EDITO "Le Monde Diplo" découvre enfin la Wallonie

2 December, 2010

Le samedi 30 octobre, VIGILE écrivait: « Le Monde Diplomatique est très décevant, tant pour les Wallons que pour les Québécois. Et en ce qui concerne la Belgique, en particulier la Wallonie, jamais - je dis bien : jamais - je n'ai lu dans ce périodique la moindre analyse réellement novatrice ou inspirante sur la Belgique. Jamais ! Encore moins sur la Wallonie encore décrite récemment (en juin), comme vivant "sous perfusion de l'Etat belge", ce qui est une parole qui n'est que le reflet d'un nationalisme flamand parfaitement exagéré, comme les événements récents le montrent. » 1.

La bourgeoisie francophone n'est pas la Wallonie

Le supplément « Wallonie » du Monde Diplo de ce mois de décembre 2010 réconcilie enfin avec ce journal. C'est vraiment la première fois (ce qui est quand même fort pour un journal comme Le Monde Diplomatique, pourtant situé à gauche), que lien entre le syndicalisme et le mouvement wallon est reconnu depuis que ce journal paraît. Ses lecteurs se sont mis en vain à la recherche désespérée de cette dimension fondamentale, capitale pour la Wallonie. L'analyse nouvelle - du moins pour ce journal français - est due au sociologue liégeois Marc Jacquemain, professeur de sociologie à l'Université de Liège. C'est probalement aussi la première fois que le journal donne la parole à une personne telle que lui, alors qu'il y a des centaines de plumes en Wallonie capable de faire ces remarques, ce qui n'enlève rien aux lignes intelligentes et pénétrantes de l'auteur. Il montre d'abord que, contrairement à ce qui se passe en Flandre, le réel attachement des Wallons à la Wallonie (qu'il compare d'ailleurs à celui d'autres sentiments dans de grandes nations comme la France et les USA), peut se combiner à un attachement à la Belgique. Ensuite, il brosse rapidement l'histoire économique de la Belgique, soulignant (comme Pierre Lebrun ou Michel Quévit - entre autres - le font depuis des siècles), que la Belgique a été dominée par une bourgeoisie francophone transrégionale. Le combat flamand en sa dimension sociale centrale a visé à se libérer de la domination à la fois sociale mais aussi « étrangère » de cette classe sociale ni wallonne, ni flamande, ni bruxelloise mais belge. Classe d''opinion plutôt libérale ce qui heurte le petit peuple flamand catholique et qui vaut au mouvement flamand l'appui de l'Eglise dès le départ. De très nombreux Flamands immigrent dans une Wallonie prospère (pas riche cependant), où il y a des emplois et y sont des immigrés devenus aujourd'hui « indiscernables » souligne pertinemment Marc Jacuqemain.

Le sentiment wallon se fonde sur la classe ouvrière

Après la Deuxième guerre mondiale, la prospérité wallonne s'affaiblit et la Flandre s'industrialise. Dans les années 60, la Flandre surpasse la Wallonie sur le plan économique. Marc Jacquemain écrit ces lignes que nous ne lisons pas assez dans nos médias qui sont pourtant le BA BA de la sociologie wallonnne : « L'affirmation wallonne, particulièrement forte à cette époque (années 60) s'appuie alors largement sur la classe ouvrière locale. Les syndicalistes (plus que les politiques) revendiquent à la fois l'autonomie et ce que l'on appelle les "réformes de structures " à savoir un interventionnisme acru des pouvoirs publics pour enrayer le déclin industriel. La revendication n'est alors que très accessoirement culturelle : il s'agit avant tout de disposer des moyens institutionnels de mener une politique économique et sociale adaptée à la crise. Ironie de l'histoire, le versant institutionnel de ce programme, l'autonomie régionale, se réalisera à partir des années 1980, au momeent où, sous la poussée de l'idéolgue néolibérale en Europe comme aux Etats-Unis, le rôle de l'Etat est déligitimé et progressivement réduit. » Il écrit ensuite : « Le mouvement wallon s'est donc d'abord construit comme un courant social, largement interpénétré avec le monde ouvrier et dont l'ennemi ne fut pas une élite étrangère mais le capitalisme lui-même. »

