La loi flamande du nombre a 122 ans

23 April, 2010

Histoire de Belgique et de Wallonie

C'est avec ahurissement que l'on redécouvre à nouveau, dans une certaine presse francophone bruxelloise de ce 23 avril, l'idée que la Flandre aurait rompu avec une tradition de consensus belge sur les questions communautaires. Alors que la Flandre a au contraire le plus souvent joué la loi du nombre. Il semblerait que Le Soir, surtout, n'arrive pas à admettre ses erreurs à cet égard alors que cette revue lui rappelle constamment qu'il a tort dans un des articles les plus consultés de TOUDI en ligne, un article intégrant en son titre le nom de sa directrice 1. Pierre Bouillon parle des racines de la crise actuelle en remontant à 2007 au lieu de songer que c'est à 1888 qu'il faudrait remonter... Pour concéder qu'il y a eu un problème aussi en 1962, mais un problème qui, en réalité, ne concernait «que» les Wallons (les Fourons, car les six communes à facilités au centre de la question de BHV, on l'a oublié, c'est le fruit d'un compromis entre Bruxellois francophones et Flamands : dans le cas des Fourons, la Flandre est, comme on le dit aujourd'hui, passée en force, plusieurs députés bruxellois francophones votant comme les Flamands). Notons aussi que Luc Huyse met en question dans De Standaard l'idée que la règle de la majorité serait centrale dans les régimes démocratiques.

Citons quand même ceci en exergue

Le ministre des Affaires étrangères Karel De Gucht juge très faibles les chances d'aboutir à un grand accord communautaire d'ici le 15 juillet [2008] . Il avertit les francophones : « C’est toujours la loi du nombre qui l’emporte. » 2

Mise en échec du mouvement flamand

En 1831 la Constitution belge, tout en proclamant l'égalité des langues, laisse s'instaurer une prépondérance de fait du français qui provoque assez rapidement un mécontentement flamand perceptible dès 1840. En 1857, sous la présidence de Louis Jottrand, un Wallon sympathisant de la cause du flamand (on dira plus tard le néerlandais), se réunit une Commission des griefs qui rédige un rapport. Charles Rogier rédige un contre-rapport et déclare à la Chambre que par l'octroi de subsides à la littérature flamande, un point final a été mis aux revendications flamandes (1858).

Cependant, le 4 février 1857, à la Chambre, lors de l'examen de la proposition de loi sur la collation des grades académiques, deux députés flamands déposent un amendement exigeant la connaissance du flamand dans certaines professions au moins pour des capacitaires exerçant leurs compétences en Flandre, comme par exemple les notaires. La Chambre repousse l'amendement, un seul député wallon, le comte Hadelin de Liedekerke-Beaufort le soutenant. Il est également repoussé au Sénat 3

Le mouvement flamand obtient le consensus...

Les propositions de loi sur l'emploi du flamand dans la procédure pénale sont d'abord rejetées comme par exemple le 13 décembre 1867 (les catholiques flamands et wallons l'approuvent, les libéraux la rejettent). Le 17 août 1873, une proposition de loi de même nature est approuvée, à une large majorité (on précise que la procédure en français peut être demandée par le justiciable). Le consensus se maintient à propos de l'emploi des langues en matière administrative: la Chambre approuve la loi le 8 mai 1878 et le Sénat l'adopte même à l'unanimité. 4. Le 23 janvier 1883 et le 31 mai de la même année, une loi instaure l'usage du flamand au niveau des humanités. On croit les griefs flamands résolus. En réalité, ces lois votées ne remettent pas en cause la prépondérance de fait du français.

