Le premier grand film d'un cinéma wallon [Le grand paysage d'Alexis Droeven (1981)]
Le film du réalisateur wallon Andrien, vient d’être présenté dans la région proche des Fourons où se situe l’action. Il se déroule donc au nord du plateau de Herve, au rythme lent des voitures modernes dans les longs chemins de campagne, de la médiation douloureuse et dure du héros qui vient de voir mourir son père, d’un peuple avec sa vérité, avec son accent wallon lourd – « latin venu à pied du fond des âges » (et voici que s’efface le stupide accent dont les films français affublent des « Belges » que personne n’a jamais entendus).
La lenteur n’est qu’apparente : forte et pleine de travaux, d’immensité, de peines, de violence, elle caresse les multiples splendeurs d’une région très particulière avec ses plissements de terrain mouillés de pluie, éclatants de soleil, ou mystérieux dans la brume et dans la nuit. Lenteur rime avec grandeur : la grandeur d’un drame qui traverse le monde paysan en Europe. Ce monde paysan, pourtant, contrairement à ce qu’en racontent les préjugés urbains, n’affronte pas la modernité dans la résignation ou le passéisme. Le discours du responsable des Unions professionnelles agriculteurs, à la mort d’Alexis Droeven, est là pour le prouver. Ce discours a été réellement prononcé en dehors de la fiction d’Andrien, à la même occasion d’un décès d’un militant des UPA, et par le même responsable local.
D’ailleurs ce film ne chante pas la terre sur le mode romantique et mystique d’un certain régionalisme, avec une nature qui devient divinité douce et maternelle. Le « paysage » est aussi quelqu’un , mais quelqu’un d’à la fois dur et inquiétant, vivifiant et exigeant. Ce « paysage » éclate en lumières, en couleurs, en bruits au ras des prairies, en cris d’animaux dans les matins secs. Alexis Droeven lui a voué son existence. Il l’a vouée à une agriculture dépouillée de tous les mythes. La ville – Liège foisonnante de vie - ne s’oppose qu’apparemment à la campagne. Ainsi le voyage Liège-Fourons n’est pas exactement retour à la terre. C’est la reprise de contact avec le combat du métier, le combat d’une région envahie par les extrémistes flamingants.
Quand les violences fouronnaises sont évoquées, le film bascule dans des images « noir et blanc » qui accentuent l’âpreté de la violence, la présence oppressante et brutale de la gendarmerie qui semble presque une troupe d’occupation. Andrien se défend d’avoir fait un film sur les Fourons et le problème qui s’y pose. Mais ce problème fait partie de la région comme le reste. Andrien prend le parti de ses habitants – rester Wallons – comme pour le reste.
Ce n’est pas à cet épisode que nous reconnaissons ce film comme wallon. Andrien veut inventer une nouvelle écriture cinématographique, qui a déjà plu à d’autres pays d’Europe lors du récent Festival de Berlin. Cette écriture est porteuse d’universel. De cette écriture, nous dirions avec François Dagonet, qu’elle travaille « au rebours de l’entropie qui affecte la vision ordinaire » d’un pays – la Belgique, la Wallonie , - perçu spontanément comme dérisoire et « petit », sans doute à cause de l’ « entropie de la vision ordinaire », ce que certains appellent notre « misère culturelle ». En nommant sans fausse pudeur le pays wallon, Andrien nous délivre de cette misère, et apporte à une communauté humaine cette « intensification de l’expérience » dont parle aussi Dagonet. Du coup, grâce à l’art d’Andrien ce qui est, ici, importe.