Elections régionales en Wallonie : analyse des résultats
Sur ce même site 1 , j'avais essayé il y a quelques semaines, de discerner quelles pourraient être les grandes tendances des élections wallonnes du 7 juin ainsi que les coalitions possibles, celles-ci étant maintenant en place dans l'ensemble de l'espace politique francophone, il me semble judicieux de comparer ces prévisions et la réalité issues des urnes et d'un mois de tractations politiques.
Petit rappel historique...
J'écrivais en mai dernier que l'alliance conclue en 1999 au niveau wallon et bruxellois entre PS et PRL-FDF n'était guère surprenante, celle-ci leur permettait d'accélérer le processus de bipolarisation entamé vers le milieu des années 90. Seul l'excellent score d'ÉCOLO en Wallonie (et à Bruxelles), réalisé lors de ces mêmes élections empêcha l'accélération de la constitution de deux grands pôles politiques : un pôle « libéralo-conservateur » emmené par le MR et un pôle « progressiste » articulé autour du PS.
J'ajoutais en outre que la grande erreur du PS, après ses succès de 2003 et 2004, fut de négliger la constitution d'un pôle progressiste en Wallonie, le PS wallon ayant ignoré trop longtemps ECOLO. En 2003-2004, la dominance du PS au sein du pôle « progressiste » wallon était certaine, mais la force de cette dominance apparaissait encore incertaine. Par contre, le PS affaibli pouvant sortir des élections wallonnes ne pourrait plus aussi facilement mener la danse, ECOLO se souvenant que les convergences de gauche furent en 2003 une tactique du PS pour récupérer ses électeurs qui avaient rejoint les Verts en 1999. Je concluais mon article en insistant sur le fait que le MR et le PS étaient clairement dans une logique d'affrontement pour obtenir la place de premier parti de Wallonie, celle-ci déterminant par ricochet la coalition devant diriger la Communauté française. Le MR redevenu le premier parti de la Région de Bruxelles-Capitale pourrait être à même de forcer les portes du gouvernement wallon mais il ne pouvait toutefois écarter le PS qu'au moyen d'une tripartite avec ECOLO et le CDH, d'où l'importance pour le PS de ses relations avec ces deux derniers partis.
La Wallonie reste ancrée à gauche et l'olivier se révèle la seule coalition possible !
Je ne reviendrais pas, à nouveau, sur la difficulté de comparer statistiquement les élections fédérales et régionales en Wallonie 2, il me semble plus judicieux de comparer les résultats de 2009 avec ceux de 2004, tout en tentant un rapprochement avec ceux des élections fédérales de 2007.
Commençons ce tour d'horizon par cette excellente nouvelle que constitue la disparition de l'extrême droite « populiste » des bancs du Parlement wallon. Ce résultat ne fait que confirmer ce que j'ai toujours affirmé dans les colonnes de Toudi, à savoir l'incapacité de celle-ci à s'implanter politiquement et sociologiquement de manière durable en Wallonie, ses succès comme lors des élections de 2003 et 2004 ou 2007 étant, à nouveau, réduits à néant quelques années plus tard. La division de ce courant politique en de multiples groupuscules passant leur temps à se dénoncer les uns les autres ainsi que le manque total de tout projet politique concret l'a conduit à cette défaite cinglante et sans appel, même si ce courant n'a pas pour autant disparu définitivement, un nouveau pic n'étant pas à exclure totalement d'ici quelques années.
Lors des élections régionales de 2004, le PS avait confirmé ses bons résultats de 2003 et obtenait 36,91% soit une augmentation plus de 7,47% par rapport à 1999 qui constituaient le plus mauvais résultat électoral de son histoire, les élections fédérales de 2007 exceptées. En juin dernier, il obtint 32,77% soit une perte de 4,14% par rapport à 2004.
Le MR, en 2004, avait recueilli 24,3% des suffrages, les élections de 2009 sont clairement un échec puisqu'il perd 0,89% et recueille 23 ,41% des suffrages.