... puis use de la loi du nombre

Le 21 décembre 1888, une loi sur la procédure pénale en flamand visant à renforcer en faveur de cette langue la loi de 1873 est finalement adoptée. Sur les 41 députés wallons présents 25 la rejettent, au Sénat 8 Wallons sur 12 présents la rejettent également. En 1890 une autre loi vise à corriger celle de 1883 sur l'enseignement: 8 députés wallons approuvent la loi, 16 la rejettent. Au Sénat 11 sénateurs wallons sur 14 la rejettent 5 Après l'adoption du suffrage universel en 1893, la Chambre vote à une large majorité la loi Coremans-Devriendt instaurant le flamand (plus tard le néerlandais), comme langue officielle à égalité avec le français. Le Sénat amende la proposition (et ne reconnaît pas au flamand la même valeur juridique que celle des textes en français). Même amendé par le Sénat en ce sens, le texte, revenu devant la Chambre est rejeté par les députés wallons : 21 votent le texte, 19 le rejettent et 4 s'abstiennent dont Alfred Defuisseaux. Jules Destrée déclare se conformer au principe de l'égalité linguistique mais redoute les conséquences de cette loi. Quand il revient devant le Sénat, le texte, quoique toujours amendé et n'établissant donc pas une stricte égalité, est adopté par cette chambre, mais rejeté par 38 sénateurs wallons sur 40, en raison du mécontentement de l'opinion publique en Wallonie. Le 15 mars 1907 l'article 21 bis d'une loi concernant les ingénieurs des mines impose la connaissance du flamand à tous les ingénieurs. La majorité des députés wallons rejettent la loi (dont tous les libéraux et les socialistes du Hainaut, non cependant les Liégeois dont Célestin Demblon). Dans un esprit d'apaisement le député anversois Louis Franck limite l'exigence de la connaissance du flamand aux ingénieurs exerçant leur métier en Flandre. La loi est alors adoptée. Lors du vote final sur la proposition de loi imposant le néerlandais y compris dans l'enseignement libre, les députés wallons se divisent. Il est vrai qu'ici, à l'enjeu opposant Wallons et Flamands se superpose le conflit entre libéraux et catholiques. Les 22 députés catholiques wallons votent tous contre la proposition, 4 libéraux votent pour et 5 contre. Les socialistes sont 17 à voter pour et 2 contre. trois députés wallons s'abstiennent. Mais la majorité des députés wallons ont voté contre ou se sont abstenus. Il est vrai que la première partie de la loi a recueilli l'assentiment d'une majorité des députés wallons. 6. C'est une loi imposant la connaissance du flamand aux greffiers des conseils de prud'homme, même en Wallonie qui va créer l'incident au cours duquel le sénateur Emile Dupont s'écriera « Vive la séparation administrative ! ». Sur les 26 sénateurs wallons, 24 votèrent contre cette disposition. Enfin, le 17 avril 1914, une loi imposant le flamand dans les écoles primaires en Flandre est voté par tous les députés catholiques restés en séance, les libéraux et les socialistes l'ayant quittée, seule une minorité de députés wallons approuvent en fait la dernière loi linguistique votée avant la Grande guerre. Toutefois une proposition de loi déposée par les députés flamands et visant à la flamandisation de l'université de Gand ne put être discutée, le gouvernement craignant qu'elle ne divise les catholiques.

Le 31 juillet 1921 la majorité parlementaire flamande imposa le vote interdisant l'usage du français dans les administrations en Flandre. Malgré tous les amendements subis par la loi au Sénat, seuls trois députés wallons sur cinquante neuf à la Chambre la voteront : cinquante et un votent contre et six s'abstiennent 7 En 1921, le Wallon modéré et secrétaire de l'Assemblée wallonne, Joseph-Maurice Remouchamps proposa une révision de la Constitution imposant le vote dit « bilatéral » 8. Pour être acceptée, une loi aurait dû être votée par une majorité de parlementaires des deux régions (Flandre et Wallonie). Le 19 novembre 1921, les parlementaires flamands rejetèrent la proposition à l'unanimité.

