A des pôles opposés : Léopold III et le monde politique

Toudi mensuel n°42-43, décembre-janvier 2001-2002
13 novembre, 2009
le monument national à la Résistance à Liège

Le 17 juillet 1945, le Premier Ministre Achille Van Acker s'adresse aux sénateurs en ces termes: «Je ne crie pas "Vive la République!» parce que d'après moi, ce serait la fin de la Belgique, mais ce que je crains fort c'est que par les erreurs qu'on est en train de commettre, on n'arrive à créer une situation qui ne nous mène là.»1. Justement, comment en est-on arrivé là pour qu'un monarchiste et unitariste constant comme Van Acker2 agite, devant un parlement en ébullition, le spectre de la République et de l'implosion de l'État belge dans l'hypothèse où Léopold III exercerait à nouveau ses prérogatives constitutionnelles ?

La rupture s'annonce bien avant mai 1940

La rupture entre Léopold III et son gouvernement fin mai 1940, dans le contexte traumatique de l'offensive victorieuse de l'Allemagne nazie, ne fut que l'étape finale du divorce qui n'avait cessé de s'intensifier entre le roi et le monde politique depuis son accession au trône en 1934. Albert I avait su s'adapter à l'introduction du suffrage universel masculin en 1919 et à l'apparition de coalitions gouvernementales par essence fragiles. Toutefois, celui-ci ne dédaignait pas à l'occasion, comme le rappelle l'historien Emmanuel Gérard, critiquer le Parlement, dénigrer les ministres et les politiciens et fustiger la faiblesse des gouvernements qui se succédèrent à une cadence régulière à partir de la fin des années 203... Les régimes parlementaires apparaissaient en effet à l'époque comme bien incapables de gouverner une Europe, un monde occidental, en crise depuis la fin de la première guerre mondiale, la montée des régimes autoritaires voire dictatoriaux en Europe4 semblaient être le reflet exact de l'air du temps dominant à droite mais aussi à gauche. Suite aux élections du 24 mai 1936, qui virent l'apparition des élus rexistes et le renforcement du VNV et du PCB, Léopold III considère que, même si les Belges ne veulent pas d'un nouveau régime, « l'échec que viennent de subir les trois vieux partis trouve son origine dans une réaction salutaire dirigée contre les abus de la politique et la carence d'autorité du pouvoir. Quelle sage et modérée réaction (...). Au désarroi moral, il faut opposer l'autorité d'un gouvernement fort, décidé à réprimer les abus et à procéder dans le cadre de la Constitution, aux réformes profondes de toutes les institutions dont le fonctionnement ne répond plus aux nécessités modernes.»5. Sinon, selon lui, le pays sera rapidement livré aux excès et à l'inexpérience d'une jeunesse avide d'autorité et de propreté. Léopold III veut restaurer les prérogatives du pouvoir exécutif, et donc de son chef, face au parlement et aux partis politiques, en particulier vis à vis d'un POB qui surveille de trop près ses ministres6.

http://de.wikipedia.org/wiki/Leopold_III._(Belgien)

Evénement révélateur et significatif, le POB s'est en effet divisé au cours de l'été 1936 sur le retour, prôné par le Cabinet Van Zeeland et son ministre des Affaires étrangères Spaak, à la politique de neutralité et la rupture de l'alliance militaire signée avec la France en 19207. Le Congrès du POB trancha en septembre 1936 contre le retour à la neutralité, le refus de toute alliance militaire privilégiée mais dans le respect des grands principes de la SDN et des engagements internationaux de solidarité8. Partageant et soutenant la politique de son cabinet, et sans doute poussé par Van Zeeland et Spaak9, le roi va exposer, lors du Conseil des Ministres du 14 octobre 1936, cette politique visant «non à préparer une guerre plus ou moins victorieuse à la suite d'une coalition, mais d'écarter la guerre de notre territoire». C'est sur l'insistance d'Emile Vandervelde, Président du POB et Ministre de la Santé Publique, que le discours royal sera publié à l'issue du Conseil10. Certains ministres, en premier lieu Spaak, espéraient que l'autorité morale du Roi pourrait faire progressivement tomber les réticences essentiellement wallonnes11 face à cette nouvelle politique étrangère. Ce faisant, il firent du roi l'initiateur ou l'auteur de cette politique, ce qui le vit soumis au feu du débat public, devenant par là «acteur principal d'une lutte politique».12

Ainsi, étrange anticipation de novembre 1940, L'Action wallonne, organe officiel de la Ligue du même nom13, publia dès le 15 novembre 1936 une caricature ou Léopold serre la main d'Hitler avec comme titre «Tendons la main à d'anciens frères, de nous trop longtemps désunis.»14 (voir p; 11 de ce n°). Par la suite, considérant que le monde politique ne tient pas suffisamment compte de ses souhaits, et ayant sans doute pris goût au précèdent de 1936, Léopold III va à plusieurs reprises rendre publique son opinion sur diverses questions d'ordre politique et économique. Cette activité politique du roi va finalement rompre l'unité du pouvoir exécutif et surtout soumettre au débat public les positions royales qui, en opposant le pays et le(s) gouvernement (s), reprennent à leur compte l'idée d'une fracture entre Pays réel et Pays légal15. Lorsque l'Allemagne nazie envahit la Pologne, provoquant ainsi l'entrée en guerre de la France et du Royaume-Uni, le roi et le gouvernement Pierlot réaffirme la neutralité du pays. Léopold III, reprenant la tradition inaugurée par Léopold I lors de l'invasion de la Belgique en 1831 par les armées hollandaises, déclare prendre personnellement le commandement des armées.

Le gouvernement n'en a pas été préalablement prévenu, Pierlot redouta alors de connaître les mêmes difficultés que le gouvernement de Broqueville eut vis à vis d'Albert I lors du premier conflit mondial. Le Premier Ministre considère que la conduite des opérations doit être sous l'autorité principale du gouvernement et craint un cavalier seul du roi et de son aide de camp et principal conseiller militaire le Général Van Overstraeten. Dès avant l'offensive allemande du 10 mai 1940, ce que l'historien Jean Stengers analysa brillamment comme les «deux politiques belges de 1940»16 étaient déjà discernables. D'un coté le roi et ses conseillers pour qui la Belgique avait pour seule obligation la défense de son territoire contre tout envahisseur, elle n'était donc pas tenue de poursuivre la lutte en dehors de celui-ci. De l'autre le gouvernement Pierlot qui pensait que la solidarité avec la France et le Royaume-Uni, garants de la neutralité belge, pourrait imposer de continuer le combat y compris hors du territoire national. Lorsque le 10 mai 1940, la Belgique fit effectivement appel aux garants de sa neutralité, la rupture entre le roi et son gouvernement n'était plus qu'une question de temps.

Le discours du 28 mai et la réunion du Parlement à Limoges

Le 26 mai 1940 à 20h45, le conseil des ministres se réunit à Paris, le Premier Ministre Hubert Pierlot va exposer à ses collègues l'entrevue qui s'est déroulée la veille au château de Wijnendaele entre le roi et les quatre ministres demeurés en Belgique (Pierlot, Spaak Vanderpoorten et le Général Denis). Pierlot, qui bien plus tard sera présenté par Spaak comme «un homme d'une valeur exceptionnelle et à qui la droiture du caractère et l'ardeur du patriotisme ont valu l'admiration et le respect de tous ceux qui ont été ses collègues»17, est convaincu de la gravité de la rupture entre le gouvernement et le Chef de l'État. Il veut être certain du soutien de l'ensemble des Ministres et s'assurer que ceux-ci ne présenteront pas leur démission au souverain. Il nous a semblé intéressant de nous baser sur la communication de Pierlot au Conseil des Ministres, le point de vue royal ayant été répercuté en de multiples occasions par Jean Vanwelkenhuyzen18 et par Léopold III lui-même dans Pour l'Histoire, ne serait-ce que pour mieux illustrer l'état d'esprit du gouvernement en ces heures décisives où la simple tactique politique devait sembler bien déplacée.

