Rosetta de Jean-Pierre et Luc Dardenne: un film de résistance
This is no Hollywood !
Les problèmes conjugaux d’un couple de la classe moyenne ne m’intéressent absolument pas, ni la peinture de la crise des achats à crédit des téléphones de voitures. Avec tout le respect que je dois au monde des valeurs de la classe moyenne, je ne le vois pas comme cinématographiquement intéressant. Aki Kaurismäki 1991
Rosetta dans l’histoire du cinéma
L’une des choses les plus frappantes de Rosetta, et cela nous apparaît encore plus que dans La Promesse, c’est la quasi absence de « références » au cinéma américain. Expliquons-nous un peu, il ne s’agit pas ici d’évoquer les films de consommation courante débités à la chaîne par l’industrie cinématographique américaine, il s’agit plutôt de la quasi impossibilité de raccrocher Rosetta à l’imaginaire « universel » véhiculé par cette industrie y compris par les auteurs qui ont su (ou pu ?) oeuvrer au sein de celle-ci. Prenons un exemple, les cinéastes de la nouvelle vague française et les Cahiers du cinéma rejetaient presque toute la production cinématographique française des années 50 et encensaient des cinéastes comme Hitchcock, Ford, Hawks, Lang, Fuller, Ray etc. La passion-admiration de Truffaut pour Hitchcock est connue, le personnage interprété par Belmondo dans À bout de souffle ne se rêvait-il pas en Humphrey Bogart ? Que venait faire là cette jeune Américaine incarnée par Jean Seberg ? Samuel Fuller ne faisait-il pas une apparition dans Pierrot le fou et Fritz Lang n’occupait-il pas un des rôles centraux dans Le Mépris ?
On peut aussi trouver de nombreux points communs entre Le Pickpocket de Robert Bresson (bien que ce dernier ne fasse pas historiquement partie de la nouvelle vague) et le Pick-up on South Street réalisé peu auparavant par Fuller, nous ne attarderons même pas les films « noirs » de Jean-Pierre Melville ! Ce même « rêve » américain se retrouva aussi dans la nouvelle vague allemande, que ce soit chez Fassbinder ou plus encore chez Wenders. Aujourd’hui il fait encore des apparitions dans certains films du Finlandais Aki Kaurismaki ou de cinéastes de Hongkong tel Wong Kar Waï. Bien qu’étant issu d’une génération qui a été bercée par le cinéma américain, les frères Dardenne le laissent très peu paraître, ce qui englobe la musique le Jazz et Rock étant absents. Dans une interview récente, Jean-Pierre Dardenne évoqua brièvement Samuel Fuller, ce qu’on peut comprendre en voyant l’aspect rude, sans fioritures, coup de poing de Rosetta, petit soldat en collants moutarde, combattante de la guerre économique qui secoue l’Occident.
Le jusqu’au-boutisme et la rage solitaire qui anime celle-ci presque jusqu’à la fin du film, rappelle le personnage interprété par John Wayne dans The searchers (La prisonnière du désert), ce dernier étant prêt à toutes les extrémités pour retrouver sa nièce enlevée par une tribu indienne. La trahison de Rosetta peut aussi évoquer celle de Gypo Noland dans The informer (Le mouchard) d’un autre film de John Ford, Gypo livrant à la police britannique un de ses amis membre de l’IRA, cette trahison étant récompensée par une somme d’argent lui permettant d’acheter un billet de bateau afin d’émigrer aux Etats-Unis et d’échapper ainsi au chômage. Bien sûr entre Ford et les Dardenne, il y a de nombreuses différences: on ne trouvera chez ces derniers aucune trace des fameuses scènes de beuverie et de bagarre récurrentes chez le premier, ainsi que la forte nostalgie du pays perdu (l’Irlande) qui le travaillait. Par contre, on peut retrouver un certain sens de l’humanisme et une même volonté de filmer à « hauteur d’homme » (et de femme). Un autre irlando-américain qu’il est intéressant d’évoquer est Robert Flaherty. Longtemps appréhendé comme documentariste, on reconnaît aujourd’hui que les oeuvres de celui-ci tels Nanouk ou L’homme d’Aran contenaient une part plus ou moins importante de « mise en scène » ou de « représentation ». Ainsi, lorsque Flaherty réalisa au milieu des années 30 L’homme d’Aran, il y avait déjà de nombreuses années que les habitants de ces trois îles de la côte ouest de l’Irlande avaient cessés de pêcher le requin, ils portaient de moins en moins le costume « traditionnel » dont on les voyait affublés (béret et pull en laine rouges, pampooties aux pieds, etc.). Dans la « réalité », aucun pêcheur d’Aran n’aurait pris la mer lors d’une tempête semblable à celle que l’on voit à la fin du film. C’est pour les besoins du film et à la demande de Flaherty, que certains n’hésitèrent pas à risquer leur vie pour affronter un océan déchaîné et si esthétiquement parfait... Cette évocation rapide nous permet de régler un point qui est celui de l’aspect documentaire de Rosetta .
