Bruxelles, Flandre, Wallonie:contrat confédéral

Toudi mensuel n°35, janvier-février 2001

Histoire Flandre

Confédéralisme (1928)

La Flandre et la Wallonie ne sont pas faites pour la Belgique; la Belgique est faite pour la Flandre et la Wallonie. Comme l’État est fait pour le citoyen et non le citoyen pour l’État. (Élie Baussart, La faillite de 1830, 1928)

Confédéralisme (1945)

Le fédéralisme (...) est un mot (...) dont on ne sait pas toujours (...) ce qu'il veut dire (...) Il y a (...) autant de fédéralismes que d'Etats (...) fédéraux (...) Le fédéralisme n'est pas nécessairement éternel. Le fédéralisme comporte, comme dans ce régime qui unit les Etats confédérés de l'URSS, le droit de sécession (...) On a dit (...) qu'il ne portait pas remède à tout! Mais notre discrédit, notre incertitude industrielle sont tels que, même en supposant un gouvernement wallon, composé de bons Wallons, il lui faudrait probablement la durée d'une génération pour remonter la pente au bas de laquelle l'incurie blâmante et indigne du gouvernement de Bruxelles nous a laissés choir au cours des années (...) il n'existe pas d'autre moyen de nous sauver (...) Les circonstances ont voulu que, pour assister à ce Congrès, je revienne de France et que je fasse la traversée Paris-Liège en auto, ce matin. En arrivant sur les hauteurs, je regardais comme je le fais souvent, cette ville de Liège si belle sous le soleil d'octobre, j'admirais les feuillages mordorés et la douceur de la courbe des collines, le frémissement et le scintillement de l'eau, et je pensais que, sur cette terre-là, vit une race qui, depuis des siècles, pratique la liberté et l'indépendance. Elle ne les perdra pas!

(Fernand Dehousse, Congrès national wallon, octobre 1945)

Confédéralisme (1950)

M.REY - J'ai eu l'occasion de m'entretenir de ce problème avec une personnalité éminente du parti social-chrétien, qui m'a dit: je vous comprends parfaitement. Si la situation était inverse, si c’était en Wallonie que le Roi était populaire et si c’était en Flandre qu'il ne l’était pas, nous n'accepterions pas que la Wallonie nous impose sa volonté. Et je suis convaincu que jamais un socialiste wallon pas plus qu'un libéral wallon...

M.SPAAK - Je suis un socialiste belge.

M.REY - ... et peut-être pas plus qu'un catholique flamand n'aurait accepté qu'une consultation se fasse autrement qu'en permettant à nos concitoyens d'exprimer librement leur avis et qu'on sache ce qu'on pense dans les différentes régions du pays.