«Dès le 14 (mai), le Roi prévoyait l'éventualité où l'armée belge serait coupée des armées alliées. (Il) ne semblait pas frappé, autant qu'il eut été naturel, par cette éventualité. Les ministres insistèrent vivement afin que, dans l'hypothèse où les forces allemandes approcheraient de la côte, l'armée belge fasse tout ce qui était en son pouvoir afin de conserver le contact avec les armées alliées, quitte à abandonner le territoire national. (...) Le Roi se déclara formellement opposé à la retraite de l'armée hors du territoire national. Il semblait redouter que les forces armées belges, une fois en France, fussent dispersées parmi les armées franco-britanniques et entièrement soumises au commandement allié. Les (...) ministres défendirent énergiquement leur point de vue, déclarant notamment que la solution adoptée par le Roi acculerait inévitablement l'armée à une capitulation, sort inacceptable pour l'armée. (...) De cet entretien (...), les ministres revinrent avec la conviction que le roi se tenait systématiquement à l'écart du gouvernement, en compagnie de ses conseillers militaires.»19 Si le roi avait une estimation assez correcte de la bataille en cours, il semblait ignorer (délibérément?) les conséquences politiques éventuelles, y compris quant à son sort personnel, de celle-ci . Redonnons la parole à Pierlot, le 19 mai, les quatre ministres demeurés en Belgique rencontre le Roi à son G.Q.G. de Saint-André-lez-Bruges, ils «insistèrent afin que la retraite de l'armée continuât et, qu 'en aucun cas, le Roi ne se laissât prendre par l'ennemi. (...) En ce qui concerne le départ éventuel du Roi, celui-ci redoutait l'hypothèse où il devrait fixer sa résidence en France où, à son avis, sa situation serait intenable au point de vue politique (...). S'il demeurait en Belgique, il pourrait continuer à s'occuper des intérêts matériels du pays. Les ministres combattirent vivement le point de vue défendu par le Roi.»20 Suite à diverses décisions tactiques, les divergences entre le roi et son gouvernement ne firent que s'accentuer dans les jours suivants, Léopold n'hésitant pas à envoyer le 22 mai une lettre au gouvernement où il critiquait l'attitude de ce dernier qui répliqua respectueusement mais fermement21. Le 24 mai, le gouvernement demande à nouveau au roi de dévoiler ses intentions quant à un départ éventuel, Pierlot rappelant sa promesse de rester auprès du Chef de l'Etat jusqu'au dernier moment à la condition que celui-ci refuse de tomber aux mains de l'ennemi22. Le roi temporisa en déclarant qu'il allait demander l'avis du gouvernement et du souverain britanniques, «l'avis formel du gouvernement anglais fut que le Roi ne pouvait se laisser prendre. Le gouvernement anglais se déclara en outre disposé à mettre le Roi en mesure de s'échapper en temps opportun»23.

Enfin, arrive le 25 mai et l'entrevue cruciale de Wijnendaele qui, selon les termes mêmes du procès-verbal du Conseil des ministres, se tint dans «une atmosphère de catastrophe morale, politique et militaire»24. Le Premier Ministre dit au roi qu'il agirait sagement en quittant le territoire national, celui-ci «exprima la résolution de ne pas quitter l'armée et sa conviction que la guerre était perdue pour les alliés»25. Spaak lui demanda s'il avait l'intention de conclure une paix séparée avec l'Allemagne, il répondit «qu'il n'en savait rien, qu'il s'occuperait des intérêts matériels des populations demeurées en Belgique et qu'il partirait si on le forçait à faire quelque chose de contraire aux intérêts alliés. Le Roi semblait croire qu'il lui serait possible de régner dans une Belgique jouissant d'une indépendance relative. Comme il disait qu'il devrait être entouré de conseillers, les ministres déclarèrent qu'en ce qui les concernait, il ne pouvait être question d'accepter de jouer ce rôle.»26 Les ministres s'inquiétèrent des conséquences probables tant sur le plan interne qu'externe de l'attitude royale, le roi déclara «d'homme à homme» qu'il ne s'opposait pas à ce que le reste du gouvernement quitte le territoire national. Spaak prenant la parole à la suite de la communication de Pierlot, déclara à ses collègues que Léopold considérait que «la paix serait prochaine et la victoire de l'Allemagne certaine» et que par son attitude, il pensait rendre «service au peuple belge, mais ne se rendait pas compte du déshonneur qui en résulterait»27. Pierlot demanda ensuite au gouvernement d'attendre la capitulation imminente de l'armée belge pour agir, mais une fois celle-ci intervenue, il serait du devoir de celui-ci d'expliquer à l'opinion publique belge les événements et «de dégager sa responsabilité»28.

Enfonçant le clou, Pierlot laisse entrevoir à ses collègues les difficultés considérables que le gouvernement devra affronter s'il décide de continuer la lutte sans le roi, il précise toutefois que si le gouvernement capitulait également, «il y aurait lieu de redouter qu'un autre gouvernement se forme en dehors de la légalité»29. De manière unanime, le gouvernement approuve l'attitude des quatre ministres «dans les missions qu'ils ont accomplies auprès du Roi», voila une situation pour le moins exceptionnelle en droit constitutionnel belge, le gouvernement n'a plus la confiance politique du roi, ou si l'on veut se déclare contre lui, et pourtant il refuse en bloc de lui présenter sa démission! Le gouvernement fut d'autant plus porté à soutenir l'action de son Premier Ministre que lui fut soumis le même jour, la demande du roi de contresigner les fameux arrêtés royaux «blancs» en vue d'accepter la démission des ministres en fonction et la nomination de nouveaux ministres, demande que la Conseil refusa de manière unanime30.

Les historiens s'accordent pour reconnaître que, dès après Wijnendaele, Léopold souhaitait forcer la démission du gouvernement Pierlot et former un gouvernement (provisoire?) restreint avec pour membres probables Hendrik de Man, président du POB, le Général Tilkens, chef de la maison militaire du Roi, Raoul Hayoit de Termicourt, Avocat général près la Cour de cassation31.

Hendrik De Man vers 1940

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Quelle est la raison de cet empressement royal ? Selon Hayoit de Termicourt, consulté par le roi dès le 25 mai, si ce dernier ou ses délégués peuvent parfaitement signer un acte de capitulation, acte militaire, la signature d'un armistice, acte d'ordre politique, requiert le contreseing d'un ministre. Et là, Hayoit de Termicourt, curieusement, va déclarer au roi que la démission du Gouvernement Pierlot et la nomination de nouveaux ministres doivent être contresignées par au moins un ministre en fonction32. Cet interprétation du droit constitutionnel est en effet surprenante, un des successeurs d'Hayoit de Termicourt à la fonction de Procureur général près la Cour de cassation considère en effet que, si l'ex article 65 de la Constitution permettait au Roi de révoquer un membre du gouvernement ou de le contraindre à la démission, cet acte politique, pour être valable, nécessitait un contreseing ministériel, «s'il s'agit du Premier ministre révoqué ou contraint à la démission, le contreseing devrait être celui du nouveau Premier ministre»33. Dans des circonstances plus calmes ou traditionnelles, le Procureur général Velu précise que même si la coutume veut que le Premier ministre démissionnaire contresigne l'arrêté de nomination de son successeur, ce dernier contresignant à son tour l'arrêté de démission de son prédécesseur, le Premier ministre désigné est à même de contresigner sa propre nomination dans le cas «d'un refus non justifié de son prédécesseur démissionnaire ou en cas de force majeure»34.

Le gouvernement va alors tirer les conclusions qui s'imposent face à l'attitude royale. Le 27 mai au matin, il gouvernement décide à l'unanimité de poursuivre la lutte avec les alliés35. L'après-midi, lors d'un nouveau Conseil des Ministres où assistent les présidents de la Chambre (Van Cauwelaert) et du Sénat (Gillon) et les Ministres d'État Carton de Wiart, Brunet et Hymans, Pierlot expose les grandes lignes de la communication officielle qu'il fera dès que la capitulation des armées belges sera confirmée. Hymans soutient le gouvernement et souhaite que la communication officielle précise clairement que la Belgique reste l'alliée de la France et de la Grande-Bretagne. Carton de Wiart déclare que «c'est nous qui représentons la nation. La nation préexistait à la monarchie»36.Van Cauwelaert invite le gouvernement a tirer les conséquences de l'attitude royale: selon lui, «le Roi a commis l'erreur de ne pas vouloir quitter l'armée alors qu'il était encore temps. Actuellement, Léopold III est prisonnier et se trouve de ce chef dans l'impossibilité de régner»37. Paul-Émile Janson (libéral) redoute que cette communication ne donne l'impression au public que le gouvernement a abandonné le roi, ce à quoi son neveu Spaak répondit qu'il n'y avait pas lieu de redouter ce danger, le public «saura, en effet, que le Roi est demeuré à la tête de l'armée malgré la volonté formelle du Gouvernement»38. Van Cauwelaert s'inquiéta aussi des possibles réactions que l'attitude de Léopold III provoquerait au sein de la population française vis-à-vis des réfugiés belges Les hommes politiques présents à Paris conclurent en déclarant le gouvernement Pierlot comme le seul gouvernement ayant qualité pour parler au nom du peuple belge, que la Belgique devait continuer la lutte jusqu'à la victoire des alliés et le recouvrement de son indépendance nationale, enfin Spaak devrait prendre contact avec les autorités françaises pour protéger les réfugiés belges des réactions potentielles de l'opinion publique française face à l'attitude du roi39.