Aux esprits paresseux qui prétendent que Rosetta est une oeuvre essentiellement documentaire, même si les frères Dardenne ont réalisé ou produits de nombreux documentaires, nous rappellerons cette petite phrase de Godard qui considérait que toute fiction réussie contenait toujours une part plus ou moins grande d’aspect documentaire. La frontière entre le fictionnel et le documentaire est presque par essence impossible à tracer de manière nette, pour citer quelques noms de contemporains, ou s’arrête le documentaire « pur » (si une telle chose existe !) chez Raymond Depardon, Frederic Wiseman, Manu Bonmariage ou Richard Ollivier, étant entendu que filmer le réel ne peut avoir lieu autrement que par le biais d’une représentation... Prenons un exemple célèbre, où s’arrête l’aspect documentaire, ou si vous préférez où commence la fiction dans Déjà s’envole la fleur maigre de Paul Meyer ? Dans Rosetta, l’extrême attention apportée aux gestes quotidiens de celle-ci tient tout autant du documentaire que de la dramaturgie et de la tension interne du film.
Ce qui est considéré à tort comme du documentaire, c’est le refus de jouer voire de faciliter l’identification du spectateur avec le personnage central du film, ressort traditionnel d’un certain cinéma. Il faut ajouter que le refus de ce ressort s’étend aussi aux personnages secondaires, que ce soit Riquet, la mère de Rosetta ou son patron, tous ont leur part d’ombre et de lumière. C’est en cela que l’on peut dire que Rosetta n’est pas un film consensuel, en repoussant tout « psychologisme », en refusant de s’attarder sur les raisons qui poussent leurs personnages à agir et donc de les juger, les Dardenne s’inscrivent volontairement dans une certaine tradition minoritaire du cinéma, tradition essentiellement présente en Europe.
Le refus du misérabilisme
Même si pour un grand nombre, Rosetta fut perçu comme un OVNI dans le ciel cinématographique, il peut être rattaché à une famille imaginaire qui remontrerait aux origines mêmes du cinéma, avec d’un coté, les Frères Lumière (tiens d’autres frères !) et de l’autre Georges Mélies, le cinéma spectaculaire et celui qui ne l’est pas... Le Grand-père idéal de cette famille serait le Jean Renoir de Tony (1934), film joué par des acteurs non professionnels et se déroulant dans le milieu des immigrés italiens ouvriers agricoles saisonniers dans le sud de la France, milieu où Renoir raconta comment Tony devint un meurtrier et finit abattu par la gendarmerie...Le père idéal serait Roberto Rossellini, les deux oncles étant le Visconti (celui de Ossessione ou de Rocco) et Robert Bresson. Il n’est pas inintéressant de remarquer que ce furent presque uniquement des cinéastes européens qui filmèrent le monde ouvrier considéré dans un sens large, à ces noms on peut ajouter par exemple ceux de Pasolini, de Fassbinder, de Kaurismäki, hors Europe et donc dans un contexte différent, on citera Ford (Les raisins de la colère par exemple) et les Japonais Ozu et, plus rarement, Mizoguchi (La rue de la honte). Nous citons ces noms plutôt que d’autres parce ces auteurs ne sombrèrent jamais dans l’ouvriérisme ou le misérabilisme. Ce que nous voulons évoquer par ce biais, c’est le fait qu’avec un tel scénario de base, les Dardenne évitent avec talent deux écueils récurrents lorsque le cinéma s’attardent sur le monde ouvrier ou les « pauvres »: soit la magnification de ces derniers en incarnation de l’avenir radieux du genre humain (l’agit-prop soviétique des années 30), soit l’exotisme social, quelque chose du genre: ces gens ne sont vraiment pas comme nous, observons donc un peu leurs étranges moeurs et coutumes !