Retour momentané au consensus de 1930 à 1938

Après les discussions entre Jules Destrée et Camille Huysmans qui avaient abouti à un Compromis des Belges signé par 26 parlementaires socialistes 9, de nouvelles lois sur l'emploi des langues et la première Frontière linguistique furent votées avec une majorité des parlementaires tant wallons que flamands. C'est ainsi que le 5 mars et le 2 avril 1931, tant à la Chambre qu'au Sénat une majorité de parlementaires wallons votent la flamandisation de l'université de Gand . Le 11 juillet 1930 et le 4 novembre de la même année les sénateurs wallons approuvent majoritairement la législation linguistique en matière d'enseignement primaire et moyen. La Chambre ratifiera ces projets votés par le Sénat avec également l'accord d'une majorité de députés wallons. Le 2 mars et le 21 mars 1932 la Chambre puis le Sénat votent le principe de l'uniliguisme régional et du bilinguisme à Bruxelles, toujours avec l'accord d'une majorité de parlementaires wallons. Le 30 juin 1938 à la Chambre et le 26 juillet au Sénat, la législation linguistique à l'armée (qui impose notamment une connaissance des deux langues au niveau des officiers d'active et impose que les cadres de l'armée s'expriment en néerlandais quand ils s'adressent aux soldats flamands), est également votée, toujours avec l'accord d'une majorité de parlementaires wallons. 10.

Retour à la loi du nombre

En 1938, le consensus se rompt à nouveau quand il s'agit d'adopter la loi séparant les régiments wallons et les régiments flamands, en tout cas à la Chambre où une majorité de parlementaires wallons votent contre, mais non au Sénant 11. Le 25 mars 1947, la majorité des députés flamands et bruxellois refusent de prendre en considération la proposition de révision de la Constitution (instaurant le fédéralisme) prise en considéation par une majorité de parlementaires wallons. En 1949, l'adaptation du nombre des sièges parlementaires au chiffre de la population est également votée alors qu'elle est rejetée par une majorité de parlementaires wallons tant à la Chambre le 27 avril 1949 qu'au Sénat le 17 mai. C'est le même sort que subit une proposition fédéraliste semblable à celle de 1947 de Joseph Merlot déposée à la Chambre en 1952. Les lois linguistiques de 1963 furent votées également par une majorité de parlementaires flamands contre une majorité de parlementaires wallons: l'ensemble du projet de la loi paru au Moniteur en 1963 fut voté le 31 octobre 1962 par 20 Wallons sur 76 à la Chambre. 12 Ce projet de loi fixait définitivement la frontière linguistique, ce qui créa le problème difficile des Fourons (réunis au Limbourg malgré l'opposition de ses habitants 13 jusqu'au renversement des élections communales quand l'apport de population hollandaise annula vieille majorité wallonne aux élections communales de 2000.

Pas seulement dans le domaine linguistique

Un certain nombre de lois linguistiques ont donc été imposées par la majorité flamande au Parlement belge, d'autres au contraire, mais plus rares (et, entre autres ceux qui consacrent les régions linguistiques en 1963 qui est toujours la situation actuelle) recueillirent une majorité des votes parlementaires suite à des compromis préalables. Cette majorité flamande a pesé de son poids dans d'autres domaines que le domaine linguistique comme la mise à l'écart du pouvoir des libéraux et socialistes de 1884 à 1914 l'illustre (mais les socialistes, soit la majorité - absolue, parfois avec les communistes, ou relative des élus wallons - seront écartés jusqu'en 1940 de la plupart des gouvernements sauf les gouvernements d'union nationale) . L'adoption de la politique de neutralité en 1936, ou encore les résultats de la Consultation populaire.

Certes, le clivage Wallons/Flamands n'est pas le seul à jouer. On voit parfois une majorité de Wallons d'obédience catholique (ou laïque), voter des lois en faveur du flamand. Ainsi au siècle passé, les députés wallons les plus radicaux (qui sont aussi anticléricaux, socialistes ou libéraux) ont tendance à voter les lois en faveur du flamand si la chose représente un inconvénient pour l'enseignement confessionnel. Lors de la Consultation populaire, l a majorité des arrondissements wallons sont opposés au retour de Léopold III. Et même les arrondissements ruraux où l'influence catholique est plus forte sont moins radicalement opposés au roi, comme dans la province de Namur où le non l'emporte à 53% seulement.

