Quelques exemples concrets des "collaborations" de Léopold III

Toudi mensuel n°42-43, décembre-janvier 2001-2002

Histoire de la monarchie belge


Nous avons relevé dans l'ouvrage de Velaers et van Goethem (Leopold III. De Koning. HetLand. De Oorlog, Lannoo, Tielt, 1994), quelques actes que l'on peut juger «de collaboration» au sens où notre ami définit ce terme dans son article. Nous notons la référence à Velaers et Van Goethem: VVG. Cette liste qui n'est pas exhaustive vise à donner une idée de la diversité de ces actes nombreux posés durant l'occupation.

Robert Poulet et « Le Nouveau Journal «

Poulet est reçu le 30 septembre 1940 par le comte Capelle secrétaire du roi qui insiste sur le caractère «privé» de la démarche (elle n'engagerait pas le roi), ce que Poulet comprend comme purement diplomatique (VVG, p. 449). Selon Poulet, le comte Capelle lui déclare qu'il fait oeuvre patriotique et lui communique les principes d'une politique rédactionnelle: a) la guerre est finie pour la Belgique, b) nous n'avons plus d'alliés, c) nous devons nous préparer à une victoire allemande sur le continent, d) le gouvernement Pierlot est illégal, e) le pays doit rester calme et se mettre au travail, f) l' «Ancien Régime» et les institutions qui le fondaient s'est effondré, il faut autre chose, h) nous devons suivre avec attention et sympathie la conduite du gouvernement Pétain. À l'été 1941, Capelle conseille à Poulet d'être plus réservé vis-à-vis de la Légion Wallonie (VVG, p. 458). Condamné à mort à la Libération, Poulet fit état de ces encouragements qu'il estimait venir du roi lui-même. Interrogé à la BRT le 16 avril 1982, Poulet le redit ce qui provoqua la réaction de Léopold III le 21 avril: l'ancien souverain insistait dans une lettre au Premier Ministre sur le fait qu'il se tenait à la lettre de l'accord des partis en 1950 pour ne plus revenir sur l'affaire royale. Jean Stengers estime que Poulet était en droit de considérer les encouragements de Capelle comme exprimant la pensée de Léopold III. Poulet démissionna du «Nouveau Journal» lorsque la censure allemande l'empêcha de critiquer une conférence de Degrelle où celui-ci avait prôné l'annexion de la Belgique au Reich et la fin des monarchies en Europe (VVG, p.462).

Raymond de Becker et «Le Soir volé»

Raymond De Becker avait, dans «Le Soir volé» défendu l'unité belge (un numéro spécial de janvier 1941). Il l'envoya au Comte Capelle qui remercia De Becker en lui disant que le Roi avait été sensible à cet envoi. En 1943, il envoya, le 18 juin une lettre à Capelle disant qu'il poursuivrait sa politique au «Soir» à moins que le roi ne s'y oppose. Capelle lui répondit que le roi ne jouait pas de rôle politique et que son silence ne pouvait être interprété comme soutien à telle ou telle position. De Becker démissionna après cette lettre comme d'autres rédacteurs du «Soir volé» et prétendit plus tard que c'est la lettre de Capelle qui l'amena à cette décision. (VVG, p.460)

Éloge de la Légion «Wallonie»

Il existe dans les archives du palais un texte de la main du comte Capelle où celui-ci fait l'éloge de la «Légion Wallonie» en remarquant que les gens qui meurent pour leur idéal sont dignes d'estime (VVG, 458).