Ce qu'il est intéressant de comparer est l'écart en nombre de suffrages entre le PS et le MR, alors qu'en 1999, pour les 5 circonscriptions du Hainaut qui élisent 29 députés wallons, il était tombé à environ 95.000 voix, il était remonté à plus de 160.000 voix en 2004. Même constat pour les 3 circonscriptions liégeoises élisant 23 députés wallons, dans le même temps, l'écart était passé d'environ 45.000 à 85.000 voix. Si maintenant nous comparons 2004 et 2009, pour ce qui concernes les circonscriptions hennuyères, le PS devance le MR de plus de 150.000 voix tandis que pour les circonscriptions liégeoises, l'écart atteint prés de 70.000 suffrages.
En mai dernier, j'écrivais que si le PS n'arrivait pas à maintenir un écart minimum d'environ 100.000 voix dans ces deux provinces, il était alors fort probable qu'il perdrait au bénéfice du MR sa place de premier parti de Wallonie. Avec plus de 220.000 voix de retard, il était impossible que le MR, même en réalisant des résultats exceptionnels dans les circonscriptions subsistantes réparties sur les provinces de Namur, Luxembourg et Brabant wallon, ce qui se révéla loin d'être le cas, devienne au soir du 7 juin dernier le premier parti wallon. Si nous tentons une comparaison avec les élections législatives de 2007, le MR perd prés de 170.000 voix alors que le PS en récupère près de 50.000, l'écart final entre les deux partis sur l'ensemble de la Wallonie frôlant les 190.000 voix.
Comment expliquer cette véritable déroute du MR ? Il est d'ailleurs préalablement intéressant de constater que l'écart en Wallonie entre PS et MR lors des élections européennes est moins important, le PS n'y obtenant plus que 30,5% contre 24,78% au MR, soit une différence d'environ 110.000 voix. Pourquoi l'écart est-il presque deux fois plus important concernant le Parlement wallon ? Il y a, selon moi, des raisons structurelles et conjoncturelles. Comme déjà souvent par le passé, l'électeur wallon a moins identifié le MR avec le cadre régional, ce dernier ayant plus un profil « communautaire », l'absence de circonscriptions provinciales comme pour les élections fédérales où peuvent s'exprimer des gros «faiseurs de voix» joue aussi certainement un rôle. En outre, contrairement au PS, le MR n'a pas aligné en position effective ces locomotives électorales de 2007, tels Didier Reynders, Charles Michel ou Olivier Chastel, donnant au fond l'impression à l'électeur wallon que les élections régionales seraient considérées par ce parti comme moins importantes. Les « affaires » se sont révélées, comme à chaque fois et comme je l'avais deviné, avoir un impact médiatique au sein du « microcosme » politique nettement supérieur à leur impact électoral final. Mais l'élément clé fut, et c'est une première dans l'histoire des élections wallonnes, lorsqu'Elio di Rupo annonça clairement avant les élections que pour son parti une seule coalition était faisable : ce sera l'olivier ou l'opposition. Ce fut un coup de maître qui déstabilisa tous les partis démocratiques, pour la première fois l'électeur wallon put faire son choix en ayant à l'esprit l'impact de son vote sur les coalitions non seulement possibles mais probables. Au fond, je dirais simplement que le PS a osé jouer la carte de la bipolarisation et c'est ainsi retrouvé en phase avec la majorité de la société ou de la « communauté des citoyens » wallons. Par ce geste, que cela leur plaise ou non- et je parierai que cela ne leur plut pas beaucoup, le PS avait lié le sort d'ECOLO et du CDH au sien. Ces deux partis se sont retrouvés pris dans la nasse, ils essayèrent bien de sauver les apparences en montrant quelques réticences au lendemain des élections à s'allier au PS mais avec celui-ci comme premier parti de Wallonie et en plus de loin, il n'y avait pas d'autre alternative possible pour eux que l'olivier, la société wallonne ayant clairement fait le choix de voter à gauche, allant ainsi à contre-courant de quasi toute l'Europe.
