Pédophilie cléricale en Wallonie et en Flandre

11 September, 2010

Cela ne m'a guère surpris de lire ce matin que la plupart des confessions recueillies par la Commission Adriaenssens viennent de Flandre et non de Wallonie. Ce n'est nullement parce que je voudrais prouver que les prêtres wallons seraient plus dignes que les prêtres flamands, mais parce que ces deux sociétés sont différentes.

Il me semble que je sais de quoi je parle dans la mesure où j'ai été séminariste dans le diocèse de Namur durant sept années (1963-1970) et suis ensuite encore demeuré deux ans à l'université à Leuven avec la perspective de devenir prêtre (1970-1972). En dehors même de l'Eglise, du moins dans un mouvement d'action catholique, entre grands adolescents laïcs responsables d'un mouvement de jeunesse dans une petite ville wallonne, nous abordions (début des années 60), cette question de la pédophilie ou des gestes que nous pourrions poser en tant que dirigeants de patro.

Ce que je sais aussi, c'est que, parmi les prêtres qui ont été ordonnés (connus de moi-même) et sur lesquels je peux faire une statistique, un dixième au moins ont rencontré ces problèmes (sans nécessairement aller jusqu'au viol). Mais ils ont eu des ennuis avec la police et la Justice, des mesures ont été prises contre eux. Il n'y aurait donc pas été nécessaire que les victimes en témoignent puisque le tort qui leur a été fait est connu et reconnu?

L'impression que je garde de cela, c'est que sans doute une société plus laïque comme l'est la Wallonie, moins cléricale a sans doute dû réagir autrement par rapport à ces questions que la Flandre. Le président de la Commission Adriaenssens qui porte son nom pense que le fait qu'il ne se trouve que 10% 1 de victimes de Wallonie ou de Bruxelles qui se soient adressées à lui tient au fait que c'est en Flandre que le scandale a éclaté. C'est peut-être vrai, mais on peut penser aussi que la dénonciation de faits graves a été plus facile dans une société comme la Wallonie dans la mesure où elle paraît bien être plus libre à l'égard du clergé, même dans les régions catholiques.

On a un peu oublié l'affaire Johan Van Hecke dont La Libre Belgique, journal autrefois clérical, parle avec une sorte de légèreté peu imaginable encore dans les années 80 par exemple: Il y a dix ans - déjà -, en 1996, le landerneau politique du nord du pays était secoué par l'annonce de la démission de Johan Van Hecke, président du CVP, dix jours avant le congrès qui devait le réélire à la tête de son parti. Craignant que la presse ne publie des articles sur ses problèmes matrimoniaux et sa nouvelle liaison avec Els De Temmerman (journaliste spécialisée en politique africaine), Johan Van Hecke a pris les devants et tiré sa révérence. En outre, à l'époque, l'idée qu'il soit dirigé par un futur divorcé faisait grincer des dents certains au parti social chrétien flamand. 2 Dans ses Mémoires pour mon pays, Wilfried Martens évoque de cette manière le cas Van Hecke: On disait du CVP qu'il était le parti de l'hypocrisie: on ne divorçait pas, on ne se remariait pas, on avait une amie. Aujourd'hui, le divorce fait partie du quotidien, mais ce n'était pas le cas du CVP il y a dix ans (...) Un an avant mon divorce, j'avais été le proche témoin du drame de Johan Van Hecke. Il a quitté la présidence du CVP à cause d'une relation extra-conjugale avec Els De Temmerman. Je l'ai rencontré une heure après qu'il avait pris sa décision 3. On a écrit plus tard que Johan avait peur de son ombre et qu'il aurait pu continuer à assumer la présidence du CVP même s'il avait divorcé. Je pense qu'il n'aurait plus obtenu 90% des voix mais qu'il en aurait conservé 70%. Et cela aurait été une grande libération pour lui et pour notre parti qui aurait pu rompre avec les tabous et une longue hypocrisie.4 Dans la version néerlandaise du livre de Wilfried Martens, on lit encore ceci à la suite de la traduction française qui n'intègre pas ce passage qui suit immédiatement ce que que nous venons de citer: Luc Van der Kelen publiceerde toen de uitlating van een CVP-boegbeeld, die had gezegd dat ik het zeer moeilijk zou krijgen om te worden aanvaard als lijstreeker voor Europa omdat vele militanten een entscheiding nog niet konden hebben. (Luc Van der Kelen publia alors les remarques d'une figure de proue du CVP qui prétendait que je serais difficilement admis comme tête de liste aux élections européennes parce que beaucoup de militants n'étaient pas encore capables de divorcer.) 5 De fait, aux élections européennes de 1999, Martens ne fut pas tête de liste.