Arrondissements wallons

Arrondissements NON OUI
Arlon - 66 %
Neufchâteau - 65 %
Dinant - 60%
Verviers - 60 %
Mons 69 % -
Charleroi 67 % -
Soignies 66 % -
Liège 65 % -
Nivelles 62 % -
Huy 58 % -
Thuin 57 % -
Tournai 54 % -
Namur 51 %

14

Arrondissements flamands

Arrondissements NON OUI
Roeselare - 85 %
Turnhout - 84 %
Tongeren - 84 %
Hasselt - 82 %
Sint-Niklaas - 78 %
Dendermonde - 78 %
Ieper - 76 %
Oostende - 73 %
Brugge - 72 %
Gent - 71 %
Kortrijk - 70 %
Aalst - 70 %
Mechelen - 70 %
Oudenaarde - 67%
Leuven - 66%
Antwerpen - 63%

15

[Bruxelles vote NON à 51%]

Certains sont favorables au roi comme à Verviers, mais dans cet arrondissement il faut tenir compte du poids des électeurs germanophones, minoritaires dans cet arrondissement, mais massivement ralliés au roi. Dans les arrondissements wallons favorables au retour à Léopold III le oui est soit inférieur soit seulement égal au pourcentage de oui présent dans tous les arrondissements flamands. Il n'y a qu'à Anvers que le pourcentage de oui est légèrement inférieur aux arrondissements wallons les plus favorables. D'autres décisions importantes sur le plan économique ont pu être prises dans le même contexte comme l'implantation d'une usine siédérurgique à Zelzate au début des années 1960, décision violemment critiquée par le Mouvement populaire wallon 16, même si, dans cette question, comme dans celle du port de Zeebruges, ou encore les lois que fit voter Gaston Eyskens en faveur de l'expansion économique (1959), représentent des cas moins aveuglants, qui cependant ont été mis en avant par quelqu'un comme Michel Quévit 17. On sait que Michel Quévit a réactualisé ces analyses, démontrant que cette loi du nombre a joué ensuite en faveur aussi de l'aide aux industries en difficulté dans les années 70 et 80, en faveur de subsides discutables (et énormes), au profit des charbonnages limbourgeois 18.

Certes, en ce cas, il ne s'agit pas que de la loi flamande du nombre, mais plutôt d'une certaine manière qu'a choisie la classe dirigeante belge de gérer l'espace bege en connectant le sillon industriel wallon à l'axe Bruxelles-Anvers. Dès que la classe dirigeante flamande a pu faire jouer sa majorité sur le plan également économique, on assiste à d'énormes investissements dans les ports, l'aéroport national. Les autoroutes sont construites prioritairement en Flandre (avec 10, 20 ans d'avance sur la Wallonie), où les lignes de chemin de fer sont électrifiées aussi par priorité (jusqu'à 30 ans à l'avance sur la Wallonie). Le déséquilibre est scandaleux, vraiment scandaleux. Ce qui intrigue le plus, c'est que ces analyses bien expliquées, faciles à comprendre, largement diffusées ne parviennent pourtant que difficilement à contrer l'idéologie nationaliste belge de trop nombreux Wallons... La loi flamande du nombre joue aussi en faveur de la capitulation belge du 28 mai 1940 19.

Garanties constitutionnelles obtenues par les Wallons et les Bruxellois francophones

