Mort d'Ernest Glinne (1931-2009)

10 August, 2009

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Ernest Glinne, né à Forchies-la -Marche le 30 mars 1931, vient de s'éteindre ce 10 août 2009 à l'âge de 78 ans. Licencié en sciences politiques de l'ULB en 1954, il dirigea le servivce des relations publiques du mouvement coopératif socialiste de 1954 à 1961. En 1956, il fonde La Gauche avec Jacques Yerna, André Renard, Ernest Mandel, Freddy Terwagne et François Perin, avec l'intention de faire adopter par le PSB les réformes de structure proposées par la FGTB. Il fut député de Charleroi de 1961 à 1981, ministre de l'emploi et du travail dans le gouvernement Leburton (de 1973 à 1974). Puis député européen de 1968 à 1994 (au départ ce mandat était cumulable avec celui de parlementaire belge, le Parlement européen étant au début une assemblée un peu théorique dont les membres n'étaient d'ailleurs pas élus directement). Il dirigea aussi la commune de Courcelles de 1965 à 1978 avant d'en devenir premier échevin et échevin de la culture jusqu'en 1994. Il s'engagea dans le mouvement wallon dans la foulée de la grande grève de 1960-1961. Il demandait le fédéralisme, mais un fédéralisme avec un contenu économique et social dans la foulée de ce que l'on appelle le renardisme. En 1963, le gouvernement Lefèvre-Spaak fait voter par le Parlement des lois sur le maintien de l'ordre (à cause du souvenir de la violence des grèves de 60). Il s'abstient et est sanctionné comme Cools, Hurez, Massart et Terwagne. Lors de la décision du PSB (en 1964), de rendre incompatible l'appartenance au Mouvement Populaire Wallon et au parti, il choisit de demeurer au PSB. 1

Un autonomiste wallon ouvert à la Flandre et un socialiste de gauche

Fédéraliste ouvert aux Flamands dont il parlait la langue, il vota en faveur de la proposition Verroken étendant à l'enseignement supérieur le principe de l'homogénéité linguistique. Il se réclamait à cet égard de certains votes de Jules Destrée avant 1914. Il motiva également son vote en parlant de la légitimité d'un combat flamand face aux Flamands francophones et au nom du rejet de l'unitarisme belge. Lorsque se met en place le gouvernement Eyskens-Merlot en 1968, il met en cause le fait que le programme gouvernemental a des relents de provincialisme ne prend pas en compte les accords à tendance fédéraliste entre les socialistes wallons et flamands (accords dits de Klemskerke-Verviers en 1967), et ne vote pas la confiance à ce gouvernement PSB-PSC. Rapporteur à la Commission de révision constitutionnelle, il démissionne de ce poste (14 juin 1970), parce que les Flamands ne veulent pas d'un statut pour Bruxelles. À l'extérieur du pays, il milite contre la politique des blocs, la décolonisation. Il dépose une proposition de loi en février 1971 en faveur du droit de vote pour les immigrés. En tant que ministre de l'emploi, suite au décret dit « de septembre » (imposant l'usage de la langue néerlandaise dans les entreprises flamandes), il suspend l'octroi d'un permis de travail aux travailleurs étrangers, manière de s'opposer à ce décret. En 1974, la FGTB et le PSB signent un accord en vue d'une régionalisation rapide du pays. Mais, à cette époque, ses préoccupations se tournent vers l'étranger. Il demeure un socialiste de gauche et fonde en 1978 le journal Tribunes socialistes.

Ces luttes de tendances au sein du PS peuvent nous paraître aujourd'hui un peu vaines. Disons qu'elles apparaissaient sans doute un peu comme cela aux yeux des contemporains, déjà. En effet, on a pu reprocher à Glinne d'avoir été ministre une seule fois, dans le Gouvernement Leburton, qui n'était certes pas un socialiste de pointe, ni d'ailleurs un Wallon fort convaincu. Mais il serait intéressant à cet égard de se rappeler que le renardisme participa aussi de cette lutte à l'intérieur du mouvement socialiste en général. 2. Enfin, ne nous laissons pas aller à l'air du temps: socialistes et républicains cherchent toujours à proposer des alternatives. La chose se fait peut-être moins dans le fracas du choc des doctrines dont le bruit n'était sans doute pas celui d'un tonneau vide, à l'époque.

