Hyper-modernité des militants wallons et québécois
Ce diagnostic élogieux est neutre parce qu’il vient d’ailleurs, et doublement. Il s’agit de la thèse de doctorat récemment présentée par Christophe Traisnel à Paris II et Montréal et intitulée Le nationalisme de contestation, Le rôle des mouvements nationalistes dans la construction politique des identités wallonnes et québécoise en Belgique et au Canada. Christophe Traisnel est français, mais il a pris le temps de longuement comprendre les deux mouvements en question. En quelque sorte avec sympathie, mais une sympathie qui provient surtout du fait que l’auteur, un Français, se dégage assez complètement d’une vision induite par la vision politique française de la nation ou de l’État, ce dont beaucoup de Français ont parfois quelque peine à se défaire. Et la sympathie vaut aussi objectivité dans ce cas, notamment parce que l’auteur a admis la pertinence de ces deux démarches. Simplement, la pertinence. Il ne les justifie pas. Il les examine. Il est de son temps, puisqu’il a marqué aussi ses distances vis-à-vis de la théorie (de la philosophie...) du soupçon, pariant que les militants nationalistes et leur discours doivent êtres considérés comme signifiant ce qu’ils disent. Sa thèse s’éloigne de ce qu’il appelle la « codification » du mouvement wallon et du mouvement québécois en termes marxistes, codification à laquelle ces mouvements ont eux-mêmes procédé dans les années 60 et 70. En lisant ce terme de « codification », le lecteur de TOUDI sursautera. La grille marxiste d’analyse n’est tout de même pas seulement une « codification ». Nous aurons cette objection à l’esprit tout au long du compte rendu de cette thèse, mais elle ne doit pas nous handicaper malgré tout. Il faut bien voir que cette thèse qui a brassé un matériel immense (dont de très nombreuses interviews réalisées sur le terrain à l’occasion de nombreux séjours tant au Québec qu’en Wallonie), qui dénote une connaissance peu fréquente des questions nationales en Belgique et au Canada, a le mérite immense d’avoir très bien circonscrit son sujet.
Cette thèse intéressera en particulier les lecteurs de TOUDI, car, d’une certaine façon, c’est leur portrait que l’on fait ici et aussi la place qu’ils jouent dans ce nationalisme de contestation qui paraît bien être le plus neuf des mouvements sociaux.
La comparaison Québec/Wallonie : comment elle est justifiée
Une autre objection qui n’a pas manqué d’être formulée à cette thèse, c’est le fait que le Québec et la Wallonie sont dans des situations fort différentes. À cela l’auteur répond que les militants wallons et québécois sont dans la même position tant vis-à-vis de leur nation de référence que vis-à-vis de la Gouverne locale. Il cite Anne-Marie Thiesse (La création des identités nationales, Europe XVIIIe siècle-XXe siècle, Paris, Seuil, 1999, p. II) : « la véritable naissance d’une nation, c’est le moment où une poignée d’individus déclare qu’elle existe et entreprend de le prouver. ». J’ai souvent critiqué cette manière de voir les choses que l’on découvre chez ceux qui tentent en fait de discréditer le mouvement wallon par des analyses que leur position dans le monde académique les amène à considérer comme étant seules « scientifiques ». Leur position intellectuelle étant une position implicite qu’ils ne prennent pas la peine de mettre en cause, à savoir que, si l’identité wallonne a à être construite, celle de la Belgique étant acquise, la réussite relative de cette construction lui épargnerait la même mise en cause que celle qui vaudrait seulement pour le discours identitaire wallon. De ce point de vue, Traisnel est d’une rare honnêteté puisqu’il admet que la France est l’un des pays dans le monde qui a le plus investi dans la fabrication de son identité à travers l’enseignement obligatoire après 1870. Cependant, il évacuera (en partie) la question de savoir ce qui peut éventuellement justifier (ou pas), telle ou telle construction identitaire. Il se contentera de caractériser le nationalisme de contestation comme un « mouvement social » à l’instar du féminisme, du mouvement ouvrier ou de l’écologie, position qui n’est peut-être pas absolument nouvelle, mais qui est rare.
Ceci dit, l’auteur écrit immédiatement que cette volonté de fabrication d’une identité est la résultante d’un conflit réel (tant pour la Wallonie que pour le Québec). Cependant, cette volonté est bien plus délicate à imposer, parce que, si les mouvements identitaires revendiquent le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ils sont face à des États qui, certes, imposent une autre doctrine nationale que la leur, mais par les mêmes méthodes que les mouvements de nationalisme de contestation eux-mêmes : des méthodes démocratiques. Pour l’auteur, l’État est lui-même un acteur nationaliste, simplement concurrent du nationalisme de contestation, avec, sans doute, l’avantage de disposer de moyens plus étendus.