C’est ce refus du misérabilisme (aussi bien intentionné soit-il) qui, à notre avis, sépare les Dardenne du cinéma « social » anglais, les Dardenne n’étant certainement pas des Ken Loach wallons comme l’on écrit certains journalistes étrangers, ils sont beaucoup plus proches de la démarche du cinéaste écossais Bill Douglas, auteur notamment d’une trilogie sur sa jeunesse dans une ville minière d’Ecosse. C’est aussi ce qui les sépare du Marseillais Robert Guédiguian (Marius & Jeannette). Nous tracerons brièvement un parallèle, qui étonnera peut-être certains, entre les frères Dardenne et le finlandais Aki Kaurismäki. Si nous évoquons ce dernier ici, c’est parce qu’il fut l’un des seuls à filmer le monde ouvrier dans les années 80 par le biais de ce qu’il appelle, non sans humour, sa trilogie prolétarienne (Des ombres au paradis, Ariel , La fille aux allumettes ). Son film Au loin s’en vont les nuages aborda en 1996 la question du chômage dans un pays connaissant un taux similaire à celui de la Wallonie. Nous citerons ici un extrait de la formidable étude que la revue Contre Bande a consacrée au cinéaste finlandais 1 Nathalie Nezick écrit notamment que « son approche de la réalité du chômage dans son pays ne s’embarrasse pas de discours, il ne se contente pas d’une ” représentation de la représentation ” du chômeur. Pas de discours misérabiliste qui conduirait à sous-estimer la réalité politique et à en diminuer l’efficacité critique. Kaurismaki n’hésite pas à sacrifier ” l’image idéale au réalisme ” (Brecht) de la situation. Il laisse ainsi l’être social déterminer la conscience de ces personnages. À aucun moment, il ne manipule ces personnages sur le plan dramaturgique pour les rendre à une vérité de la représentation. Les procédés de réduction esthétiques qu’il met en oeuvre le sont plus par souci de vérité sociale que par souci de réalisme social » (2). Il nous semble qu’une telle appréciation pourrait être faite concernant Rosetta. Par ailleurs, ces auteurs se sont aventurés à filmer le travail lui-même, chose pourtant traditionnellement jugée comme presque par essence anti-cinématographique. Il est en effet frappant de constater que si le cinéma s’est souvent penché sur le monde ouvrier, il a très rarement filmé l’acte du travail lui-même, comme s’il s’agissait là d’un lieu inaccessible, ainsi pour prendre deux exemples connus, on ne voit aucun ouvrier au travail dans Misère au Borinage de Storck et Ivens ou Déjà s’envole la fleur maigre de Paul Meyer. Il y a très peu d’exemples où l’acte de travail en tant que tel est filmé, on peut penser aux « Temps modernes » de Chaplin où était mis en image le travail à la chaîne ou « La bête humaine » de Jean Renoir où l’on voyait « réellement » oeuvrer des cheminots. dans une démarche similaire à celle de Kaurismäki dans « la fille aux allumettes », on peut voir Rosetta répéter quotidiennement les gestes de son travail.
La Wallonie « simplement » et un aspect « christique »
Enfin Aki est, avec son frère Mika, celui qui a implanté la Finlande sur la carte mondial du cinéma, il est intéressant de constater qu’il l’a fait sans recourir à ce que l’on pourrait appeler un « discours national ». Nous entendons par là que, pour lui, la Finlande « est », elle existe en tant que donné historique et social, il n’y a pas de volonté de faire découvrir ou d’affirmer face au monde l’existence d’une Nation de 5 millions d’habitants parlant une langue incompréhensible pour quasiment toute la planète . Nous pensons que les Dardenne agissent (consciemment ?) de même avec la Wallonie, elle est « simplement » là dans leur film, prenons un exemple, Kaurismaki affuble souvent ces personnages « fortunés » ou « puissants » de noms suédois, il faut vraiment bien connaître l’histoire de la Finlande pour savoir que 6% de la population y parlent le suédois et représentent les anciennes élites politiques du pays, le spectateur finlandais lui le sait... De même pour Rosetta , il s’agit d’un prénom italien, le film n’évoque pas les raisons de ce prénom. Nous, nous devinons pourquoi, mais que peut connaître par exemple un spectateur finlandais de l’immigration italienne en Wallonie?
Il s’agit là, dans les deux cas, d’une démarche d’une grande maturité vis à vis du monde extérieur, enraciner une fiction dans un donné « national » devenant ainsi le meilleur moyen de donner à celle-ci une véritable dimension universelle, c’est à dire dépassant le cadre même de son lieu d’origine. Bien sûr les différences stylistiques sont nombreuses entre ces cinéastes, ne serait-ce parce que le très pince-sans-rire Kaurismäki est un protestant, il est plus par la forme très proche du janséniste Bresson.