Controverses à l'Europe

Lors de la rupture intervenue en 1978 entre socialistes flamands et socialistes wallons/francophones, il déplore cette rupture, réaffirme son soutien à la thèse du fédéralisme à trois. Cette orientation est en quelque sorte consacrée par son élection au Parlement européen aux premières élections européennes au suffrage universel en 1979. Après que Cools ait démissionné spectaculairement de la présidence du PS début 1981, il se présente comme candidat à ce poste, contre Guy Spitaels qui ne l'emporte que difficilement au second tour, en n'arrachant que 51% des suffrages. Lorsque José Happart est élu parlementaire sur les listes du PS en juin 1984 (socialiste apparenté), le PS décide qu'aucun député socialiste wallon ou francophone ne siègera au PE tant que José Happart ne sera pas admis comme membre à part entière dans le groupe socialiste. Glinne ne suit à nouveau pas son parti et est suspendu du Bureau du PS. Il est vrai que le député de Courcelles avait voté, au moins la deuxième fois en 1962, en faveur de la frontière linguistique d'alors (ce qui impliquait le rattachement des Fourons au Limbourg). Il mettait en cause le fait que, dans les années 60, au départ, les socialistes liégeois avaient eu quelque tendance à admettre la réunion des Fourons au Limbourg. 3

En 1994, Ernest Glinne ne sera pas repris sur les listes européennes du PS. En 1998, il rompt avec son parti et rejoint les Ecolos. Trois mois avant les élections régionales wallonnes de cette année, Ernest Glinne annonçait qu'il ralliait le Rassemblement Wallonie France de P-H Gendebien et il fut de fait candidat (premier suppléant) sur la liste de ce parti à Charleroi. Aux dires de ceux qui l'ont connu, Glinne, ce faisant, restait fidèle aux valeurs de la gauche et c'est surtout à la devise de la République qu'il entendait se « réunir ». Ernest Glinne habitait au Square Allende. Durant l'un de ses maïorats à Courcelles il avait fait voter le principe de soumettre le budget communal à l'avis de la population. Glinne avait aussi soutenu le docteur Peers, militant de la dépénalisation de l'avortement et s'était engagé aussi en faveur de lois favorables aux homosexuels.

Cette vie fut vouée à un triple combat : socialiste et internationaliste, wallon et européen. Il est possible que l'on garde d'Ernest Glinne, de ce fait, une image pas tout à fait nette. Mais c'est à son honneur dans la mesure où il tenta plus que d'autres de lier entre eux les trois espoirs de la gauche wallonne. Ne l'oublions pas trop vite comme certains 4, et disons bien haut qu'Ernest Glinne fut un grand Citoyen.

Quelques compléments sur le blog de Pierre Verhas,http://uranopole.over-blog.com">notamment sur les crédits d'heures (permettant aux travailleurs de se former pendant leurs heures de travail), et le lien entre la rupture de Glinne avec le PS et des affaires à l'époque dont Agusta, Richard Carlier...

Glinne était-il nécessairement hostile à Happart (il l'a été au début). En revanche, on a le sentiment que l'élection de Guy Spitaels ne s'est pas déroulée dans les meilleures conditions...

Voir aussi Jean-Maurice Dehousse sur le décès d'Ernest Glinne

  1. 1. Cette notice doit évidemment beaucoup à l'Encyclopédie du mouvement wallon.
  2. 2. Voir Socialisme et question nationale [notamment en Belgique et Wallonie]
  3. 3. Cette interprétation des choses doit cependant être fortement nuancée, nous l'avons montré dans Fourons, le fond du problème est à Enghien, in TOUDI annuel, n° 2, pp. 78-85. En réalité, c'est surtout dans le Centre Harmel et puis dans des discussions préalables au Parlement belge - notamment en Commission - que plusieurs militants ou mandataires wallons s'étaient ralliés à la thèse flamande, estimant, dans un esprit d'entente avec la Flandre, qu'il ne fallait pas lui imposer la même humiliation que celle qu'elle ressentit à Enghien.
  4. 4. Sans vaine polémique, regrettons ici que dans le bel ouvrage de Freddy Joris et Frédéric Marchesani, Sur les traces du mouvement wallon, si les victimes de Grâce-Berleur ne sont pas oubliées, Julien Lahaut, lui, l'est carrément. Alors que cette figure demeure centrale dans notre mémoire comme l'a vu quelqu'un qui n'est ni de sa génération ni de son camp, Laurent Hendschel : Po Julyin Lahaut. On n'y signale pas non plus que les communistes wallons furent les premiers à tenir un Congrès politique séparé en 1938.