Pierre Mertens: la dérision belge
Pierre Mertens a donc dû retirer quelques passages de son livre Une paix royale suite à la décision d'un tribunal parisien requis par la princesse Lilian dite de Belgique (...).Trois ou quatre passages supprimés, ce n'est pas ordinaire ces dernières décennies et ça vous a un parfum de 19e siècle (...). Mais je doute qu'il y ait là matière à engendrer une nouvelle affaire Rushdie. C'est vrai qu'on n'est pas autorisé à tout dire, absolument tout dire, n'importe comment. On ne peut, par exemple, diffamer et c'est très bien ainsi. Diffamer, c'est attenter à la réputation d'autrui en lui imputant des actions qu'il n'a pas commises ou des propos qu'il n'a pas tenus et qui pourraient donner de lui une image négative. Heureusement pour Pierre Mertens, le délit inverse, donner de quelqu'un une vue positive contre toute vérité, n'existe pas. Systématiquement, il donne dans son roman une image compréhensive sinon positive de Léopold III et il réserve ses mesquineries aux hommes politiques, comme Paul-Henri Spaak qui, à Londres, compensait par des parties de golf dominicales les ravages que son coup de fourchette faisait toute la semaine... Triste, triste. Que Léopold III n'ait pas eu tort de capituler soit, mais pour le reste voilà une présentation bien surprenante et qui s'accommode aisément des travaux historiques les plus récents, y compris l'un qui démontre les sentiments antisémites et antimaçonniques du Roi. (...) Dans Une Paix Royale, tout est dérisoire. L'univers belge paraît réduit à Merckx et aux mesquineries des annexes du palais royal. Peut-être au fond, le portrait est-il fidèle. Si c'est le cas, il est plus qu'inquiétant, même s'il ne faut pas prendre pour argent comptant les ors de l'académie française et les lambris d'Oxford. Le seul point positif de l'affaire - le livre et le procès - c'est qu'au fond, malgré ses deux protagonistes, elle devra bien forcer les Belges à se questionner sur ce que leur apporte une monarchie qui leur a valu bien des mécomptes dans le passé et dont le présent paraît rejoindre les monarchies calamiteuses d'Europe, le côté amusant en moins. Une paix royale est un roman. La couverture nous le dit et, de fait, l'oeuvre a, dans son ensemble, une indubitable tournure littéraire. Elle est largement autobiographique sans doute, mais on ne voit pas ce que cela empêche (...)
Patrice Dartevelle
Editorial de Espaces de Libertés, novembre 1995. P.Dartevelle souligne ensuite le danger pour la liberté d'expression de la sentence parisienne.