Mobutu roi du Zaïre

Toudi mensuel n°27, avril-mai 2000
1 April, 2010

Congo Cinéma

Après le succès de films comme Rosetta, Les convoyeurs attendent, il faut dire un mot d'une autre oeuvre importante d'un cinéaste wallon, le film de Thierry Michel, Mobutu, roi du Zaïre.

Il se fait que l'auteur de ces lignes l'a vu à Amsterdam, après avoir vu, en zappant la veille à son hôtel, un film à la télé hollandaise sur Ceaucescu. Quel rapport dira-t-on? C'est que ces deux dictatures ont des choses en commun, notamment dans l'apparence d'unanimité créée à partir du folklore national. En outre, on revoit, dans Mobutu, roi du Zaïre, les images de l'exécution de Ceaucescu en 1989. Or, parmi les personnes qu'a interrogées Thierry Michel, il y a un ancien ministre de l'information zaïrois qui avait passé ces images à la télé zaïroise, provoquant des remarques irritées de Mobutu. Qui, manifestement, avait senti alors «passer le vent du boulet» et qui avait lancé une campagne de libéralisation de son régime qui devait l'amener à prendre finalement une sorte de semi-retraite à Gbadolite, pendant que se tenait la fameuse «Conférence nationale» dont les travaux allaient s'avérer finalement stériles. Mobutu est resté au pouvoir au Zaïre jusqu'à quelques mois de sa mort, régnant alors sur un pays dévasté.

Mobutu et nous

S'il décrit la dictature sanglante, cynique, corrompue d'un despote africain, Thierry Michel montre aussi à quel point ce Mobutu nous concerne. Alors qu'il a du sang sur les mains, alors qu'il pille le Congo et édifie une immense fortune personnelle sur un pays exsangue, il est reçu par toutes les grandes personnalités des pays démocratiques: la Reine d'Angleterre, le Président des États-Unis, le général de Gaulle, le roi des Belges etc. Et Mao...

Thierry Michel a même retrouvé des films tournés lors de réceptions dans une maison du Midi où l'on voit s'étaler la fortune du dictateur qui mange et rit avec l'ancien Premier Ministre français Raymond Barre, un journaliste de la RTBF, de multiples autres personnalités dont on est un peu gêné de parler.

La marche à la «gloire» d'un dictateur

Parmi les personnes interrogées, un témoignage frappe, celui de cet universitaire africain montrant que Mobutu a profité de toutes les défaites du Zaïre, défaites économiques et politiques, pour s'assurer une position de plus en plus forte. Jusqu'à cette zaïrisation, sorte de nationalisation des entreprises étrangères - en soi, la chose paraît une sorte de décolonisation - mais qui se fit au bénéfice des clients du régime, placés à la tête d'entreprises que leur incompétence totale et leur cupidité menèrent de concert à la ruine.

Voir ce film à l'étranger, en version anglaise, en compagnie de Hollandais, Anglais, Suédois (etc.), est frappant. On sent que Thierry Michel tape à chaque fois dans le mille car l'auditoire réagit à maintes reprises par des rires amers devant le cynisme de Mobutu. Une scène est cependant étonnante. À la fin, lorsque se réunit la «Conférence nationale» sous la présidence de Monseigneur Monsengwo, un deuxième fils de Mobutu meurt, plongeant celui-ci dans un chagrin épouvantable. C'est alors qu'un des seuls aspects humains de ce film sur un dictateur menteur et cynique se révèle: même les opposants de Mobutu viennent lui dire leur sympathie. Le sens bantou de la famille et de la fraternité dans le malheur l'emporte un instant dans cette descente aux enfers du système Mobutu.

Évidemment, tout ce qui est inhumain doit, justement pour rester in-humain avoir, paradoxalement, quelque chose d'humain.

En mettant cela crûment en évidence, Thierry Michel montre qu'il est resté le cinéaste wallon du documentaire le plus étonnant, toujours capable de savoir les images précises, rigoureuses, stupéfiantes qui vous en diront plus que mille journaux télévisés.

On sort de là en songeant aux phrases classiques sur le pouvoir qui corrompt et enlaidit bien des êtres humains tout en faisant cruellement souffrir tant de peuples.

On sort de là avec un arrière-goût de dégoût.