Joyeuses-Entrées de Philippe et Mathilde
C’est en France, sur la Cinquième, loin de la majorité des téléspectateurs belges, qu’une émission d’investigation sur l’audiovisuel a dénoncé la Mathildemania ertébéenne. Avec en guest star Michel Konen, le Directeur de la rédaction du JT.
L'émission Arrêt sur images du 14 novembre 1999, sur La Chaîne de la Connaissance, fut consacrée à la médiatisation des Joyeuses-Entrées du couple princier belge.
Le peuple vibre
Le débat est introduit par le constat de Benoît Grevisse, chercheur à l'Observatoire du récit Médiatique (Université Catholique de Louvain la Neuve): «Il est clair que cela remporte un véritable succès auprès du public. C'est clair quand on voit l'engouement que cela suscite.»
Daniel Schneidermann, animateur de l'émission, également journaliste au «Monde», s'intéresse aux raisons de la forte médiatisation de cet événement : «Si toutes les télés font cela, c'est parce que le public en demande, que cela fait de l'audience et que cela marche?»
Benoît Grevisse poursuit son explication : «C'est un peu spécifique à la situation belge. La Belgique vit des récits très émotifs, très émotionnels depuis quelques années: la mort du Roi Baudouin, l'affaire Dutroux. Et puis, ici, on a un élément qui fait que l'on sent que le peuple vibre et qu'il se passe quelque chose qui est de l'ordre de l'émotion... Les médias embraient, soutiennent, alimentent... Il y a un espèce d'échange entre les deux.»
Un flop
Daniel Schneidermann a également invité Anne Vanderdonck, journaliste au quotidien Le Matin. Celle-ci ne partage pas le constat de Benoît Grevisse : «Moi, je n'ai pas vu le peuple vibrer. Je vous dis tout de suite que je ne suis pas une spécialiste de la famille royale, ni de ce type de manifestation. J'ai été à Bastogne en me disant que c'était important et en me donnant comme objectif de voir comment cela se passait. Comme je suis une journaliste consciencieuse, j'avais déjà préparé un article à l'avance, sur la liesse populaire. On se doutait que cela allait faire beaucoup de bruit. Maman m'avait dit de faire attention à mon sac car il allait y avoir beaucoup de monde... Et puis, on est là. Le vent siffle. Il fait froid. Il n'y a personne. Derrière les barrières nadards, (...) plus de 2.000 enfants qui avaient été rameutés dans les écoles. Ils étaient ravis évidemment! Ils étaient en liesse puisqu'ils ne devaient pas aller à l'école. Ils pouvaient gueuler tant qu'ils voulaient et agiter leurs petits drapeaux. A part cela, comme dans ce genre de manifestation, il y avait des personnes âgées qui étaient venues avec leur petit chien...»
Anne Vanderdonck décrit ensuite la manière dont ses confrères ont couvert cet événement: «On était tous massés devant l'hôtel de ville. J'ai entendu des journalistes dire: "C'est un flop, c'est un bide. On ne s'attendait pas à cela. Il n'y a personne!" Ce sont les mêmes qui, le lendemain, écriront: "liesse, enthousiasme extraordinaire", etc."
Beaucoup d'enfants
Le dernier invité du panel d'Arrêt sur images ne peut se taire plus longtemps! Michel Konen, le rédacteur en chef du Journal Télévisé de la RTBF tente de contredire Anne Vanderdonck, en prenant à témoin une image de foule diffusée par un téléviseur planté dans le décor de l'émission : «Cette image de foule à Bruges que l'on voit pour le moment, est-ce une image virtuelle? A propos de la Joyeuse-Entrée à Bastogne, nous avons donné le chiffre de 3.000 personnes environ.»
Anne Vanderdonck réaffirme qu'il y avait «environ 2.200 ou 2.400 enfants des écoles». Comment expliquer les images de foules captées par les caméras ? «Ce qui se passait», poursuit Anne Vanderdonck, c'est que la foule montait en même temps que Mathilde et Philippe. Cela fait des images.».
Michel Konen justifie alors la manière dont la RTBF a commenté la visite princière à Bastogne : «Je n'étais pas sur place. Ce que je peux vous dire, c'est ce qu'on a dit. Nous avons parlé de 3.000 personnes sur place. Est-ce beaucoup ou non ? C'est 3.000 personnes. C'est clair que c'était beaucoup d'enfants des écoles.»
Dans «Régions Soir»
Malicieusement, Daniel Schneidermann questionne Michel Konen : «Dans le reportage, avez-vous dit que c'était essentiellement des enfants des écoles?»