Le terrible discours de Pierlot

© gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France

Le lendemain matin, le Conseil des Ministres constate l'impossibilité de régner du roi et, par une interprétation astucieuse des articles 79 et 82 de la Constitution, déclare exercer les pouvoirs dévolus au Roi par la Constitution. Les très volumineuses archives de l’ancien Premier Ministre socialiste Achille Van Acker40 contiennent un document daté du 11 mai 1940 intitulé « avis du comité consultatif du gouvernement » et signé par le secrétaire du comité, l’avocat et professeur à l’ULB Jean Baugniet. Ce comité comprend en outre les professeurs René Marcq (ULB) et Charles de Visscher (UCL et RUG), le Secrétaire général du Ministère de la Justice Ernest de Bunswick et l’avocat bruxellois Jacques Lévy-Morelle. Ces éminents juristes mettent en avant l’exigence de continuité des pouvoirs, ainsi lorsque le chef de l’état décède et, dans l’attente de la prestation de serment de son successeur ou d’un régent, ses prérogatives constitutionnelles sont exercées par les ministres réunis en conseil. La continuité des pouvoirs du roi pourrait être rompue chaque fois qu’il est dans l’impossibilité de régner, par exemple en cas de minorité légale ou de maladie grave. Mais quid en période de guerre ? Le panel rappelle l’arrêt de la cour de cassation du 11 février 1919 qui considéra que le roi avait pu légalement exercer seul les compétences du pouvoir législatif dont il n’est qu’un des trois organes (avec la Chambre et le Sénat) car il était le seul à avoir gardé sa liberté d’action. « De même, actuellement, la présence du roi sur le territoire belge occupé par l’ennemi, l’empêche d’exercer librement les attributs de son autorité royale : il se trouve donc « dans l’impossibilité de régner », ainsi que les ministres, réunis en conseil, l’ont constaté. La permanence et la continuité des pouvoirs constitutionnels du roi exigent donc que, sans interruption, ces pouvoirs soient exercés, au nom du peuple belge, par les ministres réunis en Conseil ». La date de cet avis suscite l'interrogation, en effet la constatation de l’impossibilité de régner par les ministres réunis en conseil n’a eu lieu que le 28 mai 1940. Deux hypothèses sont possibles : soit la date du document est erronée, soit le gouvernement avait, dès le début de la guerre, considéré possible que le roi reste en territoire belge occupé et ne suive pas son gouvernement en exil d’où la création de ce comité consultatif ? Cet avis n’aborde pas, logiquement, l’épineuse question qui surgira en mai 1945 avec la libération du roi et sur laquelle la Constitution est muette, dans quelles circonstances et quand l’impossibilité de régner prend-t-elle fin et quel organe est-il habilité à constater celle-ci ?

Mais revenons l'après-midi du 28 mai 1940, Pierlot prononce à la Radio française un discours terrible et sans appel contre Léopold, citons en quelques passages : «Passant outre aux avis formels et unanimes du gouvernement, le Roi vient d'ouvrir des négociations séparées et de traiter avec l'ennemi. La Belgique sera frappée de stupeur. Mais la faute d'un homme ne peut être imputée à la Nation tout entière. (...) L'acte que nous déplorons est sans valeur légale, il n'engage pas le pays (...), aucun acte du Roi ne peut avoir d'effet s'il n'est contresigné par un Ministre. Ce principe est absolu, il est une règle fondamentale du fonctionnement de nos institutions. Le Roi, rompant le lien qui l'unissait à son peuple, s'est placé sous le pouvoir de l'envahisseur. Dès lors, il n'est plus en situation de gouverner car, de toute évidence, la fonction du Chef de l'État ne peut être exercée sous le contrôle de l'étranger. Les officiers et fonctionnaires sont donc déliés du devoir d'obéissance auquel les obligeait leur serment de fidélité. (...) Le gouvernement ne faillira pas à son devoir (...), il importe d'affirmer, immédiatement et d'une manière tangible, la solidarité qui continue à nous unir aux Puissances qui nous ont prêté leur garantie, conformément à leurs engagements41 La messe est dite, on ne peut s'empêcher de se demander ce qui se serait passé si le gouvernement avait eu à sa tête quelqu'un de plus servile à l'égard du roi que Pierlot ? Trois jours plus tard, lors d'une réunion se tenant à Limoges, les députés et sénateurs réfugiés en France approuvèrent la position du gouvernement Pierlot, certains n'hésitant pas à réclamer la déchéance de Léopold III. Le divorce est désormais consommé entre le gouvernement, le monde politique et le roi. Pour ce dernier, ainsi que pour bien d'autres, la défaite militaire signifie la possibilité d'une révision profonde du régime politique dans un sens autoritaire42. A titre d'exemple de l'état d'esprit politique en vigueur après la capitulation dans l'entourage royal, voici quelques extraits du (bref) programme en 11 points en date du 19 juin 1940 rédigé par De Man à la demande du roi. Ce document éclaire d'ailleurs le texte de son manifeste du 28 juin 1940 aux membres du POB. " 1° Fidélité au roi et consolidation de la monarchie constitutionnelle. 2° Révocation des ministres expatriés et constitution d'un gouvernement chargé temporairement de l'exercice de tout le pouvoir législatif et exécutif. 3° Révision de la Constitution par plébiscite qui se prononcera notamment sur le remplacement des Chambres par des institutions consultatives à base corporative. 4° Suppression des partis et instauration de l'organisation nationale unique dans le domaine syndical, mutuelliste et coopératif, pour le groupement de la jeunesse, des anciens combattants, etc. (…) 7° Unité nationale, égalité linguistique, autonomie culturelle, à assurer par l'autorité gouvernementale, en dehors de toute dimension politique. 8° Limitation de l'autonomie communale par la fusion des grandes agglomérations et par l'instauration de bourgmestres-fonctionnaires. 9° Protection de la race et réduction graduelle du nombre d'étrangers en respectant les commandements de l'humanité et en réprimant toute action non légale. 10° Instauration d'un régime économique et social basé sur l'obligation pour tous de travailler, la subordination de tous les intérêts particuliers à la solidarité nationale, l'abolition des privilèges de la fortune, la diminution progressive des inégalités sociales. (…)"

Le gouvernement à Londres

Après bien des péripéties et des hésitations43, les quatre ministres principaux du gouvernement Pierlot (Pierlot, Spaak, Gutt, De Vleeschauwer)44 sont présents à Londres dès octobre 1940 où ils peuvent arrimer fermement la Belgique dans le camp allié. N'abandonnant pas tout espoir, le gouvernement de Londres va essayer jusqu'en 1944 de renouer le contact avec l'auguste prisonnier de Laeken45. Ainsi, le Conseil des Ministres du 23 septembre 1943 se pose la question de savoir s'il faut faire au roi une nouvelle offre pour l'aider à gagner le Royaume-Uni, le gouvernement conclura finalement «qu'étant donné la situation du Roi en Belgique et la position qu'il a prise à l'occasion d'offres semblables du gouvernement, une nouvelle démarche est inutile. Certains (ministres) pensent qu'au surplus, le voyage en question n'offrirait plus les mêmes avantages qu'il y a quelques mois, alors que le cours des événements était moins avancé. Il est entendu que le gouvernement répondrait immédiatement au désir qu'exprimerait le Roi de passer en Angleterre.»46 Malgré tout, le gouvernement va transmettre en décembre 1943, par l'intermédiaire de François De Kinder, parent par alliance de Pierlot, parachuté pour l'occasion en Belgique, une lettre au Roi où il lui expose ses conceptions de la reprise de la vie politique en Belgique.47

Les «très respectueux et très fidèles serviteurs» du roi lui rappellent en premier lieu, les conséquences fâcheuses de sa présence en Belgique, présence qui a permis à «des hommes dépourvus de scrupules de jeter le trouble dans les esprits en faisant courir le bruit que la collaboration apportées par eux à l'occupant et leur projet, non dissimulé d'établir en Belgique un gouvernement qui supprimerait nos libertés constitutionnelles, auraient l'approbation de Votre Majesté. Dans l'intérêt de la monarchie comme du pays, il importe que le Roi fasse savoir qu'il condamne et cette collaboration et les projets de dictature si évidemment réprouvés par la grande majorité de la nation.» Le gouvernement met ensuite en garde Léopold contre les conseillers qui, dans son entourage, pensent que la Belgique devra demain continuer une politique de neutralité et d'isolement, ne plaçant pas ainsi la Belgique dans le camp des vainqueurs.