M.SPAAK - C'est de la folie.
(le 26 janvier 1950 à la Chambre des représentants: Rey est ministre du gouvernement Eyskens. Spaak dans l'opposition. Discussion en vue de la consultation populaire de mars 1950)
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En lisant Le dénouement de la question royale, juillet, août 1950, mémoire récemment présenté récemment par Manuel Dolhet à l’UCL, une réflexion nous est venue sur la Saint Polycarpe (accords de type confédéraux). Ce mémoire, non publié à cette heure, mais qui le mériterait, est d’un intérêt considérable. Il suit, minute par minute, la crise la plus grave qu’ait affronté l’État belge monarchique.
La question royale est à comprendre dans le cadre belge. Mais s’en tenir à ce seul cadre (nous dirions aussi «contenant») fausse tout. Manuel Dolhet s’en distancie discrètement, même s’il limite la portée des militants wallingants ou plutôt à cause de cela même. Pourquoi?
La question royale est présentée comme un sommet des tensions Flamands/Wallons. Or, non, ce qui importe en 1950 ce sont les luttes sociales et celles-ci font avancer l’idée wallonne. Le roman de Pierre Mertens Une paix royale les transforme en affrontements ethniques, pour nier la Wallonie (et exalter le pro-nazi Léopold), comme l’a montré la Professeure danoise Inge Degn.1 Les Wallons menant une lutte sociale en 1950 et donc politique, jetaient les bases de leur future société politique, d’un futur État de droit qui est forcément au-delà de l’ethnique.
Certes, la Flandre et la Wallonie (avec Bruxelles) s’opposent diamétralement sur le retour du roi au référendum-consultation populaire de mars 50. La Flandre dit carrément OUI au roi, la Wallonie NON avec Bruxelles. Mais quand le roi revient (22 juillet), il n’y a que des affrontements masses populaires/ gendarmerie belge. Aucune violence Flamands/Wallons.2
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La Flandre et la Wallonie réagissent différemment, sans s’affronter directement. Flamands et Wallons ont toujours établi les organismes qui encadrent la «société civile organisée» comme l’appelle Pierre Reman 3 (syndicats, mouvements de jeunesse, ordres religieux, presse, culture) 4 , sur des bases wallonnes et francophones d’une part, flamandes de l’autre. L’État belge entretient le fantasme d’une union réalisée concrètement nulle part (ou presque). Il y a même une vraie tolérance dans cette séparation. Le combat social wallon de 50 (et après) est mené contre la bourgeoisie. Le combat flamand linguistique pareil. Les deux combats ne s’opposent ni ne se rencontrent. Ils s’épaulent ensuite seulement pour vider un État vide de société.
Il y a bien sûr un «contenant» belge, un État belge et (un peu) une société belge. Mais il y a surtout une société «Flandre» (avec les Bruxellois flamands) et une société «Wallonie» (avec la majorité des Bruxellois via un espace public partagé). L’establishment belge ne parvient plus à empêcher ces deux sociétés de... »faire société». 1950 n’est ni une défaite de la Flandre ni une victoire de la Wallonie. C’est une défaite de l’unité belge sans contenu imposée par une dynastie ignominieuse (génocidaire - Léopold II; pro-nazie - Léopold III etc.).
Les conflits directs Flamands/Wallons sont périphériques. La Flandre abuse de sa position dominante? Oui! mais ce n’est pas sur ces conflits-là que nous l’amènerons à la Justice.
Nous défendons les droits des Francophones de la périphérie. Mais la manière dont la presse souligne cette question «bruxelloise» comme si elle était centrale (et celle des Flamands de Bruxelles), fausse la compréhension de la Belgique et de la solidarité Wallonie-Bruxelles. Cette presse ne se soucie guère d’une négociation avec la Flandre qui ménage un lien direct Wallonie-Bruxelles. Auxquels les Flamands se «résigneront» car: a. on ne peut aller contre les réalités b. ce lien ne menace pas la Flandre.
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Braquer les projecteurs sur la périphérie et les échevins flamands dans les 19 communes, c’est passer à côté de l’essentiel tant wallon que flamand ou bruxellois. Puisque nous continuons nos discussions avec nos amis de Bruxelles via La Revue Nouvelle, Les Cahiers Marxistes et TOUDI, nous voudrions dire une position que nous pensons être celle de la Wallonie.
Quand nos amis de Bruxelles défendent l’autonomie de leur Ville, nous les suivons. Mais nous avons parfois le sentiment que ce qu’ils désignent par «Bruxelles», c’est une région qui tire une part décisive de sa substance du fait qu’elle est la capitale belge. Or il est évident que la disparition de l’État belge met partiellement en cause cette réalité de Bruxelles. La communauté politique proposée par le texte wallo-bruxellois La Wallonie est-elle invisible? 5 met aussi le Bruxelles «tel quel» en cause puisque l’accent est mis sur la Wallonie par démocratie.
Les Wallons se sont d’ailleurs battus pour Bruxelles (régionalisation à trois acquise en 1988). Mais si, pour nos amis bruxellois, défendre Bruxelles c’est défendre sa réalité actuelle, découlant de ses privilèges de capitale, nous sommes contre eux. Car conserver Bruxelles tel quel, en effet, n’est possible qu’en maintenant le principe odieux de la Dynastie et de l’État avec lequel elle se confond. Nous serons contre Bruxelles si Bruxelles lie son intérêt avec le maintien de la Dynastie et d’un État qui empêche la démocratie, en empêchant les sociétés d’être elles-mêmes. Élie Baussart, Fernand Dehousse 6 et Jean Rey en exergue le prouvent: cette opinion n’est pas que la mienne.
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Laisser être les sociétés, c’est la République, incompatible avec l’État belge. On doit respecter les droits des Francophones mais pas au détriment du Confédéralisme (F.Delpérée estime que la négociation « Saint Polycarpe» a adopté une méthode confédérale), qui est le Contrat social.
La République, c’est ce Contrat. Entre les citoyens d’un peuple. Entre les peuples. La Belgique est un anti-Contrat social: la violence de 1950 est née du refus du Contrat social - confédéral! - par son chef Léopold III, digne successeur en cela de tous les autres rois, Albert Ier en particulier.
Le confédéralisme, ce contrat entre peuples, comme le rappelle la leçon de Fernand Dehousse (qui n’a pas vieilli: nous en avisons Monsieur Delpérée), doit aider à ce que meure enfin ce vieil État monarchique et que vive la Wallonie mais, surtout, la République.

Actualisation : Confédéralisme de fait

  1. 1. Inge Degn, Histoire et fiction dans Une paix royale, in La vie wallonne, Tome LXXIII, décembre 1999, pages 45-71.
  2. 2. Des manifestants venus de Flandre apporter des couronnes à Laeken furent rudoyés par des antiléopoldistes présents à Bruxelles, mais vraiment cela ne fait pas un incident wallo-flamand! On peut noter aussi qu’en 1960, les discours aux meetings sensibilisant à l’action de la FGTB à la veille de la grève du siècle étaient ensuite traduits ou résumés en néerlandais.
  3. 3. Pierre Reman, La société civile organisée, in La Revue Nouvelle, janvier 2001, pp. 49-61
  4. 4. Syndicats paysans, de classes moyennes, action catholique, mouvements de jeunesse, ordres religieux, groupements corporatifs etc. Les partis ou syndicats autrefois unitaires se sont régionalisés, le mouvement vert, réticent à s’engager dans la problématique des autonomies, s’est organisé d’emblée en deux partis certes liés mais distincts. L’enseignement a été différent en Flandre et Wallonie depuis bien plus longtemps que sa communautarisation. La seule union entre Flamands et Wallons, c’est la grande bourgeoisie francophone après 1830. Même au temps du suffrage censitaire (40.000 personnes au départ qu’on pourrait considérer comme le rassemblement de la bourgeoisie grande et moyenne), la Wallonie (libéraux toujours majoritaires), ne vota jamais comme la Flandre (catholiques toujours majoritaires)
  5. 5. Voir TOUDI n° 20, juin 1999 et le site de TOUDI.
  6. 6. Le discours de Fernand Dehousse (dont nous ne donnons que des extraits en exergue) au Congrès national wallon de 1945 est d’une grande limpidité (voir TOUDI n°18-19, réédition de la pièce de Jean Louvet Le coup de semonce, mai 1999). Pourquoi Francis Delpérée a-t-il dit que le confédéralisme est un fédéralisme «pour les cons»? Il n’y a pas de vrai ou de faux fédéralisme. Le confédéralisme ne lie que des États qui peuvent se séparer en fonction même du traité confédéral? Mais un contrat est toujours résiliable: la récupération de «fédéralisme» par la monarchie (et maintenant la police) incite à ne plus se servir du mot.