Ce qui nous amène à un autre point important qui est la persistance chez les frères Dardenne des traces importantes de ce que l’on pourrait appeler l’imaginaire « chrétien » (et c’est un agnostique qui l’écrit...) ; imaginaire que l’on retrouve chez Ford, Rossellini, Pasolini, Fassbinder, et aussi chez des cinéastes plus récents comme les américains Martin Scorcese et Abel Ferrara (Bad Lieutenant) ou le Danois Lars Von Trier (Breaking the waves). Rosetta n’est pas un film pour cinéma paroissial (de toute façon, cela n’existe plus !), mais on pourrait écrire que le chemin de croix de Rosetta s’incarne dans une bonbonne de gaz, pensons aussi à sa prière « païenne » ou « hérétique » qu’elle récite le soir avant de s’endormir... Tant ce film que le précédent aborde la thématique de la Rédemption, les Dardenne, contrairement à Fassbinder et dans une moindre mesure Pasolini, espérant toujours celle-ci possible. La rage animant Rosetta n’étant d’ailleurs pas sans évoquer celle qui anima toute l’oeuvre de Fassbinder, grand spécialiste de « prenoms-titre » (Le mariage de Maria Braun, Les larmes amères de Petra Von Kant, Effi Briest, Lola, Martha, Le secret de Veronika Voss, Tous les autres s‘appellent Ali, etc.).
Enfin, il nous faut évoquer la modernité cinématographique des frères Dardenne tant en ce qui concerne la forme que le fond. Sur la forme, c’est assez évident avec l’emploi de la vidéo, les prises de vues caméra à l’épaule, le refus de la musique comme élément dramaturgique, Rosetta pourrait être sans difficulté estampillé « Dogma N° XX » tant ce film évoque les règles édictées et initiées par le Danois Lars Von Trier dans sa Charte cinématographique « Dogma 95 » (voir son film Les idiots et Festen de son compatriote Thomas Vinterberg). Par ailleurs, on ne peut que constater l’attrait des frères Dardenne pour la vitesse, le mouvement, dans Rosetta même la mobylette de Riquet ou les autobus du TEC ont l’air d’aller vite, ce qui fait que l’on ressort de la vision du film physiquement épuisé...La violence est quant à elle réellement violente, pensons à la scène où Riquet se fait éjecter par son patron du chalet à gaufres, cette fascination pour la vitesse fait penser aux maîtres du genre que sont les cinéastes de Hongkong ( par exemple John Woo et l’époustouflant Wong Kar Waï). En ce qui concerne le fond, sont présents les grands acquis de la narration moderne comme le recours au « hors champ » (le bruit de la mobylette de Riquet perçu en premier lieu comme celle du gérant du camping), l’aspect lacunaire, incomplet des informations transmises aux spectateurs, par exemple l’origine inconnue des maux de ventre violents qui agitent Rosetta. Pourquoi vit-elle dans un camping ? Où est le père de Rosetta ? etc.
Nous espérons que les quelques lignes qui précèdent n’apparaîtront pas comme une sorte d’embaumement vivant des frères Dardenne, nous sommes en effet persuadés que le meilleur est encore à venir et que leurs prochains films dépasseront la barre placée très haut par Rosetta.
En conclusion, nous écrirons que Rosetta restera comme une oeuvre qui « imprégnera durablement l'imaginaire du cinéma contemporain » 2 un film sans concessions à l’air du temps, irrécupérable et inexploitable, un véritable acte de résistance dans son sens le plus civique ou « citoyen » du terme, nous dirons donc simplement merci à Jean-Pierre et à Luc Dardenne.
François André
Notes
On peut lire le scénario de La promesse et de Rosetta qui vient de paraître aux éditions des Cahiers du cinéma, on peut aussi s’abonner à Contre Bande en écrivant à l’Université de Paris I, Institut d’Esthétique et des Sciences de l’Art , association Contre Bande, 162 rue Saint Charles 75740 Paris cedex 16, le prix de l’abonnement est de 140 F Français par an.
On peut enfin aller voir le dernier film d’Aki Kaurismäki Juha (s’il sort un jour en Belgique...), film muet et en noir et blanc d’une grande pureté qui évoque notamment celle du Marchand de quatre saisons de R. W. Fassbinder
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Nous avons eu la curiosité d’alller voir sur Internet les jugements de plusieurs spectateurs du film et de faire suivre cette succession d’avis des commentaires de Cronenberg qui noussemblent bien introduire à la problèmatique sur le cinéma que Rosetta permis de faire naître.
ROSETTA (sur Internet: jugement de quelques internautes)
Très mauvais - 1/11/99 - Nicolas François
Un navet. Amateurisme sur toute la ligne. En salle, la sortie de secours a rendu bien des services ... De qui se fout-on ? Si vous tenez vraiment à y aller, prévoyez un bon walkman histoire de combler les nombreux temps morts, une boite d'aspirine pour contrer l'effet "caméra à la bougeotte", et une lampe de poche pour vous échapper au plus vite sans vous faire trop remarquer (organisez-vous en groupe de préférence).Personnes en quête d'une bonne soirée s'abstenir.
