Mort de Geneviève de Gaulle

Toudi mensuel n°44, février-mars 2002

Geneviève de Gaulle : article dans "L'Humanité"

France

Avant l'accomplissement du devoir d'arracher les miséreux à la misère, il n'y a pas de cité (Charles Péguy)

Geneviève de Gaulle-Anthonioz, ancienne résistante et déportée, ancienne présidente du mouvement ATD Quart-Monde, est morte jeudi 14 février à Paris à l'âge de 81 ans.

Le 20 juillet 1943, elle est arrêtée dans une librairie parisienne, en possession de documents clandestins. Elle ne cache plus son identité: «Je m'étais toujours dit que si je devais un jour être reconnue coupable, je préférais que cela soit sous mon identité véritable», racontait-elle dans le documentaire que lui ont consacré son fils, Michel Anthonioz, et Alain Lasfargues (Geneviève de Gaulle-Anthonioz ou l'engagement, diffusé en décembre 1998 sur Arte). «Je trouvais que c'était bien qu'il y ait des gens de la famille de Gaulle qui soient arrêtés, que cela se sache.» Dans l'émission d'Arte, on la voit sourire au souvenir de la tête du policier lorsqu'elle démentit sa fausse carte d'identité et lui dit être la nièce du général de Gaulle.

«Il m'a dévisagée. En quelques secondes, j'ai eu le sentiment qu'il était plutôt embêté.» Ce jour-là, à 22 ans, en quittant «le monde des autres», en basculant dans la captivité puis la déportation, Geneviève de Gaulle-Anthonioz avait fait un héritage négatif si l'on veut et héroïque à assumer.

Elle a écrit un livre extraordinaire Traversée de la nuit (Seuil, Paris, 1998, 60 pages)1 rédigé, 53 ans après sa libération des camps de la Mort, en 15 jours. C'est un hymne à la grandeur humaine. Cette Française admettait que s'étant engagée dans la résistance par patriotisme, elle avait découvert dans cette lutte, beaucoup plus largement, une lutte pour la dignité de tous les hommes: le véritable universalisme français.

À partir de 1958 et de sa rencontre du Père Wresinski, elle réinvestit tout son esprit venu de la Résistance dans la lutte contre la pauvreté au sein du mouvement ATD-quart monde. Il ne s'agit pas d'une association caritative mais d'une association républicaine visant non à soulager la pauvreté mais à l'éradiquer. Geneviève de Gaulle reprit la présidence du mouvement à la mort du Père Wresinski (1987) jusqu'en 1998, année au courant de laquelle ATD avait obtenu le vote au parlement français de la loi de lutte contre les exclusions.

Sur cette expérience de militante ATD, elle avait publié en 2001 chez Fayard (collection Quart Monde), un autre témoignage sobre et extraordinaire Le secret de l'espérance. Il faudra revenir sur ce livre. Nous y avons trouvé la conclusion du discours que Geneviève de Gaulle, en tant que membre du Conseil économique et social, adressa à l'Assemblée nationale le 15 avril 1997, lors de l'ouverture de la discussion de la loi contre les exclusions. Sans doute, ce discours plonge-t-il ses racines dans un passé qui s'estompe, sans doute aussi n'entendra-t-on plus cette voix magnifique de la Résistance française mêlée à un débat public et concret. Mais la Résistance n'est pas que française et elle n'a ni commencé ni fini le 18 juin 1940. Car la Résistance est de tous les temps. Puisque la Résistance a été un temps incarnée par la France, il est bon de réentendre les accents qu'elle peut donner à l'action publique de simples militants gaullistes et républicains. Écoutez Madame Geneviève de Gaulle à l'Assemblée nationale à Paris:

« Après les terribles épreuves que lui ont fait subir l'oppression nazie et celle de ses complices de Vichy, la France a re-souscrit un pacte avec les valeurs républicaines. Elle ne les a pas seulement réaffirmées, mais a souhaité leur donner un nouvel élan: ce fut en particulier le programme du Conseil National de la Résistance. Occupé, blessé, opprimé, pillé, notre pays se rassemblait pour préparer son avenir. Dans les prisons et dans les camps, une seconde fierté renaissait chez les Français. Nos camarades d'autres nationalités recommençaient à espérer pour eux-mêmes à travers le sursaut de la France. Puisque nous vivons aujourd'hui une nouvelle montée d'atteintes aux valeurs fondatrices de notre République, il ne sert à rien de les défendre morceau par morceau tout en tolérant par ailleurs des reculs. La seule riposte possible, la seule voie consistent à nous rassembler pour vouloir et mettre en oeuvre plus de démocratie. C'est l'attente ardente des plus pauvres que d'en devenir des artisans. C'est aussi le sens de notre Avis sur la loi d'orientation pour la cohésion sociale, tel que notre Conseil m'a chargée de vous le présenter.»

Le lien avc son action dans la Résistance est clairement établi. Mais ce que Geneviève de Gaulle explique encore mieux dans ce livre, c'est la correspondance entre la vie du quart monde et la vie à Ravensbrück. Pour elle, s'éveiller un matin dans le quart monde, c'est comme s'éveiller dans un camp de concentration: dans la saleté, le froid, la puanteur, la faim et le désespoir.

Loin de regarder de haut les pauvres, Geneviève de Gaulle les regardait comme de nouveaux héros, s'imaginant bien la force surhumaine qu'il faut pour reprendre chaque matin la lutte pour la survie, les enfants, la nourriture, un minimum d'humanité. Elle cite Marcuse dans son livre «C'est seulement à cause de ceux qui sont sans espoir que l'espoir nous est donné.» (p.67)

Une grande Dame de France vient de mourir mais l'esprit qui l'a animée ne meurt pas. Il passe de femme en femme depuis Antigone jusqu'à Marguerite Bervoets en passant par la Vierge Marie, Jeanne la Pucelle, Rosa Luxemburg. Il est la flamme d'une Résistance qui est le coeur même de l'Humanité et ce que nous appelons ici et maintenant: la République.

Le moment le plus bouleversant du dernier livre de Geneviève de Gaulle est ce passage où des adolescents d'un bidonville près de Paris jouent «Antigone» et reprennent en ce lieu inattendu les paroles de l'héroïne immortelle qui se lève contre le Tyran et sa Loi: «pour obéir à une autre loi, celle non écrite mais inébranlable, des Dieux.»

  1. 1. Compte rendu dans TOUDI n° 21-22, septembre-octobre 1999.