"Foules" et mythes monarchiques : esquisse historique (1918 - 2000)
Il faut remettre en perspective historique l'accablant dossier de l'ATA sur Les six mois princiers à la RTBF et leur cortège de déformations énormes. Les quelques informations historiques rappelées ici (c'est une «esquisse»), ont toutes été rigoureusement vérifiées, même si l'auteur regrette de ne pas faire assez de place à tout le travail de Laurence van Ypersele1, du moins dans le corps de l'article, tout en s'inspirant largement de celui-ci pour la conclusion. Notons que c'est surtout à partir de l'accession au trône d'Albert Ier que les manifestations de «foules» autour du trône (Joyeuses-Entrées, Mariages, Enterrements etc.) sont devenues un enjeu. Tous les historiens s'accordent sur la grande impopularité de Léopold II, enterré pompeusement en 1909 eu milieu d'une indifférence glaciale ou même expressément hostile. En revanche, dès son intronisation, Albert Ier a obtenu les faveurs de la foule et cela demeurera avec les souverains successifs jusqu'à aujourd'hui (malgré certains couacs).
Premier cycle: le renforcement du pouvoir royal (1918-1950)
Jean Stengers défend la thèse que les pouvoirs royaux auraient été en diminuant depuis 1831, année de la prestation de serment de Léopold Ier2. Nous le contestons avec d'autres.
Ainsi un autre historien Luc Schepens3 va même jusqu'à écrire: «Du point de vue politique, les deux grandes victimes de la guerre en Belgique semblent être la constitution et la démocratie parlementaire. Et cela n'alla pas sans conséquences. Pendant la suite du règne d'Albert Ier et également celui de Léopold III, le roi a exercé au sein du pouvoir exécutif un rôle hors de proportion à ce qui avait été de coutume avant la première guerre mondiale. Ce qui donna lieu à plusieurs reprises à des tensions et à des conflits entre le roi et son gouvernement. Ce n'est qu'après 1950 que cette situation s'est normalisée.»4. À l'appui de cette appréciation il y a le jugement d'Henri Pirenne lui-même en 1933: «L'autorité morale du souverain lui permet désormais d'user plus largement que ses prédécesseurs de ses pouvoirs constitutionnels.»5 Cette appréciation capitale est oubliée par J.Stengers. Velaers et Van Goethem6 ont noté la manière dont, en 1936, les puissances étrangères, notamment la France, considéraient la politique de neutralité suivie par la Belgique. Pour les observateurs à l'extérieur, il ne fait pas de doute que l'autorité en cette matière relève exclusivement du roi. Tout au long de cette période, l'entourage royal se targue de refléter l'avis de la majorité des Belges7, le répétant si souvent qu'on voit bien qu'il en doute. Un incident en apparence mineur le démontre (il sera évoqué lors des discussions des ministres avec le roi durant la campagne des 18 jours). Suite à l'attaque allemande du 10 mai, lors de la séance du parlement (à laquelle Léopold III n'assiste pas, probable mépris pour l'institution, bien dans l'air du temps), les ambassadeurs de France et d'Angleterre présents dans les tribunes réservées au public, font l'objet d'une formidable ovation par le Sénat en présence du Ministre de la défense nationale8. Cette ovation aurait indiqué selon certains que la réalité du lien avec la France et l'Angleterre était bien celle d'une alliance jusqu'au bout et non pas d'un compagnonnage d'armes temporaire, limitée au territoire belge, ce qui était et resta l'hypothèse de Léopold III. Que le roi ait réussi à imposer la neutralité belge malgré l'hostilité d'une partie de l'opinion peut-être majoritaire à gauche et en Wallonie, en dit en tout cas long sur son autorité à l'époque.
Un mot de Reynaud en 1940
Paul-Henri Spaak s'étonne de voir Reynaud recevoir les ministres belges après la capitulation de 1940 en leur proposant, soit de proclamer la déchéance du roi, soit d'adopter la constitution de la IIIe République9. Mais indépendamment des difficultés qu'a toujours eues la France de pénétrer les arcanes de notre politique intérieure, on peut dire que Reynaud n'avait pas tort de penser que la réalité du pouvoir en Belgique échappait alors au gouvernement qu'il recevait ce 28 mai. Un gouvernement pour la première fois détaché physiquement et moralement du roi (resté sur les lieux de la capitulation de l'armée belge en opposition avec la volonté expresse du gouvernement). Allons plus loin dans notre critique de J.Stengers. À la p. 50 de son livre, pour décrire le pouvoir assez important qui subsiste selon lui chez un Léopold III, il donne l'exemple de PH Spaak ne parvenant pas à imposer plus de 11 ministres dans son gouvernement en 193810. Or, citant un texte de Francis Delpérée de 1991 où celui-ci explique que «la fonction du roi est de mettre de temps à autre une goutte d'huile dans les rouages de l'État, comme le ferait un horloger».11, Jean Stengers le commente de cette façon: «Il y a un demi-siècle, où aurait-on pu trouver une telle image?» Eh bien! C'est à tort...
