La Flandre: belle-fille impossible des Pays-Bas ou partenaire réfléchie

Les gémellités européennes: II Flandre/Hollande
Toudi mensuel n°35, janvier-février 2001

La Flandre moderne est fille de la Révolution française et de la brève réunification avec les Pays-Bas. À l’époque française, durant laquelle les Lumières aussi bien que le Romantisme ont pénétré nos contrées, est née l’idée d’un État-nation propre. Celui-ci se construira lentement au sein et ensuite à l’encontre de l’État belge existant. Suite aux contacts répétés avec la culture néerlandaise devenue adulte, on a pris conscience que seule une pleine participation à cette culture pourrait légitimer l’émancipation flamande.

Dans la pratique, hormis quelques exceptions, ce sentiment d’appartenance à la culture néerlandaise a surtout été l’oeuvre de la Flandre, mais celui-ci a été fort assez pour vaincre le particularisme (catholique) flamand et pour que l’on se batte clairement pour une néerlandisation (et non une «flamandisation») de la vie sociale en Flandre. Durant tout le vingtième siècle, la dimension économique et politique de ce mouvement d’émancipation culturelle s’affirma de plus en plus, avec, comme résultat provisoire, un État fédéré flamand économiquement riche et politiquement autonome au sein de la Belgique fédérale. À côté de ce courant majoritaire, qui a mis en place les structures actuelles, d’autres projets politiques sont restés marginaux ou le sont devenus (notamment l’État Grand-Néerlandais ou l’État thiois de tous les Néerlandophones, la renaissance des Dix-Sept Provinces, le séparatisme flamand radical ou le maintien de l’État belge unitaire). On peut s’en réjouir ou le déplorer mais on peut difficilement le nier.

Une autre réalité qui s’impose c’est l‘unification de l’Europe, dont le Bénélux a été en quelque sorte un précurseur. Les Pays-Bas, la Belgique (donc également la Flandre et la Wallonie), perdent une part sans cesse croissante de leur souveraineté sur le plan économique, financier, juridique et politique, de sorte que le retour au modèle de l’État nation autonome du 19e siècle est devenu quasiment impossible. L’expérience des deux guerres mondiales et la tragédie douloureusement récente de l’ex-Yougoslavie ont modifié sur le plan éthique l’idée d’un État-nation exclusif, de sorte que toute forme de rapprochement entre les Pays-Bas et la Flandre devrait être considéré dans ce cadre plus large européen et mondial.

En revanche, l’inéluctable menace que fait peser la perspective d’une Europe dirigée par les grands États, menace qui plane sur les petites cultures, conduit au renforcement et à l’accélération de la coopération entre la Flandre et les Pays-Bas. Que ce soit surtout la Flandre qui soit demanderesse, cela tient aussi bien au rapport de force démographique qu’à la sensibilité linguistique et culturelle, qui, pour des raisons historiques, est plus vive dans le Sud. En raison du nouvel ordre économique né en Europe après la deuxième guerre mondiale, non seulement les États et les cultures de l’Europe se sont rapprochés, mais la composition interne de la population autochtone est devenu plus multiculturelle et multi-ethnique que jamais. Dans presque tous les pays d’Europe occidentale, de grande minorités européennes et non-européennes veulent «s’intégrer» sans que cela n’implique l’absorption par la culture majoritaire. Voilà aussi un facteur qu’il faudra prendre en compte de plus en plus à l’avenir.

Sur base de ces changements fondamentaux, nous pouvons formuler un certain nombre d’hypothèses:

L’Évolution vers le modèle confédéral est inéluctable

Le mouvement flamand est en première instance une réaction démocratique contre l’oppression culturelle de la majorité flamande en Belgique. La conscience grandissante du caractère injuste de cette situation et le poids politique et économique croissant des Flamands ont eu comme effet une série de réformes structurelles, qui ont provisoirement mené à la fédéralisation de l’État belge. Cette réforme de l’État est un processus qui ne sera achevé que lorsque le traitement équitable de tous les citoyens sera devenu réalité. Sur le papier, on pourrait s’imaginer un État belge dans lequel ce traitement équitable deviendrait effectif et qu’il n’y aurait donc plus besoin de réformes supplémentaires. En pratique, il est cependant évident que toutes les tentatives en vue de mettre en place cette équité ont débouché sur des mesures légales et des réformes structurelles garantissant dans les faits ces exigences légitimes. Cela a été le cas avec les divers lois linguistiques, la fixation de la frontière linguistique et enfin le splitsing d’un certain nombre de compétences qui ont été attribuées aux Communautés.