Le modèle wallon, c'est unanimement la concertation sociale

Il s'ensuit également, selon Marc Jacquemain que « Le deuxième trait de l'identité wallonne héritée de cette histoire réside dans l'adhésion à un modèle de société plutôt qu'à des traditions culturelles anciennes. Le modèle social-démocrate, associant protection sociale, forte concertation et, en même temps, une certaine valorisation de la responsabilité individuelle semble rencontrer l'adhésion générale. » S'il y a contestation entre syndicats et patrons, prétend M.Jacquemain « c'est au nom du modèle de concertation sociale que l'on défend le principe du droit de grève ou que l'on en essaye d'en limiter la portée ». Il conclut : « L'identité wallonne peut ainsi se révéler solide tout en étant très éloignée des débordements émotionnels et symboliques qui caractérisent le sentiment national dans bien des régions du monde. Cependant face aux pressions de la mondialisation, cette particularité n'est-elle que le chant du cygne d'une certaine conception, attrayante, du monde ou, à l'inverse constitue-t-elle un atout permettant de traverser les turbulences auxquelles toutes les sociétés européennes semblent promises ? »

Remarques critiques : à classe dominée, culture dominée, voire absente

Marc Jacquemain écrit aussi «c'est en vain que l'on chercherait , lors d'événements publics, une marée de drapeaux régionaux de celles dont les Flamands se montrent à l'inverse friands ». Ici, il nous semble avoir tort, étant donné que, du moins entre 1960 et 1990 (et encore après), les manifestations syndicales présentèrent souvent ce caractère mais, il est vrai, comme si le symbole national s'enfonçait, au point de disparaître, dans le souci prioritairement social et syndical.

S'il est vrai que le régionalisme wallon a combattu avant tout le capitalisme, il faut dire que du côté des grands leaders syndicaux comme André Renard, il y a eu (notamment dans une interview donnée au Times de Londres le 9 janvier 1961), des mots très durs à l'égard de ce que le grand leader syndical appela alors le gouvernement flamand unitariste. Et cela en plein coeur d'une grève insurrectionnelle qui vit le pays wallon quadrillé par deux divisions d'armée (18.000 gendarmes et 18.000 soldats), capables à partir du 9 janvier, précisément, de procéder à 2000 arrestations de piquets de grève. Il est vrai aussi de dire que la Wallonie ne se présenterait même pas (ou peu) attachée à tout le moins, à ces traditions de luttes elles-mêmes dont Thierry Michel disait, le 29 novembre 2010, à une émission culturelle de la RTBF, qu'elles sont peu portées par la culture de Wallonie.

Que ce soit à travers le cinéma (Michel, Meyer, les Dardenne), la littérature (Haumont, Dubois, Detrez - voire même Simenon), le théâtre (Jean Louvet), ces traditions ont certes été mises en avant par des auteurs qui n'ont rien de secondaire. Il existe depuis peu (30 ans, 40 ans tout au plus), une véritable historiographie wallonne qui porte les mêmes traditions, la même mémoire. Pourtant, on pourrait dire que ces porteurs de traditions (avec de jeunes émules d'ailleurs comme Nicolas Ancion par exemple, voire Bouli Lanners), ne percent pas comme il le faudrait dans le brouillard belge « illuminé » par les valeurs « sûres » que sont Amélie Nothomb et d'une manière générae la branchitude bruxelloise. Mais ici, ne faudrait-il pas penser qu'il est logique que l'art et la culture d'une classe dominée, demeurent assez logiquement un art et une culture dominés ?

Y a-t-il eu vraiment un déclin wallon ? La Belgique comme aliénation wallonne

On pourrait se demander aussi si, à la lecture de l'ouvrage capital de Michel Quévit, Wallonie-Flandre. Quelle solidarité ? paru en 2010 2, relayant lui-même un livre d'inspiration semblable paru, bien avant, en 1978, Les causes du déclin wallon, ouvrages qui furent chaque fois des best-sellers, une autre image du destin wallon ne se dessine pas. Celle d'une Wallonie dominée par la Flandre politiquement d'abord, socialement et économiquement ensuite voire même linguistiquement. On pourrait se demander même si la notion du déclin wallon n'est pas à revoir. Car le détournement par la Flandre, à son profit, de la majeure partie des ressources publiques de l'Etat belge en faveur d'Anvers et de l'équipement tant économique que logistique de la Flandre, ceci dès 1945 et même déjà avant la Deuxième guerre mondiale, amène une autre question. Comme toute classe dominée, la classe ouvrière wallonne, malgré le sursaut prodigieux de l'hiver 60-61, malgré les luttes menées ensuite pour sauver l'emploi un peu partout, réclamer le fédéralisme, le sauvetage de la sidérurgie, a peut-être été aussi aveuglée sur les réalités belges concrètes. Comme toute classe dominée, ne se trompe-t-elle pas du tout au tout quand, attachée à la Belgique (comme le redit Marc Jacquemain, à juste titre), elle maintient par là son adhésion à un système qui l'a sans doute plus profondément détruite que les difficultés internes de l'industrie wallonne (comme l'épuisement des mines de charbon) ? Un attachement qui caractérise souvent les classes dominées ou, en termes plus familiers, les cocus de l'histoire ?