Très mauvais - 31/10/99 - Le Cap
Vous pensez qu'il s'agit d'un documentaire tourné par un amateur peu fortuné? Faux! c'est un vrai film avec des acteurs payés et tout ça! Même que c'est belge et que ça a reçu la Palme d'Or à Cannes. Il est donc de bon ton d'aller voir Rosetta et d'en parler dans les cocktails mondains, un verre de champagne à la main. Du sous-Zola bon marché.
Très mauvais - 29/10/99 - Emmanuel Infantes
Rosetta hésite entre le film et le documentaire. Du coup il a les inconvénients du reportage (mauvaise prise de vue, absence de scénario) sans en avoir les avantages (force due au réel) Non seulement on passe un moment désagréable, mais on n'en sort pas non plus "grandi", il n'y a ni beauté ni amour, on y apprend rien. A aller voir néanmoins, ne serait-ce que parce que c'est un film hors du commun Et puis pour vous ce sera peut-être diffèrent...
Excellent - 18/10/99 - Vanessa Buyst
Si pour vous le cinéma n'est que le synonyme de détente et distraction, n'allez pas voir Rosetta, mais le dernier StarWars. Si, par contre, il reste un art où l'on peut s'exprimer librement, ou une fenêtre ouverte sur l'homme, les frères Dardenne vont vous faire plaisir. C'est très dérangeant de réaliser que tout est vrai et que ça arrive près de chez nous. C'est bon de se le rappeler et de se dire qu'on est pas si mal dans nos basquettes. Bravo!
Très mauvais - 8/10/99 - Jean CUVELIER
Rarement vu un film aussi mauvais. Filmé comme à la sauvette, cadrage bougeant tout le temps, absence de scénario (la trame est aussi mince qu'une tranche de carpaccio). Il me semble que le fait qu'un film aborde un sujet social (justifié) ne légitime pas sa médiocrité affligeante.
Excellent - 5/10/99 - José Fontaine
Pourquoi aller au cinéma? Certes, pour une détente, un "beau" film comme par exemple "Un dimanche à la campagne" si l'on veut. Mais il y a aussi des films qui sont - si l'on peut dire! - "simplement" des oeuvres d'art. Comme Rosetta. Et cela déçoit même ceux qui aiment le "bon" ou le "beau" cinéma. Rosetta appartient à un autre genre comme les très grands films de ce siècle, comme aussi les très grandes oeuvres de l'histoire. Que dire d'autre? Le fait même que ce film ne plaise pas à certaines personnes confirme ce que je viens de dire et que je viens de dire sans aucun dédain. Sommes-nous assez à la hauteur en Wallonie - en Wallonie (et à Bruxelles), j'insiste sur ce point - pour apprécier non seulement ce qui est beau mais ce qui est grand? C'est aussi la question posée par "Rosetta" qui est "grande", d'une grandeur assez typique de ce que nous sommes, je pense. Et qui n'est pas la "grandeur" française par exemple...
Excellent - 2/10/99 - Sébastien Corneille
Rosetta a au moins le mérite de susciter la réaction des spectateurs. Personne ne sort indifférent de la salle. Pour certains, c'est la déception, voir de la rage... Pour d'autres, c'est l'extase, l'admiration. Il est parfois très douloureux d'être confronté à une réalité que l'on ne voudrait voir. Il faut énormément de talent pour faire vivre cette réalité au travers d'une fiction. Simplicité du scénario - Banalité de la vie de Rosetta. Tout cela devrait nous faire réfléchir sur le bien fondé du combat de Rosetta.
Très mauvais - 1/10/99 - GARCIA BERMUDEZ, Andrés
Quelle MERDE de film: fait par un réalisateur clairement en déprime, il réussit à déprimer aussi l'audience. L'on y sors avec des propos suicides. J'étais vraiment dégoûté et en rogne à la fin: quel gâchis, dépenser 250 francs pour cela! (et en plus les intellos à Cannes lui octroient la Palme d'Or). Bref!, il faut surtout pas y aller.
