Chapitre III : Comment consolider un espace public wallon de délibération et de légitimation ?
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Le Parlement wallon et le Gouvernement wallon
Un observateur féroce avait qualifié dans les années 80, le Conseil régional wallon de « gros » Conseil provincial et l'exécutif régional de « grosse » Députation permanente. En 2013 en raison notamment de l'état de fait existant en matière de cumul de mandat et le contenu de ses débats, nous nous demandons si le Parlement wallon n'est pas rien d'autre qu'un « super » Conseil communal paralysé par le campanilisme... Ce qui, en passant, illustre le déclin de l'institution provinciale. Nous devons pourtant reconnaitre que, avec une modestie qui ne l'honore pas, le Parlement wallon est l'institution fédérée qui, depuis la régionalisation presque totale de la loi provinciale et communale en 2001, est celui qui a le plus modifié celle-ci. Mais ces réformes n'ont pas véritablement amené une revitalisation de l'institution parlementaire.
Des réformes structurelles profondes ont déjà été prises et entreront prochainement et lentement en vigueur 1.
Nous pensons, en premier lieu, qu'il faut redonner la primauté à l'élu sur le désigné ou le placé sur les listes suite à des arbitrages interne à chaque parti. Suite à l'adoption des lois du 19 juillet 2012, le candidat élu au niveau fédéral ou fédéré ou européen devra siéger au sein de l'institution où il s'est présenté, cela éviterait le phénomène de ces élus voyageurs qui se présentent à tous les scrutins... C'est évidemment un pas dans la bonne direction, mais il y a une telle confusion entre les espaces publics de légitimation démocratique que cela ne suffira sans doute pas à renforcer le poids de l'élu. Nous avons par exemple constaté que lors des élections régionales de 2004 et 2009, le PS a obtenu plus de suffrages qu'aux législatives de 2007 et 2010, la tendance étant inverse pour le MR, ce qui indiquerait une certaine autonomie de choix de l'électeur wallon, mais celle-ci se manifestera-t-elle encore si toutes les élections ont lieu simultanément comme ce sera le cas en mai 2014, le choix de l'électeur risque probablement de se porter plus sur un parti que sur des candidats spécifiques.Un système d'audition des candidats ministres par le Parlement wallon, s'inspirant de ce qui existe pour les commissaires européens, pourrait être instauré. Les candidats ministres pourraient être interrogés par les parlementaires sur les compétences qu'ils se verraient confier. Le Parlement accorderait ensuite sa confiance à la majorité absolue de ses membres à chaque ministre individuellement et à l'ensemble du gouvernement proposé.
Ensuite, dans le cadre de l'autonomie constitutive, le Parlement wallon peut modifier la durée de sa législature, le nombre de ses membres et celui de ses circonscriptions y compris en mettant en place une circonscription couvrant l'ensemble du territoire de la Wallonie. Nous proposons d'augmenter le nombre des parlementaires wallons mais cette augmentation s'accompagnerait de l'introduction d'une part importante de scrutin majoritaire. Nous inspirant des systèmes électoraux allemand et écossais, nous pensons que le nombre de membres du Parlement wallon devrait être porté à 99 (contre 75 actuellement). Ce nombre nous semble équitable et raisonnable. Il correspondait, jusqu'en 1996, à celui des députés néo-zélandais, État à la population équivalente à celle de la Wallonie et permettrait ainsi d'éviter que le Parlement bruxellois, pour une population trois fois moindre, ne dispose d'une supériorité numérique vis-à-vis du Parlement wallon.
Cette augmentation du nombre d'élus pourrait être compensée par une réduction encore plus drastique du nombre de conseillers provinciaux et de députés permanents, ce qui rendrait ainsi l'opération relativement neutre du point de vue financier. Il est bon de rappeler que le Parlement wallon a compté jusqu'en 2012 moins d'élus que le Conseil provincial du Hainaut ou celui de Liège.
Sur ces 99 Députés, une majorité (de 55 à 65) seraient élus au scrutin uninominal majoritaire à un tour, ces circonscriptions (dont une, au minimum, réservée à la Communauté Germanophone), peuvent assez facilement être délimités sur base de 97 cantons électoraux wallons actuels. Les députés restants le seraient au scrutin proportionnel de liste (avec transfert de voix «inutilisées» dans le scrutin majoritaire). Dans ce cas, deux possibilités sont imaginables: soit, comme en Allemagne, une seule circonscription couvrant l'ensemble du territoire; soit, comme en Écosse où les sièges sont attribués sur base d'un nombre limité de circonscriptions sous-régionales. Dans le cas wallon, on pourrait alors partir des 13 circonscriptions électorales existantes et leur attribuer, selon leur importance, 3 ou 4 élus. Ces deux solutions ont chacune leur avantage, la première pourrait renforcer le sentiment d'appartenance à une «communauté de destin», la seconde permet de prendre en compte la diversité existant au sein de toute la Wallonie et peut faciliter l'élection de députés dont le parti n'est pas implanté sur l'ensemble du territoire.
