Critique : Un autre Pays (II) (Marnix Beyen & Philippe Destatte)

Nouvelle Histoire de Belgique (1970-2000): Le Monde, l'Europe, la Flandre, la Wallonie, Bruxelles, la Communauté germanophone
29 December, 2009

Nous poursuivons ici le compte rendu de Un autre pays de Marnix Beysen et Philippe Desttatte aux éditions Le Cri paru en novembre 2009, une synthèse historique des années 1970-2000 à la fois sur la Belgique, son insertion dans un monde globalisé et la montée de ses nations intérieures. Au Chapitre VI, c'est Philippe Destatte qui reprend la plume.

Région wallonne et Communauté française

D'emblée, Philippe Destate reprenant ici la plume oppose deux visions de la Wallonie et du monde francophone belge au début des années 1970 : « Tandis qu'un Edmond Leburton continue à rappeler que l'emploi doit reposer sur une structure industrielle solide en dénonçant la création de trois microéconomies en Belgique [La Libre Belgique du 26 janvier 1970], André Cools se disant ministre wallon mais non francophone [La Libre Belgique, 11 février 1970], positionne le redressement wallon dans un cadre strictement régional. Ce faisant, ils ouvrent de fait un débat sur le centre de gravité de l'action politique wallonne : soit Bruxelles mégalopole fécondante où le pouvoir et les ressources existent et où les intérêts francophones sont protégés, soit le territoire wallon où toutes les institutions sont à élaborer. » (p.211). C'est opportunément que Philippe Destatte nous rappelle cette alternative si ancienne à un moment où elle est à nouveau présentée comme neuve, surtout chez ceux qui rappellent le rôle prépondérant que Bruxelles devrait exercer 1.

Tout serait à citer dans cette partie de l'ouvrage commun écrit par Ph. Destatte et M.Beyen. Il serait impossible de le faire ici dans ce compte rendu. L'ensemble du livre appelle à une vulgarisation, à notre sens, dans la mesure où, largement, cet ouvrage semble, par bien des aspects, dépasser bien des antagonismes en les traitant avec nuance, en montrant peut-être qu'ils sont quelque part obsolètes (largement les antagonismes entre Wallons et Flamands, mais aussi - surtout - entre Wallons et Bruxellois francophones, mais ni dans le sens d'un unitarisme belge, ni dans le sens d'une réunification de la Belgique francophone).

Mais il est bon tout de même de rappeler que les lois d'expansion économique pour la période 1971-1980 ont porté sur « 400 milliards de francs d'investissements (...) soutenus par l'Etat dans une proportion d'au moins 20% » (p.214). Dès le 26 avril 1972 la Commission avait condamné cette répartition, mais ne l'impose finalement qu'en septembre 1982 2 Or la Commission européenne exclut pratiquement toute la Flandre du bénéfice de cette politique selon ses propres critères estimant que les régions flamandes aidées n'ont pas à l'être. Ou encore de rappeler que Francis Delpérée pouvait déclarer à un colloque du mouvement wallon le 26 février 1976 à Charleroi que la Wallonie est autre chose qu'une population, « une collectivité d'hommes, c'est-à-dire qu'elle regroupe un peuple qui peut se réclamer de traditions particulières et qui est à même de poursuivre des objectifs qui lui sont spécifiques. » (cité p. 216) Philippe Destatte rappelle qu'il y a un ministre chargé de l'économie wallonne dès 1968, mais intégré dans le gouvernement central (p. 218). C'est Fernand Delmotte qui occupe ce poste. Cinq ans après, le groupe B(astin)/Y(erna) regrette que la politique menée n'ait pas amené à diminuer les disparités entre la Flandre et la Wallonie. A l'époque, naît aussi l'idée d'une initiative industrielle publique : l'implantation d'une raffinerie IBRAMCO dans la région liégeoise échoue et avec elle le gouvernement Leburton sombre corps et biens. Après cela (et les élections de 1974), François Perin lance la régionalisation préparatoire avec un Comité ministériel des affaires wallonnes dont le budget s'élèvera en 1976 à 21,3 milliards. Les socialistes dans l'opposition boudent cette politique. Ils sont dans l'opposition et toute application du 107 quater (l'article de la Constitution qui prévoit que la loi - spéciale, c'est-à-dire requérant les 2/3 et la majorité dans chaque groupe linguistique - organisera le pouvoir des Régions), est par conséquent impossible. Cependant en mai 1976, François Perin déclare qu'il est d'accord avec le projet socialiste (du PSB : voté dans les trois régions de ce parti encore national, il prévoit la régionalisation définitive à son Congrès national du 27 juin 1976 (p.229)). Après les tribulations du RW (tournant à gauche du 2 décembre 1976, scission de Gol, Perin et Knoops vers le PRLw, renvoi des deux ministres RW par Tindemans, chute du gouvernement et élections), après les élections du 17 avril 1977, le PSB revient au pouvoir. Les comités ministériels aux affaires régionales sont maintenus et le comité wallon est présidé au départ par Guy Mathot assisté de deux secrétaires d'Etat, Califice et Urbain. A la crise structurelle subie par la Wallonie s'ajoute la crise conjoncturelle dont l'auteur nous a déjà parlé au chapitre I de Un autre Pays.

