Chapitre IV : Particratie et monarchie protocolaire
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Dans la journée du jeudi 4 juillet, tout ce que comptent comme médias la Belgique wallonne, bruxelloise et flamande annoncent que le roi Albert II prendra la parole à la radio et à la télévision. La télévision émet de manière ininterrompue à partir de là pendant la soirée, une grande partie en tout cas. Le vendredi 5 juillet, le Premier ministre Elio Di Rupo pique une colère au Journal Télévisé de la RTBF contre le leader de la NVA, Bart De Wever qui vient de déclarer qu'il recevra volontiers le Prince Philippe à l'Hôtel de Ville à Anvers et même qu'il lui donnera à manger s'il a faim. Di Rupo estime que se moquer du roi, c'est se moquer des institutions belges (on peut le nuancer en faisant remarquer que l'institution centrale du pays c'est la Nation dont tous les pouvoirs émanent, selon la Constitution et que c'est se moquer d'elle qui est insultant).
Les émissions spéciales se suivent dans les médias. Les deux semaines qui vont suivre démontreront peut-être que, contrairement à ce qui avait été dit sur la mort de Baudouin I en 1993, l'emballement médiatique a tout de même quelque chose de peu spontané et n'est pas nécessairement l'effet d'un intérêt passionné qui s'exprimerait dans la société civile. L'impératif des médias, par ailleurs, est de couvrir tout ce qui est susceptible d'être intéressant et important. Ici, le mélange des deux invite à être prudent. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de leçons à retirer de toute cette médiatisation. Mais une chose à la fois. Encore que l'on puisse dire que les quelques personnes qui se retrouvèrent devant le Palais royal au soir du 4 juillet avec d'immenses drapeaux belges, ne faisaient pas foule. Alors que ces militants royalistes sont pourtant assurés de passer à la télé comme dans tous les cas semblables.
Deux semaines de ramdam médiatique
Le lundi 8 juillet, les responsables politiques qui ont participé à l'accouchement de la réforme de l'Etat se retrouvent à déjeuner au Palais. Parmi ces responsables, on retrouve des représentants de la majorité gouvernementale (les six partis traditionnels dans leurs deux déclinaisons linguistiques : libéraux, démocrates-chrétiens et socialistes), et les Verts wallons et flamands. Tous les partis démocrates ont été invités sauf la NVA qui n'a pas signé l'accord et - chance pour toute cette liturgie d'avoir un parti démocratique francophone « mauvais » aussi - le FDF qui lui fait pendant, ne l'ayant pas plus signé. Cette exclusion de la NVA est sans doute ce qui, dans la ligne de la colère médiatique de Di Rupo le 5 juillet, donne le fil conducteur politique de cette défense et illustration de la particratie sous le couvert de la monarchie belge, telle qu'elle fonctionne aujourd'hui en faveur de la particratie. Le surlendemain 10 juillet, à nouveau grand déjeuner, mais cette fois avec les anciens Premiers ministres d'Albert, 3 CVP (Van Rompuy, Dehaene, Leterme), un libéral (Verhofstadt) et l'actuel Premier (Di Rupo), socialiste. Le vendredi 12 juillet, c'est au tour des entités fédérées. Le lundi 16 juillet réception des membres du gouvernement actuel. Dans toutes ces réceptions l'ex-couple royal et l'actuel sont présents. C'est cependant seul que l'ex-couple royal sera à Gand le 17 juillet, devant une centaine de personnes selon L'Avenir, à Eupen le 18 devant deux mille personnes et à Liège le 19 devant 8.000 personnes selon la police, chiffre adopté d'enthousiasme par la RTBF-télé, mais fortement minimisé par la RTBF-radio. En principe, il s'agissait pour l'ancien couple royal de se rendre dans les trois communautés, mais si la réception à Eupen a bien eu cette connotation, on ne peut pas en dire autant de Gand ou de Liège qui se sont mises en avant elles-mêmes. Le poids des villes en Wallonie pèse déjà si fort sur le Parlement wallon et l'actuel bourgmestre de Liège n'est pas un militant wallon comme tant de ses prédécesseurs. Cela manque cruellement à la Wallonie dont on voudrait que la ville la plus importante (par sa grande agglomération et son prestige), se rappelle quand même de temps à autre ce qu'elle doit d'être pour la Wallonie.