Ce système mis en place signifierait pratiquement pour l'électeur wallon qu'il recevra lors du vote un bulletin avec à gauche le nom des candidats de chaque parti en présence dans sa circonscription électorale régie par un scrutin majoritaire, à droite les partis en présence au niveau "régional" qui seront répartis par un scrutin proportionnel, ce qui lui évitera de devoir prendre le chemin des urnes deux dimanches d'affilée.
L'effet principal de ce mode de scrutin est d'obliger les partis à déclarer avant l'élection quel est le partenaire de coalition privilégié, l'électeur sachant en connaissance de cause les conséquences de son vote.
Ces réformes ne suffiront pas à elles seules, mais elles permettront sans doute d'éviter des coalitions trop large comme l'est l'olivier wallon depuis 2009, trois partis réunis au sein d'un même gouvernement constituent certainement le meilleur moyen pour qu'ils se neutralisent voire se paralysent l'un l'autre...
Les Communes
Pour le niveau local, la première question à poser est à nouveau celle de savoir si la tête de l'exécutif doit être indépendante de l'existence d'une majorité quelconque au sein de l'assemblée locale. La loi communale permet déjà que le président de séance du conseil communal ne soit plus obligatoirement le Bourgmestre, ce qui est une petite révolution, environ 20% des communes wallonnes ont fait usage de cette possibilité après les élections communales de 2012. Mais dans certains pays, le maire est en effet directement élu par les électeurs, celui-ci n'a pas «besoin» d'une majorité au sein de l'assemblée locale pour mener à bien son programme politique. Ce système implique donc un vote distinct pour l'élection du maire et celle de l'assemblée locale. Le système français 2 n'est pas un système d'élection directe, le maire étant élu par le conseil municipal. Toutefois par le jeu du scrutin majoritaire à deux tours, le candidat-maire ayant obtenu au second tour le plus de suffrages est automatiquement assuré de voir sa liste disposer d'une majorité de sièges au sein du Conseil. Cela n'implique pas forcément qu'il mènera une politique moins consensuelle, la possibilité de fusionner des listes entre les deux tours faisant que le groupe majoritaire au sein du Conseil est souvent une coalition qui s'est répartie les sièges de conseillers sur base d'un accord politique. Le maire devra donc s'assurer constamment du soutien de ces troupes «bigarrées».
Solution médiane, le système existant depuis mai 2000 à Londres, les électeurs londoniens élisant simultanément leur Maire et la Greater London Assembly (GLA). Vu l'existence de nombreux partis politiques, l'application du scrutin uninominal à un tour risquait de voir un maire élu sans avoir recueilli la majorité absolue des suffrages. Pour éviter cette situation, le scrutin utilise la technique du vote unique transférable (STV) simplifié. L'électeur a la possibilité de classer les 2 candidats ayant sa préférence, lors du dépouillement on commence donc par tous les votes de tête, si aucun candidat n'obtient la majorité de suffrages, on passe alors au décompte du second vote entre les deux candidats ayant obtenu le plus de suffrages. Par ce système, l'électeur londonien peut donc indiquer qui il souhaite, mais aussi qui il ne souhaite absolument pas voir comme maire. En outre, le maire élu sera obligé de prendre comme 1er adjoint un membre de l'Assemblée, celle-ci assurant le contrôle politique de l'action de celui-ci, sans pouvoir toutefois le renverser, et votant le budget annuel du Grand Londres. Le maire doit donc s'assurer divers soutiens, sur une base ponctuelle ou plus permanente au sein de l'Assemblée, ce qui l'oblige à mener une politique plutôt non-partisane.
Posons-nous aussi la question de savoir si le cadre local est le lieu approprié pour les grands débats idéologiques ou de choix de société ? Quand on examine la vie politique communale wallonne, nous serions plutôt tenté de répondre par la négative à cette dernière question en raison du foisonnement de listes genre «Intérêts Communaux», «Entente Communale», «Liste du Bourgmestre», le débat politique local se résumant parfois quant à lui à la répétition d'ancestrales querelles de famille.