La sidérurgie wallonne est en crise. Les accords d'Hanzinelle du 7 avril 1978 (entre des responsables de la sidérurgie belge et luxembourgeoise), ne débouchent pas sur le regroupement des bassins wallons, mais au contraire sur leur association à des pôles flamands, luxembourgeois, hollandais. 44,5 milliards doivent être consacrés à la restructuration de la sidérurgie belge (30 aux bassins wallons, le reste aux bassins flamands), 17 milliards au textile et aux chantiers navals flamands. Le gouvernement Tindemans tombe le 11 octobre 1978 à la suite d'une démission de l'intéressé annoncée à la Chambre sans en référer préalablement au roi comme c'était l'usage. Il est possible que Tindemans soit dans cette sorte de surnationalisme flamand dont parle Destatte dans la partie I de ce compte rendu. Un accord sur une nouvelle réforme de l'Etat est signée. Le gouvernement suivant met en place de nouveaux comités ministériels régionaux indépendants de la tutelle d'autres ministres et disposant d'un budget propre. Finalement une régionalisation provisoire est acquise et un Exécutif wallon indépendant (du gouvernement central) se réunit à Namur le 25 avril 1979.

Les comités qui ont précédé cette première indépendance d'un gouvernement wallon ont fait un bon travail selon Philippe Destatte, dans une conjoncture exécrable, la croissance de la production industrielle étant négative de 1974 à 1979. Une assemblée informelle de parlementaires wallons entend à la maison de la culture à Namur la déclaration de politique régionale de l'exécutif wallon. Nouvelle réunion de cette assemblée informelle le 10 décembre 1979 à Mons. Une troisième réunion parlementaire a lieu à Liège le 7 juillet 1980 et c'est à Namur, le 15 octobre 1980, qu'a lieu la première réunion officielle du Parlement wallon (alors appelé « Conseil régional ») à Wépion. Il serait trop fastidieux d'indiquer toutes les initiatives prises par ces gouvernements wallons dans le domaine économique et dans des limites relativement étroites, exercice dans lequel se révèle un Philippe Maystadt. Notons (p. 240), que le principe de l'équipollence des normes a été reconnu dès 1980, que déjà en février 1982, lors du débat d'investiture du gouvernement wallon, le PSC et le PRL réclament la fusion des exécutifs communautaire et wallon. Notons aussi que l'Union wallonne des entreprises, par la voix de son président en 1981 prône « la recherche de l'indispensable consensus sans lequel une nation ne peut espérer un projet ambitieux, mobilisation des énergies et des enthousiasmes » (cité p. 243).