À partir de 1970, des dispositifs divers ont été introduits dans la Constitution belge comme le procédure dite de la Sonnette d'alarme, le vote de certaines lois à majorités spéciales (la majorité doit être obtenue dans chaque groupe linguistique). Le fédéralisme belge lui-même peut être considéré comme une réaction du Mouvement wallon à la fréquente mise en minorité de la Wallonie et des Francophones en général soit dans l'enceinte parlementaire, soit dans l'opinion publique, soit au sein du Gouvernement fédéral belge, tel qu'il a fonctionné avant l'instauration du fédéralisme. Vincent de Coorebyter, Directeur du Crisp, remarquait récemment à propos des traits de Confédération|confédéralisme dans le fédéralisme belge : « On rappellera seulement que plusieurs des traits évoqués ont été institués pour protéger la minorité francophone face à la majorité numérique flamande : c'est le cas du premier l'exclusivité des compétences selon l'auteur] et du troisième traits [la nécessité de l'accord des deux composantes du pays en matière linguistique], auxquels les francophones semblent rester attachés. Pas plus que le débat ne se limite à deux modèles séparés par un gouffre, l'adoption de traits confédéraux au sein du système belge n'est pas forcément d'inspiration flamande. Quant à leurs effets, seule l'expérience permet de les connaître avec certitude..'' <ref>Vincent de Coorebyter, La Belgique confédérale, in Le Soir du 24 juin 2008. 20. Depuis 1970, le Gouvernement belge doit être composé d'un nombre égal de ministres francophones d'une part, de ministres non francophones de l'autre, le premier ministre éventuellement excepté ainsi que les secrétaires d'Etat. Les principe de l'équipollence des normes et de la compétence exclusive sont la règle tandis que les décisions du Parlement wallon ne peuvent être mises en cause que par la Cour constitutionnelle composée paritairement et devant laquelle les divers pouvoirs du pays comparaissent sur un pied d'égalité. On y ajoutera les conflits d'intérêt qui ont permis de postposer sans cesse le vote sur BHV depuis novembre 2007.

Aveuglement de l'establishment bruxellois francophone

Cette loi du nombre joue efficacement depuis 122 ans. Sauf l'intermède des lois linguistiques des années 30, la Flandre a toujours tenté d'imposer ses vues en fonction de la loi du nombre. Elle n'a été contrée, quand elle s'essayait à faire jouer cette loi, qu'en juillet 1950 en raison de l'insurrection wallonne qui contraignit Léopold III à se retirer alors qu'une majorité (catholique, mais aussi flamande), avait voté l'impossibilité de régner décrétée le 28 mai 1940. Le Soir de ce 23 avril revient sur ce qu'il croit être une rupture de la tradition belge en matière communautaire lors du vote (en Commission de la Chambre, il y eut un vote Flamands contre Wallons et francophones en faveur de la scission de BV) du 7 novembre 2007. Pierre Bouillon signale quand même l'exception (selon lui), des lois linguistiques votées en 1962. Ila évidemment tort et grand tort. On dirait que malgré nos rappels sans cesse réitérés, Le Soir ne veut se corriger que très partiellement. Pourtant, à l'évidence, les Flamands (comme on le dit aujourd'hui), ont toujours voulu « passer en force ». Comment un grand journal comme Le Soir n'en prend-il pas conscience ? D'autant plus que cette loi du nombre, si l'on suit les brillantes analyses du Professeur Michel Quévit (celle de 1978 et celle de 2010), explique non seulement la mise en minorité de la Wallonie sur le plan politique (dès 1884), mais également le fait qu'elle ait été, au moins de 1950 à 1990 (et encore aujourd'hui pour les Fonds structurels européens), gravement , injustement - et même très gravement , très injustement - constamment mise à l'écart dans l'Etat belge. La seule réussite wallonne étant, de ce point de vue, la construction d'une Wallonie autonome, d'ailleurs centrée à Namur et non au « centre du pays », comme le soulignent Jean Pirotte et Luc Courtois 21.

PS de ce 25 avril 2010: attitude des Bruxellois francophones en 1962 et volonté de modifier le sort des Fourons

La question de savoir précisément quelle fut l'attitude des Bruxellois est traitée à la fois par La Décision politique en Belgique en 1965 et L'Encyclopédie du mouvement wallon en 2000. La Décision politique en Belgique donne le nombre de députés bruxellois francophones qui votèrent en faveur de l'ensemble du projet de loi fixant la frontière linguistique. Ils sont au nombre de 13 22. Micheline Libon signale l'appartenance politique des députés bruxellois francophones qui votèrent contre le projet (vote final): 1 seul député PSC francophone, aucun socialiste bruxellois, 5 libéraux bruxellois francophones et 1 communiste bruxellois francophone 23. Une majorité de Bruxellois francophones votèrent donc l'annexion des Fourons au Limbourg (13 sur les 20 qui émirent un vote OUI ou un vote NON).