Ecolo
Penchons-nous quelques instants sur ECOLO, son sort électoral constitue un « retour vers le futur », c'est-à-dire l'obtention 18,54% des voix et un résultat dépassant de 30.000 voix le score historique réalisé en 1999, ce qui est, au niveau européen, probablement unique. Mais il faut toutefois admettre que cette réelle victoire dans les urnes s'est transformée en une semi défaite politique, pourquoi ? Il est clair que les dirigeants d'ECOLO, grisés par certains sondages, se voyaient déjà, le matin du 8 juin, les arbitres du jeu politique wallon. En mai dernier, j'écrivais qu' ECOLO, s'il voulait capitaliser sur son probable succès électoral, sera obligé de rompre son isolement et donc choisir avec qui il est prêt à gouverner. Un rapprochement avec le MR était possible, ces deux partis gouvernant ensemble l'exécutif provincial du Brabant wallon ou des communes, la perspective de voir le PS relégué dans l'opposition recueillant autant d'adeptes au sein de ces deux partis qui se rappellent amèrement l'attitude du PS triomphant de 2004. ÉCOLO a, en coulisse, pris l'initiative pour tenter de freiner le mouvement de bipolarisation de la vie politique wallonne en se rapprochant, comme je l'écrivais déjà en 2003 dans Toudi 3, du CDH. La combinaison du choix clair fait par le PS de jouer la carte de la bipolarisation ainsi que le résultat final des élections ne laissa finalement aux verts que l'alternative entre l'olivier et l'opposition. Toutefois, ce rapprochement affiché avec un CDH affaibli 4 me parait un fait nouveau qui pourrait, s'il se concrétise dans le durée, produire des conséquences potentiellement importante car de celui-ci pourrait dépendre la constitution ou pas du pôle progressiste en gestation depuis 10 ans. Que se passerait-il si un jour Ecolo et CDH ouvertement alliés obtenait plus de sièges que le PS ou le MR ? Ce melon (vert-orange) pourrait alors balancer d'un pôle à l'autre paralysant ainsi le processus de bipolarisation. Notons toutefois que la cohabitation pourrait s'avérer houleuse, ces deux partis ayant un électorat potentiel assez proche mais le CDH possède toujours un ancrage local qui fait toujours défaut aux Ecolos, ils seront plus naturellement portés à s'affronter qu'à s'unir...
Je terminais mon article précédant en énonçant les deux paradoxes potentiels de ces élections régionales, le CDH qui, comme en 1999, risquait de se retrouver en quatrième position, devenu arbitre du choix entre une coalition de type olivier ou une coalition "anti-PS" dite jamaïcaine, son influence politique étant ainsi inversement proportionnelle à celle de son poids électoral. Ces élections pouvaient aussi conduire à une accélération de la bipolarisation du paysage politique wallon; celle-ci freinée en 1999 et arrêtée en 2004, reprenant son cours avec la constitution d'un pôle progressiste wallon par l'apparition d'une coalition de type olivier. Je ne changerai pas une seule ligne mais j'ajouterais que l'enjeu des prochaines années est là, verra-t-on l'émergence d'un pôle progressiste sous la conduite du PS ou bien un bloc centriste rassemblant ECOLO et CDH fera-t-il, par la force des choses, son apparition ? Notons que la possible mise en place par l'olivier d'une circonscription électorale couvrant toute la Wallonie pour une partie de l'élection des parlementaires wallons ainsi que la réforme des institutions infrarégionale ne feront qu'accentuer ce mouvement de bipolarisation.
Voir aussi Le Ps, comme nous l'avions prévu
- 1. Elections régionales en Wallonie: état des lieux, perspectives
- 2. Elections régionales en Wallonie: état des lieux, perspectives
- 3. Grandes manoeuvres de bipolarisation : fédéral et Wallonie
- 4. LE CDH obtient en 2009 un score un peu inférieur à celui obtenu par le PSC en 1999 avec 323.953 voix et 16,14% soit une perte de 1,48% et d'environ 23.000 voix comparés aux élections régionales de 2004.