L’auteur pense que les nationalistes doivent être pris non pas à proprement parler « au sérieux », mais comme défendant ce qu’ils disent : « Si l’on considérait leur discours identitaire en tant que tel... » (p.12). Ceci l’amène à formuler son hypothèse centrale : « Ce qui détermine, dans un contexte particulier, l’existence d’une nation/communauté de citoyens distincte de celle représentée par l’État, c’est la présence d’un acteur collectif, qu’on appellera mouvement nationaliste, qui a réussi à configurer, par son action, ses mobilisations et ses réflexions politiques, des facteurs de distinction sociale en vue de leur donner un sens politique constitutif d’une doctrine identitaire, et que ce sens entre en contradiction et menace directement la propre doctrine identitaire de l’État, tout en trouvant un écho certain au sein de l’espace politique dans lequel il s’exprime et dans lequel il parvient à créer des croyances collectives nouvelles. Ce mouvement doit être capable de configurer ces faits sociaux et de les transformer par le discours en cause politique. C’est là la thèse centrale de cette recherche : de l’acteur nationaliste dépend l’existence de la nation et la forme que peut prendre l’identité nationale. » (pp. 13-14).
Pour l’auteur, il y a bien, au Québec comme en Wallonie, deux mouvements nationalistes opposant des doctrines identitaires hostiles à l’État canadien ou belge (quoique pour des raisons différentes), et il existe aussi (récemment en Wallonie – 1980-1990 – plus anciennement au Québec – 1867), une gouverne locale à l’écoute de ces mouvements nationalistes et qui reprend leur discours national. Dès lors la comparaison s’impose, peu importe les différences profondes entre les parcours historiques des deux pays.
Prise en compte des mouvements sociaux et du militantisme nationaliste
C.Traisnel discute évidemment en profondeur les définitions diverses de la nation que la science politique a données récemment. Le mot « nationalisme » n’est pour lui chargé d’aucune connotation péjorative. D’ailleurs, les États établis sont eux-mêmes nationalistes, tendant à donner de la nation dont ils sont l’État la définition qu’ils imposent. Les nationalismes de contestation mettent en cause cette doctrine, ils sont le fait des acteurs sociaux. Le nationalisme de contestation est un « mouvement social » (on reviendra sur la définition de cette expression). Mais le nationalisme de contestation, contrairement aux autres mouvements sociaux, met en question l’unité de l’État et ne souhaite pas seulement modifier les sociétés dans le cadre étatique (p.62). Il peut y avoir aussi des degrés dans la contestation. C’est ainsi que tous les Québécois sont nationalistes, mais les uns souhaitent un réaménagement de l’État pour que le Québec soit considéré comme société distincte et que celle-ci s’épanouisse. Les souverainistes veulent que ce soit l’État québécois qui le fasse. Dans l’État belge, pense l’auteur : « le nationalisme flamand a presque évacué toute référence à la Belgique en Flandre, après avoir, en collaboration avec les Wallons, transformé l’État unitaire belge en État fédéral au sein duquel les compétences de l’État fédéral sont définies a minima. » (p.64). Sur ce point, on peut se poser quand même des questions. Ce n’est pas aussi sûr. De Standaard par exemple a entrepris sur un long mois de publier une histoire classique de la Belgique…
Il faut voir quels sont les préjugés français et de la science politique française : « Si l’analyse de la nation est tant marquée en France par une référence à l’État et tant rétive à une analyse de la nation ” sans État ”, c’est peut-être à cause de la faiblesse des analyses consacrées en science politique à l’étude des mouvements sociaux et à leur rôle dans le champ politique. Longtemps, la science politique s’est désintéressée d’une littérature d’abord développée par les sociologues. Encore maintenant par exemple, la notion de mouvement social n’est pas intégrée dans le dictionnaire de la science politique et des institutions comme objet politique, et aucune définition n’en est proposée, ni même aucun renvoi. » (p.76)
D’une manière générale d’ailleurs, par rapport à la théorie démocratique de l’État représentatif et démocratique, les mouvements sociaux sont suspects, donc fatalement aussi les nationalismes de contestation. (p.77) Ils sont suspects parce que le cadre juridique de l’État démocratique peut sembler le seul légitime avec l’action des partis politiques en son sein.
Un autre intérêt de cette thèse, c’est de rompre avec l’analyse des mouvements sociaux s’intéressant seulement aux intérêts économiques de leurs acteurs. Traisnel se contente de montrer que les mouvements sociaux produisent du sens ou des sens et que « le mouvement nationaliste, comme tout mouvement social, agit sur les symboles, entretient et réfléchit sur ses valeurs, et au travers de rituels ou de pratiques et de manifestations communes, contribue à la construction de ses propres mythes et croyances. » (p.85)
Mais, « Si le mouvement social, par le processus de construction des cadres de référence, est capable de se construire sa propre identité politique, est-il pour autant capable d’intervenir sur les identités sociales ? Le mouvement féministe peut-il, au-delà de l’identité collective ”féministe” contribuer à la fabrication de l’identité collective ” femme ” ? Cette question se pose aussi pour les nationalistes, et leur rapport à l’identité ”nationale”. » (p.89). La réponse va en quelque sorte de soi : les mouvements nationalistes n’agissent pas seulement dans le sens de leur propre représentation, mais aussi des identités sociales plus globales : « le mouvement social produit ainsi sa propre identité collective dans son interaction avec les autres acteurs sociaux, mais cette identité propre au mouvement n’est pas la seule à faire l’objet d’une construction et d’une politisation. Chaque mouvement, qu’il s’agisse des mouvements féministes, des mouvements environnementalistes, du mouvement pour l’égalité des droits aux États-Unis va (…) définir (…) la vision collective par le mouvement du groupe de référence et (…) l’auto-représentation du mouvement par lui-même. » (p.91). Les deux choses vont de pair.