Deuxième cycle: affaiblissement du pouvoir royal (1950-1975)
Car, justement, on trouve une «telle» image - et même encore plus dévalorisante pour le rôle politique du roi - précisément «un demi-siècle auparavant», soit le 18 juillet 1951 dans Le Peuple sous la plume de Spaak (d'ailleurs cité par Stengers lui-même!): «Le roi est bien plus un symbole qu'un principe actif de gouvernement.»12 On voit que le jugement de Spaak est tout à fait dépréciatif du pouvoir royal, bien plus que le mot de Delpérée quarante ans plus tard. Or, Francis Delpérée (comme l'a montré l'émission Mise au point au lendemain du mariage13), est constamment soucieux de ne pas exagérer l'importance du roi que, à l'inverse, François Perin, en cela personnage typique de la période de décroissance du pouvoir royal de 1950 à 1975, réduit à quasiment rien. Francis Delpérée s'oppose aux «maximalistes» du pouvoir du roi comme F. Balace, P. Vaute, R. Devleeshouwer, S. Deruette (qui soulignent l'importance du rôle royal mais en tirent des conclusions très diverses évidemment!), se situant ainsi à égale distance des «minimalistes» comme F. Perin et des «maximalistes».
Dans la même ligne que Spaak, l'ouvrage important La décision politique en Belgique dira en 1965 que le roi en Belgique a un pouvoir seulement «formel»14. Il y a donc un cycle (1950-1975) d'abaissement du pouvoir du roi après le précédent (1918-1950). La date de 1950 doit être retenue, car, jusqu'à la veille de son retrait le 1er août 1950, Léopold III continue à se comporter en fonction des principes qui guident le renforcement du pouvoir royal par Albert Ier et lui-même. Dans la nuit du 31 juillet au 1er août, c'est l'insurrection wallonne seule qui contraint Léopold III à se soumettre à des ministres eux-mêmes rendus plus inflexibles à son encontre en raison de cette menace terrible d'un chambardement complet du régime. Nous l'affirmons avec une vraie et honnête assurance, car Léopold III continua à s'aveugler sur les conséquences de cette rupture de 1950 en notre histoire: par son fils interposé, il humilie publiquement Pierlot à Arlon quelques mois plus tard15, il persiste dans la rupture avec la monarchie anglaise, il tente d'imposer son pouvoir dans la colonie, il cherche à remplacer le gouvernement de Gaston Eyskens par un gouvernement de techniciens16. Tout laisse penser que c'est seulement en 1960 que, en quelque sorte, Léopold III s'est vraiment retiré. Ce en quoi Stengers a raison, c'est de dire que les tentatives de Léopold III pour rétablir la monarchie renforcée (1918-1950) échouèrent. Baudouin, à notre sens, y parviendra presque en exploitant cette fois le filon du «capital symbolique» (au sens de Bourdieu)17. Mais on peut se demander s'il n'a pas lui-même échoué, redevenant quelque part Léopold à la fin de son règne (avortement, paras au Rwanda etc.), en des circonstances moins compromettantes bien sûr.
Troisième cycle: nouveau renforcement (1975-1990)
La réalité de ce renforcement me semble d'autant plus avérée que, parallèlement aux hommes politiques et aux spécialistes qui observent cette remontée du pouvoir royal suite à son effondrement à la fin du cycle 1918-1950, l'opinion publique elle-même reconsidère à la hausse, fin des années 60, début des années 70, le pouvoir du roi. Elle le pointe à 33 en 1975 et à 44 (sur une échelle de 0 à 100) en 199018. Ce chiffre monte à 47 en Flandre. Cette mesure a quelque chose de fiable et relativiserait peut-être le fait qu'on veuille (selon d'autres sondages) renforcer le pouvoir du roi plus en Wallonie qu'ailleurs. De toute façon, le pouvoir royal n'est certainement pas soupesé de la même manière en Flandre et en Wallonie où, souvent, le haussement d'épaules demi-habile est la règle. En Flandre, à Anvers, le 21 juin 1980, le roi fut chahuté comme jamais roi ne le fut depuis le commencement du règne d'Albert Ier. Baudouin Ier tomba même gravement malade après la chose: le roi et la reine sous les huées, les injures, les sarcasmes, les jets de projectiles divers, ce 21 juin 1980 à Anvers, voilà une image significative. Mais elle n'interrompt pas cependant la remontée de Baudouin Ier.
L'opinion n'a-t-elle pas raison d'avoir une plus haute idée du pouvoir du roi en 1990 qu'en 1975? On part du jeune homme fluet qui prête serment en 1950 pour arriver à l'homme déjà plus mûr des années 60, mais (comme le fit remarquer M. Ruys en septembre 91 à la BRT) qui a encore, jusqu'en 1974, des hommes ayant plus d'expérience que lui «qui le guident plus qu'il ne les guident» (jusqu'à G.Eyskens Premier ministre démissionnaire en 1973, voire Leburton, démissionnaire en 1974 pour laisser la place à Tindemans). En revanche, le roi qui se débarrasse de Tindemans en 1978, qui reçoit le Premier Ministre Martens pendant 700 heures en tête-à-tête de 1982 à 199119, qui l'oblige à envoyer des paras au Rwanda, qui prend le risque (jamais couru par ses prédécesseurs), de s'opposer, cette fois, non seulement au gouvernement, mais au Parlement, c'est un roi qui fait remonter de manière significative les actions de la monarchie à la bourse du Pouvoir. Profits de pouvoir que même Albert II pourra encore utiliser à la veille de la marche blanche où l'autorité royale prend une figure inattendue, sans précédent: le roi comme joker du pouvoir ou couvrant le gouvernement (mais Léopold III estima jouer un rôle semblable, notamment pour imposer la politique de neutralité).