De 1982 à 1985 l'Exécutif wallon investit à Uniroyal-Englebert à Herstal, Casterman à Tournai, Prayon à Engis, Jadot à Beloeil, aux Glaceries St-Roch à Auvelais, à l'UCB -Bioproducts à Braine-l'Alleud, à la Cellulose des Ardennes à Harnoncourt, à Glaverbel, Solvay etc. Melchor Wathelet lance le projet Athena en vue de favoriser le développement de technologies nouvelles, notamment les biotechnologies qui connaissent un développement foudroyant encore réel aujourd'hui. L'agriculture wallonne est aussi l'objet des soins du gouvernement wallon, la création d'un Centre d'économie rurale à Marche, la création d'un Centre d'études technologiques des équipements et du développement rural. L'administration wallonne est organisée en faisant notamment désigner par le gouvernement de jeunes fonctionnaires motivés, via l'article 18 dont, me semble-t-il, l'auteur conteste que cela ait été un instrument de politisation. Le 15 septembre 1983 un Manifeste pour la culture wallonne est publié visant à la construction d'une société wallonne intégrant culture et économie et s'opposant implicitement à la fusion Communauté/région. C'est le 15 mai 1981 que le gouvernement belge approuve le regroupement de la sidérurgie wallonne en un axe Charleroi/Lège, tel que plus ou moins proposé déjà en 1978 par Yves de Wasseige. La sidérurgie est soumise à rude épreuve. Des manifestations violentes de métallos ont lieu à Bruxelles en février et en mars 1982. la Flandre menace de ne plus verser un franc pour la sidérurgie wallonne et brandit déjà alors sa théorie des transferts. Jean Gandois est appelé au chevet de l'industrie de l'acier wallonne. Par une série de techniques budgétaires, sauf les charges du passé, le redressement de sa sidérurgie dépendra de la seule Wallonie. Il faut noter que six ans plus tard, au prix de pertes d'emplois énormes, la sidérurgie wallonne s'est redressée et dégage en 1989 un bénéfice de 15,4 milliards de francs. Un gouvernement wallon s'installe sans les socialistes et sous la présidence de Melchor Wathelet. Le budget de la région est de 27,6 milliards. L'effort gouvernemental portera sur les technologies nouvelles et la recherche. De 1985 à 1989 « l'indice de la production industrielle wallonne augmente plus vite que l'indice belge »(p. 255). Yves de Wasseige (que cite ici Philippe Destatte) estime que le déclin wallon est terminé 3.

Il faudrait encore parler du désir de rapatrier les institutions wallonnes à Bruxelles en 1985, sous l'égide de l'Exécutif wallon PSC-PRL présidé par Melchior Wathelet, de la fixation définitive de la capitale de la Wallonie à Namur en décembre 1986 4, du retour au pouvoir des socialistes dans la législature suivante, de la crise sur les exportations militaires en septembre 1991, de l'arrivée de Guy Spitaels à la tête du Gouvernement wallon, de l'action successive de Robert Collignon et de ses successeurs...

Philippe Destatte admet qu'il est difficile d'y voir absolument clair dans toute cette évolution. Nous le citons: « La faiblesse des séries statistiques, les difficultés d'un cadre comparatif stable sur la longue durée - autre que la Belgique, et donc autre que la Flandre et Bruxelles-, le discours positif à tout crin des acteurs de la nouvelle gouvernance régionale ou le catastrophisme des oppositions - et pas seulement au Parlement wallon - maquent une vision claire et saine de la réalité. » (p.276). L'auteur se contente de montrer qu'il se présente aujourd'hui « deux Wallonie » l'une continuant à filer vers son déclin, l'autre qui se renouvelle. L'Union wallonne des entreprises a bien mis en évidence cette Wallonie des quarante entreprises que l'on peut considérer comme des entreprises ayant acquis une position de leader au plan mondial 5