Le militantisme est aussi un « processus de construction identitaire à la fois individuel et collectif » (p.95). Le militant dépasse la structure et d’ailleurs « l’existence d’une identité militante commune est le premier indicateur de l’existence du mouvement en tant que mouvement social » (p.100). Ce militantisme est attaché à la mouvance plutôt qu’à l’organisation. D’où cette définition du militantisme que je juge importante : « Que l’individu soit un professionnel de la politique, qu’il soit permanent, cotisant adhérant, sympathisant, manifestant occasionnel, la définition du militant dépendra moins de sa désignation ou d’une qualification qui lui serait d’emblée imposée, que de l’auto/désignation comme membre du groupement au sein duquel il agit. Par définition, un mouvement n’a pas de frontières ou de limites définies ou plutôt ces dernières sont changeantes et traversées de flux, d’arrivées et de départs d’organisations comme de membres, suivant les prises de position et les changements qui s’expriment au sein des organisations. Il est impossible de quantifier précisément les militants au sein des mouvements sociaux. Il n’en demeure pas moins que ces individus, par leurs actions et leurs réflexions collectives, produisent du militantisme. Les membres du mouvement sont en contact les uns avec les autres, ils se perçoivent et se désignent comme militants, et ils jouent un rôle tant dans le mouvement que dans la structure à laquelle ils déclarent appartenir. » (p.101).
L’ « importance » du mouvement nationaliste
Nous avons tendance à nous demander plutôt quelle est la représentativité du mouvement, le nombre de ses adhérents... alors que ce qui est essentiel c’est de voir le fonctionnement du militantisme. « Ce n’est pas tant l’existence d’une coordination prise en charge ou l’ordre imposé par une seule organisation au sein du mouvement qui détermine le succès d’un mouvement, mais la capacité d’organisations, à l’intérieur même du mouvement, à entretenir et préserver entre elles des références, des pratiques et des croyances communes rendant possible des rapports de coopération et de coordination dans la poursuite de la cause commune, quitte à bureaucratiser cette coordination, moins imposée au mouvement que produite par lui-même. » écrit l’auteur. L’important c’est, par exemple, le fait que le mouvement wallon qui existe depuis un siècle « produit une intense réflexion sur la Wallonie » (p.108) et que la vie de ce mouvement, comme du mouvement souverainiste québécois (plus récent), « est ainsi rythmée par l’utilisation d’un répertoire d’action commun, et par l’existence d’un agenda propre au mouvement... » (p.111). Le mouvement nationaliste en voulant créer l’identité nationale crée la sienne (p.112).
La réussite de ces mouvements est d’avoir pu faire exister un « nous » communautaire porté par un « nous » militant. Et même si, dans le cas du mouvement wallon, comme nous le verrons, le « nous militant » n’est pas parvenu à imposer durablement la croyance en l’existence d’une communauté wallonne. Même si le mouvement québécois qui y est parvenu, ne parvient pas non plus à imposer à la majorité de la nation québécoise sa propre vision de cette nation.
S’il y a insistance sur le mouvement nationaliste en tant que mouvement social, ce sont les acteurs qui sont les plus à même de dire ce qu’est la nation. L’auteur lui-même l’avoue, il lutte ici contre des préjugés répandus dans les milieux scientifiques et c’est (à la limite) de cette caution scientifique dont manquent le plus les mouvements sociaux nationalitaires. « Quant aux études sur le nationalisme et ses rapports à la nation, » écrit-il, « elles ne privilégient guère une approche en terme de mouvement social et focalisent plutôt sur les aspects idéologiques ou strictement identitaires du nationalisme véhiculé en insistant par exemple, comme le fait Benedict Anderson, sur les aspects structurels déterminant la construction sociale des nations, sur le rôle de l’État, sur le fond de la doctrine identitaire elle-même ou des intellectuels qui ont ” pensé la nation ”, mais très rarement sur les acteurs qui ont fabriqué de toute pièce des identités nationales à travers leurs actions politiques et leurs réflexions identitaires. » (p.114)
Les « laboratoires de l’identité »
Christophe Traisnel qui a bien étudié tant le Québec que la Wallonie, est à même de distinguer les deux pays du point de vue de la lutte nationale. « Les mouvements wallon et souverainiste québécois », écrit-il, « peuvent paraître a priori très différents. Il n’en demeure pas moins que ces mouvements sont tous deux marqués par leur travail d’action collective en vue d’une mobilisation tous azimuts des soutiens de la cause qui les rassemble, ainsi que par un travail collectif de réflexion sur l’identité, et de production d’une doctrine identitaire propre au mouvement. En ce sens, ils assurent la principale fonction de tout mouvement social : produire de l’identité. Chaque mouvement procède différemment dans son rapport à la construction de l’identité nationale : si le mouvement souverainiste est d’abord dominé par un parti politique dans le cadre d’une mobilisation électorale ou référendaire, le mouvement wallon, après les périodes d’importants engagements sur la scène électorale autour de la réforme en profondeur de l’État belge et du fédéralisme, concentre désormais l’essentiel de ces actions dans un important travail de réflexion identitaire, en collaboration avec les institutions wallonnes, et laisse donc les militants wallons s’investir au sein des forces politiques traditionnelles, en particulier au sein des familles libérale et surtout socialiste. » (p.176).