Le gouvernement demande au roi, dès qu'il aura retrouvé sa liberté et l'exercice de ses prérogatives constitutionnelles, à l'occasion d'une adresse au Pays, de confirmer que la Belgique n'a jamais cessé d'être en guerre avec l'Allemagne, qu'elle est en guerre avec l'Italie et le Japon, que les collaborateurs seront châtiés et que l'ordre sera rétabli sur la base du respect de la Constitution et des libertés publiques. Enfin, le roi devra éliminer de son entourage tous ceux qui ont douté de la victoire alliée ou ont donné à croire qu'il s'accommoderaient de la domination et de l'idéologie allemande. Le gouvernement estime que, pour le bien du pays, la meilleure façon si le roi veut exercer, à la fin de l'occupation, ses prérogatives constitutionnelles est de suivre ses conseils et de donc de prouver «qu'entre la position du Roi prisonnier et celle du gouvernement pendant la guerre, il ne peut y avoir d'antinomie. C'est ce qu'il importera de souligner de part et d'autre dès que ce sera possible.» Ce chemin de Damas du gouvernement de Londres, n'aura pour résultat que le testament politique du Roi évoqué ci-dessus, Léopold III, homme rancunier et vaniteux, refusera aussi en juin 1945 l'offre du Premier Ministre Van Acker de passer l'éponge sur le passé. «Ainsi, alors que, contre toute logique, le gouvernement de Londres a tout mis en oeuvre pour renouer secrètement le contact avec le roi et préparer le chemin de la réconciliation et du retour à la constitutionnalité, ses efforts sont restés vains. Léopold était intraitable.»48 L'envoi en Allemagne de Léopold et sa famille, le 7 juin 1944, va simplifier la tâche du gouvernement de Londres, ce dernier prendra toutefois contact avec les autorités britanniques et américaines afin de s'assurer que le roi, une fois libéré, ne s'avise de prendre le chemin du retour sans qu'il en ait été averti préalablement.49

Life Magazine

De retour au pays, Pierlot se rend devant les Chambres réunies où il expose la politique menée par son gouvernement depuis mai 1940, il passe sous silence la rencontre du roi avec Hitler ainsi que le testament politique de celui-ci dont il est le seul avec Spaak a connaître le contenu explosif. La question du roi ne doit pas être posée au monde politique et encore moins à l’opinion publique, la nomination rapide d’un régent devant empêcher la survenance d’un débat partisan
50. Comme le souhaitera Spaak, lors du Conseil des Ministres du 14 septembre 1944, il faut procéder rapidement à l’élection d’un régent « pour ne pas donner au pays l’impression que l’on tergiverse.» 51 Une candidature de la reine Elisabeth n’étant pas jugée opportune ou pertinente, le gouvernement soutint la candidature du prince Charles, frère du roi, qui eut la bonne idée de se soustraire aux autorités allemandes lors des derniers mois de l’occupation. Penchons-nous quelques instants sur les Chambres réunies qui vont procéder à l’élection du régent le 20 septembre 1944. Celles-ci ont été élues en 1939, dans l’intervalle de nombreux parlementaires sont décédés de manière « naturelles » ou du fait de l’occupant ou de la guerre. D’autres sont toujours prisonniers de guerre sur le territoire du Reich comme Jean Rey, déportés ou en camp de concentration comme Joseph Merlot ou Julien Lahaut, en fuite en raison de leurs activités sous l’occupation comme Léon Degrelle ou Hendrik De Man, ce qui n’empêcha pas quelques parlementaires du VNV et de Rex de venir siéger ce jour-là comme si de rien n’était Malgré la prestation de serment de parlementaires suppléants, seuls 270 parlementaires sur 378 vont prendre part à l’élection du régent. Au premier tour, tous les parlementaires communistes et la quasi-totalité des parlementaires du PSB, lointain souvenir du républicanisme de la Charte de Quaregnon 52, votent blanc soit 100 suffrages, un suffrage est nul, le prince Charles obtenant 169 suffrages, un second tour est donc nécessaire. Au cours de celui-ci, un certain nombre de parlementaires PSB vont apporter leurs suffrages au prince Charles mais certains émirent à nouveau un vote blanc tels Max Buset, Raoul Defuisseaux, fils d’Alfred le fondateur du PSR en 1887, Isabelle Blume, Arthur Gailly, beaucoup de ces votes blancs furent émis par des élus wallons anciens « londoniens » ou opposants à la politique de neutralité décidée en 1936. Au total, le prince Charles obtint 217 suffrages contre 45 blancs et 2 suffrages à Louis De Brouckère, socialiste bruxellois et ancien dirigeant de l’Internationale Ouvrière, pour qui votèrent malicieusement les jumeaux Van Belle, François et Charles, respectivement député et sénateur de Liège.
François et Charles Van Belle, député et sénateur

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Pourquoi la Wallonie va-t-elle rejeter Léopold III ?

Pourquoi l'opposition au retour du roi fut-elle si forte en Wallonie et ce dès 1945 ? Nous allons essayer de déterminer ce que l'opinion publique wallonne pouvait reprocher au roi et pourquoi ce fut principalement son opposition, mais pas elle uniquement, qui empêcha le retour du roi en 1945 et provoqua son abdication en 1950.

Si le gouvernement Pierlot respire après l'élection du régent, celle-ci ne pouvant donner lieu à un débat parlementaire, on peut toutefois déjà relever certaines dissensions de la part d'une fraction du PSB, essentiellement parmi ses élus wallons. Il faut probablement y voir les signes avant-coureur du refus par une partie importante de l'opinion publique wallonne et de ses élus de la «restauration» belge qui se met progressivement en place dès la libération53. Très vite, l'attitude des gouvernements Pierlot puis Van Acker va être perçue par beaucoup de Wallons comme une volonté de tourner la page de l'avant-guerre et de la guerre elle même. Un incident illustre cet état d'esprit, lorsque Pierlot élargit le 26 septembre son gouvernement aux communistes et à la Résistance, celui-ci compte 18 ministres dont 5 flamands, 13 francophones mais seulement 5 wallons (un seul étant issu du PSB). Lors du débat d'investiture, de nombreux parlementaires wallons et non des moindres sont outrés, Achille Delattre, député du Borinage mais surtout Président du PSB, déclare le 3 octobre à la Chambre «La question flamande est ancienne mais on peut considérer que le problème est résolu. Il surgit maintenant un problème wallon et je peux assurer les flamands de cette chambre que si on ne tient pas compte des desiderata des Wallons, ceux-ci n'auront pas moins de griffes que les Flamands pour se faire rendre justice.»54 Propos bien menaçants dans la bouche d'un homme politique qui tout au long de sa vie politique fut plutôt distant vis à vis du mouvement wallon55... Le lendemain au Sénat, le bourgmestre PSB de Liège, Joseph Bologne est encore plus menaçant: «Seul Bruxelles a incarné la résistance? Et cette Wallonie qui - nous en sommes fiers - a joué un rôle glorieux au cours de l'occupation (...), vous nous avez méconnus, vous en subirez les conséquences!»56 Son collègue libéral liégeois Auguste Buisseret appuie et soutient les propos de Bologne. On pourrait considérer ces quelques escarmouches rhétoriques comme négligeables mais elles sont révélatrices de bien des événements à venir.

tract syndical clandestin daté de 1941 et destiné aux travailleurs de Cockerill
R
efus de la restauration belge

Le refus wallon de restaurer la Belgique d'avant-guerre va progressivement s'incarner de manière symbolique dans le refus du retour du roi, le cours de la guerre rendant de plus en plus proche cette possibilité. Pour comprendre l'état d'esprit de la population wallonne au cours des premiers mois de 1945 où eurent lieu les premières manifestations anti-léopoldistes, il faut ici remonter quelques années en arrière. Même s'il n'y a pas vraiment d'équivalent aux travaux de l'historien français Pierre Laborie sur l'état de l'opinion publique française sous Vichy, on peut tenter de discerner l'opinion publique belge sous l'occupation. En premier lieu, dès l'été 1940, on ne peut plus parler d'une opinion publique unanime derrière le roi, même s'il s'agit du fait de minorité, il se manifeste déjà des réticences vis-vis du mot d'ordre royal de retour à la normale ou d'accommodement de l'occupation allemande.