Alors pourquoi ne pas révolutionner la vie politique locale en adoptant une organisation s'inspirant de celle en place à Londres ? En premier lieu, le Bourgmestre recueillera toujours une majorité des suffrages, mais il doit veiller à s'assurer la coopération du conseil, les deux acteurs en présence disposant chacun d'une véritable légitimité électorale. Même si les rancœurs issues de la fusion des communes en 1976 se sont pas apaisées, pourquoi ne pas imaginer un type de scrutin mixte 3, certaines circonscriptions épousant plus ou moins les limites des communes avant fusion ou dans les communes de plus de 20 ou 30.000 habitants, celles de certains quartiers, et l'autre englobant l'ensemble du territoire de celle-ci ? Ce système renforce par ailleurs la possibilité de candidature indépendante ou celle de listes nouvelles ou «petites», il ne met pas fin aux négociations post-électorales, mais celles-ci se concentrent désormais sur la mise en œuvre d'un programme entre l'exécutif et l'assemblée locale. Nous pensons que réformer ainsi le scrutin local (conjugué avec les réformes déjà adoptées par la Parlement wallon) aura pour effet, non pas de le dépolitiser, mais bien de le rendre enfin conforme à ce qu'il est, c'est-à-dire un choix pragmatique et pratique, le scrutin régional pouvant ainsi parallèlement se « ré-idéologiser » ou se « re-politiser », les espaces de légitimité démocratiques locale et régionales ne se recoupant plus autant qu'actuellement.
La Fonction publique
Avant de développer quelques pistes qui, nous n’en doutons pas, ne manqueront pas de susciter des réactions, nous tenons à préciser que, bien que proposées pour la Wallonie, celles-ci pourraient être aussi appliquées aussi, moyennant quelques adaptations au contexte, à l’administration centrale et aux parastataux fédéraux.
En premier lieu, commençons par une mesure de simple bon sens, la fonction publique est sans doute la seule « instance » qui a pris la décision pour le moins étrange de pouvoir conférer ses postes de responsabilités à des personnes n’ayant aucune connaissance de la fonction qu’elles sont appelées à diriger, à l’exception d’une expérience en « management »… Cela revient à privilégier la forme sur le fond, c’est une illusion singulière que de croire que, parce que celles-ci ont dirigé des entreprises ou autres dans le secteur privé, elles seront à même d’agir en bon « manager » d’une institution publique. D’ailleurs, depuis la crise de 2008, les exemples de bonne gestion de ces ‘top managers’ du secteur privé abondent, l’exemple de Dexia est frappant, qui aurait pu penser que la très prospère ancienne banque publique des pouvoirs locaux serait conduite ainsi vers le gouffre en quelques années ? Imagine-t-on un patron d’une firme pharmaceutique nommé procureur du Roi sous prétexte que ce dernier est aussi le gestionnaire du personnel du parquet et du greffe de son arrondissement judiciaire ? Non bien évidemment, les fonctions de responsabilités au sein de la fonction doivent donc à nouveau être exclusivement confiées à des fonctionnaires nommés ou à des personnes ayant réussi l’ensemble d’un parcours de formation (stages sur le terrain y compris) à l’école régionale d’administration, l’exemple dans ce domaine étant celui de l’Ecole nationale d’Administration (ENA) en France.
La dépolitisation devrait passer par une solution s’inspirant de celle mise en place pour le pouvoir judiciaire fin des années 90 avec le Conseil supérieur de la Justice (CSJ). Celui-ci est composé pour moitié de magistrats élus par l’ensemble de leurs collègues et pour moitié de non-magistrats nommés par le Sénat et comprenant des avocats, des professeurs d’université ou de hautes-écoles et de personnes issues de la société civile. Le CSJ organise les examens pour devenir magistrat et est responsable de la sélection et de la nomination des magistrats, il exerce un contrôle externe sur le fonctionnement du pouvoir judiciaire, notamment via des audits, des enquêtes particulières et le traitement des plaintes et en rendant des avis. Le CSJ est donc un organe indépendant du Parlement fédéral, du gouvernement fédéral et du pouvoir judiciaire lui-même.
Si le monde politique souhaite sincèrement et véritablement dépolitiser la haute fonction publique, pourquoi ne mettrait-il pas en place un Conseil supérieur de la Fonction publique régionale lui aussi totalement indépendant ? Ce Conseil serait responsable pour toute la fonction publique y compris pour les collectivités locales, une moitié des membres seraient composés de fonctionnaires élus par l’ensemble des fonctionnaires wallons (le personnel travaillant au SPW, dans les innombrables organismes d’intérêt public régionaux, le parlement wallon, les administrations provinciales et communales) et pour moitié de non-fonctionnaires nommés par le Parlement wallon avec présence de représentants du monde académique et de la société civile au sens large.