Il y a alors (passons sur la veille du 21 juillet), un 21 juillet avec Te Deum, abdication d'Albert II, prestation de serment de Philippe devant un trône autour duquel les drapeaux de la Wallonie, de la Flandre, de Bruxelles et de la Communauté germanophone ont été dessinés. Les médias parlent de foule « incroyable » de choses « inattendues » dans une journée où pourtant tout a été aussi programmé que le métaprogramme dynastique qui veut que le fils du roi succède au roi. On n'entendra pas cette fois de Vive la République ! sauf cependant à l'hommage au soldat inconnu, cri vite recouvert par d'autres cris et qui n'avait pas la force du cri du 11 août 1950, lancé d'une voix ferme et rapide. Au JT de la RTBF au soir, Jan Jambon présent à la prestation de serment de Philippe qui n'a pas applaudi, à qui on pose la question de l'impression que lui fait le nouveau roi, répond que rien ne lui permet dans ce qui vient de se passer de juger cet homme qui n'a tenu que des discours convenus et lus et qui est également tenu de répéter les formules qu'il doit prononcer comme tous ses prédécesseurs depuis 1830. Le tout modérément dit. En fait, ce n'est pas un constat qu'on lui demandait, mais une adhésion au régime étatique belge qui suppose qu'on aille au-delà du constat et que l'on soit plein d'éloges à l'égard de la personne royale qui, parce qu'elle personnifie le régime, suppose que l'on soit positif à son égard, les éloges ne s'adressant plus à un individu mais à une réalité collective. Mais laquelle ?
Monarchie et particratie
Cette collectivité, c'est l'ensemble des partis francophones et la stratégie qui est la leur à la suite de Di Rupo et qui peut se résumer au mot de Laurette Onkelinx dans une interview à La Libre Belgique : « Tout faire pour éviter la NVA » (La Libre Belgique du 2 juin 2013). La stratégie de Di Rupo a été fixée le 6 décembre 2011.
Lisons Le Soir du 26 décembre 2011 : « Les ministres viennent à peine de prêter serment entre les mains du Roi. Chacun cherche un peu sa place, le 6 décembre à la grande table ronde du Seize, rue de la Loi. Le tout nouveau Premier Ministre, Elio Di Rupo préside son premier Conseil des ministres. Il prend la parole. Son intervention est quelque peu solennelle. Il y va de la survie des familles politiques traditionnelles en Flandre. Il s'agit bien là de sa priorité absolue «Nous devons tout faire pour soutenir les partis flamands de la majorité, pour leur faire gagner les prochaines élections. Nous devons être parfaitement conscients que leur position n'est pas facile. Nous leur sommes redevables de l'effort qu'ils ont fait.» »
Cette étonnante position politique subordonne toute la politique wallonne et bruxelloise à une stratégie anti-NVA qui pourra se justifier éventuellement d'ailleurs en fonction de l'intérêt wallon, mais dans la cadre de l'intérêt francophone belge qui est le maintien de la cohésion de la Belgique francophone avec l'appui des partis flamands supposés être des alliés objectifs de cette stratégie dans laquelle il ne sera jamais question de la Wallonie, mais seulement de Belgique.
La mise en scène médiatique du 4 juillet au 21 juillet 2013, en voilà la signification profonde. Cette tactique est habile dans la mesure où la particratie francophone est unie comme jamais et presque partout au pouvoir, partout présente lors des réceptions de juillet, partout aussi d'accord avec le Premier ministre ou les socialistes dans le front uni contre la NVA. C'est une position où l'intérêt wallon n'est désigné d'aucune façon de manière claire et donc distincte de la stratégie francophone globale.
Elio Di Rupo, dont on a montré dans les chapitres précédents à quel point il contrôle la ville de Mons, la Wallonie, la Communauté française, le Gouvernement fédéral est une Synthèse regardant de haut (de plus en plus haut), cette Wallonie à qui il doit tout au départ mais qui ne lui sert plus que de masse de manœuvre dans une stratégie avant tout fédérale et francophone, montoise et, en tout dernier lieu, wallonne.
Il était frappant d'entendre les journalistes de la RTBF demander même à quelqu'un comme Reynders si la mise en évidence des entités fédérées dans le show royal de juillet était faire pour satisfaire la Flandre, comme si la Wallonie n'était en rien concernée par cette mise en avant des fameuses « entités ».
Didier Reynders a dit que la chose avait été faite pour toutes les entités fédérées, ce qu'il était possible de répondre. Mais en réalité cela aussi rentre dans la stratégie de la particratie francophone qui a besoin d'une Flandre qui se sente autonome.