Ainsi le manifeste du 28 juin 1940 où De Man, se plaçant sous le patronage royal, considérait comme terminé le rôle politique du POB et annonçait la création de ce qui sera fin 1940 l'UTMI, fut rejeté par de nombreux cadres et militants socialistes. Dans les archives de De Man se trouve une très intéressante lettre rédigée par Jules Roland en date du 9 juillet 1940. Roland qui participera ensuite aux débuts de la nouvelle C.G.T.B et de l'UTMI, est alors sénateur provincial, échevin de La Louvière et surtout secrétaire de l'importante régionale du Centre de la C.G.T.B.. Il y évoque les réactions au sein de la famille socialiste suite à ce manifeste. Une majorité considère « qu'il faut choisir la politique du moindre mal qui est celle préconisée » par le manifeste. D'autres expriment des réserves sur certains passages du manifeste notamment ceux sur le rôle du POB et la victoire définitive de l'Allemagne, « quelques camarades nous disent attention que de Man ne nous embarque dans un nouveau Plan du travail qu'il s'empressera d'abandonner à la première occasion ». Enfin, c'est nous soulignons, « d'autres nous font remarquer que l'auteur du manifeste est Flamand imprégné de culture germanique et qu'il atteint le but qu'il recherche depuis longtemps : la sujétion de la Wallonie ». Au cours de ce même été 1940 se crée Wallonie Libre, parmi ses fondateurs on retrouve de nombreux opposants à la politique «royale» de neutralité inaugurée en 1936. Tout au long de l'occupation, Wallonie Libre se déchaîna violemment contre Léopold III, «le prisonnier volontaire de l'Oflag de Laeken, Belgïe» en même temps que contre la Flandre, la Belgique unitaire, le roi incarnant et symbolisant l'outil de ces deux dernières. Léopold III était en quelque sorte le parfait négatif du chef de la France Libre et l'obstacle à renverser dans la quête de l'autonomie wallonne.57 Au cours de la guerre, d'autres feuilles clandestines vont apparaître dans la mouvance wallonne. Dès 1941, l'édition liégeoise de Wallonie Libre (Sambre et Meuse puis Wallonie Libre, édition de l'est), bien que moins vindicative vis- à-vis de la Flandre, va être tout aussi opposée au retour du roi58. Evoquons aussi le républicanisme francophile du Rassemblement Démocratique et Socialiste Wallon qui, fut en 1942-1943, une tentative originale de création d'un parti wallon regroupant des socialistes, des libéraux et des militants wallons.59 La Wallonie Indépendante, feuille clandestine apparue en 1943 de la gauche et des communistes wallons du mouvement de résistance Front de l'Indépendance, envisage à plusieurs reprises l'idée d'une République fédérale belge pour l'après-guerre.60 On peut donc considérer que dès fin 1940, le prestige du roi commence à s'user61, une frange importante du mouvement wallon par francophilie, républicanisme ou autonomisme, fédéralisme souhaite l'élimination de Léopold III du jeu politique d'après-guerre. On peut tirer la même conclusion concernant le monde ouvrier mais aussi pour une partie du monde catholique wallon62. L'année 1941 constitue un tournant décisif.

Les différences Wallonie/Flandre

En premier lieu, de l'été 1940 à mars 1941, 106.000 prisonniers de guerre flamands rentrent en Belgique, 65.000 wallons restent prisonniers, ce qui va constituer un traumatisme durable dans toutes les couches de la population wallonne. Ensuite, la presse clandestine, petit à petit, prend connaissance et informe le public des projets de régime «autoritaire» qui semblent fleurir sous l'encouragement (réel ou supposé) du roi63. Enfin, il y a aussi le second mariage du roi.

Il nous semble que cet événement agit plus comme révélateur ou cristallisateur que comme détonateur de l'hostilité grandissante de l'opinion publique wallonne à la personne du roi. Si d'une part, cet événement fut l'un des arguments des anti-léopoldistes en 1950, si d'autre part le mariage, en tant qu'institution bourgeoise, a éloigné du roi un certain nombre de membres de la middle-class, son impact fut-il si déterminant dans la classe ouvrière64? Libois et Gotovitch citent un socialiste hennuyer «unitariste» qui, dans une note envoyée à Londres, parle de l'émotion suscitée par ce mariage dans toute les classes sociales et conclut en écrivant que l'opinion ouvrière wallonne ne sait plus pourquoi elle est anti-léopoldienne, «mais une chose est certaine, dans sa très forte majorité elle l'est»65. En sens inverse, le témoignage d'Achille Delattre, bien que rédigé en 1957, n'est pas à négliger. Vice-Président du POB dissous et dirigeant de la Centrale de Mineurs, resté au pays en 1940 et actif dans le PSB clandestin, puis à la libération premier Président du PSB, Delattre raconte qu'en mars 1950, le secrétaire du roi Capelle, lui demanda ce qu'il pensait du remariage du roi: «Nous fumes d'accord pour lui déclarer que la population ouvrière ne formulait pas de critiques bien sévères à ce sujet mais qu'elle reprochait au roi, de n'avoir pas suivi ses Ministres. Semblable opinion avait été formulée par d'autres milieux populaires mais il semblait bien que, dans l'entourage du roi, le proverbe latin " vox populi, vox dei " n'était pas en grande faveur.»66 Il nous semble donc qu'en 1945, le remariage du roi ne fut qu'un des éléments mais pas l'élément fondamental de l'opposition au roi. Ensuite, au fur et à mesure que les rigueurs et privations causées par la guerre s'accentuent, l'idée du roi «bouclier» de son peuple perd de son lustre, beaucoup «se demandent si le roi fait réellement quelque chose pour adoucir le sort de la population et pourquoi il ne s'insurge pas contre les mesures de l'occupant»67. Parmi celles-ci, l'instauration du STO au cours de l'hiver 1942 pour tous les belges âgés de plus de 18 ans.

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Enfin dernier élément, mais élément capital dans le rejet grandissant de Léopold III, la montée en puissance de la résistance. Les derniers mois de l'occupation virent se dérouler une véritable guerre civile entre les divers mouvements de résistance et la mouvance collaboratrice, les collabos de tout genre devenant une cible privilégiée plutôt que les troupes allemandes qui recourent à l'arrestation, voire à l'exécution d'otages civils, en guise de représailles. Dans le bassin industriel wallon, mais aussi dans le bassin minier limbourgeois, un véritable cycle action-répression s'engage entre résistants et collaborateurs ou ceux qui sont appréhendés comme tels. On règle aussi des comptes de l'avant-guerre. En février 1944, des rexistes éliminent François Bovesse, quelques semaines plus tard des résistants communistes éliminent Walter Dauge, Bourgmestre de Flénu, ancien promoteur dans le Borinage, durant les années 30, d'un parti d'obédience trotskiste, etc.

L'épisode le plus connu, mais il n'est pas le seul, est le drame de Courcelles en août 1944, l'état-major rexiste descendu de Bruxelles, exécute 18 civils en représailles à l'assassinat du bourgmestre rexiste du Grand Charleroi. On a du mal à imaginer la radicalisation, voire la «brutalisation»68 des esprits qui s'installa chez beaucoup dans le courant de la guerre. La lecture du seul numéro de La Wallonie Indépendante publié après la libération est rempli de passages édifiant où l'on rappelle que untel ou untel, collaborateur notoire, est toujours libre, si la justice ne s'en occupe pas rapidement, le FI lui s'en occupera… Cette radicalisation s'accentuera encore suite au traumatisme que constituera le retour (mais aussi le non-retour) progressif des prisonniers politiques et des déportés. Alors de manière évidente pour beaucoup, les silences royaux vont être perçus comme indiquant que le roi, voire l'institution monarchique elle-même, ne se range pas dans le camp de la résistance, par son abstention même, le Chef de l'État s'est rangé dans celui de la collaboration.