Ce qui ne veut pas dire que la pédophilie n'ait pas connu les mêmes horreurs qu'en Flandre dans des internats catholiques. Un bon écrivain wallon a publié il y a trois ans sur ce sujet un livre qui aurait mérité d'être plus lu 6, fondé sur une expérience que l'on sent vécue, même s'il ne s'agit pas d'une victime et que c'est dans un roman que les libraires ont tort de classer dans la littérature de terroir, alors que c'est bien d'un thème universel dont traite l'auteur.

Il me semble que l'on a peur, en ces temps de tensions communautaires, d'émettre des jugements ou des hypothèses tels que ceux que je me permets d'expliciter ici. Sans doute parce que l'on penserait introduire le "communautaire" là où il n'a pas sa place. Pourtant, ce n'est nullement ce que je fais ci. Ce que l'on appelle "le communautaire" n'est d'ailleurs pas un OVNI. Parler d'ailleurs dans ces termes "du" communautaire comme s'il s'agissait d'une excroissance horrible qui ne ne concernerait pas les différents peuples du pays en ses profondeurs n'est pas exact. Tout n'est pas communautaire, mais tout est dans le communautaire.

Comme professeur dans une école d'éducateurs spécialisés, je termine en ce moment la supervision d'un mémoire traitant de cette question, l'étudiante abordant (surtout pour des cas d'abus dans les familles), le problème encore plus délicat de la possible reconstruction des victimes, mais aussi des abuseurs. Elle démontre bien par sa pratique concrète que cela est possible et que c'est un tort de traiter la pédophilie comme un crime plus grave que par exemple le vol, les agressions physiques sans connotations sexuelles, les cas de conduite en état d'ivresse amenant des blessés graves voire des morts, les meurtres, les assassinats.

Dans ces affaires extrêmement graves, les éducateurs tentent de reconstruire tant les victimes que les bourreaux. Ils ont sans doute raison, car le fait de considérer comme plus graves les attentats sexuels que d'autres crimes amène à des conséquences non désirées, notamment en cas d'innocence de celui qui est accusé, ce que, pourtant d'autres affaires aussi célèbres démontrent. Il ne faudrait quand même pas que le fait d'être suspecté d'homicide puisse être plus facile à porter que celui d'être suspecté de viol ou d'inceste. Il ne s'agit pas de nier la gravité de ces actes, mais de se dire que l'horizon d'une Justice démocratique et véritablement humaine, ce n'est pas la vengeance et la peine, mais au contraire l'émancipation de toutes et tous.

Sinon on tombe sur des affaires comme celle du livre Comment priver un enfant de son père où l'innocence d'un abuseur présumé ne le garantit pas contre les pires sévices "légaux" 7.

  1. 1. Note ajoutée ce 12 septembre: quand je dis un dixième un peu plus haut, cela n'a rien à voir avec le dixième des plaintes concernant des prêtres wallons dans celles arrivées à la Commission: je parle d'un dixième des prêtres que je connais mais cette proportion n'a rien à voir avec les chiffres publiés par la Commission qui ne concernent d'ailleurs pas la proportion des prêtres impliqués dans ces crimes graves...
  2. 2. La Libre Belgique, archives de 2006
  3. 3. On remarquera en passant, ici, à quel point les livres parus en néerlandais sont traduits en français souvent vraiment incorrect...
  4. 4. Wilfried Martens, Mémoires pour mon pays, Racines, Bruxelles, 2006, p. 440.
  5. 5. W. Martens, De Memoires:luctor et emergo, Lannoo, Tielt, 2006, p. 847.
  6. 6. Critique : " La Soutane " (A.G. Terrien)
  7. 7. Critique: Comment priver un enfant de son père (Marcello Sereno)