Pourquoi des «foules» autour des rois
Pourquoi faut-il «du peuple» (comme disent les jeunes aujourd'hui) autour du roi? Clément Rosset commentant Pascal écrit: «Le pouvoir de la monarchie se passe nécessairement de tout fondement. La majesté du roi coïncide avec sa propre image majestueuse, s'y résume et s'y épuise (...) Le secret du prince, de n'exister qu'à la faveur d'une autorité d'ordre imaginaire puisque celle-ci fait corps avec sa propre image, est d'ailleurs aussi le secret de toute notion à usage politique (...) Pascal définit le respect politique - en une définition qui vaudrait probablement aussi pour toute forme de respect - non comme une reconnaissance du droit mais comme la prise en considération du fait: fait amplement et suffisamment considérable en soi et qui dispense de lui-même de tout autre mérite.»20. Le «fait»: les «foules royales» sont aussi un «fait».
Clément Rosset, à partir de cette considération, spécule pertinemment sur les raisons pour lesquelles les rois d'ancien régime organisent de multiples magnificences. Tout cet éclat et toute cette lumière n'ont pas pour but d'éclairer mais d'éblouir. C'est cela la fonction des Joyeuses-Entrées. Nous voyons bien que Rosset vise dans sa réflexion non seulement le pouvoir royal mais, plus généralement, tout pouvoir. Cependant, la monarchie est plus handicapée que d'autres pouvoirs par ceci qu'elle ne pourra jamais être élue. On a parfois dit que le l'élection était le «truc» trouvé par les démocraties modernes pour asseoir une représentativité qui, au fond, sinon juridiquement, du moins sociologiquement, pourrait toujours être remise en cause. Cela est vrai. Mais, plus profond que l'élection, et même si celui-ci est faussé de mille manières, il y a le débat auquel s'expose l'homme politique démocrate, la Publicité, l'Opinion publique. Si le pouvoir politique démocratique, lui aussi, a besoin des sortilèges de l'imaginaire, il semble malgré tout mieux fondé en raison que le pouvoir royal.
Rousseau a montré que pour toute société - quel que soit son régime politique - repose sur un acte fondateur qui vient de la société elle-même. D'une certaine manière, selon Rousseau, il n'y a de société que démocratique, la réalité de l'exercice du pouvoir pouvant alors, soit être le fait du peuple lui-même, directement (démocratie directe), soit être déléguée à des «magistrats». Ou même un seul, cas auquel pourrait être identifiée une monarchie constitutionnelle et parlementaire comme la monarchie belge. Évidemment, dira-t-on, ce «magistrat» s'est vu confier le pouvoir souverain par le peuple (ses représentants au Congrès de 1831) une fois pour toutes, le peuple, directement ou indirectement n'étant plus intervenu depuis.
Et c'est bien au fond ce qui pose problème. Alors que les autres «magistrats» (échevins, bourgmestres, députés, sénateurs, ministres etc.), tiennent d'une manière ou d'une autre leur pouvoir par un assentiment du peuple - peut-être contestable mais réel, contrôlé, obéissant à toutes les procédures des élections - il n'en va pas de même de la monarchie. Celle-ci ne pourrait, sans cesser d'être, s'exposer au risque régulier des élections (pour mille raisons!). La monarchie a cependant besoin (si l'on reprend l'analyse de Rosset) de cacher qu'elle est sans fondement par le concours d'une foule qui doit nécessairement éblouir, ou encore (en adoptant une position plus modérée que celle de Rosset), apparaître comme étant fondée comme celle des leaders démocrates: par un assentiment sans cesse répété de la population (mais un assentiment informel contrairement à l'assentiment formel, réglementé des élections), assentiment devant avoir l'apparence de l'unanimité absolue, l'évidence de l'enthousiasme et ne porter que sur la personne du roi non pas sur un programme, une politique (observons avec Manin que l'élection démocratique a déjà quelque chose d'aristocratique, car les élections portent plus sur ce qui distingue l'homme politique du tout-venant que sur une adhésion à son programme).
Les «foules» autour du roi sont essentielles à la monarchie belge, monarchie qui, au début, à l'instar des monarchies anciennes, s'était contentée de la magnificence qui éblouit plutôt que de la magnificence de l'adhésion du peuple - dont la fonction est cependant aussi d'éblouir le peuple, curieusement. Admettons enfin que la magnificence de l'adhésion populaire n'est un procédé de la monarchie que depuis le règne d'Albert Ier et, en particulier, depuis 1918, depuis la fin de la guerre mondiale. Et les «foules» sont convoquées à un moment où le pouvoir royal va se renforcer considérablement.
Esquisse d'une histoire des «foules» autour des rois des trois cycles
Il faudrait entamer ici une histoire des «foules» autour du roi. Le moment le plus fondateur à cet égard serait l'entrée triomphale du roi et de la reine le 22 novembre 1918 à Bruxelles qui fait songer à la remontée des Champs-Élysées par le général de Gaulle en 1944: une unanimité évidente. Encore qu'elle doive être tempérée: lors de l'entrée du roi à Bruges le 26 octobre21, suite à l'offensive victorieuse qui libère les Flandres, l'armée française est autant acclamée que le roi lui-même. Peut-être songera-t-il dès lors à un scénario plus «belge» pour ce qui suivra, notamment à Bruxelles. Nous avons ici devant les yeux la visite d'Albert Ier aux victimes des inondations catastrophiques de la Meuse en 192622. L'impression est que la «foule» présente est faite, un peu comme aujourd'hui, de nombreux écoliers et de dames d'âge mûr. À partir d'Albert Ier (peut-être déjà lors de Joyeuses-Entrées comme celles de Liège et Mons en 1913)23, apparaissent des «foules nombreuses» (cliché récurrent des médias), autour des rois et cette apparition coïncide avec le renforcement du pouvoir royal de 1918 à 1950 tel que Luc Schepens ou Henri Pirenne l'ont noté.