Excellent - 30/09/99 - cedric rosenbaum
film très étonnant, très attachant, très original dans sa construction...les Dardenne nous attachent sur l’épaule de Rosetta, et ils nous font vivre quelques jours de sa vie, on souffre comme elle, on se bat comme elle, on ment comme elle, bref on est Rosetta pendant une heure et demie.....ça c'est génial, car a base d'une petite histoire toute simplette pour la plupart des gens(la recherche d'un emploi pour les gens pas riches)on nous montre en fait que c'est un vrai marathon, un vrai combat, ou des gens tombent, ou d'autres gagnent, et Rosetta essaye de gagner, a tout prix..... je ne sais pas si j'ai convaincu, mais moi ce film m'a convaincu, j’ai aimé...bien que je crois que peu de monde accepterait de vire ça réellement... cedric
Bon - 28/09/99 - Richard Cop
Que penser de Rosetta ? Il est de ces films ... ambigus qui suscite un certain dégoût mêlé d'une certaine admiration. Ce film m'a dérangé, déprimé, suscité une réaction. Ce que je reproche à ce film, c'est le manque de climax (introduction, action,conclusion), condition nécessaire si l'on veut être pris par l'histoire. Les nombreuses répétitions rituelles, le style documentaire, haché, mal filmé de Rosetta nous donne l'image d'un train train quotidien sans issue qui pourrait très bien correspondre à notre vie. Rosetta fait passer le travail avant toutes choses. Le travail, pour elle, c'est la vie. Elle ne vole pas, n'escroque pas, ne se drogue pas, ne boit pas, ... l'image d'une personne voulant s'insérer dans notre société. C'est le genre de personne qui aurait plutôt tendance à être encouragé. Mais non! Elle nous agace. On a cette envie de la gifler, de lui dire : Réveilles-toi!! Réveilles l'humain qui est en toi. Elle est un peu l'image de ce que de nombreuses personnes ne voudraient pas devenir : un outil de production inhumain. Quand j'ai vu ce film, j'ai été pris d'une angoisse, la peur de devenir comme elle car nous sommes tous susceptibles de tomber dansce piège. En chacun de nous, sommeille une Rosetta.
Mauvais - 27/09/99 - André CADET
Je suis très, très déçu par ce film et je ne suis pas le seul; j'ai en effet rencontré de nombreux spectateurs au festival de Namur, des professionnels et des amateurs. Peu m'ont avoué avoir aimé ce film. Qu'est-ce qu'il leur a pris aux frères Dardenne de filmer à la manière d'un reportage en urgence. On se croirait à une émission où l'on veut montrer un maximum dans un minimum de temps. Sur grand écran, l'effet est mauvais, au point d'avoir envie de quitter la salle après une demi-heure. De plus, on ne peut pas dire que le cadrage soit très au point et si c'est voulu, le spectateur est complètement oublié dans ce film. Film sur la société? Quelle société? L'actrice principale est toujours seule, filmée la plupart du temps de dos. A nouveau, si c'est voulu, c'est une erreur technique où le spectateur se sent floué. On croirait qu'on est sur la lune. Pas de personnages, pas d'entourage, pas de vie (un camping vide), des voitures roulant à vive allure, sur la quatre bandes qu'elle au moins 6 ou 7 fois...Ce film génère l'ennui et peut-être même la gêne. Si c'est le but des réalisateurs, il l'atteignent, mais rebutent des spectateurs moyens qui auront du cinéma belge, d'une palme d'or, d'un film encensé (sincèrement ou non) par des critiques un regard dégoûté et seront peu enclins à continuer à fêter ce cinéma qui actuellement a la cote. J'avais tellement aimé "La Promesse", où on rencontrait de vrais sentiments, des problèmes actuels traités de manière vraiment cinématographique... Quelle déception, je dis et je répète, le cinéma ce n'est pas cela. Rendez-nous de vrais scénarios, c'est extrêmement urgent!!!
Moyen - 19/09/99 - M.Detry
L'intention des réalisateurs est superbe . La fraîcheur d'Emilie sauve le climat parfois sordide .Finalement persiste un petit goût d'inachevé : scénario simpliste, caméra au poing obsédante et dérangeante(c'est voulu!),pas de musique, pas de cheminement, pas de solutions au problème proposé(chômage).Trop de veulerie(délation, non assistance, marasme) face à la rareté des sentiments nobles, hormis la dernière image, trop furtive. On aurait aimé voir Emilie dans le registre suggéré par cette finale. Où doit-on classer le film : documentaire social ? fiction ? bon téléfilm ? Bravo aux frères Dardenne , même si l'on reste un peu sur sa faim (fin?)
Réflexion
Avant de laisser la parole au Président du Jury de Cannes, on ne peut s’empêcher de signaler l’erreur de nombreux internautes critiquant ce film comme « documentaire ».
