Confédéralisme de fait
Les entités fédérées se gèrent avec une liberté quasi totale
Tout système politique, qu’il soit fédéral ou pas, est le reflet des conflits et rapports de force mais aussi du consensus existant au sein de l’espace public qui le définit. Notre système fédéral est le miroir des deux principales sociétés civiles cohabitant dans l’espace belge soit la Flandre et la Wallonie. Ce fédéralisme intègre tant une conception «romantique germanique» centrée sur l’autonomie culturelle et linguistique qu’incarnent les Communautés, inutile de rappeler que la Région flamande est en quelque sorte une coquille vide, ses compétences étant exercées depuis 1980 par les institutions de la Communauté. De l’autre, une conception «républicaine» centrée sur un territoire produit de l’histoire et d’un plébiscite quotidien comme dirait Renan ; la Région wallonne qui exerce déjà une partie des compétences communautaires. Au fond, l’espace public belge n’a pas su trancher entre ces deux conceptions issues des deux grands courants du nationalisme en Europe occidentale depuis la Révolution française, il a donc produit un fédéralisme singulier mais rempli de traits confédéraux comme l’absence de primauté de la norme fédérale, l’action internationale des entités fédérées, le recours à des compétences attribuées et exclusives, etc. Si ce système présente bien la complexité propre aux régimes fédéraux, il est fermement cadenassé par le recours permanent au consensus entre ses entités. Ce qui permet concrètement à celles-ci de gérer, dans leur cadre territorial respectif, leurs compétences avec une autonomie et une liberté quasi totales.
Le 16 février 2009, José Fontaine publiait un article dans la reve TOUDI en ligne dont nous extrayons ce paragraphe
La réalité du confédéralisme
Dès 1984, Robert Tollet, Michel Quévit et Robert Deschamps proposait une réforme confédérale de l'Etat belge dans le cadre d'une union monétaire maintenue, s'appuyant déjà sur des traits de confédéralisme présents dans une Belgique qui ne se disait guère pourtant alors pays fédéral. Ils insistaient notamment sur ce trait de confédéralisme qu'est l'équipollence des normes soit le fait que les lois votées par les parlements des diverses régions et communautés ont la même force juridique et qu'il n'existe pas de clause qui fasse prévaloir le droit fédéral sur le droit régional ou communautaire 1. En avril 1992, dans le numéro 1 du journal République, je revenais sur cette affirmation du confédéralisme, le liant à l'épisode historique de la question royale où malgré la majorité de Belges en faveur du retour de Léopold III lors de la consultation populaire de mars 1950, la minorité wallonne imposait une sorte de veto en s'insurgeant lors du retour effectif au pays de Léopold III en juillet, insurrection en quelque sorte légitimée par le discours de Jean Rey à la Chambre belge où le ministre wallon du gouvernement Eyskens avouait ne pas imaginer un retour du roi possible sans que celui-ci n'obtienne une majorité dans "chaque région du pays" 2. Et en effet dans une confédération, l'accord de tous les Etats confédérés est requis pour prendre une décision. En 2003, Charles Etienne Lagasse affirme à propos de la manière dont Régions et Communautés signent des accords de coopération, que ''le confédéralisme n'est pas loin'' 3 Les fédéralistes européens signalent une disposition différente dans le cadre de l'Union européenne en l'opposant au système belge, pour déclarer que l'Europe est une organisation politique de type fédéral (par contraste donc avec la Belgique, c'est ce que dit implicitement cet avis). C'est le cas de Michele Ciavarini Azzi, Président de l'UEF qui écrit ''Au niveau européen, conformément à la jurisprudence de la Cour de Justice Européenne, le droit communautaire prime sur le droit des États alors qu'il y a souvent équipollence des normes au sein d'un État fédéral. En Belgique par exemple, la loi (nationale) et le décret (régional ou communautaire) sont sur un pied d'égalité. Il faut aussi rappeler que la Cour de Luxembourg incarne non seulement les fonctions de juridiction internationale, mais qu'elle est aussi la garante de l'unité d'interprétation du droit communautaire (comme les Cours de Cassation dans la plupart des États), de la légalité des règlements (comme le Conseil d'État en Belgique), et du respect de la Constitution par les législateurs (Cours Constitutionnelles ou, en Belgique, Cour d'Arbitrage) 4.
Vincent de Coorebyter, directeur du CRISP écrit: ''La Belgique est (...) incontestablement, une fédération : il n'y a aucun doute (...) Cela étant, la fédération belge possède d'ores et déjà des traits confédéraux qui en font un pays atypique, et qui encouragent apparemment certains responsables à réfléchir à des accommodements supplémentaires dans un cadre qui resterait, vaille que vaille, national.'' 5. Vincent de Coorebyter, directeur du CRISP, disait déjà dans La Revue nouvelle de janvier 2008 (p.42): ''Dans l'exercice de leurs compétences, les Communautés et les Régions sont souveraines. Exactement comme un Etat est tout à fait indépendant dans sa sphère de souveraineté, même s'il est par ailleurs membre d'une confédération.'' Les mots sont forts et on rappellera qu'en principe une confédération réunit des Etats indépendants ou souverains. Quand on sait l'extrême timidité avec laquelle le fédéralisme est souvent décrit, "parlé" par les professeurs de droit constitutionnel qui continuent à parler d'entités fédérées plutôt que d'Etats, par exemple, quand on songe à la fin de non-recevoir opposée par Elio Di Rupo, encore en 2006, au projet de Constitution wallonne qui proposait que les termes Région wallonne soient remplacés tout simplement par Wallonie (deux propositions déjà faites dans l'annuel TOUDI n°6 en 1992, par Jean-Marie Klinkenberg), on mesure le chemin parcouru depuis quelques mois.
Voir aussi les avis de JM Dehousse et C.E.Lagasse qui, malgré les réticences sur le vocabulaire décrivent également les particularités de type confédéral du système belge:
in Conversation avec Jean-Maurice Dehousse et Charles-Étienne Lagasse [les institutions de l'Etat belge] ainsi que le résumé complet du système fédéral belge par François André in Les compétences de la Wallonie dans l’Etat fédéral belge.
Voir aussi deux discours (extraits les présentant bien), opposant les deux options wallonnes: autonomie ou réunionisme.
Discours de Dehousse et de Plisnier au Congrès national wallon de 1945
- 1. Robert Deschamps, Michel Quévit, Robert Tollet, Vers une réforme de type confédéral de l'État belge dans le cadre du maintien de l'union monétaire, in Wallonie 84, n°2, pp. 95-111.
- 2. José Fontaine, La Belgique a déjà disparu, in République n° 1, pp. 1-2. 1992: La Belgique a (déjà) disparu
- 3. Charles-Etienne Lagasse, Les nouvelles institutions politiques de la Belgique et de l'Europe, Erasme, Namur, 2003, p. 405.
- 4. L'Écho du 5 février 2005. Voir la totalité de ce texte : Europe, une vocation fdérale en particulier le point ''septimo'' que nous citons.
- 5. Vincent de Coorebyter La Belgique (con)fédérale in Le Soir 24 juin 2008. Michel Quévit, Professeur émérite à l'UCL, que l'on peut assurément décrire comme un Wallon modéré, pense, lui, que ''Le système institutionnel belge est déjà inscrit dans une dynamique de type confédéral'' et que ce confédéralisme ''est une chance pour les Wallons et les Bruxellois''
Le Soir, 19 september 2008