Le besoin royal (et morbide) de chiffres fabuleux
Les reportages que l'on a pu lire ou réentendre, notamment lors de mort du roi Baudouin en août 1993, évoquèrent le chiffre fabuleux (et totalement irréel) de un, voire deux ou trois millions de Belges à l'enterrement d'Albert Ier en février 193424. Cette exagération manifeste n'infirme pas la réalité de la popularité du roi mais elle indique bien que la monarchie a besoin du fabuleux des légendes (comme les milliers de Sarrasins auxquels Roland fit face).
La dépouille mortelle du roi Albert fut exposée à Laeken pendant deux jours pour y recueillir le dernier hommage de la population. Les journaux de l'époque25 évaluent la durée de cette procession devant le roi mort à 23 heures, soit environ 1400 minutes. À l'époque les journaux estiment donc - ce qui nous semble à peu près aussi physiquement impossible que les millions de Belges à Bruxelles - qu'il y aurait eu 100 personnes pour défiler par minute (deux personnes par seconde dans une pièce du Palais), ce qui les amène à parler de 150.000 personnes rendant un dernier hommage au roi mort. En août 1993, la durée de la procession a été de trente heures, soit 1800 minutes. Les médias de 1993 rééditèrent le fabuleux de 1934 en reparlant à nouveau de 100 personnes par minutes ce qui les amena à estimer le nombre de Belges ayant défilé devant le roi mort à 200.000 (on comptait aussi par heure, parlant de 7000 personnes par heure, ce qui équivaut à la proportion estimée en 1934)26. Ces comptes se révèlent nécessaires ici, ne serait-ce que pour tirer deux conclusions. Soit les médias mentent, soit ils s'abusent eux-mêmes à la manière des auditeurs de fables. On sait en effet que, curieusement - qu'il s'agisse de Roland à Ronceveaux ou, hélas!, du négationnisme - le propre d'une fable est de répéter sans cesse les mêmes affabulations (voir cette figure récurrente des histoires de martyres où les saints décapités s'en vont toujours ensuite portant leur tête coupée...).
Les rois eux-mêmes se réclament de cette adhésion fabuleuse. Ainsi dans Le livre blanc, 1936-1946, publié par le Secrétariat du roi en 1946, on lit à propos de la libération de Léopold III par les Américains le 7 mai 1945 à Sankt-Wolfgang: «En Belgique, l'annonce de la libération du Roi provoqua une vague d'enthousiasme dans la population. De tout le pays arrivaient au palais de Bruxelles des multitudes de témoignages de loyalisme envers le Souverain. Le 12 mai, ils représentaient déjà plus de 3 millions de personnes.»27 Ce chiffre est atteint par les conseillers du roi non en additionnant chaque lettre ou télégramme reçu, mais en comptant les personnes «représentées» par ces missives (celle du président d'une association par exemple). L'important c'est l'énormité du chiffre: ces «3 millions» recensés sur le parcours des funérailles d'Albert Ier et que l'on retrouvera dans le bizarre audimat du 4 décembre dernier à l'occasion du mariage de Mathilde et que met en pièces le dossier de l'ATA que nous publions.
Les «exagérations» des médias
Aux 25 ans du règne du roi en 1976, lors d'une fête au Heysel, on compta, probablement honnêtement, 20.000 personnes, chiffre qui étonna certains à l'époque tellement il semblait démentir (à l'époque et dans certains milieux dont l'auteur fait partie), ce que l'on croyait être l'indifférence de la population vis-à-vis de la monarchie.
À la fin des fêtes qui célébrèrent les 60 ans du roi et ses 40 ans de règne, le 8 septembre 1991, des images furent montrées de plusieurs visites impromptues du roi et de la reine en certains lieux du pays. Deux localités sont en vedette au JT de la soirée. Mons où le roi fut filmé descendant les derniers mètres de la rue des clercs, rue étroite et pentue et où le travail d'une caméra habile peut faire percevoir quelques personnes comme si massées qu'elles puissent être perçues comme une multitude. Dinant où se clôturait la braderie locale qui attire toujours une foule immense, qui paraissait y être pour le roi.28
Nous avons émis des doutes sur l'ampleur de l'émotion à la mort du roi en 1993 dès le numéro de République consacré à la mort du roi en septembre 199329. Le livre Le roi est mort publié par l'ORM de LLN (EVO, 1994), en dépit de sa thèse générale sur la réalité d'une émotion générale, relativise fort les chiffres avancés au mois d'août. Par exemple, celui de 200.000 personnes attendant place des palais pour rendre un dernier hommage au roi est réévalué à 60.000 et une journaliste déclare qu'il ne s'agissait pas d'une foule «si impressionnante» (28). Le jour de l'enterrement du roi, il n'y eut à Bruxelles, sur le parcours, que quelques milliers de personnes. À l'époque, on estima que 1,3 million de personnes avaient suivi l'enterrement à la télé ce que La mort du roi compare à l'audience (peu significative) d'un grand film.