Du fait que, tant le développement économique que la dynamique sociale sont différents en Flandre et en Wallonie, notamment en raison du déclin de l’industrie traditionnelle du «charbon et de l’acier» en Wallonie, on peut s’attendre à la poursuite de la réforme de l’État à l’avenir, notamment via l’autonomie fiscale, la fédéralisation des soins de santé et de parts importantes de la sécurité sociale, le développement des relations internationales de la Flandre et de la Wallonie, et par le fait aussi des accords internationaux que les deux régions contracteront avec d’autres États et Régions. Cela n’a rien à voir avec du romantisme ethnique, mais cela tient tout simplement aux besoins économiques et sociaux des deux parties constitutives de la Belgique.

Le transfert annuel de plusieurs milliards de la Flandre vers la Wallonie dans le modèle fédéral actuel n’est plus nié, mais défendu au nom de la solidarité. Il s’agit ici d’un argument valable, à condition de comprendre la «solidarité» comme un mécanisme fondé sur la réciprocité et le volontarisme. Une Flandre économiquement et fiscalement nantie a, en effet, tout intérêt à négocier des formes efficaces et contrôlables de coopération avec un État fédéré wallon qui soit économiquement viable. Mais cela exige que le pouvoir réel émane des États fédérés qui se rencontrent au niveau fédéral et non pas, comme c’est le cas aujourd’hui, que le gouvernement fédéral (le niveau belge) délègue une partie de son pouvoir aux États Fédérés. L’évolution du fédéralisme actuel vers un modèle confédéral n’est pas seulement souhaitable, elle semble inéluctable à moyen terme (20 à 30 ans).

Un certain nombre de fédéralistes wallons, notamment des hommes politiques et des scientifiques autour de l’Institut Jules Destrée avouent que, à terme, cette évolution pourrait également être favorable à la Wallonie, bien qu’ils hésitent à sacrifier les avantages de la situation actuelle sans plus, aussi longtemps que l’économie wallonne n’a pas retrouvé un certain élan. Cette évolution est toutefois contestée par l’establishment belge industriel et financier qui, avec la monarchie, domine toujours, à partir de Bruxelles, le pays tout entier. Cet establishment peut compter sur le soutien de la majorité des élites wallonnes. C’est également cet establishment qui est responsable de la forme complexe et peu pertinente du fédéralisme actuel: au lieu d’une fédération de deux États fédérés (avec Bruxelles largement francisé comme capitale commune), la Belgique a été divisée en deux Communautés (je fais abstraction de la Communauté germanophone qui est démographiquement peu importante): une Communauté néerlandophone (flamande) et une Communauté francophone (wallonne et bruxelloise francophone) et trois Régions (Flandre, Wallonie, Bruxelles). Dans un modèle confédéral, la Région et la Communauté coïncideront et le statut de Bruxelles et de la périphérie (géographiquement au sein de la Flandre mais francophone ou bilingue), devra être discuté entre les deux États Fédérés. Un long chemin plein d’embûches est encore à parcourir, mais je ne vois pas d’alternative à la fois juste et praticable.

La séduction de l’extrême droite connote péjorativement l’autonomie flamande

Mais même cette autonomie partiellement acquise place les Flamands devant un choix historique. Là où, auparavant, ils pouvaient se décharger de toute responsabilité sur Bruxelles, ils peuvent et ils doivent prendre eux-mêmes des décisions aux conséquences capitales. On pourrait dire de ce choix qu’il est celui à faire entre «autonomie et autisme». Après plus d’un siècle et demi de paternalisme, après plus d’un siècle de résistance à cette situation, la tentation est grande de se lover en cette autonomie passionnément défendue et de se fermer aux éléments extérieurs et aux étrangers. Ce réflexe de défense coïncide malheureusement avec la présence accrue d’ «étrangers», principalement des fonctionnaires de l’OTAN et de la Communauté européenne, qui arrivent au pays alors qu’ils sont au sommet de l’échelle sociale, et, en bas de celle-ci, les immigrés non-Européens qui diffèrent à l’évidence des Flamands autochtones au niveau ethnique, religieux et culturel. Cette immigration à laquelle s’ajoutent des réfugiés politiques et économiques, légaux et surtout illégaux, venant d’Afrique, d’Asie et de l’Europe de l’Est, se développe en même temps qu’une restructuration économique entraînant un degré élevé de chômage (par exemple: la crise dans le secteur automobile).