À partir de 1942-1943, moment où Goebbels promet une guerre totale, il n'y a plus de place pour l'attentisme, le neutralisme ou l'accommodement, cela Léopold III, piètre politique et homme aussi désuet que les hobereaux prussiens le furent face au pouvoir nazi , il ne l'a pas compris. Rapportons ici l'opinion émise par Jean Stengers. En ouverture de son ouvrage sur les deux politiques belges de 1940, il évoque le congrès du PSB de juin 1945, lorsque fut soumis aux 500 congressistes une résolution demandant l'abdication de Léopold III, ceux-ci se levèrent d'un seul homme. «Quel est le sentiment qui anime au fond du cœur les congressistes socialistes, de quoi se libèrent-ils en lançant le cri par lequel ils exigent l'abdication? Ils n'ont pas sur les initiatives du roi pendant la guerre des informations bien précises . (…) L'essentiel, pour eux, est qu'ils ne veulent plus d'un roi qui, ils en ont la conviction, n'a pas eu à l'égard des Allemands les mêmes réactions que son peuple, qui n'a pas voulu ou su lutter de la même manière.»69 Ce sentiment est d'autant plus vif en Wallonie (et aussi à Bruxelles), que la collaboration y fut d'une nature plus idéologique qu'en Flandre, mais surtout parce qu'en sont issus les 2/3 des personnes exécutées ou mortes en déportation, 60 % des prisonniers politiques, 82 % des résistants pour la presse, où eurent lieu 80% des sabotages commis entre janvier 1943 et septembre 1944.70

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Le fait que l'opinion publique ne connaissait pas encore ni les détails de la rupture de Wijnendaele, ni l'entrevue de Berchtesgaden avec Hitler, ni les signaux émis durant l'occupation par le cabinet du roi vers la nébuleuse collaboratrice, ni le testament politique du roi de janvier 1944 n'empêcha donc pas une grande partie de celle-ci de conclure, déjà sous l'occupation, que le roi avait eu une attitude différente de la sienne. Philippe Destatte l'écrit clairement: les événements de l'après-guerre en Wallonie sont inscrits dans l'avant-guerre et dans la guerre elle-même, aucune page ne peut être tournée en 1945 car le passé est trop lourd.71 Bien sûr, il importe aussi de rappeler que même en Wallonie, une part non négligeable de la résistance, sera favorable au retour du roi ou s'opposera à son effacement. Nous laisserons le dernier mot à Sambre et Meuse pour quelques lignes écrites lors de l'occupation «La Wallonie ne veut plus rien avoir de commun avec l'homme qui, le 28 mai 1940, a par calcul ou par faiblesse, abandonné la direction de l'Etat pour s'en remettre sans conditions au bon plaisir de l'ennemi, qui a refusé de suivre son gouvernement sur la route amère de l'exil, pour regagner son château, qui n'a pas voulu de la victoire alliée ou qui en a désespéré. Léopold III se survit à lui-même. Pour les coeurs wallons, il est mort le jour où il a déserté son poste.»72

Quand les services secrets états-uniens évaluaient la "question monarchique"

L'opposition grandissante d’une grande partie de l’opinion publique en Belgique occupée à l’égard du roi est confirmée par une source un peu inattendue, à savoir par les services secrets états-uniens… Ces documents rendus public seulement fin 2013 ont circulé au plus haut niveau, le chef de l’OSS73, le général William Donavan, les ayant transmis fin 1943, sans en informer le gouvernement belge, au secrétaire d’État Cordell Hull. Les circonstances en sont un peu rocambolesques, un belge proche du gouvernement en exil transmet « discrètement » le 21 septembre 1943 à un agent de l’OSS à Londres une note du gouvernement belge sur diverses personnalités de l’entourage royal74. Sur base de cette « fuite » transmise dès le 24 septembre à Washington, le service « recherche et analyse » de l’OSS y ajoute diverses informations complémentaires et publie le 29 octobre 1943 son mémorandum N°146775. Ce document analyse l’influence de cet entourage par rapport à la position du roi dans la structure politique belge d’après-guerre. Il rappelle la main royale dans la politique belge d’avant-guerre, en particulier son très fort sentiment anti-français ainsi que son intérêt pour la question flamande. La position du roi dans la reconstruction de la Belgique d’après-guerre revêt donc une « importance primordiale » et ce d’autant plus qu’en cas d’invasion de la Belgique par les alliés, il sera indispensable d’obtenir l’appui total de la population belge. Les auteurs posent le constat que le « prestige royal a été mis à mal, en particulier depuis son second mariage » et que les tendances républicaines se renforcent parmi certains groupes auparavant sincèrement royalistes. «La conséquence directe du manque de prestige personnel du roi est que la majeure partie de la population, originellement royaliste, hésite désormais dans son attitude à l'égard de la monarchie.» Cette « question monarchique » complique la situation d’une Belgique déjà divisée sur de nombreux sujets de politique intérieure. Pour illustrer cette situation, un petit schéma montre cette question coupant au travers de la question linguistique et des positionnements particratiques. Toute intervention alliée, si elle est nécessaire, dans cette question devra donc être « adroitement dissimulée ». Celle-ci pourrait être résolue, par exemple, si le roi retrouvait son prestige perdu en participant à la tête d’une armée belge libre à la libération du pays. Dans un supplément N°1467.2 daté du 7 décembre 1943, le service complète son analyse d’une manière dévastatrice pour le roi à l’image de ce résumé : « La popularité du roi ne cesse de décliner, l'abdication pourrait devenir une nécessité après-guerre. » « Des informations reçues ces derniers jours ont jeté une nouvelle lumière sur la position actuelle du roi Léopold ainsi que sur l'ensemble du problème monarchique en Belgique. L'étude des derniers rapports indique clairement que la popularité et le prestige du roi ne cessent de décliner. Les progrès des opérations militaires alliées et la possibilité d'une libération rapide du pays occupé, est étroitement lié au changement du sentiment populaire. (…) Au cours des premiers mois de l'occupation, Léopold fut ainsi le point de ralliement de la nation. L'intensification des mesures d'occupation allemandes, ainsi que les opérations militaires alliées de plus en plus nombreuses, finirent par influencer l'opinion du peuple. Les mouvements de résistance commencèrent leurs activités et aidèrent le peuple à se faire une idée plus claire de la position défavorable de son roi prisonnier. C'est à ce moment crucial, lorsque le peuple a commencé à examiner consciemment l'ensemble de la situation interne, que l'annonce du second mariage du roi Léopold a été faite et a, sans aucun doute, grandement affecté sa position. En outre, l'apparente indifférence du roi à l'égard du sort des milliers de travailleurs déportés exaspère les classes populaires, qui comptaient jusqu'alors parmi ses plus fervents admirateurs. La faible protestation tardive de Léopold ne modifie pas l'impression laissée par son attitude passive antérieure. Dans le même temps, les cercles politiques expriment leur inquiétude quant à l'influence exercée par un certain nombre de proches conseillers du roi, dont les idéaux et les ambitions politiques sont, à juste titre, considérés comme extrêmement dangereux pour une monarchie démocratique et constitutionnelle.(…) Cette conjonction d'événements a eu une telle influence sur le peuple que celui-ci a commencé à douter que Léopold puisse, après la guerre, jouir de la pleine confiance de la nation de manière à pouvoir reprendre les fonctions d'un monarque constitutionnel. Il est même permis de douter de l'efficacité de toute action entreprise aujourd'hui pour tenter de rehausser son prestige et sa popularité. » Etant donné « qu’il est possible que les Belges insistent sur l'abdication du roi », le document examine ensuite les implications de cette situation et conclut qu’il est douteux qu’il existe actuellement une personne ayant les compétences et la popularité requises pour exercer les fonctions de régent, Charles le frère du roi étant jugé "inapte" (unfit). Le mémorandum se conclut en soulignant que « le gouvernement en exil est d'accord avec la population de la Belgique occupée pour dire que le maintien de la monarchie constitutionnelle est essentiel au bien-être du pays. Le sentiment républicain, présent dans certains milieux wallons, ne séduisant pas l'ensemble de la population. »

Le non-retour en mai-juin 1945

C'est dans ce contexte, lourd de menaces, que les partis politiques vont devoir se prononcer sur le retour du roi. Il ne semble pas qu'il y eut de réelles différence entre l'option du gouvernement de Londres, c'est à dire le retour du roi sur le trône moyennant les conditions préalables reprises dans la lettre de novembre 1943 et les partis politiques clandestins même si, au sein du PSB, certains étaient déjà vivement opposés au retour du roi. On peut citer ici Le Monde du Travail, feuille clandestine de la fédération provinciale liégeoise du PSB. En novembre 1943, celle-ci exprime le sentiment du parti «qui tout en restant, en principe, fidèle au régime républicain veut en ce qui concerne le roi prendre une position claire et honnête. Pour les actes passés: examen approfondi et contradictoire, pour les actes futurs: attente vigilante tout en affirmant qu'il postule au minimum le retour au pur régime constitutionnelle»76. Peu avant la libération, le PSB demande à ses élus locaux de ne pas faire allusion au roi, l'attitude de celui-ci au cours de la guerre étant, bel euphémisme, «diversement appréciée parmi la population». Tout au long des premiers mois de 1945, poussé par sa base et craignant d'être débordé sur sa gauche par le PCB, les dirigeants du PSB vont «subir plutôt qu'infléchir les événements»77.