On ne jurerait pas qu'elle ait besoin d'une Wallonie qui se sente autonome. Comme l'ont montré le Chapitre I et le Chapitre II de ce livre, alors que, en Flandre, le Président flamand s'impose à la suite des élections s'il est du parti qui a le plus grand nombre de sièges au Parlement flamand (un peu comme le Premier ministre est choisi au plan fédéral), au plan wallon (et c'est déjà moins vrai du niveau bruxellois), ce n'est pas un leader wallon, ayant comme vocation première de diriger la Wallonie qui mène les négociations, mais la Présidentocratie. Cette Présidentocratie a beau avoir son assise la plus forte en Wallonie son intérêt est tellement ailleurs qu'il ne s'agit presque que d'une formalité. Les personnes désignées à la tête du gouvernement wallon dont le choix doit être ratifié par des parlementaires eux-mêmes choisis par la particratie ne se situent guère en Wallonie que du point de vue de la gestion. Si la Flandre a réclamé, après la 6e réforme de l'Etat une place plus grande dans l'apparat belge, y compris royal, on n'a entendu (le lundi 22 juillet) la voix fiable de Jean-Claude Marcourt se réjouir, après que les Flamands l'aient souligné à l'envi, que les budgets des entités fédérées étaient maintenant supérieurs au budget fédéral.
La monarchie convient à la particratie selon Bart Sturtewagen
Dans une « opinion » publiée en derrière page du journal flamand De Standaard le 19 juillet 2013, Bart Sturtewagen pense que la monarchie est une marionnette aux mains des partis. Il commence par nier que cette institution serait la seule qui permettrait une action politique au-dessus des factions politiques rivales. Il ne donne qu'un seul exemple de cela : le fait que le Président de la République du Portugal ait refusé le 10 juillet la démission du Premier ministre d'un gouvernement de centre-droit et ait appelé à la formation d'un gouvernement d'union nationale, intégrant les socialistes. Il estime que la monarchie belge devient peu à peu une monarchie protocolaire. Il met en cause l'idée si répandue que les politiciens auraient absolument besoin d'un roi lors des négociations en vue de la formation d'un gouvernement pour pouvoir se confier à une personne dont ils savent qu'elle n'ébruitera pas leurs confidences : « Quel non-sens : il est invraisemblable que les présidents de partis ne se confieraient que dans le secret des entretiens avec le roi, étant donné que celui-ci discute ensuite avec leurs rivaux. Il est plus vraisemblable que l'on se serve du roi [...] soit comme d'un paratonnerre soit comme d'un mégaphone. Rien de plus. » Et il estime qu'un Président de la Chambre, par exemple, serait en mesure de remplir un rôle d'arbitre pendant la durée des négociations. Croire qu'il n'y aurait aucune autre institution que la monarchie pour remplir ce rôle est « grotesque ».
Les erreurs de Léopold III puis de Baudouin I auraient dû conduire à la chute de la monarchie si les politiciens n'avaient pas vu les choses autrement.
Il faut prendre acte d'un avis aussi autorisé en Flandre que celui de Bart Sturtewagen. Mais on pourrait lui objecter qu'il n'en a pas toujours été ainsi et que l'histoire démontre que si Baudouin I a pu être materné par les politiciens pendant la première partie de son règne, il a pu agir ensuite avec une grande autorité en plusieurs circonstances.
Les analyses que TOUDI a produites sur la monarchie jusque-là demeurent valables, même si elles le sont sans doute moins pour le règne d'Albert II. Il conviendrait d'y ajouter les passages que Bagehot consacre à la monarchie constitutionnelle dans The English Constitution sur les pouvoirs du roi dans la relation confidentielle avec ses ministres : « the right to be consulted, the right to encourage, the right to warn », le droit d'être consulté, le droit d'encourager à prendre une décision et le droit de mettre en garde. Ce qui n'est pas rien toujours pour citer Bagehot car au cas où le roi n'est pas d'accord avec son ministre, il lui dirait: « La responsabilité de prendre ces mesures est la vôtre. Ce que vous pensez qu'il est bon de faire le sera. Ce que vous pensez qu'il y a de mieux à faire aura mon entier et agissant soutien. MAIS sachez que pour telle et telle raison ce que vous proposez de faire est mauvais ; pour telle et telle raison ce que vous ne vous proposez pas de faire est meilleur. Je ne m'y oppose pas, c'est mon devoir de ne pas m'y opposer ; mais sachez que je vous mets EN GARDE 1.» A supposer que le roi ait raison, et qu'il a ce que les rois ont souvent à savoir une manière de s'exprimer qui est persuasive, il pourrait ne pas aider son ministre à modifier ses vues. Il ne parviendrait pas toujours à le faire changer d'avis, mais il introduira toujours le trouble dans son esprit. » (III. La Monarchie, paragraphe II). Dans la perspective de Bart Sturtewagen, cette possibilité d'un pouvoir d'influence du roi ne serait plus effective dans la mesure où, comme il le dit, le roi des Belges, « enfermé dans une cage dorée » est à la merci de la particratie.
