Le WIP : ainsi s'envole le cinéma wallon
C'était à Liège, dans un cinéma du centre de la ville, au début des années 80 ? Le Ministre de la culture (francophone), fêtait la naissance du WIP - Wallonie Image Production. Philippe Moureaux - car c'était lui - saluait à juste titre un événement dans le paysage audiovisuel wallon (qui n'est à vrai dire guère encombré) : la mise sur pied d'une structure de production cinématographique.
Structure légère fiancée par les pouvoirs publics, WIP se donnait pour mission de d dynamiser et de renouveler la production audiovisuelle en Wallonie . Un pari, en un temps où les paris culturels étaient - et sont - plutôt rares.
WIP était donc né. Avec une dot d'environ 4 millions de nos francs, et une mission précise : aider à la création audiovisuelle. Programme amitieux : il s'agissait de « privilégier des projets originaux et personnalisés, capter la singularité d'une culture pour arpenter l'imaginaire et l'ouvrir sur le monde ». Les deniers publics, l'enthousiasme et la bonne volonté y suffisaient-ils ? C'est ce qu'il fallait démontrer.
Monter au créneau...
Pour commencer, la WIPse choisit un créneau :le documentaire et la fiction documentaire.
Un choix d'évidence : en Wallonie, l'esthétique du documentaire est riche d'une longue tradition ancrée dans un film presque mythique. Un film dont Georges Sadoul écrivit qu'il fut , avec Terre sans pain de Luis Bunuel le premier documentaire social réalisé en Europe : Borinage de Joris Ivens et Henri Storck.
Hommage aux mineurs wallons, dont il redécrivait les dures conditions d'existence après une grève longue et dramatique, ce film réalisé dans les années 30, fut interdit partout, en dehors des cinés-clubs.
Il n'est pas inintéressant de le noter : les aînés prestigieux dont se réclamait le WIP étaient aussi sulfureux, pour un certain ordre établi. Et ils le sont restés. Mais leur film, comme l'écrivit encoe Georges Sadoul, avait ouvert la voie aux chefs-d'œuvre du réalisme politique français et du néo-réalisme italien.
A ceux, néanmoins, qui auraient pu trouver trop étroit le créneau documentaire ainsi dégagé, une autre ombre tutélaire, celle de Jean Vigo, venait à point rappelle la tradition du « point de vue documenté ». loin des documentaires que l'on nous impose parfois dans les salles, ces courts métrages qui ne le sont jamais assez, où l'on nous refile en douce un cours d'histoire, de tecnique ou de morale, le « point de vue documenté » défend le projet d'un authentique cinéma du réel. Une autre approche de la réalité, complémentaire et inséparable de la fiction.
Dans cette approche, la frontière entre documentaire et fiction s'abolit, tout point de vue sur le réel impliquant toujours un regard et une mise en scène. Ce qu'exprime aujourd'hui le réalisateur hollandais Van der Keuken : »Tout film travaillé consciemment dans la forme est un film de fiction. »
D'ailleurs, sur le tournage de « Borinage » déjà, la plupart des scènes avaient été rejouées par des « acteurs » du réel. Et les ouvriers, gagnés par l'enthousiasme s'en étaient pris, dit-on, à ceux qui jouaient les gendarmes. Juste retour des choses...
Une politique
Autre originalité de la démarche : avec le WIP - comme d'ailleurs, avec d'autres structures de production analogues - les pouvoirs publics s'engagaient clairement à financer a création audiovisuelle en Wallonie, en déléguant leur droit de regard.
Il s'agissait d'éviter la répétition de quelques scandales dont un autre film wallon reste la victime exemplaire : Déjà s'envole la fleur maigre ou Les enfants du Borinage. Un beau film, un grand film, réalisé en 1960 et qui commença par ruiner son auteur : Paul Meyer, victime des financiers, de quelques requins, et de promesses non tenues. Victime en fin de compte de la hargne que, dans ce pays, le talent peut parfois déclencher.
Le WIP, modestement, se proposait désormais d'apporter aux auteurs une aide financière raide et directe. ET cela pour contribuer à produire des projets sélectionnés par son conseil d'administration.
Quelques années plus tard, un regard rétrospectif sur les activités du WIP a de quoi réjouir.
Quelques chiffres d'abord : de 82 à 88, le WIP a produit ou co-produit plus de 55 films ou vidéos, couvrant un éventail de genres très large et très divers. On y retrouve les documentaires (15), les documentaires fictions (11), le vidéo-art (14), l'animation (4), la fiction « pure » (4), les vidéos-portraits (3), le vidéo-clip (2), la science fiction (1).
Des réalisateurs déjà reconnus sont venus chercher à WIP l'aide qui leur restait indispensable pour « monter » un projet :Jean-Jacques Andrien par exemple, inscrit ici ces « Mémoires » d'une certaine journée de manifestations et de violences à Fourons. Tant il est vrai que, en Belgique, même après avoir réalisé Le fils d'Amr est mort, on ne trouve pas facilement de quoi financer de nouveaux projets.
D'autres réalisateurs, travaillant à la télévision, ont pu trouver, grâce au WIP, les compléments de financement nécessaires, et peut-être aussi un autre climat de travail et une plus grande liberté de ton. C'est ainsi que Thierry Michel a réalisé Hôtel particulier, l'un de ses films les plus forts où, du fond d'une prison (wallonne), six détenus se racontent et parlent à visage découvert.