Mais pourquoi fallait-il relativiser cette audience? Parce que justement, tout au long des premiers jours du mois d'août, la presse, soit en gonflant les chiffres, soit en en gonflant la description, parlait d'une Belgique unanime, d'une Belgique totale, de «toute la Belgique». Alors qu'il s'agissait réellement d'une Belgique minoritaire sinon marginale (par les chiffres non pas par l'importance des personnes rassemblées là qui, bien entendu, sont les notables les plus importants). Francis Delpérée parla sans cesse à la télé d'un demi-million de personnes (chiffre obtenu en additionnant les unes aux autres les affluences de chaque jour, ce qui n'est jamais fait pour mesurer l'ampleur de manifestations politiques successives en un même lieu). En toute honnêteté, nous pensons qu'il faut considérer que la mort du roi à Bruxelles aura déplacé (et entendons-nous bien: sur les 9 jours de toute l'affaire ce qui signifie que ce chiffre lui-même est sans doute exagéré), 120.000 personnes tout au plus, probablement beaucoup moins. Sur TV5, à la remarque de Benoît Grévisse recommençant à parler (pour la Joyeuse-Entrée de Bastogne), d'un phénomène d'émotion qu'il tenta de relier à celle de la Marche blanche et à celle d'août 93, Anne Vanderdonckt répliqua sèchement: qu'il n'y avait pas eu d'émotion... (dossier de l'ATA).
Lors de la Joyeuse-Entrée d'Albert II à Charleroi (30 septembre 1993), Jean-Pierre Tondu prit des photos de rues désertes quelques secondes après le passage du roi. À Namur (le 7 octobre 1993) alors que les médias s'emballaient dans les chiffres avec la RTBF et La Dernière Heure (15.000 personnes), La Libre Belgique et Le Soir (40.000), La Nouvelle Gazette et La Meuse (40 voire 50.000 personnes), Vers l'Avenir trancha par un honnête «quelques milliers», ce que nous avions pu observer sur place («quelque milliers» ce peut être 4 ou 5.000 personnes, rien de plus).30
«Exagération» encore amplifiée
Le dossier de l'ATA démontent des déformations plus énormes. Nous ne reviendrons que sur le chiffre faussé des 2,8 millions de téléspectateurs qui a été l'ultima ratio des monarchistes consternés par le bide du mariage. Là aussi, il y a eu déformation (l'ATA rappelle que ce chiffre est obtenu en additionnant toutes les chaînes d'Europe couvrant le mariage en Belgique francophone et y captées, procédé anormal, jamais appliqué pour mesurer l'audience d'une émission).
Nous savons par ailleurs que les journalistes et les cameramen reçoivent des instructions très précises quant à la manière de filmer les «foules» lors des événements royaux. Nous savons aussi que la plupart des journalistes télé, encore mieux placés que les simples citoyens pour juger des choses, émettent des doutes sur la réalité de ce «mariage d'amour» où l'on ne sent aucune attirance sexuelle (celle-ci peut se manifester même chez les personnes les plus prudes comme ce fut le cas avec Baudouin Ier et Fabiola par exemple) et guère de tendresse, une sorte de franche camaraderie, concédons-le (mais sans cela comment une pareille affaire pourrait-elle être montée?). Nous voyons bien en outre que les diverses autorités (politiques, médiatiques...) s'acharnent à étroitiser les espaces des rues, des places publiques, des abords d'édifices en vue d'y «compacter» les foules pour que la caméra puisse en souligner la densité. Le mensonge se développe donc des deux côtés de la caméra, du côté de la chose vue aussi bien que de l'oeil, du sujet que de l'objet.
Il s'agit donc d'une duperie, si énorme qu'on en finirait par douter de la santé mentale des habitants de ce pays. Sauf que les sages depuis la nuit des temps jusqu'à ... Goebbels ont toujours observé que le mensonge ne passe que s'il est énorme.
En matière d' «exagérations», certains scientifiques font mieux
À quoi bon revenir là-dessus nous objectera-t-on? Ceci met en cause la politique de la RTBF (telle que l'ATA la critique) mais fait peser aussi un soupçon à la limite plus grave encore sur des travaux scientifiques. On a beau dire que la science est aujourd'hui relativisée. Nous sommes quand même dans une société de la connaissance où, normalement, le recours suprême de l'esprit critique reste l'École, l'Université, la Science.
Or, prenons le cas d'une institution universitaire comme l'ORM (Observatoire du Récit Médiatique dont nous avons cité les travaux)31. Nous sommes maintenant certain que l'étude sur l'émotion de 1993 n'avait en réalité aucun objet. Ou alors elle aurait dû porter exclusivement, comme l'étude de l'ATA, sur la manipulation des médias. Lorsque Chantal Kesteloot32 met en cause la réalité d'une opinion wallonne en raison des émotions «belges» de la Marche blanche et de la mort du roi, elle se trompe au moins en ce qui concerne août 93 où, au fond, rien ne s'est vraiment passé de significatif sauf l'acharnement des élites belges à donner l'impression qu'il se passait quelque chose via médias, Église, appareil de l'État et enfants des écoles.
Prenons maintenant le cas des historiens. Le 23 mars 2000 à la Joyeuse-Entrée de Philippe et Mathilde à Hasselt, les reporters de la RTBF évoquèrent une visite de la reine Astrid en cette même ville, quelque temps avant l'accident de la route qui lui coûta la vie en 1935. Ce fut l'occasion pour ceux-ci de revenir à cette «explication» de la Question royale qui fut très répandue, y compris chez certains historiens: le remariage du roi en 1941 qui aurait mécontenté des «Belges orphelins». Même sans examiner les faits, cette explication prête au doute: comment une population saine d'esprit aurait-elle pu reprocher à un veuf de quarante ans de se remarier six ans après la mort de sa femme? Et comment a-t-on pu dire que quinze ans après, à la suite d'épreuves terribles (la guerre, la déportation, le massacre d'êtres chers, les séparations, les souffrances, les tortures, des dizaines de milliers de résistants assassinés, dénoncés, fusillés), que cette même population se serait soulevée (attentats par dizaines, grève générale, morts de Grâce) pour le principal motif que son «père» (le roi) se serait remarié?33
Cette explication a peut-être tenu la route et la tient toujours, mais pas seulement en raison des «fables». Une manière pour les adversaires de Léopold III d'entraîner l'adhésion fut de se servir de figures royales contradictoires de celles de Léopold III: son père, Albert Ier, tout d'abord puis sa première femme Astrid34. Il n'y a là rien que de normal puisque c'est en jouant Louis XIV contre Louis XV35 que se prépara souterrainement la Révolution française qui allait déboucher sur la République. Mais l'explication met en évidence non pas quelque débat interne à la monarchie mais le désir de la supprimer, au moins pour la France d'avant 1789, mais aussi, en partie du moins, pour la Wallonie de 1950 (il ne faut d'ailleurs jamais oublier que, même après le 10 août 1792, après l'assaut des Tuileries au chant de la Marseillaise par les insurgés de l'été 1792, la République ne fut proclamée en France que très discrètement, l'énormité de la suppression du symbole royal pesant lourdement sur ce peuple comme sur tous les autres).