Il nous semble cependant que Christophe Traisnel aurait pu mieux souligner le fait que le mouvement souverainiste s’épanouit à la fin des années 60 au moment où le Québec se modernise et voit son développement faire un immense bond en avant (la Révolution tranquille). Alors que le mouvement wallon a été, pratiquement dès le départ, un mouvement qui est né au moment où, globalement, même si elle domine encore sur le plan économique, la Wallonie connaît les premiers (certes modestes alors) à-coups de sa prospérité. Mais si l’auteur ne le dit pas assez, c’est parce qu’il est surtout préoccupé de percevoir le travail des mouvements identitaires. On regrettera quand même malgré tout qu’il insiste trop peu sur les mobilisations syndicales qui sont semblables au Québec et en Wallonie. Mais ce qui est pour lui le plus important, ce sont ces laboratoires de l’identité :« les deux mouvements sont identiques dans leur démarche par rapport à l’identité collective : ils revendiquent et usent du droit de dire ces identités chacun à leur manière, en fonction des possibilités politiques qui leur sont offertes, en fonction des registres d’action et des cadres de référence qu’ils peuvent adopter. » (p.215). Le mouvement souverainiste s’adresse principalement à la population, le mouvement wallon principalement à la Gouverne locale. Dans chaque cas, le mouvement nationaliste est une nébuleuse (p.218). Le mouvement wallon (comme mouvement politique, moins comme mouvement de réflexion et identitaire), est victime de son succès, à la mesure de la large autonomie conquise (ce sur quoi l’auteur ne cesse de revenir et il insiste souvent sur le fait que la Wallonie est bien plus autonome que le Québec).
Le « nous » des souverainistes québécois désigne plus clairement l’ensemble du mouvement souverainiste que le « nous » des militants wallons qui parfois disent ainsi leur tendance au sein de ce mouvement. Il est à noter que les « laboratoires de l’identité » en Wallonie invitent souvent des Flamands aux journées de travail qu’ils organisent et qu’au Québec, l’opposition est plus forte aux fédéralistes qu’aux « Anglais ». Il y a aussi, de part et d’autre de l’Atlantique, un lien fait entre la revendication nationale et les mouvements sociaux (luttes ouvrières en Wallonie, révolution tranquille au Québec). Une particularité des laboratoires de l’identité wallons, c’est qu’ils possèdent la capacité de « construire un fonds de connaissances scientifiques sur la Wallonie » (p. 255 ), au niveau économique, politique, culturel, sociologique, historique. Au Québec, ces laboratoires de l’identité s’expriment et agissent « par des réseaux d’intellectuels engagés et les partis politiques souverainistes, les plus à même de traduire en projet politique les réflexions identitaires des d’intellectuels. Comme l’Institut Destrée, les intellectuels souverainistes opèrent la jonction entre les mondes scientifiques, universitaires et artistiques, et le petit monde des militants, la vie ” interne ” du mouvement et ses préoccupations identitaires et politiques... » (p.256). La lutte identitaire du souverainisme québécois est plus difficile, car elle se heurte à une action canadienne qui lui est clairement opposée.
Il existe une similarité du mouvement nationaliste au Québec et en Wallonie, qui tient à ce que ces deux mouvements remettent en question la nation défendue par l’État, mais aussi parce qu’il y a une référence aux valeurs sociales-démocrates (p.264), y compris au niveau mondial (p.269).
Les doctrines identitaires et leur transmission à la Gouverne locale
« Tout comme l’État », écrit l’auteur, « met en œuvre de manière plus ou moins hégémonique une approche unique, une réflexion cohérente, scientifique et rationnelle sur l’identité ” nationale ” à travers les instruments des droits, de la citoyenneté ou de la représentation politique institutionnalisée, le mouvement lui aussi, presque par mimétisme tente de produire ce type de réflexion, mais à sa manière, au travers des instruments politiques qui sont à sa disposition, et selon ses propres objectifs politiques de reconnaissance et de représentation. » (p.289)
La différence tient au fait que le discours identitaire canadien (qui est récent), n’est pas accepté par le Québec. « Le Québec, dans sa grande majorité, n’a pas fait sienne la doctrine identitaire de l’État proposée par Trudeau au Canada. Alors que la Belgique avait réussi, en tout cas au début, à créer au sein de son élite politique un consensus autour de son indépendance, de sa monarchie, de ses institutions, le Canada a échoué à cause d’une approche unitaire et centralisatrice par trop ambitieuse et qui s’est heurtée de front au Nation building déjà largement entamé au Québec autour d’une gouverne québécoise considérée comme l’État du Québec. » (p. 295). En revanche, l’État belge reconnaît la dualité et tente d’amalgamer la vieille doctrine unitariste (l’unité de l’âme belge), et le fédéralisme (la reconnaissance des deux particularismes).