C'est ainsi encore que Manu Bonmariage a pu tourner Malaises dans la banlieue industrielle de Seraing, et Jacques Deschamps C'est notre terre , un documentaire consacré aux Indiens du Québec.
Mais le WIP a surtout et puissamment contribué à l'émergence d'une nouvelle génération d'auteurs : Marc Melon, Rob Rombout, Nicole Wuidart, Claude Bouché, Alain Marcoen, Eddy Luyckx, Claudine Delvaux... Le cas de Jean-Claude Riga est sans doute, à cet égard, l'un des plus significatifs.
C'est entre autres grâce à l'aide du WIP qu'il a pu réaliser Ronde nuit, une vidéo qui demeurera l'un des documents les plus rares et les plus attachants sur ce que fut le travail au four coke, dans le ventre de l'usine sidérurgique. Entre le coucher du soleil et le lever du jour, Jean-Claude Riga avait suivi les hommes de la pause de nuit, au rythme de la combustion du coke. Des images volées à l'uobli et qui demeureront , à la différence de ces séquences d'actualité que a télévision nous a si souvent servies et où rien n'est inscrit, si ce n'est un discours éphémère, institutionnel, insignifiant ... (Jean-Claude Riga, qui prépare aujourd'hui un long métrage de fiction, travaillait à l'époque dans une télévision communautaire liégeoise, Canal Emploi, où beaucoup d'autres réalisateurs ont d'ailleurs pu exprimer leur talent . Canal Emploi, depuis, a fermé ses portes. Dans l'indifférence générale des « politiques ». C'est une autre histoire et qui n'a rien à vor. Mais elle est tout aussi symbolique que la précédente. Fermons donc notre deuxième parenthèse.)
Une reconnaissance
Richesse, diversité, foisonnement : le WIP a globalement servi la création audiovisuelle. Et il l'a fait sans sectarisme et sas esprit de chapelle, fût-ce même une chapelle wallonne : de Marie André à Rob Rombout, du Montfaucon Researsch Center à Joëlle de la Casinière, la liste est longue d'auteurs aidés par le WIP et venus d'ailleurs, avec leur talent, leur créativité, leur culture.
Le risque existait sans doute de voir ce travail s'enfermer dans des cercles restreints et confidentiels. Le WIP a tenté d'y faire face, par une politique active de promotion et de diffusion avec projections publiques, avant-premières et ventes aux télévisions.
Une politique aussi de présence sur les marchés du film et de la vidéo, avec participations systématiques aux grands rendez-vous internationaux. C'est là que le travail du WIP a souvent été le plus reconnu, à travers de nombreux prix remportés à l'étranger. On citera pour mémoire et parmi bien d'autres, le premier prix de FR3 au Festival de Montbéliard pour Ronde de nuit, le Ducat d'or pour Hôtel Particulier et plus récemment le premier prix du Jury à Montbéliard pour Entre deux tours de Rob Rombout.
...mais un avenir précaire...
Et pourtant, tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Sans doute, depuis la création de WIP, les pouvoirs publics ont-ils sans réticence continué à soutenir son action. Et cela, il faut le noter, quelles que soient les majorités politiques qui s'installaient à la Communauté française.
Mais cette aide automatique est restée stationnaire, comme frappés d'un désintérêt relatif.
Aujourd'hui, le WIP recueille auprès de diverses sources, quelque 5,5 millions de subsides, y compris pour les frais de fonctionnement.
Un budget avec lequel il devient de plus en plus difficile de faire face à un phénomène bien connu des professionnels de l'audiovisuel : la hausse constante et exorbitante des co^ts de production.
Il ya quelques années, il était encore possible de lancer un projet avec 200.000 francs. Aujourd'hui, les demandes de participation financière adressées au WIP s'élèvent régulièrement à 600.000 ou 700.000 francs. Et encore, avec cette somme, n'est-il plus possible de financer un projet, mais tout au plus d' « amorcer la pompe » pour convaincre d'autres producteurs, ou de donner un dernier coup de pouce pour boucler un budget. Le conseil d'administration de WIP se voit désormais contraint de mener une politique de sélection draconienne, au risque de ne plus miser que les « valeurs sûres » et de ne plus jouer un rôle de détecteur de nouveaux talents.
Car une véritable politique de création implique le droit d'avoir et la possibilité de prendre des risques, et même de se tromper.
Sans doute - et heureusement - le WIP n'est-il pas seul en scène dans le paysage audiovisuel. La RTBF - qui vient de relancer avec son émission Carré noir une nouvelle case de création audiovisuelle -, des partenaires internationaux, des télévisions communautaires - Canal emploi joua longtemps ce rôle avant de disparaître - pratiquement aussi une politique active de production. Mais dans des « champs » souvent institutionnellement plus balisés.
En fait, une question demeure posée :les pouvoirs publics veulent-ils vraiment se doter d'une politique audiovisuelle et s'en donner les moyens ? On ne reviendra pas ici sur la nécessité vitale d'une telle politique, ni sur les débats engendrés par les notions de « cinéma wallon » ou d' « identité wallonne » - il serait d'ailleurs abusif d'embrigader sous cette bannière les créateurs que le WIP a pu soutenir. Mais on affirmera simplement, avec force mais sans trop d'illusions, qu'une telle politique, à terme,ne pourra se développer dans la pauvreté érigée en système. Filmer à tout prix, cela ne peut avoir qu'un temps...