Je suis forcé de revenir aussi sur la controverse qui m'a opposé à José Gotovitch après son interview dans Le Matin du 28 février dernier. Le même historien déclara au «Soir« quelques jours plus tard, que c'était seulement aujourd'hui que les archives démontraient l'évidence de la collaboration de Léopold III avec l'Allemagne. Cette remarque honore au fond José Gotovitch et je m'en voudrais ici de répéter l'argument ad hominem qu'il m'a reproché d'avoir utilisé. Mais s'il est vrai que l'histoire a ses méthodes auxquels le journaliste et philosophe que je suis s'est toujours efforcé de se soumettre radicalement, il faut, à certains moments, sortir de la méthode, non pour la violer mais pour la dépasser.
Ainsi, s'il est vrai que c'est seulement aujourd'hui que nous pouvons fonder - au sens de la critique historique étroitement comprise - l'accusation de collaboration et d'incivisme en ce qui concerne Léopold III, on ne peut condamner ceux qui y crurent dès la Libération (notamment les ministres à la lecture du fameux Testament politique)36. On ne peut les condamner au nom de tout ce que nous avons rappelé sur les foules autour des rois et de l'apport capital du dossier de l'ATA. Avant les archives et la critique historique, il y a la supercherie monarchique dont tout le monde n'est pas dupe...
Un Mensonge qui se poursuivra
De la même façon que pour la belgitude dénoncée par Inge Degn (voir la rubrique Ailleurs), la supercherie belge est vraiment parfois trop grosse. Des systèmes entiers reposèrent des siècles sur des mensonges de pacotille: il n'est peut-être pas si impossible qu'on ne le pense de «mentir à tout le monde tout le temps». N'est-ce pas le propre de toute idéologie? Dans le conte d'Andersen, c'est quasi dans l'instant même où le petit enfant crie que le roi est nu que les yeux de la foule semblent s'ouvrir. Mais ce que le génial écrivain danois a magnifiquement pu rendre, ce n'est pas seulement le temps long de la fabrication de la supercherie. Il exprime aussi le temps aussi long - plus long même peut-être - du processus de dévoilement de la tromperie. Nous aurions tendance à dater du 8 octobre 1993 le jour où la tromperie belge des «foules» royales a commencé à s'effilocher avec le magnifique article de Vers l'Avenir sur les «quelques milliers» de personnes à la Joyeuse-Entrée d'Albert II à Namur en 1993. Depuis, la presse s'est montrée de plus en plus critique. Et à notre sens, la RTBF devra bien suivre un jour ou l'autre.
Mais alors, nous serons à un tournant. Aussi grande que soit son inanité et son Mensonge, l'idéologie acquiert rapidement «la puissance d'une force matérielle». Cette puissance matérielle de l'idéologie monarchique est en train de s'effriter gravement. Nous n'avons jamais cru ce qu'ont écrit même des adversaires de la monarchie, à savoir que l'opération Mathilde était une opération «efficace» de marketing. Nous pensons le contraire. Le tort fait à la monarchie par la télévision - surtout la RTBF - est énorme. Mais nous allons voir qu'elle est quelque part condamnée à lui faire ce tort. Et que les conséquences s'en feront encore attendre même si nous allons, manifestement vers la République en Wallonie.
Mythe, rationalité et monarchie
Les dérives de la RTBF s'éclairent aussi à partir du livre de Laurence van Ypersele sur le mythe d'Albert Ier. S'inspirant notamment de Max Weber, Laurence van Ypersele a excellemment analysé la fabrication du mythe d'Albert Ier. Elle part de la rationalité pour aboutir au mythe: «La société belge sous Albert Ier est une société où dominent les conceptions légales-rationnelles. Autrement dit, est légitime ce qui est conforme à la loi. C'est dans ce cadre qu'apparaît le roi Albert, souverain des Belges par son serment constitutionnel. Mais le mythe d'Albert montre qu'une légitimité charismatique est venue se greffer et a renforcé momentanément la légitimité légale-rationnelle.»37. Laurence van Ypersele pense que le mythe d'Albert Ier existe déjà avant la guerre de 1914, mais qu'il est porté à son paroxysme par cette guerre. C'est magnifiquement expliqué. Mais on oublie une donnée fondamentale.