La question de la Communauté française face à la Région wallonne

Philippe Destatte réussit une synthèse tout aussi impressionnante sur l'histoire des Communautés, notant que, le 5 septembre 1971, le conseil général du FDF-RW s'était prononcé en faveur de l'installation du siège du Conseil de la Communauté culturelle française en Wallonie, l'installation à Bruxelles étant, selon ce Conseil général, en contradiction avec l'esprit des réformes institutionnelles qui, précisément, visaient à la décentralisation et à l'autonomie des composantes du pays. Le 7 mars 1972 l'assemblée de cette Communauté décidait cependant de l'installer à Bruxelles, notamment en fonction de l'idée de la solidarité avec Bruxelles, du risque de ghetto culturel wallon etc. (pp. 290-294). Il est intéressant de lire les débats à propos de la question du drapeau de la Communauté française, car on y voit surgir les premières incompréhensions entre Wallons et Bruxellois, Jean-Maurice Dehousse s'abstenant d'ailleurs de voter la proposition de décret adoptant le drapeau wallon comme celui de la Communauté (pp. 298-299). Le 27 juin 1978, Jean-Maurice Dehousse est interpellé au Conseil de la Communauté sur la question de la solidarité Wallonie/Bruxelles et sur la clef de répartition qu'il propose (75/25 : soit la proportion des dépenses à effectuer à Bruxelles et en Wallonie en fonction des ressources communautaires). Il justifie ainsi cette politique décidée avec le Bruxellois François Persoons : « Il faut que la proportion réelle des dépenses effectuées dans un phénomène dont on ne peut nier l'ampleur,, celui de l'existence des régions, et que l'ancien système ne faisait pas apparaître, soit clairement définie. » (cité p. 302)

Philippe Destatte passe en revue à la fois les événements et les théories qui s'entrechoquent sur cette question des rapports entre Communauté et Région. Il y a la théorie de la Nation française de Belgique chère à Jean Gol, avec une arrière-pensée rattachiste, défendue aussi comme une manière de ne pas morceler les francophones qui sont déjà minoritaires en Belgique. Il y a la belgitude (assumer la médiocrité belge face à la France et l'identité de la non-identité belge). Il y a la culture wallonne (le « Nous » wallon par lequel commence le Manifeste de 1983 6). Du côté des événements, il y a la déclaration de l'Exécutif formé le 24 novembre 1985 et réunissant le PRL et le PSC qui est clairement une proposition de fusion de la Communauté et de la Région, celles-ci devant être gouvernées de Bruxelles. Le retour des socialistes au pouvoir remet en cause cette politique que combattront d'ailleurs certains députés de la majorité PSC-PRL comme Paul-Henry Gendebien, ce que Philippe Destatte ne rappelle pas.

Les partisans de la fusion n'abandonnent pas pour autant la partie. Gérard Deprez propose (le 2 décembre 1989 voir p. 315), de rebaptiser la Communauté française en « Communauté wallonne » dont le centre serait à Bruxelles, ce qui provoque une levée de boucliers à Bruxelles. Entre temps la Région wallonne a été créée, ce qui pousse José Happart à dire que la Communauté n'a plus de sens et, en avril 1990, le Congrès de Wallonie Région d'Europe propose en fait de supprimer la Communauté et de transférer ses pouvoirs à la Wallonie et à Bruxelles. En revanche six ans plus tard, le Manifeste Choisir l'avenir propose à nouveau des relations Communauté /Région à construire dans un cadre fédéral et dans un esprit plus francophone que wallon. 7

Pour Philippe Destatte, toutes ces péripéties n'opposent pas Bruxelles à la Wallonie mais plutôt deux tendances très anciennes du mouvement wallon : « En fait le malaise ne viendrait pas de la transformation des conceptions différentes de la Communauté durant son évolution dans le temps , mais de leur synchronie, qui crée confusions et frustrations. Dès le début du XXe siècle, en effet, le Mouvement wallon s'est divisé sur deux projets différents, à un moment où, du reste, il n' y avait pas de mouvement bruxellois. Le premier faisait référence à la Belgique française qui avait prévalu en 1830 et que ses défenseurs pensaient pouvoir pérenniser, à côté, sinon à la place de la Belgique flamande. Le second projet était celui d'une Wallonie , région de langue française, disposée à défendre ses nationaux wallons résidant à Bruxelles, dûment reconnue comme bilingue, mais jamais à aliéner sa propre autonomie régionale, linguistique et culturelle. Ce n'est pas nécessairement cette vision qui a prévalu... » (p. 335).