D’une part, un « documentaire » suppose une construction filmique déjà très importante. D’autre part, dans le film des Dardenne, le travail sur les images, les prises de vue et jusqu’aux objets présents dans le film (la petite moto, les bus, les truites, les chaussures etc.), apportent infiniment, un peu comme les mots du conteur, ses mimiques peuvent transformer un récit plat en récit captivant et signifiant. Ils apportent aussi énormément à un scénario (dont certains internautes estiment qu’il est inexistant!), d’une grande complexité, mais d’une bonne complexité rejoignant la vie pure.
Quels énormes contresens! On a raison de penser que Cronenberg a aidé les Dardenne par son choix à introduire une autre conception du cinéma, et finalement un autre cinéma tout court. Aussi passionnant que l’habituel, mais renouant avec le caractère épique, emblématique, passionné du cinéma muet. Qui s’accordait si bien à l’épopée et à la grandeur (même comique): Charlot, Buster Keaton, Dreyer et Jeanne d’Arc, Eisenstein et l’histoire de la Révolution, Abel Gance etc.
Les mauvaises humeurs de certains internautes donnent infiniment raison à Cronenberg. Il fallait consacrer un autre cinéma que le cinéma de l’habitude qui s’enlise dans le plaisir répétitif d’aller au cinéma voir un « bon » film. Élitisme. Ce film ne dérange pas que le confort esthétique.
JF
Extrait de l'interview de Cronenberg dans Libération
Extraits de l’interview (par Laurent Rigoulet) de Cronenberg in Libération du 2 juin 1999 (sur l’attribution des prix au festiival de Cannes). David Cronenberg, de retour à Toronto, travaille à l'écriture de son prochain film et suit de loin la vive discussion suscitée par les choix du jury qu'il présidait à Cannes. Pour Libération, il a accepté de sortir de sa réserve.
Au-delà d'un ressentiment de l'industrie américaine, le palmarès a aussi été critiqué en rance pour son «élitisme», qui aggraverait une fracture entre cinéma d'auteur et cinéma populaire.
Tout part du postulat que nous, membres du jury, pouvions être animés de cette volonté de réconcilier cinéma d'auteur (high art ) et cinéma commercial, ce qui n'était pas du tout notre but. Certains critiques partent de l'idée que quelques films dans la compétition étaient à même d'œuvrer pour cette «réconciliation»; mais qui peut dire quel film va être populaire? Le film d'Almodovar était très populaire auprès des critiques et des spectateurs cannois, ça ne veut pas dire que le public d'une petite ville américaine ira le voir. Mon désir, tel que je l'ai communiqué au jury et tel qu'il s'y est finalement retrouvé, n'était pas de tenir compte de ces paramètres mais de répondre avec la subjectivité la plus pure - c'est tout ce que nous avons, il n'y a pas la moindre objectivité en jeu - et de réagir de la manière la plus directe possible aux films présentés. Nous étions excités, très curieux et très heureux de voir tous ces films, et nous avons mis en place un processus très démocratique de discussion et de vote. Les films élus sont ceux pour lesquels nous avons eu l'élan du cœur le plus pur. Nous n'avions pas d'intention politique. Sans l'avoir voulu de manière consciente, nous avons xprimé nos sentiments sur le cinéma, c'est évident, mais ça n'avait rien d'un processus intellectuel. Nous 'étions pas un groupe d'agitateurs subversifs se réunissant le soir dans une cave pour abriquer une bombe. Parmi les dix membres du jury, il y avait une diversité d'opinions magnifique et nous n'avions pas la moindre idée de ce que chacun allait dire avant qu'il ne s'exprime. C'était toujours une surprise ou un choc quand nous entendions les opinions des autres. Les films choisis l'ont été passionnément. Il n'y a jamais eu de volonté délibérée de choisir un film qui prendrait tout le monde à rebrousse-poil. Chaque récompense voulait vraiment dire quelque chose pour nous. On ne se sentait pas animés d'une volonté radicale ou antihollywoodienne. Jeff Goldblum et Holly Hunter vivent à Hollywood et s'y sentent dans leur élément, mais ils sont à fond derrière ces choix.
Comment interprétez-vous l'idée largement exprimée que votre jugement va à l'encontre du goût du public?