On peut donc souligner ici, nous semble-t-il, que la grande différence entre le Québec et la Wallonie tient à l’âge des discours identitaires. Au Canada, le discours de l’État canadien est neuf, et il est conçu comme une réaction au discours nationaliste québécois, lui même neuf (milieu des années 60). En, Belgique, il y a eu un discours nationaliste belge qui s’est adapté à l’évolution de la réforme de l’État. La tendance du mouvement nationaliste, tant au Québec qu’en Wallonie, c’est d’identifier le mouvement à l’histoire du Québec ou de la Wallonie (p.323). Ce qui différencie à nouveau la Wallonie du Québec, c’est que, selon l’auteur, en Wallonie, les mouvements wallons disposaient d’une avance par rapport aux jeunes institutions wallonnes (p.353). Cependant, nous nous devons de remarquer que le discours identitaire wallon n’a pas été aussi fourni que cela avant le passage à l’État fédéral. Et que le discours nationaliste wallon a subi lui aussi plusieurs mutations.
Il y a un « transfert doctrinal du mouvement souverainiste vers la gouverne québécoise » (en 1976), notamment par l’adoption de la Charte de la langue française, du fait que la langue française devient la langue officielle au Québec… (p.365), des missions confiées au MNQ d’organiser la fête nationale. Il y a la motion adoptée le 31 octobre 2003 par l’Assemblée nationale selon laquelle le Québec est une nation (p.378). Il y a la loi 101 défendant également le français au Québec : cette loi n’est plus considérée comme une loi souverainiste, mais comme la loi de tous les Québécois (p.384).
L’auteur cite aussi de nombreuses initiatives des Gouvernements wallons qui vont dans le sens de ce que propose le mouvement nationaliste et en particulier son principal « laboratoire de l’identité » à savoir (en Wallonie) l’Institut Destrée. Pourquoi le Gouvernement québécois, comme le Gouvernement wallon , sont-ils si preneurs de discours identitaires ? Parce que ces gouvernes locales veulent montrer qu’elle ne sont pas « simplement un guichet ou une simple succursale subsidiaire de l’État central ou encore l’un de ses démembrements (…), mais bien une entité dont la légitimité démocratique se trouve dans l’existence d’une culture et d‘une identité immanentes : d’une communauté distincte et originale dont les institutions représentatives constituent l’expression politique. » (p.422). Mais l’auteur veut montrer aussi que le nationalisme wallon ou québécois se dégagent de l’existence d’institutions étatiques. Il veut indiquer que le mouvement wallon est un mouvement social (ou le mouvement québécois). Si le mouvement wallon parvient à influer sur le Gouvernement wallon et celui-ci sur l’opinion, alors le mouvement nationaliste aura gagné. Mais les institutions wallonnes sont beaucoup plus « timorées » qu’au Québec (p.432).
La réaction s’organise. Au discours identitaire wallon, s’oppose un discours antiwallon (ou plus exactement anti/identité wallonne).« Le discours wallon et wallingant du mouvement wallon comme des institutions de la Région wallonne provoque la réaction au sein de la société civile belge des organisations ou des institutions plutôt favorables à la Belgique, ou attachés à une Belgique unitaire. C’est notamment le cas de la presse nationale belge de langue française, comme la Radio Télévision Belge Francophone (RTBF), Le Soir de Bruxelles, ou La Libre Belgique, mais aussi la presse internationale, peut-être encore peu sensible au processus de construction d’une identité wallonne, processus discret qui n’a pas encore gagné réellement les sentiments d’appartenance d’une population wallonne encore majoritairement attachée à son identité belge... » (p.455). On se devrait d’apporter quelques nuances depuis que ces observations ont été faites. Mais le constat n’en reste pas moins frappant. À nouveau, il faut dire que « La présence même du mouvement nationaliste constitue en soi un élément de l’identité nationale (…) Ni l’accession à la souveraineté, ni la création d’un État-nation ne sont un préalable à l’existence de la nation… » (p.473)
Mais si la doctrine identitaire et le mouvement nationaliste qui la porte sont autonomes par rapport à l’État, il n’en reste pas moins que « la configuration institutionnelle de la Belgique francophone renforce la division entre les forces politiques francophones et rend impossible tout consensus sur l’identité. » (p.482). L’auteur de la thèse insiste pour cette raison sur l’importance des Manifestes wallons. Les sciences sociales sont en Belgique comme au Québec en première ligne sur la question des appartenances
Une comparaison des sentiments supposés d’appartenance (« Les deux » signifie par exemple « québécois et canadiens », « Plus E que N » signifie « Plus canadiens que québécois » et « seulement » à droite du tableau signifie par exemple « seulement canadien ». Ce tableau qui a été composé par nos soins illustre peut-être l’ « hésitation » dont nous parlons à la fin de l’article : on obtient toujours une majorité en regroupant les trois résultats à partir de la droite ou les trois résultats à partir de la gauche (en excluant le « ne sait pas »). La réponse « les deux » est majoritaire (relativement) dans les trois pays.