Les rois ne peuvent exister que mythiquement, à partir d'images, de gestes fictifs. Leur légitimité ne peut jamais être que charismatique En raison du caractère «inviolable» du roi (selon la Constitution), en raison du caractère fabuleux de la royauté en général, en raison du fait que le roi - ancien ou moderne - ne peut exercer le pouvoir dans le cadre de la Publicité. Il ne peut en effet proposer réellement une politique, des propositions, des perspectives, des actes soumis à la discussion publique (parlement, opinion, etc.), laquelle serait forcément contradictoire et forcément menaçante pour le type de pouvoir qui est le sien (destiné à durer, à s'exercer dans le silence de l'unanimité). À moins d'être réduit au rôle d'ornement comme au nord de l'Europe, le roi doit être mythique ou ... n'être pas.
C'est plus vrai d'un roi constitutionnel moderne qui exerce une part réelle de pouvoir (comme en Belgique), car c'est dans la nature, la tendance, la dynamique de la démocratie de tout mettre en cause. Cette possibilité d'être critiqué renforce encore l'obligation dans laquelle est le ministre responsable de «couvrir» le roi. Et pas seulement lui, mais la société toute entière dans la mesure où elle prend sens dans un pouvoir de cette nature, comme la Belgique très particulièrement. Et dans la mesure où en défendant l'excellence du roi elle défend le système qui la structure.
La vérité des personnages ordinaires élevés au rang de saints ou de héros tient au contraire à la réalité de leurs faits, gestes et paroles. La critique peut bien repérer des déformations, mettre à jour les naïvetés dans l'admiration qui leur est portée (etc.), elle rencontrera, certaines fois, le vide d'une imposture, mais, d'autres fois, le roc des faits, gestes et paroles, du sens qui leur est lié et qui demeure. On peut songer à des héros anciens comme Socrate et le Christ ou modernes comme Jean Moulin et Marguerite Bervoets. Le sens de ces vies demeurent, malgré les démythisations ou même grâce à elles.
Mais les rois, surtout modernes, surtout les rois des Belges, ne résistent pas à leur démythisation. Là, au contraire, tout a dû être fabriqué sans lien avec le réel puisque la réalité de l'action politique du roi est et doit demeurer cachée et que les expressions publiques, contemporaines de cette action réelle et secrète, ont pour seule fonction de maintenir secrète cette action réelle secrète, secrète donc difficile à contester. Il y a même souvent contradiction radicale entre l'action réelle et secrète et le sens officiel qui lui est donné. Ainsi la vision qu'a Albert Ier de la Première guerre mondiale est tout aussi réservée vis-à-vis des alliés et du patriotisme belge que celle de Léopold III avant et après 1940. Les deux hommes sont en admiration devant les régimes autoritaires (de Guillaume II à Hitler) et pleins de méfiance à l'égard du Parlement et de la démocratie. Ils sont tous deux antisémites (antisémitisme de salon soit...). Au fond, la vérité d'Albert Ier c'est Léopold III et Laurence van Ypersele a bien montré que, pour une part, le rejet de Léopold III en 1950 par la Wallonie s'explique justement par l'attachement de celle-ci au mythe d'Albert Ier (qui, par choc en retour, rend Léopold III décevant et détestable)38. Le mythe d'Albert Ier n'ayant pas fonctionné en Flandre.
Puisque la Belgique officielle continue à exprimer le besoin que la royauté occupe en son sein une place centrale, il faut qu'il y ait des dérives dans l'information, la presse etc. Il faut bien que la Belgique vive politiquement, sociologiquement, dans la fausseté en ce qui concerne cette centralité d'elle-même qu'est la monarchie. Il ne reste pratiquement rien d'un sens positif - et instructif pour aujourd'hui - qu'aurait eu l'action d'Albert Ier, par exemple. C'est la conclusion de Laurence van Ypersele. Quant à Léopold III, le sens négatif - et instructif - du rôle qu'il a joué pendant la guerre ne devrait être certain, selon la remarque de José Gotovitch, qu'au moment où les archives le révéleraient. Ce qui signifie que pour le meilleur ou pour le pire, le sens réel de notre destin collectif, si du moins celui-ci doit être défini par la monarchie, doit nous échapper cinquante ans et plus. La RTBF, en d'autres termes, doit mentir.
Il nous semble cependant que la Belgique - et la Wallonie particulièrement - se dégage peu à peu de cette opacité liée à l'amnésie dont parle sans cesse Jean Louvet. Le dossier de l'ATA dénonçant le caractère faussé des reportages télévisés en est un signe. Les choses avancent. Mais même quand l'enfant d'Andersen a crié la vérité, tout n'est pas fait encore. Car, comme le dit le génial conteur danois, lorsque la nudité du roi (ou de l'empereur) fut dénoncée: «Il se redressa encore plus fièrement, et les chambellans continuèrent à porter le manteau de cour et la traîne qui n'existait pas.»
PS: Censure et fric
Laurence van Ypersele montre bien que, prisonnier du mythe d'Albert Ier mais n'y correspondant pas, Léopold III devait être nécessairement éliminé vu les circonstances de la Seconde guerre mondiale. Mais elle souligne à la fin de son livre le seul drame humain du roi contraint à se retirer, confronté qu'il était à ces «exigences totalitaires d'un système de représentations» (si le roi n'est pas Albert Ier, il doit s'en aller). Ce que l'historienne tend à oublier c'est que «confrontés» à la barbarie nazie, des hommes résistants moururent par dizaines de milliers dans les plus inhumaines des souffrances et qu'ils furent, encore en 1950, non pas «confrontés à un système de représentations», mais, quoique ancien résistants, tués par des gendarmes belges à Grâce-Berleur ou par des fascistes (cas de Labaut). En outre, ces événements qui font sens pour la Wallonie furent largement et efficacement censurés. Cette fois ce fut bien en raison du fameux «système de représentations» qui voulait que, même écarté, Léopold III doive sauver la face, humilier le Premier ministre Pierlot par Baudouin interposé, continuer à jouer un rôle politique et puisse ... mourir dans son lit. Tandis que l'État verse des primes de mariage de 10 millions de F à ses descendants qui ne sont cependant guère «confrontés» aux difficultés que subissent l'énorme majorité des gens. Plusieurs lecteurs m'ont demandé d'insister sur ces faits matériels et scandaleux. Je plaide coupable de ne pas y revenir assez. Mais je demande de bien voir aussi que l'imposture monarchique représente quelque chose de bien pire, mais moins chiffrable, moins sensationnel.