Michel Konen répond : «Oui. Nous avons même fait un reportage avec des personnes habitant Bastogne qui n'allaient pas voir la Journée des Joyeuses- Entrées parce que cela ne les intéressaient pas.»
Valérie Casanova, la journaliste d'Arrêt sur images qui a préparé le dossier, y va d'une sous-question subtile : «C'est un reportage que vous avez diffusé durant le journal du soir?»
Michel Konen précise alors que le reportage a été diffusé dans... Régions Soir. Valérie Casanova réagit: «Donc, ce n'était pas dans le journal télévisé?»
Michel Konen tente une dernière fois de sauver les meubles : «.Mais c'était la tranche intégrée de 18H45 à 20 heures... On ne va pas tout rediffuser...» Valérie Casanova met fin à l'escarmouche par un «D'accord!» pointé d'un grand sourire. Le débat d'Arrêt sur Images ne fait que commencer.
Une audience pas extraordinaire !
Michel Konen explique ensuite pour quelle raison la RTBF a donné une telle ampleur à l'annonce des fiançailles princières : «En Belgique, nous vivons des circonstances un peu particulières. On sort de quelques années noires: Dutroux, la Dioxine, etc. Le Monde a d'ailleurs titré, il y a un mois et demi, que la Belgique allait mieux, en parlant de deux événements: les fiançailles de Philippe et les Diables Rouges.»
S'ensuit un question-réponse très significatif. Les audiences de Bastogne sont tellement médiocres que Michel Konen se sent obligé de coupler celles de la RTBF à celles de RTL-TVi et de partir tout de suite à la recherche de justifications qui permettent d'expliquer, voire d'excuser pareil score :
- Michel Konen: Les taux d'audience ne sont pas extraordinaires. Cela donne entre 150 et 200.000 personnes en groupant le public des chaînes francophones qui regarde les directs...
- Daniel Schneidermann : Par rapport aux taux habituels ?
- 150.000... On aurait pu se dire qu'il y aurait davantage de monde... Mais cela tombe en semaine, ce ne sont pas des jours de congé...
- Ah, en plus, cela ne marche pas tellement !? Contrairement à ce que vous disiez : ce n'est pas parce que ça marche...
- 5%, un jeudi matin, ce n'est pas si mal que ça. Mais il n'y a aucun rapport avec les taux d'audience atteint avec le décès de Baudouin. Ce n'est pas de même nature. C'est une bonne audience mais pas une audience extraordinaire...
- En gros, vous vous dites que ce sont des images plutôt heureuses qui nous poussent à l'optimisme. On a plutôt envie de les montrer.
- Exactement.
«On a une famille royale plutôt terne»
La Cinquième est une chaîne qui est boudée par les télédistributeurs belges. C'est peut-être la raison pour laquelle les invités de cet Arrêt sur images vont parler fort librement de la royauté !
Alors que Benoît Grevisse venait à peine d'expliquer que cette thématique était révélatrice du malaise de la presse belge et qu'elle était généralement traitée avec réserve et respect, Michel Konen précise tout de go son opinion : «On a une famille royale plutôt terne...»
Daniel Schneidermann s'empresse de mettre à nouveau le rédacteur en chef du JT sur la sellette : «Ah bon!? Mais vous ne le dites pas ainsi sur votre chaîne à la RTBF!»
Dans sa réponse, Michel Konen tente de noyer complètement le poisson: «Vous avez vu: On a dit que Mathilde, c'est plutôt quelqu'un qui passe (bien à l'antenne) et qui, dans une foule, est manifestement à l'aise et aime aller à la rencontre du public... et d'ailleurs, nous préparons un reportage sur l'attitude du Prince Philippe. Il a appris en quatre jours! Les journaux avaient écrit qu'il était un peu gauche avec sa fiancée...»
Daniel Schneidermann n'aura pas l'occasion de remettre Michel Konen sur le grill car Anne Vanderdonck ne peut s'empêcher d'ajouter son grain de sel : «On a maintenant l'impression qu'on lui a scotché la main de Mathilde! Il suit manifestement au pied de la lettre ce qu'on lui a dit au Palais. Ils ne se déscotchent plus. C'est du scratch!»
RTBF «Point de vue»
Une équipe d'Arrêt sur Images est venue enquêter sur le terrain, pendant une Joyeuse-Entrée. Un journaliste de VTM lui a expliqué que les micros et les caméras sont des «armes dangereuses» pour le Palais parce qu'elles peuvent enregistrer des choses qui ne lui sont pas toujours favorables. C'est pourquoi les micros sont tenus à distance du couple princier. Il est impossible de savoir si Mathilde parle ou non le flamand. Un de ses confrères de RTL TVi confirme : «On n'a pas vraiment le droit d'interroger le couple princier. On peut le faire mais d'habitude, ils ne répondent pas. C'est le protocole qu'il l'exige.»