Ce concours de circonstances pose des problèmes réels qui sont habilement exploités par des partis d’extrême droite tels que le Vlaams Blok. Ces organisations peuvent revendiquer l’héritage d’une partie du Mouvement Flamand qui prônait des thèses autoritaires et fascistes dans les années trente et quarante. Bien qu’il soit faux historiquement de prétendre qu’ils parlent au nom du mouvement dans son ensemble, leur influence est suffisamment grande pour jeter la confusion dans les esprits à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Et du fait que des groupes marginaux trouvent toujours bien quelques adhérents au sein du courant majoritaire, ils sont à même de déplacer les grandes lignes du débat de leur côté presque sans qu’on s’en aperçoive. Tous les grands partis flamands et les organisations socioculturelles se sont explicitement distanciés du Vlaams Blok mais n’ont toujours pas réussi à isoler et à marginaliser effectivement ce courant extrême.

La politique d’intégration du gouvernement flamand est louable, mais tant que celle-ci ne réussit pas à s’attaquer aux causes profondes de ce malaise à travers une politique efficace d’accueil, de formation, d’habitat social et surtout, par une politique de l’emploi, la séduction de l’extrême droite continuera à hypothéquer l’autonomie flamande récemment acquise. Un tel embarras non seulement provoque des tensions au sein de l’élite flamande, mais nuit à l’image de la nouvelle Flandre aux Pays-Bas et hypothèque sérieusement un éventuel rapprochement. On ne peut pas en vouloir au téléspectateur néerlandais moyen s’il est choqué par les images des extrémistes de droite et des néo-nazis qui chaque année surgissent à Dixmude à la marge du Pèlerinage de l’Yser, alors qu’il est peu informé du message de paix, tolérance et liberté que l’on fait passer durant la cérémonie officielle proprement dite. Ceci n’est qu’un exemple de la confusion jetée par les images qui, dans notre culture médiatique, favorisent la mésentente entre nos deux peuples.

Pas une petite Belgique

Le danger qu’un parti tel que le Vlaams Blok avec son maximum de 15 % des voix puisse être déterminant pour la politique flamande est particulièrement minime, bien que le risque soit plus grand au niveau local (par exemple à Anvers où ils obtiennent presque un tiers des voix). Une autre menace plane toutefois, celui de la contamination de la nouvelle politique (flamande) par la vieille culture politique, avec comme conséquences que cette Flandre autonome ne devienne rien d’autre qu’une «petite Belgique», et tous les maux du clientélisme et de la corruption quotidienne qui lui sont liés. En effet, il ne suffit pas de donner un nouveau nom et quelques nouveaux palais à une classe politique pour extirper les vieilles habitudes.

Que ce danger ne soit pas imaginaire appert de quelques décisions peu heureuses qui n’ont été annulées que suite à d’énergiques protestations publiques, par exemple les «primes de départ» particulièrement élevées que s’octroyaient à eux-mêmes les membres du gouvernement flamand. Si cela se reproduit encore quelques fois, le gouvernement flamand risque de perdre le peu de crédit dont il dispose auprès de la population du fait de sa nouveauté, puisqu’il sera clair que les vieilles (et mauvaises) habitudes demeurent. Dans un pays, où les citoyens ont traditionnellement peu de respect pour les hommes politiques, l’affaire Dutroux l’a clairement montré (la Marche Blanche), les pouvoirs publics ne peuvent pas se permettre beaucoup d’erreurs, s’ils ne veulent pas perdre la confiance des citoyens. Dans les faits, cela signifie que les pouvoirs publics en Flandre disposent d’une marge de manœuvre encore plus réduite que les instances belges déjà fortement discréditées (institutions politiques et Justice), bien que cette méfiance ne soit pas toujours justifiée. D’un bon homme politique on peut attendre qu’il ou elle se fasse une image correcte de la réalité sociétale, or cette réalité est bien chargée aujourd’hui. Quand on se met en évidence à travers une campagne de relations publiques «Ce que nous faisons nous-mêmes, nous le faisons mieux», on ne doit pas s’étonner du fait que la population ne fasse preuve d’aucune indulgence si cela ne se concrétise pas.