L'auteur pense qu'il faut lire dans ce sens « les victoires [du premier projet, note de JF] politique qu'ont constitué l'implantation du siège à Bruxelles et le choix du coq wallon comme emblème de la Communauté française : la Communauté française ne pouvait se déployer que dans le cadre d'un Etat central strictement belge et non dans une fédéralisation véritable. » (Ibid.) Le Président de l'Institut Destrée cite aussi Théo Hachez s'exprimant dans L'Etat de la Belgique 1989-2004, Quinze années à la charnière du siècle (Marie-Thérèse Coenen ea.), De Boeck, Bruxelles, 2004, et, posant la question de savoir s'il existe une société francophone belge imposant son contenu à l'institution qui l'exprimerait en laissant entendre que non. Ce serait là le « doute intérieur » (Théo Hachez), rongeant la Communauté française (pp. 334-335). Enfin, à propos des enseignants en lutte avec la Communauté depuis qu'elle est le pouvoir politique responsable de l'éducation, Philippe Desttate pense que « aucun des ministres en charge de l'éducation n'est parvenu à expliquer la réalité et les implications du changement de l'Education nationale à la Communauté française, aucun n'est parvenu à en valoriser la dynamique, à mobiliser l'école autour du projet de cette nouvelle institution, probablement à cause de l'ambiguïté de celle-ci. » (p.337). Il faut en tout cas témoigner d'une chose, c'est que sauf chez certains leaders de la CGSP/enseignement et quelques professeurs isolés, il n'y a pas de grand enthousiasme chez les enseignants en vue de faire comprendre les transformations subies par l'Etat belge, sauf à partir de positions antipolitiques chez la plupart d'entre eux ou désabusées. 8

La Communauté germanophone

Sur la Communauté germanophone, Philippe Destatte apporte de précieuses remarques ou de précieux rappels. C'est la première entité fédérée à avoir disposé d'un Parlement autonome qui se réunit la première fois le 23 octobre 1973 (p.338). La réforme de l'Etat d'août 1980 (régionalisation définitive) n'enchante pas la Communauté germanophone qui se voit englobée (du moins pour les matières régionales), dans la Région wallonne. La Constitution révisée plus tard pour les Communautés ne lui permet d'avoir un gouvernement que le 30 janvier 1984 (p.339). Il y eut un débat pour nommer cette Communauté « Communauté allemande », mais le Conseil de la Communauté préféra l'appellation officielle. Si les habitants de la Communauté dispose d'un siège garanti au Parlement européen et au Sénat belge, il n'en va pas de même à la Chambre fédérale ni au Parlement wallon (mais il y a de fait un ou des députés de langue allemande au Parlement wallon), le Parlement wallon qui dispose d'une traduction des décrets régionaux en allemand. Le Parlement germanophone a émis le vœu le 26 octobre 1998 de devenir une Communauté-Région (Gemeinschaft-Region), et, le 6 mai 2002, de voir l'aménagement du territoire, le logement , l'agriculture, les infrastructures routières, la tutelle sur les pouvoirs subordonnés lui revenir. Si Robert Collignon se montre ouvert à ces demandes, si le 1er janvier 2005, une série de compétences en matière de pouvoirs subordonnés lui sont transférés, en revanche Jean-Claude Van Cauwenbergh considère les Germanophones comme des Wallons de langue allemande et refuse tout nouveau transfert de compétences, estimant que la « Région wallonne est une et indivisible » (voir L'Echo du 10 juillet 2002, cité p. 343). Plus tard encore, la Communauté germanophone réclamera deux sièges garantis au Sénat belge et à la Chambre fédérale, la création d'une province spécifique, le transfert des compétences provinciales à la Communauté. Pour Philippe Destatte, « La construction, par vents et marées, d'une communauté-région est un processus qui mérite toute l'attention des observateurs du fédéralisme belge mais aussi européen. » (p.344)