Ce Conseil aurait, comme le CSJ, deux grands types de commissions, en premier lieu celles chargées de la nomination et de la désignation des fonctionnaires. Selon nous, il devrait en effet être le seul responsable pour la nomination du secrétaire général, des directeurs généraux et des Inspecteurs généraux du SPW, des administrateurs généraux des Organismes d'Intérêt Public Régionaux, du greffier du parlement wallon, des greffiers provinciaux, des secrétaires et receveurs communaux, etc. Reste à déterminer la durée de ces mandats, vu l’obsession du renouvellement de mandat chez les concernés, nous penchons pour un unique de longue durée (10 ans ?), comme cela se fait pour les procureurs généraux, avec évaluation à mi-parcours. Les promotions internes au sein de ces divers organes et niveaux de pouvoir administratif devraient aussi être confiées à ces commissions, en tout cas et à tout le moins à partir d’un certain niveau de responsabilités. Ce changement radical permettrait de diminuer le sentiment de suspicion de l’opinion publique qui considère, malheureusement pas toujours à tort, que les nominations de certains responsables, du niveau communal à celui de la Wallonie, sont le résultat de petits arrangements et de combines entre amis… Les autres commissions rendraient des avis au monde politique et seraient chargées du contrôle externe du bon fonctionnement de la fonction publique.
Ce Conseil pourrait aussi s’occuper de l’administration centrale et des para-communautaires de la Communauté française ainsi que des organes mixtes région-communauté tels l’AWEX, WBI, le médiateur, etc. mais si l’on pouvait déjà commencer par les institutions sur le territoire wallon, nous ne nous en plaindrions pas… Inutile d’ajouter que, dans ce contexte, les cabinets ministériels ou autres, agissant en tant que doublons de l’administration, deviendraient superflus.
Nos propositions représentent un rupture totale avec le modèle administratif ‘napoléonien’ en place dans nos régions depuis deux siècles où la fonction publique est considérée par les gouvernants comme un instrument d’ordre utilitaire régi autoritairement afin d’assurer le bien collectif tel que défini par ces mêmes gouvernants, accepter de renoncer à ce contrôle et voir la fonction publique redevable de ses actes uniquement devant la collectivité serait une révolution pour le monde politique.
Conclusions
Il y a obligation à procéder à de telles réformes car l'état présent de la particratie/présidentocratie n'est vivable que dans l'espace public de la Belgique, à la faveur de l'estompement "symbolique" des hiérarchies entre régional et fédéral, par opposition à l'absence "réelle" de hiérarchie juridique, qui installe la confusion tant chez les gouvernants que les gouvernés. Cette confusion étant encore renforcée encore à la faveur de la dualité Communauté/Région existant dans la dimension " francophone". Les entités fédérées auront encore plus de pouvoirs et de moyens avec la réforme de l'Etat en voie de mise en oeuvre, ce qui est une opportunité de clarification à condition que, en Wallonie, la démocratie se renforce, ce qui exige notamment une réelle bipolarisation et une consolidation d'un espace public wallon de délibération et de légitimation. Alors, le citoyen saura qui est qui et surtout qui est responsable devant qui ? la Wallonie sera lisible et visible pour tous, elle en sortira grandie de même que la citoyenneté en général.
Pourquoi tant insister sur la bipolarisation de la vie politique et sur le renforcement du lien et de la responsabilisation entre l'élu et l'électeur, tant au niveau local que wallon ? Il ne s'agit nullement d'une question de stabilité gouvernementale, mais plutôt de favoriser un véritable débat démocratique et de permettre l'émergence d'un véritable espace public en Wallonie qui ne soit plus masqué ou concurrencé par les résidus de l'espace public belge francophone. Celle-ci permettrait en effet un renouvellement de l'affrontement pacifique gauche/droite (ou majorité contre opposition), condition d'une vie politique susceptible d'intéresser et d'impliquer les citoyens. Ensuite, tout en permettant l'existence d'une multitude de partis, elle oblige ceux-ci, soit à se regrouper avant les élections sur base d'un programme établi en commun - c'est le cas en France- ou à annoncer avant les élections quelle sera la coalition privilégiée (Allemagne). L'introduction d'une dose prépondérante de scrutin majoritaire, en réduisant le poids des appareils politiques et de leurs cadres, pourrait favoriser une plus grande transparence de la vie politique wallonne et permettrait ainsi d'éviter le genre de mariage très contre-nature comme celle actuellement au pouvoir au niveau fédéral (centre gauche-droite en quelque sorte avec ce gouvernement d'union des trois grandes familles politiques historiques), mais aussi au sein du gouvernement wallon (et francophone) avec un Olivier paralysé par ses divisions.- 1. Voir les explications au chapitre 1 sur le Décret wallon du 9 décembre 2010.
- 2. Celui-ci connaît toutefois d'importantes variations selon qu'il s'agisse de municipalités inférieures ou supérieures à 3.500 habitants et dans les cas de Paris, Lyon et Marseille
- 3. Les conséquences pratiques seront les mêmes pour l'électeur que celles évoquées auparavant concernant le Parlement wallon