Je me sens |
Seulement |
D'abord |
Les deux |
Plus E que N |
Seulement E |
Ne sait pas |
Québécois |
16,8 |
30,1 | 33,3 | 12,3 | 6,8 | |
Catalan | 10 | 17 | 44 | 16 | 12 | 1 |
Wallon | 1,8 | 9,5 | 43,6 | 24,7 | 17,6 | 2,2 |
Enquête québécoise citée par Traisnel (de 1998), enquête wallonne du PIOP cité dans Oser être wallon (de 1995) et enquête catalane citée dans S.Paquin La renaissance des petites nations, VLD, 2001 in David McCrone, Sociology of nationalism, Londres, Routledge, 1998, p.139 (de 1995)
L’échec wallon comme l’échec québécois
Qu’est-ce que l’échec wallon ? « En, Wallonie, le succès remporté par le mouvement wallon et ses thèses fédéralistes avec la création de la Région wallonne, le conduit à s’exprimer d’abord par l’intermédiaire des institutions dont il est à l’origine, mais peine à convaincre une population wallonne sceptique quand à l’existence d’une identité wallonne qui viendrait justifier l’existence d’une telle région, et méfiante vis-à-vis de toute forme de nationalisme. Les institutions wallonnes poursuivent leur travail de diffusion d’une doctrine identitaire wallonne et régionaliste héritée du mouvement, en contribuant, là aussi, à un processus d’autonomisation de l’espace public d’autant plus lent qu’ il subit la concurrence d’une francité belge et plus largement française (il n’y a pas très longtemps, la Communauté Wallonie/Bruxelles s’appelait Communauté française de Belgique), posant de manière permanente la question de la pertinence de la doctrine identitaire wallonne. » (p. 491). Quant à l’échec québécois ? « Les souverainistes n’ont pas encore réussi à convaincre une forte majorité de Québécois d’accepter la lecture particulière qu’ils dont de l’identité québécoise et la perspective qu’elle suppose… » (p.495), à savoir l’indépendance.
Même les Québécois « seulement » ne votent pas nécessairement OUI au référendum estimant que la situation actuelle convient au Québec. Le mouvement wallon peine à convaincre la population wallonne de son existence en tant que peuple parce que celle-ci est sollicitée par de multiples appartenances : wallonne, francophone française, belge et européenne.
La nécessité d’en privilégier une est importante. C’est la nécessité « de tout discours constitutionnel, de contribuer à produire la représentation du Nous au nom duquel s’exerce le pouvoir et la démocratie » (Bourque Gilles et Duchatsel, Jules, L’identité fragmentée, Montréal, Fides, 1996, p.19). Jenson Jane dit que la plus grande reconnaissance, c’est celle du passeport de sorte que la charge de la preuve d’une autre appartenance incombe aux gouvernes locales et aux mouvements sociaux, pas à l’État existant.
S’il y a échec quelle issue ?
« En quinze ans, en Wallonie comme au Québec, les débats identitaires qui animent les sphères intellectuelles ont changé. La question nationale est désormais plutôt saisie non plus à travers les systèmes d’encodage marxiste qui ont plutôt dominé dans les années 1970 (lutte contre l’État et une idéologie qui entretient une forme de domination sociale fondée sur l’accumulation du capital), ou même ceux plus libéraux des droits de l’homme, qui ont connu leurs heures de gloire en sciences sociales au milieu des années 1990 (ingérence, droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, anticolonialisme), mais à travers un double système de valeurs : l’humanisme universaliste et l’exception culturelle, non pas appréhendés dans leur apparente antinomie, mais plutôt à travers le rapport plus confidentiel et dialectique que ces deux systèmes entretiennent notamment dans les débats sur la citoyenneté, thématique agençant l’exigence d’universalité et la nécessité du respect du droit à la différence, et très présente dans les productions intellectuelles québécoises et wallonnes contemporaines sur l’identité collective. » (p.504).
Il y a une tendance à reposer la question de l’identité nationale par le réaménagement des rapports des citoyens concernés avec la Gouverne locale qui correspond le mieux à la communauté imaginée. Ceci permet l’agencement « d’un espace de parole, dans la cadre de la communauté politique telle qu’imaginée par le mouvement nationaliste, sans mettre en cause l’intégrité de l’État central et rendant ainsi possible, au moins sur la question de l’affirmation nationale, un consensus local. La question nationale, en même temps qu’elle est objet du débat, devient alors ainsi aussi le cadre légitime du débat, puisque c’est désormais dans ce cadre qu’est d’abord abordée la question de la citoyenneté. » (p.505). L’idée intéressante c’est que, d’une part, la citoyenneté est universelle et que, d’autre part, elle a une dimension particulariste « parce que le statut de citoyen ne peut être délivré que par les États, en vertu de systèmes normatifs qui leur sont propres et qui intègrent les diverses particularités sociales, historiques, culturelles et politiques sur lesquelles ils se sont construits, c’est-à-dire une nationalité, constitutive de la citoyenneté. » (p.506)
J’ai souvent pensé que, à partir de la publication du Premier Manifeste wallon (1983), il y avait eu une influence sur nous du Québec dont plusieurs promoteurs du texte de 1983 connaissaient les parcours (Jacques Dubois, Julos Beaucarne, moi-même). Mais ce que les Manifestes ont peut-être surtout révélé, ce serait plutôt la discordance au sein du mouvement wallon entre l’orientation vers la France, l’autonomisme wallon et la défense des Francophones belges. Et aussi, ce qu’ils ont peut-être réellement inauguré, c’est un discours identitaire, du moins l’évolution du discours identitaire vers des modes plus accomplis. La notion de « culture » était effectivement la visée, mais aussi un biais par lequel on voulait faire de la Wallonie une communauté autre qu’administrative.