La Région bruxelloise

La position de Bruxelles, ville de langue française aujourd'hui (avec des nuances à faire), enclavée en territoire flamand est connue. Il est encore 34% de Bruxellois se considérant comme Flamands au recensement de 1934 (p.350). Il faut rappeler avec Philippe Destatte que le Pacte d'Egmont de 1977 stipulait que « les francophones des six communes périphériques à facilités bénéficieront des mêmes droits sur le plan culturel et des matières personnalisables que les néerlandophones de Bruxelles, au sens de l'article 59 bis de la Constitution et de ses lois d'application » (p. 356). D'autres francophones d'autres communes bénéficiaient de dispositions similaires : Dilbeek, Grand-Bigard, Strombeek-Bever, Woluwe-Saint-Etienne, Sterrebeeck, Beersel, Alsemberg et les quartiers de Beauval, Notre-Dame-au-Bois et Zuen. C'était en quelque sorte, un peu au sens que donne aujourd'hui Olivier Maingain à cette expression « élargir Bruxelles » (non pas nécessairement la Région institutionnelle, mais la Région concrète).

C'est ceci qui va provoquer le surnationalisme flamand dont parle Philippe Destatte et qui mobilise toute la Flandre contre toute extension de Bruxelles hors de ses limites (encore aujourd'hui de fait). Il faudra attendre 1989 avant que la Région bruxelloise ne dispose des mêmes compétences que la Wallone et la Flandre. Mais elle n'est pas une Région à part entière, notamment parce que les lois votées par le Parlement bruxellois ne sont que des ordonnances, « pouvant être soumises à un contrôle juridictionnel restreint qui permet aux cours et aux tribunaux de refuser l'application d'une ordonnance qui ne serait pas conforme à la Constitution ou à la loi spéciale. » (p. 360) En revanche, c'est à Bruxelles que les citoyens élisent pour la première fois leurs députés régionaux au suffrage universel direct, ce qui ne se fera qu'en 1995 en Wallonie et en Flandre. Il est intéressant de noter que lors du transfert de certaines compétences de la Communauté française à la Wallonie, la même disposition est appliquée en faveur de la Commission communautaire française (qui est instituée à Bruxelles depuis la réforme de 1970), celle-ci devenant à cette occasion une entité fédérée avec le pouvoir de voter des lois (p.364). 9 La Commission communautaire flamande, elle, n'a pas le même statut et est complètement dépendante de la Communauté flamande. Philippe Destatte détaille les politiques menées par les gouvernements bruxellois grâce à des compétences semblables aux deux autres Régions : vote d'un Plan régional d'affectation des sols (PRAS), d'un Projet régional de développement (PRD notamment pour les logements), revalorisation du Port de Bruxelles, du canal, revitalisation des quartiers défavorisés, création d'un Conseil régional de la recherche scientifique.

