-speaking Nation” defended at the time by the president of the PRL, Jean Gol, and others who blamed the regionalists of “falling back on" a Walloon identity. Recently a Brussels regionalism has arisen, in particular through the association “Manifesto” which advocates the development of educational and cultural policies adapted to the needs of the Brussels Region. The Walloon and Brussels regionalists privilege an institutional system based on three Regions with equal levels of autonomy and power. The Flemish movement has always preferred a system composed of two main regions, Flanders and Wallonia, for the joint rule of the Brussels Region." in An alphabetic guide to the Belgian community dispute By Benoit Lechat, chargé d’études à Etopia August 2007 http://www.boell.de/internationalepolitik/internationale-politik-2129.html Heinrich Bôll Stiftung.
- 33. http://www.croixsens.net/pascal/page7.php
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Vers la fin des transferts?