Conclusions
Si le mouvement souverainiste québécois est neuf, il est aussi une mutation du discours nationaliste Canadien-français s’adaptant peu à peu à la Gouverne québécoise. Le mouvement wallon n’a jamais eu avant 1993 une vraie Gouverne à influencer, même si la Région wallonne existe depuis 1980. Traisnel dit : la moitié des années 90 et cela nous semble exact, mais on peut dater la montée en puissance institutionnelle de la Wallonie de l’année où est admis le principe selon lequel une compétence régionale vaut équivalemment à l’intérieur de la fédération belge et sur la scène internationale. Soit au lendemain de l’époque où Guy Spitaels prit le pouvoir en Wallonie: en 1992.
a. deux histoires différentes, deux mouvements nationalistes
Le mouvement wallon, plus jeune que le nationalisme canadien français (ce que cette thèse ne souligne peut-être pas assez tout en remarquant que le mouvement wallon est plus vieux que le mouvement souverainiste), a revendiqué depuis très longtemps une Gouverne wallonne qu’il n’a obtenue que voici peu. Cette Gouverne qui a ensuite sollicité les services de « laboratoires de l’identité » qui avaient eu le temps de mettre au point un discours national très rôdé (selon l’auteur) et qui permet à cette Gouverne de n’être pas qu’un guichet administratif. Traisnel insiste sur le fait que les institutions wallonnes sont aussi les ébauches d’un État souverain potentiel (p.529), alors que, au Québec, l’État souverain est « à venir » (ibidem). Nous avons déjà parlé du succès des « laboratoires de l’identité » côté wallon (une Wallonie se voulant démocratique et progressiste, humaniste, désireuse d’étendre la citoyenneté de manière universelle à tous ses habitants) et des succès du mouvement souverainiste au Québec (loi 101 notamment). Le travail de Traisnel montre aussi que dans ce domaine d’autres acteurs interviennent que la Gouverne locale ou le mouvement nationaliste et, notamment, en Wallonie, l’État belge ne contredit pas directement la Nation building wallonne (seuls certains éléments de la société civile belge comme les médias francophones selon l’auteur). L’échec wallon tient au fait que le mouvement nationaliste a « échoué (jusqu’à présent) à mobiliser durablement la communauté wallonne atour de l’existence d’un peuple wallon distinct » (p.531), ce qui est dû à une certaine incohérence de la doctrine nationaliste wallonne qui peut être aussi française ou francophone belge. Mais les laboratoires de l’identité sont mieux à même de produire cette doctrine cohérente et la Gouverne wallonne est prête à prendre ce discours à son compte. Au Québec, en revanche, le mouvement nationaliste a réussi à créer l’unanimité nationale sur l’existence d’un peuple québécois.
De chaque côté de l’Atlantique deux petits peuples ont créé un débat original : « les citoyens canadiens du Québec comme les citoyens belges de Wallonie se voient, par la présence même d’un débat politique et d’un discours alternatif identitaire local, qui n’existe nulle part ailleurs en ces termes (Wallonie, région d’Europe ou Wallonie, région, de France ? Nation Québécoise, Québec souverain ?), conviés presque malgré eux à ce débat permanent sur leur propre avenir collectif et sur leurs appartenances identitaires. » (p.533). Si la croyance n’existe pas (pas encore ?) du côté wallon, la problématique est imposée et l’auteur de Le nationalisme de contestation, n’avait pas encore eu connaissance des récents sondages où la problématique est devenue encore plus intensément celle dont il parle. Mais il faut le répéter, le mouvement wallon n’a pas réussi à imposer la croyance durable en un peuple wallon distinct d’une Belgique artificielle ou d’une Communauté française qui n’en serait qu’un modèle réduit. Et le mouvement souverainiste ne parvient pas à imposer la souveraineté. L’issue, selon l’auteur de la thèse, est que les nationalistes wallons ou québécois « cherchent par la citoyenneté à postuler plus qu’à démontrer une appartenance et à tirer les conséquences de cette appartenance distincte en terme de législation distincte, de droits distincts et d’un rapport distinct entre la gouverne et la communauté des citoyens intéressés à cette gouverne. » (p.535). Il précise : « la communauté se mue en communauté de citoyens alors que l’État n’est pas (encore ?) là. » (Ibidem)
L’apport des mouvements de nationalisme de contestation, c’est d’être des mouvements sociaux au sens fort, car ils produisent plus que tout autre mouvement social des cadres de référence, des valeurs, de l’identité commune. Ils sont aussi plus politiques.