De 1963 à 1981 trente-et-une (!) propositions de lois furent déposées à la Chambre et au Sénat visant à modifier le statut des Fourons, la plupart par des députés ou sénateurs wallons et francophones. Aucune d'entre elles ne fut prise en considération: les 17 mai, 13 juin et 18 juin 1963; les 18 février et 10 novembre 1964; les 30 juillet, 9 novembre , 16 novembre et 14 décembre 1965; le 22 décembre 1966; les 7 janvier (2 propositions), 20 mai, 29 mai et 25 mai 1969; les 20 mai et 16 décembre 1970; le 4 février 1971; les 7 janvier (2 propositions), 24 février (deux propositions), et 13 juin 1972; les 20 mai et 29 mai (2 propositions), 1974; les 30 mai (deux propositions), 19 décembre et 24 décembre 1979; les 31 janvier et 21 février 1980.24

  1. 1. Béatrice Delvaux et la Wallonie (nouvelle édition augmentée)
  2. 2. Le Soir du 5 juillet 2008 qui ajoute « Les francophones ne l’ont toujours pas compris. A la fin, ce sera toujours la loi du nombre qui l’emportera », a affirmé samedi le ministre libéral aux quotidiens néerlandophones De Standaardet Het Nieuwsblad. « Le système ne peut fonctionner si la minorité considère qu’elle dispose d’un droit de veto pour tout. Dans une démocratie, une majorité a aussi des droits. A terme, la loi du nombre passera toujours », a-t-il commenté.
  3. 3. Yves Quairiaux, L'image du Flamand en Wallonie, Labor, Bruxelles, 2006, p. 26.
  4. 4. Y.Quairiaux, op. cit. p. 28
  5. 5. Yves Quairiaux, p. 33.
  6. 6. Yvers Quairiaux, op. cit. p. 44
  7. 7. Carl-Henrik Hojer, Le régime parlementaire belge de 1918 à 1940 , CRISP et Almquivist & Wikselis, Uppsala et Bruxelles, 1969, pp.116-117.
  8. 8. Encyclopédie du Mouvement wallon Tome III, p. 1626.
  9. 9. Philippe Destatte, dans L'identité wallonne, IJD, Charleroi, 1997, rappelle, p. 111, que ce compromis signé le 16 mars 1929 par 12 députés socialistes flamands et 14 députés socialistes wallons, estimait que le bilinguisme est peu recommandable lorsqu'il est imposé «par une contrainte directe ou indirecte»
  10. 10. Micheline Libon Législations linguistiques in Encyclopédie du Mouvement wallon,Tome II, pp. 942-959, pp. 944 et suivantes.
  11. 11. Voir Micheline Libon, op. cit., p. 948. Curieusement Richard Boijen, De taalwetgeving in het Belgische Leger, Musée royal de l'armée, Bruxelles, 1992, qui regrette ce manque partiel de consensus, estime, p.316, que les lois linguistiques ont toujours été votées à une large majorité par la Chambre et que la différence entre votes wallons et flamands atteint rarement plus que 10% alors que le vote de l'unilinguisme flamand en 1921 comme les lois linguistiques de 1962 ont, au contraire, été votées par une majorité de parlementaires flamands contre la majorité des députés wallons ...
  12. 12. Annales parlementaires, Chambre, 31 octobre 1962
  13. 13. Ladrière, Meynaud et Perin La décision politique en Belgique, CRISP, Bruxelles, 1965, p. 112
  14. 14. Paul Theunissen, 1950, Ontknoping van de koningskwestie, De Nederlandsche boekhandel, Anvers, Amsterdam, 1984, pp. 16-17. La Revue Nouvelle, 15 avril 1950, pp. 379-385
  15. 15. Ibidem.
  16. 16. La décision politique en Belgique analyse ce dossier pp. 287-317
  17. 17. Dans Les causes du déclin wallon, EVO, Bruxelles, 1978 et La Wallonie, l'indispensable autonomie, Ententes, Paris, 1982.
  18. 18. Critique : Flandre-Wallonie. Quelle solidarité ? Michel Quévit (Couleurs livres)
  19. 19. Régiments flamands et wallons en mai 1940
  20. 20. http://www.lesoir.be/forum/chroniques/variations-la-belgique-con-2008-06-24-609378.shtml
  21. 21. Vers un au-delà de la Belgique ? Un point de vue régionaliste wallon
  22. 22. Ladrière, Meynaud et Perin, La Décision politique en Belgique, CRISP, Bruxelles, 1965, p. 113.
  23. 23. Micheline Libon, op. cit., p. 957.
  24. 24. Jean Baufays, Isabelle Brasseur, Charles Christians, Michel Hermans, Marcel Hotterbeex, Eric Pottier, Pierre Verjans, La problématique fouronnaise, Université de Liège, Etudes et recherches n° 33, pp. 37-38.