Le 29 avril 2001, un accord est acquis permettant un financement plus large des deux Commissions communautaires, l'augmentation du nombre de parlementaires régionaux bruxellois (qui passent de 75 à 89), avec une représentation francophone (72 sièges), et néerlandophones (17 sièges), figée. Autre changement également : « les six membres du Parlement de la Communauté flamande sont élus directement par les électeurs qui portent leur voix sur une liste de candidats appartenant au groupe linguistique néerlandais pour l'élection du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale » (p.372). Bruxelles s'internationalise et, selon Philippe Destatte se libère peu à peu d'une sorte de chantage intellectuel de l' « approche francophone radicale » qui consiste à mettre en cause toute affirmation flamande sur le caractère multiculturel de la capitale comme portant atteinte à son identité francophone. Pourtant, ce sont deux Bruxellois, Guy Brasseur et Renaud Denuit (proches du FDF) qui, dès 1982, avaient proposé de s'engager dans cette perspective à travers leur livre Décoloniser Bruxelles, EVO, Bruxelles, 1982. C'est dans ce sens aussi que le ministre Delathouwer ouvre aux personnes étrangères l'accès à la fonction publique bruxelloise, ordonnance approuvée par le Parlement bruxellois le 5 juillet 2002. La région bruxelloise est sous-financée compte tenu des servitudes qui sont les siennes comme siège des institutions européennes et nationales belges. En 1999, une étude universitaire évalue cette charge à 450 millions d'€. (p.376) Un nouveau régionalisme se développe à Bruxelles avec le manifeste bruxellois du groupe Manifesto en 2003 qui se prononce au fond pour une Communauté-région bruxelloise. Philippe Destatte qui n'évoque pas le Manifeste bruxellois de 2006 Nous existons estime que cette solution, selon plusieurs observateurs « ne soulagerait pas seulement Bruxelles elle-même, mais également la Belgique dans sa totalité qui se libérerait de la majeure pomme de discorde entre ses communautés » 10

Relire la partie I du compte rendu Critique : Un autre Pays (I) (Marnix Beyen & Philippe Destatte) et lire les conclusions Critique : Un autre Pays [Conclusions] (Marnix Beyen & Philippe Destatte)

  1. 1. « Tache d'huile » bruxelloise et Wallonie
  2. 2. J'ai le net souvenir en septembre 1982 que, collaborant alors au journal Le Monde, j'avais pu interroger directement un fonctionnaire wallon expert de ces questions à qui j'avais demandé une évaluation des investissements aidés depuis 1959. Il m'avait parlé de 1000 milliards. Les chiffres donnés par Ph.Destatte sont plus précis et portent sur une période plus courte, mais les lois d'expansion de 1959 ont été également discutées par les syndicats wallons.
  3. 3. Reconnaître le développement économique de la Wallonie
  4. 4. Le 15ème anniversaire de Namur Capitale de la Wallonie
  5. 5. Base de données de l'Union wallonne des entreprises sur les entreprises wallonnes en position de leader mondial
  6. 6. Manifeste pour la culture wallonne (1983), sa présentation dans la Wikipédia anglophone: Manifesto for Walloon Culture
  7. 7. Voir le texte du Manifeste : Choisir l'avenir (1996), sa critique dans République in Un Manifeste francophone, la réplique de Vincent Vagman et l'intitulé peut-être imprudent de celle-ci: "Choisir l'avenir" et postrégionalisme wallon
  8. 8. En octobre 2000, au Colloque de la Fondation wallonne Enseigner la Wallonie et l'Europe, une inspectrice d'histoire témoigne de ce que la plupart des enseignants parlent du passage au fédéralisme comme d'un échec. Quant à André Elleboudt détaché de l'enseignement catholique, il estime que si, dans ce réseau d'enseignement, l'Europe ne suscite qu'indifférence, la Wallonie, quant à elle en est complètement absente.
  9. 9. Dans Les nouvelles institutions politiques de la Belgique, Erasme, Namur, 2003, p. 193, Charles-Etienne Lagasse écrit la note suivante : « La Cour d'arbitrage a reconnu à la Commission communautaire française la qualité d'entité fédérée quand elle agit dans ces compétences [soit les compétences de la Communauté qui lui ont été transférées, note de JF] (...) » Dans un avis du 18 mars 1998, la Section législative du Conseil d'Etat constate également la « capacité internationale de la Commission communautaire française », Ibidem, même note, se poursuivant p.194.
  10. 10. Il cite un article paru sous la signature de Philippe Van Parijs dans De Standaard du 23 août 2007 : Staashervorming : vooruit. On pourra lire aussi L'appel Bruxellois "Nous existons" (2006) et 100 WALLONNES ET WALLONS RÉPONDENT au NOUS EXISTONS BRUXELLOIS (2007)