La cession du Congo à la Belgique par Léopold II (et autres héritages du même)
Histoire de la monarchie belge
Adam Hochschild écrit à propos de la cession du Congo à la Belgique (auquel Léopold II ne consentit qu'en raison de la pression internationale) : « Finalement, le roi (...) annonça son prix. Il consentit à le baisser un peu, mais pas beaucoup; en mars 1908, le marché fut conclu. En échange du Congo, le gouvernement belge acceptait d'assumer ses dettes, estimées à cent dix millions de francs, dont une grande partie était sous la forme des obligations que Léopold avait si généreusement distribuées au fil des années à des favoris comme Caroline. Une part des dettes que le gouvernement belge floué prenait à sa charge était en fait due à lui-même : les trente-deux millions d'emprunts - ou à peu près - que Léopold n'avait jamais remboursés. L'accord prévoyait également que la Belgique acceptait de débourser quarante-cinq millions et demi de francs pour achever certains des projets architecturaux du roi. Sur cette somme, pas moins d'un tiers était destiné aux importantes rénovations en cours à Laeken, qui était d'ores et déjà une des demeures royales les plus fastueuses d'Europe ; également à Laeken, jusqu'à sept cents maçons, sans compter cent cinquante chevaux et sept grues à vapeur, travaillèrent à édifier un grandiose projet de Léopold, un grand centre de conférences internationales. Enfin, Léopold devait recevoir, en plusieurs versements, cinquante millions de francs "en témoignage de gratitude pour ses grands sacrifices en faveur du Congo créé par lui". Il n'était pas question que ces sommes fussent payées par le contribuable belge. Elles devaient venir du Congo lui-même. » 1
La version de Jean Stengers est en partie différente :
« Les débuts du Congo n'avaient guère été de nature à en permettre la réalisation [des rêves colonialistes de Léopold II]. Bien au contraire, l'Etat indépendant, dans les premières années, constitue une charge financière lourde, non seulement pour la cassette royale, mais aussi pour la Belgique elle-même, que le roi est forcé sans cesse d'appeler à son secours. Par deux fois, en 1890 d'abord, puis en 1895, Léopold II ne sera sauvé de la faillite que par les prêts que lui alloue la Belgique. Mais c'est à partir de 1895 précisément que la situation va se modifier du tout au tout, et cela grâce aux récoltes du caoutchouc, qui profitent directement à l'Etat. Le caoutchouc va être une véritable manne. "Les recettes deviennent très belles", annonce le roi dès juin 1895. L'année suivante déjà, le budget sera en équilibre. Il présentera par la suite des boni souvent élevés. Léopold II, maître absolu du Congo, peut désormais disposer librement d'un "excédent" qui va se chiffrer par millions. Il peut disposer librement des ressources de l'emprunt. Le crédit financier qu'a acquis l'Etat indépendant lui permet en effet de lancer des emprunts. Entre 1901 et 1908, il va se procurer de cette manière près de 100 millions de francs. » 2
Sur les 50 millions versés « en témoignage de gratitude », Jean Stengers explique que ces 50 millions sont « à charge de la colonie » et que la loi spécifiait que les dépenses à décider par le roi devaient être « à destination du Congo ». Sur les 3.800.000 francs de la première annuité « 2.500.000 allèrent à la construction de l'Ecole mondiale à Tervueren. La conception de ce qui était "relatif au Congo" était, on le voit très extensive; on était avant tout dans la ligne des grandes constructions métropolitaines chères au roi. Ce détournement, en fait, du sens des dispositions de l'Acte additionnel aurait pu se poursuivre si, dès 1910, la décision n'était pas passée aux mains du roi Albert et si le roi Albert, lui, n'avait immdiatement redressé la barre. Les quatorze annuités du roi Albert seront consacrées à l'hygiène, à la lutte contre la maladie du sommeil, aux hôpitaux, à la formation des médecins et des assistants médicaux indigènes... » 3
Sur la reprise, par l'Etat belge, des dettes de Léopold II ou de l'Etat indépendant, Jean Stengers ne dit rien.
Le coût des travaux effectués par Léopold II (Arcade du Cinquantenaire, 6 millions, travaux à Laeken, 12 millions et Musée de Tervueren et dépendances, 8 millions), soit les 26 millions (sans compter les acquisitions immobilières en vue de projets non réalisés) cités ailleurs 4.
Donation royale et Fondation de Niederfullbach
Enfin, Léopold II légua aussi à l'Etat belge une série considérable de biens dont il fallait préserver le caractère [extensions de Laeken, 6.500 hectares du domaine de Ciergnon, d'Ardenne et Villers etc.], sous le nom de Donation royale. Si ces biens étaient cédés à l'Etat belge, les successeurs du trône en gardaient en quelque sorte l'usufruit en majeure partie et sans limite de temps. Jean Stengers observe à cet égard : « Les avantages divers que le roi, à l'heure actuelle encore, retire de la Donation royale représentent approximativement, a-t-on pu calculer, la moitié du montant de la liste civile. » 5
Dans Du sang sur les lianes, Didier Hatier, Bruxelles, 1986, Daniel Vangroenweghe parle aussi de la Fondation de Niederfullbach dont il évalue le portefeuille à 45 millions, dans laquelle l'actif personnel du roi se montait à 25 millions et dont 20 millions venaient du Congo. Le roi espérait par le biais de cette fondation déshériter ses filles et léguer ses biens à la Belgique. Il avait eu aussi l'intention de créer un grand sanatorium pour ses agents et une résidence pour la famille royale. L'Etat belge considéra cette Fondation comme illégale, tout l'héritage congolais de Léopold II ayant été réglé en 1908. Les filles de Léopold intentèrent un procès considérant que cette Fondation faisait partie de l'héritage privé du roi. Daniel Vangroenweghe écrit (sans autre précision), qu'il apparut ensuite que les princesses avaient droit à une partie des valeurs de la fondation et que l'Etat en récupéra un montant qu'il chiffre. 6
- 1. A. Hochschild, Les fantômes du roi Léopold, Belfond, Paris, 1998, p.304.
- 2. Jean Stengers, L'action du roi en Belgique depuis 1831, Duculot, Gembloux, p.297.
- 3. Ibidem, p. 132.
- 4. dans Léopold II criminel contre l'humanité ?.
- 5. Jean Stengers, op. cit., p. 292.
- 6. Du sang sur les lianes, pp. 229-230.