Les intellectuels flamands critiques renforcent le statu quo

Les intellectuels flamands qui rejettent le projet d’autonomie flamande en tant que tel représentent un des secteurs de la population flamande qui, à cause de toutes ces raisons et bien d’autres encore, s’est déjà mis en marge. Ils agissent ainsi non pas en raison de leur déception face à de maigres résultats, mais bien parce qu’ils craignent l’évolution vers plus d’intolérance et de repli sur soi dont ils croient voir les signes dans le nouvel État fédéré. Ils disent ce qu’ils pensent, et c’est bien, car que serait une société sans intelligentsia qui s’exprime et qui soit critique? Mais parfois on y va un peu trop fort. Non seulement certains refusent de distinguer les «racistes déclarés et xénophobes» qui sont effectivement parmi nous, et les «racistes déguisés», expression par laquelle ils désignaient clairement le Ministre-Président Van den Brande et ses collaborateurs. À leurs yeux il n’existe pas de différence entre le «nationalisme dur», responsable en ex-Yougoslavie des nettoyages ethniques et autres horreurs, et le «nationalisme doux», non-exclusif. Car toute forme de conscience nationale ou de consolidation de sa propre identité mènerait nécessairement à des «situations bosniaques» si les conditions sont favorables. Or, bien que leurs thèses et diatribes ne convainquent pas intellectuellement, celles-ci influencent quand même une partie du discours politique ainsi que les médias.

À l’exception de quelques noyaux actifs tels que les «Socialistes Belges Progressistes», ils ne sont pas vraiment belgicistes, c’est-à-dire qu’ils ne veulent pas coûte que coûte un retour à l’ancienne Belgique unitaire, mais ils considèrent qu’une certaine «belgitude» peut être une alternative acceptable à une autonomie flamande qui se poursuivrait, qui ne pourrait aboutir qu’ à plus de provincialisme, plus d’exclusivisme et plus de xénophobie. Leurs intentions sont nobles et leurs avertissements souvent utiles, mais leur style «politiquement correct» est trop peu souple et les solutions proposées ne peuvent mener qu’au renforcement d’un statu quo, qui, pour les raisons avancées plus haut, n’est ni praticable ni souhaitable.

Le complexe d’infériorité flamand rend difficiles les relations avec les Pays-Bas

Ce n’est pas ici le lieu d’analyser les différences de développement entre le Nord et le Sud après la chute d’Anvers en 1585 ni les oppositions objectives et subjectives qui ont conduit à la deuxième séparation en 1830. Il n’est pas pertinent non plus de s’arrêter aux stéréotypes et aux préjugés réciproques, si ce n’est pour montrer que la plupart des «blagues belges» concernent dans les faits les Flamands: il s’agit de personnes qui parlent un néerlandais incorrect, un peu enfantin mais comique et qui en général n’appartiennent pas à l’intelligentsia. Un tel stéréotype ne tombe évidemment pas du ciel et est très lié au vieux Onacht der moedelyke tael in de Nederlanden, le titre d’un essai que Jan Baptist Verlooy a fait imprimer clandestinement à Bruxelles en 1788. Il est inutile de souligner ici que l’absence d’un enseignement supérieur en néerlandais et la pression sociale en faveur du français exercée sur la bourgeoisie depuis la fin du 18e siècle n’ont pas contribué à atteindre un niveau de développement élevé dans le Sud. Inversement cela se traduit par une forme de «ressentiment» (Max Scheler: Vom Umsturz der Werte, Bd I, 4-1955) qui va de pair avec un complexe d’infériorité vis-à-vis du cousin du Nord, qui, lui, a du succès et possède de l’assurance.

Cette description psychologique simplifiée pourrait également être appliquée aux relations entre les deux États: tant que la Flandre n’est pas complètement «sûre d’elle-même», autrement dit tant qu’elle ne se manifeste pas en tant que collectivité affirmée, ce complexe d’infériorité rendra difficiles les relations avec l’Étranger et surtout avec les Pays-Bas. On a l’impression d’être tout le temps comparé avec l’original pour constater en fin de compte que nous ne sommes pas équivalents pour un certain nombres de choses, et cela ne concerne pas que l’utilisation de la langue. En tant que chargé de cours dans l’enseignement supérieur, je suis frappé, depuis des années, de la différence avec laquelle les étudiants néerlandais et flamands regardent le monde: les premiers avec une insouciance désarmante qui n’est pas toujours «couverte» par des connaissances factuelles, tandis que les Flamands ont, quelque part dans leur histoire, appris à ne pas «hun nek uitsteken» ( littéralement «se hisser la nuque» NDT), afin d’éviter de se pousser en avant en faisant valoir une vision personnelle des choses mais de manière un peu trop facile.