J'y entends que Hollywood a fait subir un lavage de cerveau au monde entier. Pourquoi avoir un jury, au bout du compte? Si la popularité est le seul critère d'appréciation, il faut tout simplement laisser les spectateurs d'un film voter, et vous obtiendrez le prix du film le plus populaire. Nous avons ça au Festival de Toronto: tous les spectateurs remplissent un bulletin en quittant la salle et choisissent le film qu'ils préfèrent. Pas de jury, juste un vote populaire, et l'on obtient un équivalent du box-office. En d'autres termes, pourquoi s'ennuyer à organiser des festivals et ne pas directement récompenser les films qui rapportent le plus d'argent? C'est l'état d'esprit de Hollywood. Le problème, c'est que ça ne concerne qu'un certain type de cinéma, très puissant mais qui n'est pas seul au monde. Quand on parle d'«élitisme», de quoi parle-t-on? Plus une œuvre est difficile, complexe, profonde, plus le spectateur doit travailler pour la comprendre et pour y avoir accès, moins nombreux seront ceux qui auront envie ou seront à même de le faire. Je ne vois pas là d'élitisme ou d'arrogance, c'est juste une autre manière de considérer le cinéma, ou la littérature ou la musique. Je n'ai rien contre les films simples qui font appel directement aux émotions. Ils ne sont pas menacés. Mais ce qu'on voit après Cannes dans les avis exprimés par des critiques virulents comme Tod McCarthy, de Variety, c'est de la pure propagande hollywoodienne. Il a respiré cet air pendant si longtemps qu'il ne croit pas qu'il puisse en exister un autre. C'est triste leur logique.Il faut bien comprendre que Cannes est devenu une insulte pour les Américains. Ils voient ce festival comme quelque chose de merveilleux et ils le désirent. Et, comme ils ne parviennent pas à le posséder, ils commencent à le haïr. Ils disent que le festival a perdu sa raison d'être, qu'il n'est pas «pertinent» («irrelevant»). Voilà un mot merveilleux qui a été utilisé pour parler des films que nous avons choisis. Qu'est-ce que ça veut dire? Je crois que Harvey Weinstein, le patron de Miramax, s'est exprimé en ce sens. J'aimerais qu'il m'explique en quoi Shakespeare in Love est plus pertinent que Rosetta. Qu'est-ce que ça signifie qu'une comédie à l'eau de rose dans l'Angleterre élisabéthaine soit, pour lui, un film artistique, alors que Rosetta manque de pertinence? De nombreuses critiques se sont élevées contre un palmarès qui se rangerait du côté des films les plus pessimistes... Voilà le problème: c'est très subjectif mais, quand je vois Rosetta, je ne suis pas déprimé; je suis, au contraire, excité et euphorique. C'est peut-être un film pessimiste en certaines de ses observations sociales mais sûrement pas en termes de cinéma. Il faut savoir de quoi on parle quand on évoque le pessimisme et il faut aussi décider si c'est nécessairement une mauvaise chose. Un film qui critique certains aspects de la nature humaine ou de la société n'est pas pessimiste dans la mesure où le cinéaste trouve l'énergie et le désir d'apporter un commentaire. Le vrai pessimisme serait de ne pas faire ce genre de film, de penser que c'est sans espoir et qu'il ne reste rien à dire. D'une certaine manière, le cinéma hollywoodien est le plus pessimiste parce qu'il évite tout commentaire sur la réalité et affirme que discuter ne sert à rien, qu'il vaut mieux s'évader et gagner de l'argent.
Vous avez quitté Cannes réjoui.
Oui, très enthousiaste, grâce à ce que j'ai vu. Même les films qui nous ont paru ratés, nous les avons trouvés excitants parce qu'ils tentaient quelque chose. Les critiques voient sans doute trop de films à Cannes; si un film ne tire pas toutes les bonnes ficelles dans les dix premières minutes, ils s'endorment, s'énervent et se sentent insultés. Pourquoi se sentir agressé par un cinéaste qui met deux ans de sa vie pour exprimer quelque chose, même si son talent n'est finalement pas à la hauteur de son ambition? Pour moi, ça reste excitant. Chaque fin d'année, l'Académie des oscars nous envoie quarante à cinquante cassettes de films. C'est un minifestival avec essentiellement des films américains, et ça, c'est vraiment une expérience déprimante. Parce qu'on voit partout le même schéma et on se sent terriblement reconnaissant envers le moindre film qui essaie de trouver une piste légèrement différente.
» en tant qu’oeuvre cinématographique, étant entendu qu’il est difficile de ressentir autrement toute oeuvre de création... Nous allons donc essayer discerner quelle est la place des frères Dardenne dans l’art (qui est aussi une industrie) cinématographique et de quelle « famille » d’auteurs on peut les rapprocher, l’important n’étant pas qu’un film de Wallonie remporte une palme d’or mais bien qu’il s’agisse de ce film là ! Nous ne nous attarderons d’ailleurs pas sur la place de Rosetta dans l’histoire du cinéma belge, nous laisserons bien volontiers ce privilège à d’autres personnes évidemment toujours bien intentionnées...
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