- 1. Laurence van Ypersele, Le roi Albert, Histoire d’un mythe, Quorum, Ottignies, 1995.
- 2. Jean Stengers, L’action du roi en Belgique depuis 1831. Pouvoir et influence. Duculot, Gembloux, 1992.
- 3. Luc Schepens, Albert Ier et le gouvernement Broqueville, 1914-1918, Duculot, Gembloux, 1983.
- 4. Ibidem, p.230.
- 5. Henri Pirenne, Tome X de l’Encyclopédie française, Paris, 1933, n° 10, 68, p. 12.
- 6. Jan Velaers, Herman Van Goethem, Leopold III. De Koning. Het Land. De Oorlog, Lannoo-Tielt, 1994, à partir de la p.62.
- 7. On estimait ce soutien à 90%! Ibidem, p.123 notamment.
- 8. Ibidem, p. 174.
- 9. Paul-Henri Spaak, Combats inachevés, Tome I, De l’indépendance à l’alliance, Fayard, Paris, 1969, p.103.
- 10. Jean Stengers, L’action du roi...,p; 50.
- 11. Francis Delpérée à la RTBF, le 3 mars 1990.
- 12. J.Stengers, L’action du roi...,p.12.
- 13. F. Delpérée à la RTBF le 5 décembre 1999.
- 14. Ladrière, Meynaud et Perin, La décision politique en Belgique, CRISP, Bruxelles, 1965, p. 20.
- 15. J.Stengers, L’action du roi..., p.227.
- 16. Ibidem, p. 71.
- 17. José Fontaine, Duplicités structurales et déclin de la monarchie, in Les faces cachées de la monarchie belge, TOUDI et Contradictions, Enghien-Walhain, 1991, pages à 28.
- 18. H.Maddens, De Monarchie en de publieke Opinie, in Res Publica, n°1, 1990, p.164.
- 19. Ce chiffre est donné par Hugo de Ridder in Le cas Martens, Duculot, Gembloux, 1991.
- 20. Clément Rosset, Le philosophe et les sortilèges, Minuit, Paris, 1985, p.31.
- 21. Luc Schepens, Albert Ier et le gouvernement Broqueville, op. cit, p. 231.
- 22. Photo publiée dans Émile Cammaerts, Albert II de Belgique, défenseur du droit, L’édition universelle, Bruxelles, 1936.
- 23. À Liège surtout, le 13 juillet 1913, Albert Ier fut accueilli par des manifestations clairement et même massivement wallingantes.
- 24. Le Peuple du 23 février 1934 (cité par L. Van Ypersele, p. 317), parle d’un million de personnnes, chiffre déjà parfaitement invraisemblable.
- 25. Comme La Dernière Heure du 25 février 1934, p. 1.
- 26. Marc Lits, Édition spéciale: le roi est mort, in Le roi est mort, Émotions et médias, EVO, Bruxelles, p. 13-24, p. 17.
- 27. Livre Blanc (publié par le secrétariat du roi Léopold III), p. 372.
- 28. José Fontaine, Le pape, le roi, le vide, in République n°19-20, avril-mai 1994 p. 4.
- 29. Le roi est mort, op. cit., p. 160.
- 30. Personne aux Joyeuses-Entrées, in République n° 15, novembre 1993, p. 1.
- 31. Notamment Le roi est mort qui ne parvient pas trancher sur l’origine de l’émotion d’août 93: la société ou les médias.
- 32. Chantal Kesteloot, compte rendu du livre de Philippe Destatte L’identité wallonne (IJD, Charleroi 1997) compte rendu paru sous le titre Être ou vouloir être, le difficile cheminement de l’identité wallonne, in Cahiers/Bijdragen, Bruxelles, 1997.
- 33. Robert Devleeshouwer, Henri Rolin, éd de l’ULB, Bruxelles, 1994 pages 364-365. L’entièreté de ce passage a été cité dans République n° 31, septembre 1995, p.8.
- 34. Voir l’affiche célèbre parue durant la question royale et reproduisant le portait de la Reine Astrid avec cette légende «antiléopoldiste» : Majesté vous demeurez Notre Reine Votre Fils est Notre Roi.
- 35. Arlette Farge et Jacques Revel, Logiques de la foule, L’affaire des enlèvements d’enfants Paris 1750, Hachette, Paris, 1988. La même analyse est faite par Arlette Farge dans Dire et mal dire, Seuil, Paris, 1992.
- 36. Livre Blanc (publié par le secrétariat du roi Léopold III), p. 387. Le 28 mai 1945 au Cirque Royal à Bruxelles, Charles Janssens nomma Léopold III «Le plus grand des inciviques que nous avons connus.». Il ne fevint jamais devenir ministre (voir Stengers, op. cit.).
- 37. L. Van Ypersele, Le roi Albert ... op. cit. p. 307.
- 38. Notamment lorsqu’elle écrit «le mythe du roi Albert ne s’est pas écrit en flamand» in Le roi Albert, p. 70, observation reprise p. 322.