Ces traits, que n’importe quel observateur est à même de confirmer, ne sont pas le fait du hasard. Dans le dialogue avec les Pays-Bas, la Flandre ne doit pas seulement avoir quelque chose à offrir - ce qui parait essentiel dans toute relation saine - mais elle doit surtout être convaincue de la valeur de son offre, ce qui a été trop peu le cas jusqu’à présent. Les Flamands qui pensent ne pouvoir se réaliser en présence des Néerlandais que lorsqu’ils se dénigrent eux-mêmes et leur pays, que lorsqu’ils ont honte de la nationalité qu’ils ont héritée du destin ou qui nient celle-ci («Je ne suis pas Flamand vous savez, je suis un Belge néerlandophone») ne peuvent tout de même pas s’attendre à de la considération de la part de leur interlocuteur.

Cette conscience de soi est liée à la situation objective, ce qui signifie que ce qui seul peut fonder de bons rapports avec les Pays-Bas c’est une Flandre autonome de même qu’une Flandre forte économiquement, politiquement et socialement. Parce qu’il y a une énorme différence entre quelqu’un qui demande de l’aide (par exemple de ses partenaires, sur le plan culturel) et quelqu’un qui vient proposer un échange profitable aux deux parties.

La «plus-value» d’une coopération Flamando-néerlandaise

En quoi peut consister la plus-value d’une coopération entre la Flandre et Pays-Bas? Pour ce qui est de la culture - dont la langue est une dimension mais pas la seule dimension -, nous avons déjà dit que les deux pays ont besoin de se soutenir au sein de la Communauté européenne. Il faut persuader les «grands» pays de l’importance de la diversité des cultures - des cultures qui sont en réalité des façons de voir le monde et de se le représenter - et qui doivent être dynamisées parce qu’il n’est rien de plus pauvre qu’une culture internationale homogène, version simpliste des cultures internationales dominantes. Voyez le triste spectacle des cultures dans le tiers monde où les gens commencent à se révolter contre cette forme d’impérialisme.

En deuxième lieu, comme nous vivons dans un monde de plus en plus petit, dans lequel les États vont collaborer de plus en plus (ALENA pour l’Amérique du nord, MERCOSUR pour l’Amérique du sud et des rapprochements du même genre en Asie, en Afrique et dans le monde arabe), on peut peser d’un plus grand poids sur les décisions politiques en travaillant ensemble avec une perspective commune. Et il est évident que sur le plan économique (ports de mer, voies de communication par eau à l’intérieur des terres), sur le plan écologique et de la politique sociale (les adaptations de l’État-providence aux mutations de la techno-industrie), les choses doivent être coordonnées de manière plus efficace. Cela ne viendra pas automatiquement mais à travers des échanges d’étudiants, de professeurs et d’informations et peut-être à travers un organe de coopération commun doté de compétences structurées et qui transcende les frontières.

Des structures, des organes de coopération, la Taal-Unie et les déclarations solennelles, c’est une chose, modifier les mentalités c’en est une autre. L’avantage d’une telle collaboration se situe surtout sur le terrain idéologique. Si les Hollandais et les Flamands parviennent à donner un visage plus humain à l’intégration européenne, pragmatique et utilitaire, qui nous oblige à collaborer «parce qu’il le faut bien», mais sans l’enthousiasme initial de la période idéaliste de l’après-guerre, si nous pouvons détruire les préjugés surannés, les stéréotypes en devenant vraiment curieux les uns des autres, nous pourrons contribuer à changer l’atmosphère glacée de l’actuel projet européen. Notre Région pourra alors devenir le laboratoire, que le Bénélux n’a pas pu devenir dans le cadre belge, parce que toute collaboration avec la Hollande pouvait être considérée non sans raisons comme une menace pour la préséance de la Francophonie. Nous n’avons pas besoin d’un mariage d’amour, la séparation a duré trop longtemps pour que nous en contractions un, mais quelque chose comme un mariage de raison, fondé sur les intérêts partagés, la bonne volonté et la bonne foi, nous offrent peut-être, au début du millénaire, de meilleurs garanties de bonne fin que de trop faciles déclarations romantiques.

À cette réserve près, que, disant cela, je sois trop influencé par le pragmatisme hollandais?

Ludo Abicht

In S.Connenberg, (directeur) Nederland en de toekomst van Vlaanderen, Kok Agora, Pelchmans, 1998.