Il faut d'abord mettre en évidence que le gouvernement, même après le désarmement de la résistance fin 1944, n'a guère les moyens de maintenir l'ordre public. Le 6 janvier 1945, le ministre de l’intérieur, la catholique Edmond Ronse écrit d’ailleurs au premier ministre Pierlot que, même si la gendarmerie était bien en cours de réarmement, « je crois devoir attirer votre attention toute spéciale sur le fait que les polices communales, dans l’ensemble du pays sont insuffisamment armées nonobstant tous les efforts entrepris à ce jour pour leur assurer une dotation de pistolets et de mitraillettes en rapport avec leurs effectifs, cette conséquence qu’elles ne sont pas en mesure de s’acquitter convenablement des taches qui leur incombent. Alors que l’effectif global de toutes les polices communales peut être évalué à douze mille hommes, elles n’ont à ce jour (obtenu) que 1000 fusils, 1400 mitraillettes et environ 3000 revolvers78".

Les puissances alliées sont, elles-aussi, conscientes du caractère délicat d'un retour du roi en Belgique. Dès le 26 mars 1945, les ambassadeurs britanniques (Hughe Knachtbull) et états-uniens (Charles Sawyer) et le général anglais George Erskine, chef de la mission belge du commandement suprême des forces alliées en Europe, se réunissent à Bruxelles pour évoquer " la possibilité d'une libération anticipée du roi Léopold et les problèmes qui en découlent (..) Il a été convenu que les problèmes posés et la procédure à adopter méritaient d'être soigneusement examinés par les autorités civiles et militaires. Tous estiment que la venue immédiate du Roi en Belgique précipiterait de graves difficultés. (...) La situation est explosive pour la Belgique et peut-être pour l'Europe"79". Les représentants à Bruxelles des puissances alliées suggèrent qu'une fois libéré, le roi devrait être d'abord transféré vers un pays neutre tel la Suisse où il pourrait notamment y rencontrer le régent et le premier ministre avant de prendre une décision sur le moment et la forme de son retour. Le 30 mars, le secrétaire d'Etat Stettinius répond toutefois que " nous ne sommes pas actuellement en faveur de la solution suisse tant que les membres du gouvernement (belge) n'auront pas vu le roi et qu'un accord n'aura pas été trouvé sur ce point"80. Le 2 avril, les trois mêmes rencontrent Spaak et recommandent au gouvernement belge "d'avoir un plan d'action prêt à être mis en œuvre lorsque le lieu se trouve le roi aura été découvert et que sa personne aura été retrouvée"81. Le lendemain Van Acker et Spaak demandent aux alliés " (1) qu'immédiatement après que les autorités militaires (alliées) aient trouvé le Roi, le gouvernement belge en soit informé ; (2) que le Roi soit prié par les autorités militaires de rester en un lieu qui lui convienne jusqu'à ce qu'une délégation représentant le gouvernement puisse lui rendre visite ; (3) que la délégation qui lui rendra visite se compose du Prince Régent, du Premier Ministre, du Ministre des Affaires Etrangères et du Baron Holvoet (afin de) discuter en détail les arrangements nécessaires en rapport avec le retour du roi"82.

Le 9 avril 1945, le bureau du PSB, présidé par Achille Delattre, se penche sur le sort du roi, unanimement il marque une réelle et vive « hostilité à l'idée d'un retour au pouvoir (du roi) sans autre forme de procès»83, il semble s'orienter vers une formule plus exigeante que le retour sous conditions. Henri Rolin, sénateur de Bruxelles et ancien chef de cabinet de Vandervelde, déclare « nous ne poserons la question de la république que si on nous y oblige». Une même opposition domine au sein des parlementaires socialistes, Arthur Gailly, "londonien" et député de Charleroi et dirigeant métallurgiste, y évoque la République. Finalement le 28 avril, un bureau élargi du PSB décide que le parti prendra toutes les initiatives susceptibles de pousser le roi à abdiquer. Selon Victor Larock, le bureau élargi est unanime même si l'Anversois Jos Van Eynde craint les effets de cette position sur les masses flamandes84. Pour le PSB, le roi n'est plus le symbole de l'union de la nation et le garant de l'unité du pays, cette décision n'est pas rendue publique mais est communiquée à Van Acker, aux présidents de la Chambre et du Sénat et aux chefs de groupe socialistes dans ces assemblées. Le bureau du 2 mai confirme sa décision, entre-temps Le Drapeau Rouge, organe officiel du PCB, a pris fait et cause pour l'abdication. Toutefois à la demande de Van Acker, mis donc sous pression par son propre parti, la publication du communiqué officialisant la position du PSB est retardée de trois jours. Dans une lettre datée du 10 juin, Max Buset, au nom du bureau, informe le bureau exécutif du Labour britannique des raisons de la décision du 2 mai, décision voyant le PSB résolu à tout mettre en œuvre pour forcer le roi à abdiquer. « La personne du roi est extrêmement discutée dans l'ensemble du pays. Les reproches sont de diverses natures. Le bureau du parti (…) n'a voulu retenir que le reproche d'ordre constitutionnel. Mais il doit constater que d'autres griefs extrêmement graves justifient le malaise de la population. Si Léopold III reprenait le pouvoir, des troubles se produiraient dans la plupart des régions. (…) Nous tenons à préciser que le parti socialiste n'a pas posé la question de la dynastie ni du régime monarchique. Nous insistons sur le fait que la population wallonne est en majorité hostile à la reprise du pouvoir et que la question délicate de l'unité belge trouverait dans les troubles un aliment dangereux85 Charles Sawyer, l'ambassadeur des Etats-Unis en Belgique, dans un télégramme envoyé le 2 mai à son ministre de tutelle lui confirme qu'il existe, tant " à l'intérieur qu'à l'extérieur des cercles gouvernementaux, un important courant d'opinion défavorable à Léopold et qui verrait d'un mauvais œil son retour en Belgique." Ce retour lui semble impossible sauf si le roi éloigne immédiatement de son entourage les (deux ?) éléments "fortement pro-nazi" et s'il s'engage à respecter à l'avenir l'esprit et la lettre de la Constitution belge. Il devrait en outre faire une déclaration sans équivoque de sympathie avec la cause des alliés et de rejet de toute forme d'idéologie totalitaire. Sans cela les socialistes, les communistes et les libéraux réclameront son abdication. Il conclut son télégramme par un avertissement à son gouvernement : "Des courants profonds affectent cette question (royale), dont certains sont soupçonnés d'être encouragés par certains éléments français. Les adversaires les plus acharnés du roi sont les Wallons libre-penseur tandis que ses plus ardents partisans sont les Flamands catholiques, y compris le cardinal, et il est concevable que si une formule appropriée n'est pas trouvée, les extrémistes wallons trouveront l'occasion de parler pratiquement de sécession. C'est la possibilité d'un tel événement, qui aurait des répercussions bien au-delà des frontières de la Belgique, qui fait que les Belges sérieux sont si préoccupés par toute la question du roi et de son retour"86.