Un point oublié par Bart Sturtewagen ou non explicité
Il existe peut-être une dimension que l'éditorialiste flamand oublie ou n'explique pas. Quelle serait bien la raison pour laquelle la monarchie convient tant à la particratie ? On sait que même la NVA qui a inscrit l'instauration de la République à son programme, tout en ne se montrant guère déférente à l'égard de la monarchie, ne la met pas en cause aussi brutalement que, par exemple, les communistes en 1950. C'est parce qu'elle sait que la monarchie exerce encore une influence non pas peut-être sur les décideurs politiques, mais sur les émotions populaires.
Comme l'a montré Kantorowicz dans Les Deux Corps du roi, il existe une façon de présenter la monarchie comme ce qui garantit la pérennité de la Nation ou du groupe humain en général. En même temps cette force attribuée à l'institution monarchique n'est que la projection sur celle-ci d'une force qui lui vient d'ailleurs, soit de la nation elle-même ou du groupe humain qui la révère comme cette force. Ainsi la force de la nation ou du groupe (des groupes...), se projette sur une personne et une institution dont on attend tout alors que c'est bien plutôt elle qui récit les choses de ceux parmi les citoyens qui croient ne pas pouvoir s'en passer. C'est le raisonnement de Feuerbach à propos de Dieu à laquelle l'humanité attribue des qualités (ou être sur lequel elle projette ses propres pouvoirs), qui sont en fait celles de l'humanité. On peut en douter pour ce qui est de Dieu, il est difficile d'en douter pour ce qui est des rois, voire même aussi des grands hommes (ceux-ci jusqu'à un certain point).
Ce mécanisme a beau être facilement démontable on ne peut pas dire que la modernité l'empêcherait de fonctionner, désenchantement du monde ou pas, mort de Dieu ou pas. Il est même possible que plus il y aura de l'insignifiance dans cette monarchie, plus le mécanisme pourra mieux fonctionner en raison du fait que les qualités attribuées au monarque, notamment par la classe politique, à la faveur de grands spectacles, de foules que grossissent les médias mais qui continuent à abuser le public en dépit parfois du caractère invraisemblable de certains décomptes, ne pourra même plus être démenti par des défaillances de l'individu royal strictement contrôlé. La ministre de l'intérieur a tout de même dit qu'il y avait eu de 500.000 à 700.000 personnes à Bruxelles à l'occasion des événements du 21 juillet « sur la base des informations communiquées par la police2.La raison pour laquelle on peut douter de ces chiffres un peu insensés c’est que les médias se trouvent chaque fois comme aussi obligés de le dire que de dire que le roi a toutes les qualités. Ainsi la revue TOUDI publiait en avril-mai 2000 un dossier de l’ATA (Association des Téléspectateurs Actifs), qui analyse de près comment on finit par construire des foules immenses qui n’ont jamais existé. Ce dossier est consultable en ligne.3
Et d'ailleurs, qu'importe ! La cérémonie de la prestation de serment en rassemblant dans un lieu prestigieux quelques centaines de personnes assure à cette liturgie la chance de faire à tous les coups salle comble et de produire du même coup l'effet souhaité par la particratie. Sur le site de la revue en ligne, nous avons introduit dans rubrique Histoire de la monarchie belge, une vidéo reproduisant l'incident du 11 août 1950 et le Vive la République ! lancé d'une voix ferme et rapide après que le Président de la Chambre a invité le Prince royal Baudouin à prêter le serment constitutionnel. Les applaudissements nourris en faveur du Prince à la suite de ce cri sortant de l'ordinaire, impressionnent et tendent à limiter la portée de l'incident et de ce dont il est l'émanation, soit la révolte d'un Pays wallon ne craignant plus d'aucune façon d'être puni pour crime de lèse-majesté. Une Wallonie qui était selon le mot de Léo Collard à la Chambre le 18 juillet menacée « d'un mouvement incontrôlable et irrationnel de nature morale et psychologique4. » Très longtemps, le souvenir même de ce qui s'était produit alors a été peu évoqué. Il a fallu les années 70 et les mémoires de Duvieusart pour que, enfin, quelque chose de la vérité perce. Si du moins on peut s'exprimer de cette manière puisque ce qui s'est passé en juillet 1950 s'est étalé dans tous les journaux, des événements dont nous avons d'ailleurs la pleine possibilité aujourd'hui de voir ce qu'ils ont été. Encore en 1990, Wallonie libre titrait Il ne s'est rien passé en 19505 ?