Le Grand Maréchal de la Cour à un service funèbre en l'honneur du Prince de Savoie

Le Prince Amédée de Savoie mourut le 9 mars 1942. Il avait commandé les troupes italiennes d'Éthiopie contre des troupes belges engagées aux côtés des Anglais. Prisonnier avec ses soldats il mourut d'une maladie tropicale. Il était le cousin de Léopold III. Celui-ci fit parvenir un télégramme au Roi d'Italie où il exaltait le grand patriote et le brillant chef militaire qu'avait été le Prince. À son enterrement figuraient des officiers britanniques qui avaient commandé des troupes ayant combattu celles du Prince. Au service funèbre du 12 mars 1942 à Bruxelles, le roi Léopold se fit représenter par le Grand Maréchal de la Cour, Cornet de Ways-Ruart. Le Grand Maréchal demanda au roi s'il devait apparaître à la cérémonie en grand uniforme et à sa place réservée dans le choeur, ce que Léopold III lui dit de faire. Le Grand Maréchal assista donc à l'office à côté du Commandant militaire en Belgique occupée, le général Von Falkenhausen. Capelle avait averti le Roi des possibles réactions négatives du Gouvernement de Londres. Le roi lui répondit qu'il n'avait pas à se ranger derrière leurs «sottises ni le mal qu'ils avaient fait au pays» (VVG, p. 688).

L'entrevue de Berchtesgaden

Cette entrevue est commentée dans l'article de François André: A des pôles opposés, Léopold III et le monde politique

La «nomination» de Romsée comme secrétaire général du Ministère de l'Intérieur

VVG commentent longuement la manière dont Romsée devint Secrétaire général du Ministère de l'Intérieur (pp. 659-665). L'insistance mise par Capelle à le soutenir était inspirée par la volonté d'avoir, la paix revenue, des hommes fidèles au Roi et à la Belgique, ce qui était le cas de Romsée, député VNV mais désireux de maintenir la Belgique. Comme le bruit courut que c'était le roi qui avait permis cette nomination, Léopold III conseilla la prudence à Capelle.

La «nomination» du commandant de la gendarmerie

Plus tard en 1942, c'est Romsée lui-même qui consulta le comte Capelle pour qu'il sonde le roi sur des modifications à apporter à l'uniforme des gendarmes et sur la nomination du commandant de la gendarmerie. Capelle (et donc le roi) poussèrent à la nomination de Van Coppenolle. Le commandant de la garde du Palais rendit visite à Van Coppenolle pour lui dire qu'il se soumettait à ses ordres. Il est intéressant de noter que le roi, sur cette nomination, avait rédigé une notre pour Capelle que celui-ci lut à Romsée (VVG, p. 710).

L'influence royale utilisée par les Allemands

En avril 1943, se posa la question de la livraison de produits alimentaires par la Belgique à l'Allemagne. Les données du problème sont nombreuses: position des secrétaires généraux chargés par le gouvernement Pierlot d'administrer le pays, le roi et son entourage, le commandement militaire allemand qui craignait de perdre sa place en Belgique au bénéfice d'une occupation civile, directement gérée par la SS. Le Secrétaire général De Winter refusait de livrer une quantité de céréales qu'il estimait exagérée. Le roi le soutint. Von Falkenhausen chercha à influencer le roi pour amener De Winter à plus de souplesse. Les Allemands tentèrent aussi de faire croire aux Secrétaires généraux que le roi craignait par-dessus tout le passage à une administration «civile» de la Belgique (càd SS) et qu'il fallait donc en passer par les exigences allemandes. Mais finalement, les Secrétaires généraux l'emportèrent et le roi. L'influence dont dispose Léopold III est patente. Dans cette cause - qui n'est pas directement politique - le roi accepte de bien plus se découvrir que dans la «nomination» de Romsée, de van Coppenolle ou l'encouragement à Poulet (par exemple).

Velaers et Van Goethem relève aussi la sympathie de Léopold III vis-à-vis des régimes autoritaires, son antisémitisme, son admiration pour Hitler etc. Jean Stengers émet l'avis (La Libre Belgique du 2 juillet 2001), d'une analogie entre l'idéologie de Léopold III et celle de Pétain. Ces divers actes, les sentiments de Léopold confirment l'avis de F.André.