Les difficultés wallonnes et l'impéritie des politiques wallons

C'est d'autant plus à souligner que les dirigeants syndicaux wallons sont très conscients de ce qui vient d'être dit. Dès lors, le projet wallon des réformes de structures pourrait être aussi considéré comme de plus en plus contesté et contredit, non pas seulement par la mondialisation, mais aussi par une classe politique, certes parfois liée aux syndicats, mais qui dans la logique de son électoralisme, préfère jouer le jeu plus facile de l'idéologie dominante. En l'occurrence une idéologie belgicaine qui a la faveur des casses moyennes tant en Wallonie qu'à Bruxelles. Ce qui est en tout cas frappant, c'est que cette classe politique très faiblement wallonne, tout en occupant peu à peu les strapontins politiques de plus en plus intéressants de l'Etat régional wallon oublie complètement qu'ils lui ont été offerts en fin de compte par les luttes syndicales ou en raison de la pression du nationalisme flamand. Dès lors ce pouvoir politique wallon ne prend pas ses responsabilités. 3

Soit en oubliant pourquoi il a été créé : les luttes syndicales.

Soit en assumant mal une Wallonie qu'il dirige par défaut et non par choix 4ce qui permet de justifier aux yeux de l'opinion belgicaine le pouvoir qu'il occupe simplement parce qu'on n'aurait rien pu faire d'autre, les Flamands demandant l'élargissement des compétences des Etats fédérés. Ce à quoi il a même souvent ajouté, pour se disculper de son intérêt pour la Wallonie suspect aux yeux d'une grande partie de son électorat : « Il faut sauver la Wallonie pour sauver la Belgique. »

On comprend la richesse et la chance de l'implication syndicale dans le mouvement wallon qui lui enlève un style nationaliste horripilant. On peut cependant s'effrayer que les politiques, en revanche, l'étouffent par un nationalisme belge absurde, grotesque, déplacé. Absurde : le CDH a fait campagne sur le slogan de l'unité belge « L'union fait la force » aux dernières élections de 2010 5. Grotesque : J.Milquet et L. Onkelinx chantent la Brabançonne le 27 septembre 2007 sur la place des Martyrs ou ne tarissent pas d'éloges à l'égard du Roi, durant l'année qui s'achève. Déplacé : au moment où certains calculs permettent de dire que la Wallonie assumera, bientôt, les trois-quarts des pouvoirs qui furent ceux de l'Etat fédéral belge dans les réformes de l'Etat dans le sens fédéral, faut-il vraiment amener les Wallons à s'accrocher à la nostalgie d'un Etat en complète déliquescence et qui risque, moralement, de les entraîner dans sa propre faillite morale et politique ?

Nous vous invitons à acheter en kiosque cette édition du Monde diplomatique - décembre 2010, afin de lire les différentes analyses sur la Wallonie (Marc Jacquemain, Olivier Bailly, Alexander Homann, Alfonso Artico). Par ce geste, les citoyens wallons encourageront également le Monde diplomatique à poursuivre cette approche éditoriale..
  1. 1. Le Québec vu par la RTB et Le Monde Diplomatique
  2. 2. Critique : Flandre-Wallonie. Quelle solidarité ? Michel Quévit (Couleurs livres)
  3. 3. Qu'est-ce que la Présidentocratie?
  4. 4. LA WALLONIE PAR CHOIX, NON PAR DEFAUT : 10 ARGUMENTS
  5. 5. Joëlle Milquet, culture wallonne et intelligence du coeur

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Confirmation d'autres études

Cet article confirme d'autres études comme Sentiments d'appartenance en Flandre et en Wallonie dont il est à noter qu'elle a été aussi une page sur Wikipédia qui y a été supprimée à la suite de deux demandes de suppression, l'une qui a échoué (en 2006), l'autre qui a été avalisée (deux ans plus tard! il y a certains acharnés un peu aveugles), après que plusieurs internautes wallons aient été exclus de Wikipédia, ce qui mesure les lacunes (graves), de cette encyclopédie sur une Belgique dont, précisément, des études comme celles-ci éclairent non seulement toute l'histoire mais l'actualité la plus brûlante.

Léopold III à Londres

Nous avons voulu attirer l'attention sur l'article de Marc Jacquemain. Il y a tout de même une grosse erreur à signaler: Léopold III ne s'est certainement pas exilé à Londres en 1940 et cela n'aurait pas pu être la raison de la révolte wallonne de 1950, bien au contraire.