En coalisant la particratie derrière la monarchie, en la mettant littéralement au service de l'Oligarchie belge, un homme comme Elio Di Rupo sait ce qu'il fait en ces temps où l'attachement à la démocratie relève du pharisaïsme puisque les Parlements ratifient l'un après l'autre le traité européen sur l'austérité qui les invite à se sacrifier sur l'autel de la politique néolibérale qui n'a pas besoin de leur contrôle et qui entend limiter celui que ces assemblées exercent.
Lors de la visite d'Albert II à Liège, Marc Bolland, élu socialiste liégeois et bon régionaliste, estimait (sur son site) la monarchie nécessaire dans un pays « qui a besoin de stabilité ». Marc Bolland se dit régionaliste. En réalité il ne voit pas que derrière son désir de stabilité du pays qui serait garantie par la monarchie, il en envisage une autre, celle de la particratie. Du point de vue socialiste et du point de vue wallon, les socialistes se sont tout de même beaucoup affadis depuis 1950 et plus encore depuis 1913. Lors de la Joyeuse-Entrée d'Albert I de cette année-là à Liège et aussi à Mons on note un mouvement de foule vers le roi avec des autonomistes wallons qui brandissent le drapeau wallon « se précipitent vers le landau et balancent sous le nez du roi les couleurs nouvelles. Ils y mettent tant de conviction que les plis du drapeau frappent à la face du souverain et qu'il doit se pencher pour se dégager6. »
Philippe ne fera pas partie de cette oligarchie qu'est aussi la particratie. L'engouement d'une partie de l'opinion publique à son égard, l'impossibilité bien perçue par Bart Sturtewagen dans laquelle il est de faire les erreurs de son oncle et de son grand-père est une façon aussi pour la particratie de se prémunir contre toute crise royale difficilement gérable dans la mesure où elle remue malgré tout divers affects.
Mais pour cette Oligarchie qui se passe au fond du consentement réel des populations, quel merveilleux symbole que la monarchie et sa « stabilité », quel symbole au surplus agissant ! Aucun symbole n'est en réalité « passif ». Il y a de plus en plus d'accointances entre la monarchie et la classe politique belge, de plus en plus de ressemblances, comme celle-ci que la monarchie belge a été élue une fois pour toutes, à l'image de tant de nos dirigeants qui règnent souvent plus longtemps que les rois eux-mêmes. On a dit à juste titre que la monarchie sert de mémoire à un peuple mais elle sert aussi et bien plus radicalement à ce que les oublis nécessaires se perpétuent. Si les symboles de la Flandre, de la Wallonie, de Bruxelles et de la Communauté germanophone ont pu trouver une place qui n'est pas petite dans les environs immédiats du trône de la prestation de serment, c'est aussi parce que la stratégie actuelle de l'Oligarchie wallonne, dans sa volonté de containment de la NVA doit intégrer des éléments qui puissent satisfaire l'opinion flamande radicalement autonomiste qui ne se satisfera peut-être pas de demi-mesures, mais à qui il est bon de faire valoir que ses aspirations sont rencontrées. Les propos de certains journalistes de la RTBF le 21 juillet, sollicitant des hommes politiques pour leur faire dire que cet aspect du spectacle de l'Oligarchie lors de la fête nationale était là pour contenter la Flandre en dit long sur l'état d'esprit des dirigeants wallons. Il n'y a pas en vue du tout d'une reconnaissance de la Wallonie. Il y a envie de « sauver la Wallonie pour sauver la Belgique » comme le disait si significativement Elio Di Rupo dès 1999.