Comments

Les Wallons ont-ils refusé le bilinguisme?

On considère souvent que ce sont les Wallons qui ont refusé le bilinguisme dans les années 30. /////////////// Mais les lois des années 30 sont également le fruit d'un compromis passé d'abord entre socialistes (entre Destrée et Huysmans pour faire court). En outre, les lois de 1921, votées unilatéralement par les Flamands ne prévoyaient le bilinguisme que pour les services rattachés à l'administration centrale et le bilinguisme des agents dans ce domaine et pour certains postes. Il ne s'agissait donc pas de bilinguisme généralisé. /////////////// Les lois de 1921 qui ont été votées contre une majorité de parlementaires wallons (comme toutes les lois linguistiques sauf celles des années 30), ont donc des aspects tant bilingues qu'unilingues. Si en 1929 le compromis des Belges (conclu au sein du POB , mais qui s'étendit alors ailleurs), défendait au contraire le strict unilinguisme régional (mais le bilinguisme à Bruxelles), c'était évidemment parce que les Wallons avaient d'autant plus mal apprécié le bilinguisme des lois de 21 qu'on ne leur demanda pas leur avis à ce sujet. Il n'y avait d'ailleurs pas été habitués: à partir des années 1880, la législation linguistique belge s'est faite sans les Wallons. /////////////////// C'est après ces lois que le secrétaire de l'Assemblée wallonne, Joseph-Maurice Remouchamps proposa le système du vote bilatéral (les lois devaient être votées avec une majorité tant chez les parlementaires flamands que wallons). Mais cette proposition fut rejetée par la Flandre. ///////////// Le problème est de savoir - au-delà de la faisabilité du bilinguisme (qui pose encore des problèmes aujourd'hui à Bruxelles, notamment dans le milieu de la Justice) - si un groupe peut facilement accepter qu'un autre groupe vous force à connaître sa langue. D'ailleurs, souvent les Flamands disent que nous devrions connaître la majorité des Belges. Or cet aspect majoritaire ajoute une idée de contrainte, mais pas une idée d'ouverture, loin de là.///////////// Il est vrai qu'une législation n'est efficace que si elle contraint, mais divers linguistes estiment que la contrainte étatique - il faut le souligner: la contrainte étatique claire, directe, explicite - ne peut avoir d'effets sauf inverse à celui souhaité. Si, en France, par exemple, la contrainte étatique fut forte et pesante, elle ne se diffusait que par l'intermédiaire d'une bourgeoisie, ralliée au projet français national ou républicain, dans tous les terroirs de France. Il a existé une bourgeoisie de langue française en Flandre, mais pas de bourgeoisie de langue néerlandaise en Wallonie. Ce que l'on oublie souvent.