Dans ce reportage, deux journalistes de la RTBF sont également interviewés. En déclarant que le Prince s'est enfin un peu décoincé parce qu'il a ouvert un bouton de son veston, Thierry Bellefroid constate qu'il s'est ainsi permis un commentaire qu'on n'aurait pu se permettre il y a 3 ou 4 ans : «C'est pas facile de travailler sur cette thématique en Belgique, et surtout en direct...»
Quant à Pascal Bustamante, il analyse son travail avec lucidité : «Journalistiquement, tout cela a, en effet, un intérêt assez limité. Il n'y a pas de grande dimension critique dans le reportage. Donc, on raconte ce qu'on voit, on fait un peu des images "Point de vue, images du monde". Cela n'a pas un très grand intérêt mais cela fait partie du métier également.»
Dehors
Michel Konen commente ce reportage en expliquant que, lorsqu'un journaliste de la RTBF avait tenté de demander à Mathilde, lors d'une des Joyeuses- Entrées, si elle parlait flamand, un membre de la sécurité lui a rétorqué : «Vous, encore une fois, et on vous fout dehors.»
Indépendant ?
Alain Remond, journaliste à l'hebdomadaire Télérama, tient également une chronique d'éditorialiste pour Arrêt sur images. Il s'étonne quelque peu de ce que Thierry Bellefroid avait considéré que le fait d'avoir annoncé à l'antenne que le Prince avait ouvert un bouton était «une victoire de la liberté d'informer». Pour Alain Remond, «la Cour doit au contraire en être ravie...» Cette réflexion permet à Daniel Schneidermann de poursuivre l'interview de Michel Konen : «Considérez-vous que vous devez vous prêter à cette opération de relations publiques ou que vous devez rester journaliste indépendant?»
Michel Konen biaise en répondant simplement : «Je pense que cela n'empêche pas de rester journaliste...» Ensuite, il considère que son «collègue» Thierry Bellefroid a exagéré en affirmant que l'on n'aurait pas osé exprimer pareils propos, il y a quelques années. Il y a une dizaine d'années, en effet, des choses beaucoup plus graves ont été dites lorsque le Roi Baudouin s'était abstenu de signer la loi sur l'avortement.
Insatisfait, Daniel Schneidermann réamorce sa question autrement : «Lorsqu'on a cherché dans votre couverture les critiques ou les réserves qui pouvaient être émises à propos des Joyeuses- Entrées, on a eu beaucoup de mal à en trouver!»
Un zapping d'images extraites des reportages de la RTBF est diffusé.
Michel Konen constate : «C'est vrai que cela a un côté "Point de vue Images" quand cela passe en direct. Il ne faut pas chercher midi à quatorze heures. Ce sont des images de bonheur. Et à vrai dire, quel genre de critiques voulez-vous que l'on fasse?»
Le simple fait que Michel Konen pose cette question laisse entendre que la RTBF n'a pas mené un travail d'investigation fort élaboré! Plus tard, d'ailleurs, à l'occasion du mariage, c'est la presse écrite - Le Soir - qui découvrira que le prêtre qui dirigeait les chants de l'assemblée était suspecté de faits de pédophilie.
Je m'en fiche !
Daniel Schneidermann précise son interrogation : «La question de savoir si c'est un mariage arrangé : considérez-vous que ce serait un motif d'investigation légitime de la part des journalistes?»
Michel Konen répond : «Pour ce qu'on en sait, et on a quand même un peu cherché, il ne semble pas que ce soit un mariage arrangé. Philippe a flasché sur Mathilde au cours d'une soirée organisée (...) où le Prince rencontrait différentes personnes...»
S'ensuit un dernier dialogue qu'il convient de retranscrire intégralement pour en découvrir les multiples nuances:
- Anne Vanderdonck: Moi, j'ai remis un peu en question ce conte de fée. Pas méchamment, parce que, profondément, je m'en fiche.
Des journalistes, en privé, m'ont dit: c'est incroyable, ce n'est pas possible que cela soit un mariage arrangé! Tout le monde a quelque part envie de croire à ce conte de fée. Le remettre en question, ce n'est pas s'attirer des ennuis du Palais, c'est recevoir une sanction de la part du lecteur qui, lui, a envie d'entendre ce genre d'histoires.
- Michel Konen : moi, je m'en fiche...
- Daniel Schneidermann : Monsieur Konen, vous vous en fichez mais ce sont des heures et des heures d'antenne sur la RTBF et la moitié des journaux télévisés...
- Michel Konen : Pas que sur la RTBF...