Pourtant, il existe une opinion wallonne qui aspire à plus d'autonomie. L'exclusion de la NVA est parallèle à l'exclusion de cette partie de l'opinion wallonne même si celle-ci est très à à gauche de la NVA. Cette opinion est en train de s'affaiblir par manque de relais politiques. Pourtant subsiste malgré tout une FGTB wallonne qui a rappelé au printemps 2013 que le gouvernement de la Wallonie avait à se préoccuper de la façon dont il aurait à assumer ses compétences nouvelles. Ceci ne signifie pas que l'exercice de ces compétences installerait un jour en Wallonie, au lieu d'une Oligarchie, des dirigeants élus par les Wallons et responsables devant eux. Tout ce qui a été dit jusqu'ici montre que la chose n'est pas pour demain. Mais l'Oligarchie wallonne et belge qui n'a jamais si bien maîtrisé les imprévus de la vie sociale derrière la façade monarchique qu'elle révère sans y adhérer du fond du cœur joue un jeu très dangereux dans le processus de redressement de la Wallonie dans la mesure où que celui-ci survienne ou non, tout est fait pour qu'il ne soit jamais vécu comme l'œuvre des Wallons eux-mêmes et d'abord.
Terminons sur une note plus légère, par amnésie ou inculture, personne n'a fait remarquer que l'île d'Yeu ou la famille royale a passé ses vacances est l'endroit où, après la seconde guerre, Philippe Pétain purgea sa peine de réclusion à perpétuité et où il est enterré, certainement un bon présage...
En attendant, la monarchie, aujourd'hui strictement encadrée par l'Oligarchie politique ne cesse de jouer le rôle qu'elle a toujours joué, celui de déclasser le Citoyen. C'est en Wallonie que la chose est devenue la plus perceptible.
- 1. « The responsibility of these measures is upon you. Whatever you think best must be done. Whatever you think best shall have my full and effectual support. BUT you will observe that for this reason and that reason what you propose to do is bad; for this reason and that reason what you do not propose is better. I do not oppose, it is my duty not to oppose; but observe that I WARN. » Supposing the king to be right, and to have what kings often have, the gift of effectual expression, he could not help moving his Minister. He might not always turn his course, but he would always trouble his mind. »
- 2. La Dernière Heure du 22 juillet 2013.
- 3. Voici un exemple des dialogues entendus ce jour-là à la RTBF : « Hadja Lahbib, depuis les abords du Palais Royal où le couple princier va revenir pour apparaître au balcon : «S'il n'y a pas, il faut bien le dire, la foule escomptée, on attendait 200.000 personnes... selon la gendarmerie et les forces de police, il y aurait tout au plus ici 10.000 personnes à peu près...» Alors que tous les observateurs limiteront l'affluence au mariage de 35 à 40.000 personnes au maximum, Baudouin Cartuyvels, s'égare dans des sommes beaucoup plus élevées, à une heure où il n'était plus très compliqué de connaître le bilan réel : «Oui, Hadja, pour revenir sur ce que vous disiez: peut-être 10.000 sur la Place des Palais. Selon les forces de l'ordre, ce matin, c'était 40.000 le long du trajet. On peut donc raisonnablement estimer qu'on va monter à 70 ou 80.000 personnes le long du trajet...» Le souvenir que l'on en a c'est que le chiffre des 35.000 est le nombre des personnes dans la rue à Bruxelles ce jour-là, mais le dossier de l'ATA montre bien que dans les abords de la cérémonie on ne comptait que deux ou trois milliers de personnes et même moins à certains moments. Au demeurant la charmante Hadja Lahbib avoue qu'on attendait 200.000 personnes...Repérez l'article en bas de la colonnne de gauche et les suivants à partir du haut de la colonne du centre.
- 4. Annales parlementaires, session chambres réunies, 18 Juillet 1950 cité par Paul Theunissen, 1950, le dénouement de la question royale, Complexe, Bruxelles, 1986, p. 88.
- 5. « Nous fêtons le 40ème anniversaire du règne de Beaudouin 1er comme si rien ne s'était passé en 1950. En 1950, le père du roi actuel, Léopold III, était contesté. Une consultation populaire, dont le dépouillement était régionalisé - anticipation évidente du fédéralisme - donna une majorité pour son maintien a l'échelle nationale (en raison de l'avis positif de la Flandre numériquement plus forte), mais un non de Bruxelles et, surtout, de la Wallonie (59 % de non), deux veto. On passa outre. Dès le retour de Léopold III, des dizaines d'attentats à l'explosif détruisirent des lignes de chemin de fer et des centrales électriques. 500.000 grévistes firent entrer une grande partie du pays wallon en dissidence. (Wallonie Libre n° 10 mai 1990
- 6. Le Peuple du 14 juillet 1913, cité par Philippe Destatte, L'Identité wallonne, IJD, Namur, 1997, p. 94.