L’approche de Christophe Traisnel est vraiment de nature à interpeller, car elle met d’emblée de côté les grands processus, les vastes comparaisons et les grosses structures pour s’intéresser à ce qu’il appelle lui-même « le petit monde militant » . Mais l’adjectif « petit » n’est pas péjoratif sous sa plume. Le mouvement souverainiste comme le mouvement wallon sont des mouvements très complexes, des nébuleuses, fonctionnant en réseau et susceptible d’agir non seulement sur la Gouverne locale, mais aussi sur bien d’autres acteurs. Et efficacement.
b. l’issue, l’hésitation belge et canadienne, l’internationalisation
Il vaut la peine de revenir une nouvelle fois sur la manière dont Christophe Traisnel formule en conclusion ce qui lui semble être l’issue des deux mouvements de chaque côté de l’Atlantique. Pour lui : « Plus qu’une ethnicisation des appartenances identitaires, c’est plutôt la quête d’une identité nationale, définie par la représentation politique, un régime de droits, une appartenance d’abord citoyenne avant d’être ethnique, culturelle ou même linguistique, qui est poursuivie par les mouvements nationalistes. Les débats qui animent de plus en plus les mouvements wallon et souverainiste sur la citoyenneté révèlent ce prégnant souci d’universalisation d’une appartenance wallonne ou québécoise la plus ouverte possible, et d’abord démocratiquement définie. Grâce à la présence de gouvernes locales, ces débats sur la citoyenneté prennent tout le sur sens, et le défi qui paraît s’imposer au mouvement wallon comme au mouvement souverainiste, au-delà même de leurs aspirations autonomistes ou indépendantistes est de trouver le moyen d’institutionnaliser localement l’identité par la reconnaissance d’un régime distinct de citoyenneté, d’une communauté de citoyens wallonne et québécoise sans État : le programme du Parti Québécois, le Rapport Larose, les propositions des intellectuels dans Penser la nation québécoise vont dans ce sens, de même que le Contrat d’Avenir pour la Wallonie, les revendications de l’Institut Destrée ou les débats qui animent La Wallonie au futur. Essentiellement proche des valeurs démocratiques, les projets politiques des nationalistes québécois et wallons visent à convaincre et non contraindre leurs concitoyens de la justesse de leur cause. »
Il ajoute aussi qu’il n’existe ni de ce côté-ci de l’Atlantique ni de l’autre, ni en Flandre, ni en Wallonie, ni au Québec, ni à Bruxelles un consensus même relatif sur la manière de trouver une solution institutionnelle nationale, que cette nation soit belge, wallonne, québécoise ou française. Ce qui explique que si contestés qu’ils soient, le Canada et la Belgique demeurent . Il poursuit : « Plus que la nation, c’est l’État et son principe d’unité, la souveraineté, qui sont remis en cause. Le nationalisme semble avoir encore de beaux jours devant lui. Le destin des nations comme le Québec ou les quasi-nations comme la Wallonie balance entre l’appartenance à une communauté étatique qui les dépasse, et une indépendance qui de toute façon ne se conçoit que dans l’interaction et l’interdépendance au sein d’ensembles que révèle la mondialisation : un universalisme très moderne et très occidental dans lequel ces ” petites nations ” s’inscrivent et des regroupements régionaux dont les principaux défenseurs sont précisément les petites nations. » (p.545).
En réalité, Christophe Traisnel pense que les souverainetés étatiques sont de plus en plus rongées par la mondialisation et par la construction d’ensembles régionaux, mais que la Wallonie et le Québec, en travaillant si intensément à se redéfinir dans ces mouvements contemporains sont à la pointe de l’hyper-modernité. D’une part mondialisation et construction d’ensembles régionaux tendent à ce que la citoyenneté se définisse « en fonction d’un étalon universel de droits humains issu des grandes déclarations et traités internationaux. » (p.546), mais, d’autre part, cette universalisation est parallèle à une sorte de régionalisation de la citoyenneté avec des gouvernes locales qui, comme au Québec et en Wallonie « cherchent à participer elles aussi à la définition des droits, de la participation politique des citoyens, ou de l’appartenance à la communauté des citoyens. » (p.546). Pour l’auteur de la thèse Le nationalisme de contestation, le Québec et la Wallonie inaugurent donc l’ère de futures nations « post-étatiques », en tout cas Québec et Wallonie annoncent des temps nouveaux.
Pirenne disait des mouvements wallon et flamand qu’ils étaient régressifs par rapport à la nation moderne et démocratique. Ce que cette thèse aurait tendance à montrer, c’est que la démarche des nationalismes québécois et wallon inaugure un nouveau rapport à l’État et à l’appartenance nationale où la gauche peut se retrouver bien plus et bien mieux qu’aucune autre tendance politique, car, dans les deux cas, la volonté d’un système social égalitaire et la volonté internationaliste sont peut-être plus présentes qu’elles ne l’ont jamais été, concrètement, en aucun mouvement social.