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La libération du roi le 7 mai 1945 est donc un cadeau empoisonné pour le gouvernement Van Acker. Celui-ci doit en effet affronter un climat social explosif, le monde du travail revendique les augmentations salariales enlevées par les années d'occupation afin d'amortir les effets du plan monétaire Gutt. Face à cette montée du mécontentement populaire, Van Acker a dû suspendre en mars le droit de grève pour une durée de trois mois. En outre, même si le désarmement de la résistance s'est effectué sans trop d'incidents fin 1944, de nombreuses armes et munitions sont encore en circulation. La résistance considérant par ailleurs que l'épuration n'est pas assez radicale. Lors du premier conseil des ministres du 8 mai 1945, le libéral bruxellois Léo Mundeleer, Ministre de la Défense Nationale dresse à ses collègues le tableau suivant: «La situation est grave. On arrête les suspects, on met le feu à des fermes, on démolit des maisons, on affiche des menaces de mort contre les inciviques.» Il propose d'arrêter les suspects et de communiquer à la population par radio que les inciviques seront déchus de leurs droits civils et politiques. Les ministres chargent donc Van Acker de s'adresser à la population et d'en appeler au calme87. Le climat social et politique, en cette fin de guerre sur le continent européen, est donc tendu. Cela semble confirmé par le service des renseignements généraux de la sureté de l'état qui, dans son rapport pour les mois d'avril et mai 194588, considère que : « les évènements dominants de la dernière période sont les grèves et les manifestations dirigées contre les inciviques. L’une et l’autre de ces démonstrations, expression de griefs fondés ou non de la masse populaire, mais en tout cas d’exploitation facile, devaient tenter les partis ayant intérêt à créer de l’agitation dans le pays, d’autant plus qu’elles pouvaient se développer sous le couvert d’organisations syndicales ou patriotiques théoriquement libres de toute attache avec un parti politique.»

Même les ministres PSC sont contre le retour sans conditions...

C'est donc ce navire dans la tourmente qu'est le gouvernement Van Acker qui va tenter de résoudre le soir du 8 mai la question du roi. Il n'existe pas de procès-verbal de cette réunion, les ministres socialistes, communistes et sans doute l'ensemble des libéraux penchent pour l'abdication, ce que rejettent les ministres catholiques. Par contre, le gouvernement aurait unanimement partagé l'opinion du Premier Ministre pour qui la très mauvaise solution était le retour sans conditions du roi. Van Acker voulant garder à bord les ministres catholiques et la frange de l'opinion qu'ils représentent, un consensus tacite se serait dégagé sur le retour du roi s'il répondait à des conditions proches de celles de novembre 1943, solution déjà évoquée dans le télégramme de Sawyer du 2 mai, le tout prenant la forme d'un discours du trône devant les chambres réunies, les parlementaires étant placés devant le fait accompli89. Une délégation comprenant les quatre composantes de la coalition gouvernementale se rend le lendemain auprès du roi pour lui expliquer le scénario possible de son retour. Le 10 mai , Van Acker explique alors au roi les risques «de troubles» dans le cas de son retour inconditionnel : opposition de la Wallonie, risque de grèves, rejet par une partie de la résistance notamment du FI90… Spaak et Van Acker suggèrent au roi de prendre le temps de la réflexion, d'élargir ses consultations, pourtant les deux ministres socialistes étaient conscients que le temps jouait contre Léopold: faut-il y voir une manœuvre habile condamnant tout retour du roi ? En tout cas, les diverses entrevues de ces journées capitales sont tellement intenses que Léopold a probablement un malaise (cardiaque) et se retrouve dans l'incapacité physique (et mentale ?) de voyager. Le 12 mai il envoie cette brève et guère chaleureuse lettre au régent : " A la suite de la captivité que j'ai subie, mon état de santé ne me permet pas de rentrer immédiatement en Belgique (...) Je te prie de bien vouloir, jusqu'à mon rétablissement, continuer la mission que tu as assumée dans l'intérêt de la nation. Ton frère affectionné, Léopold " L'ambassadeur Sawyer, après la longue audience que lui a accordé le régent, rapporte le 15 mai à Washington que Léopold ne s'attendait pas à ce que les ministres (et le régent ?) lui disent clairement qu'il ne serait pas accueilli avec enthousiasme par toute la population belge. Pour Sawyer, " il ne fait aucun doute que, peu importe le retour du Roi, celui-ci posera des problèmes qui pourraient être aggravés par des paroles ou des actions imprudentes du roi et que, s'il ne revenait pas et que Charles restait Régent, le pays pousserait un soupir de soulagement et l'agitation qui a pris des proportions sérieuses s'apaiserait immédiatement"91.

Les membres du gouvernement de retour à Bruxelles le 13 mai 1945 après une rencontre avec Léopold III à Salzbourg.

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Le roi ne rentrant pas, le 15 mai, le comité national du FI se prononce pour l'abdication, le 18 mai le bureau national de la toute nouvelle FGTB fait de même92. La mobilisation populaire d'une majorité de la Wallonie, mais aussi d'importantes sections de Bruxelles et de la Flandre, contre Léopold est acquise. Charles Sawyer, dans un télégramme envoyé le même jour à Washington fait preuve d'une grande clairvoyance : "La période de calme qui s'est installée dans le pays concernant le retour du roi est une accalmie avant la tempête. Dès le retour du roi, la Belgique sera confrontée à la plus grande crise de son histoire. L'opinion est fortement divisée selon trois positions très précises : (1) Selon les lignes raciales (sic), les Wallons sont massivement contre le Roi ; les Flamands le soutiennent généralement. (2) Sur le plan social, les riches sont tous en faveur du roi ; beaucoup de pauvres sont contre lui. (3) La troisième ligne de départ est évidente. Tous ceux qui éprouvent quelque scrupule à l'égard de leurs activités pendant la guerre sont impatients de retrouver le roi. D'une certaine manière, il incarne leur problème et leur état d'esprit. Ceux qui étaient fortement patriotes et anti-allemands espèrent qu'il ne reviendra jamais. Ces lignes de clivage sont très profondes. Si le roi revient, une révolution n'est pas du tout improbable et les conséquences sont difficiles à prévoir"93
".

Le ministre de l'intérieur, le libéral Van Glabekke, communique le 26 mai 194594 à Van Acker un second rapport confidentiel, nous n'avons pas trouvé trace du premier rapport daté du 13 mai évoqué dans cette correspondance. Ce document de plus de 20 pages reposant sur des rapports de la gendarmerie, des polices locales, du Haut Commissariat à la Sécurité de l'Etat et des articles de presse dresse l'état de l'opinion par rapport à la question royale. La conclusion du ministre mérite d'être citée intégralement. " L'ensemble des éléments exposés ci-dessus amène tout observateur impartial à conclure objectivement, même en tenant compte de certains articles de presse favorables au roi, qui pourraient avoir échappé à l'analyse, que Notre Souverain, Léopold III, est sérieusement discuté dans le pays. Il trouve assurément de très nombreux partisans dans les milieux catholiques, partisans plus nombreux d'ailleurs dans la partie flamande du pays qu'en Wallonie. Les adversaires du roi groupent dans l'ensemble la presque totalité des éléments de gauche, se recrutent non seulement au sein du parti socialiste, du parti libéral et du parti communiste, mais également dans les milieux de la résistance, dont il est souhaitable de ne pas sous-estimer l'emprise sur l'opinion publique. Ces milieux semblent représenter (mot supprimé : indiscutablement) une majorité de la nation. Il convient en outre de ne pas perdre de vue qu'en Belgique comme ailleurs la guerre doit avoir provoqué un glissement à gauche sur le terrain politique. L'ensemble des documents, rapports et renseignements qui me sont parvenus depuis le retour de Salzbourg de la délégation des membres du gouvernement, m'autorise à émettre l'avis que la trêve demandée par M. le Premier Ministre, n'a pas été respectée comme il eut été souhaitable qu'elle le fut. (partie de phrase supprimée : et qu'elle n'a pas empêché le conflit sur la question royale, sinon de d'étendre en surface, du moins de se développer en profondeur) Par ailleurs, je crois pouvoir affirmer que, dans l'état actuel de la question, ni le principe dynastique, ni le principe monarchique n'est mis en cause, s'il n'est pas tenu compte de quelques attaques communistes isolées, du reste insignifiantes et dépourvues de toute portée politique réelle."

Le rapport déjà cité (voir supra) du service des renseignements généraux de la sureté de l'état pour les mois d'avril et mai 1945 aboutit presque à la même conclusion : " une grande partie de l'activité politique au courant du mois de mai a porté sur la question du retour du roi. La consigne du silence qui avait été observée dans ce domaine depuis la libération a été rompue et une campagne ouverte s'est déclenchée. (…) Les réactions de la population ont été a peu près identique dans toute la partie flamande du pays; d'une façon générale, on peut dire que les régions flamandes ont gardé leur attachement à la royauté et à la personne de Léopold III. (…) Dans le pays wallon, la population, assez indifférente au début, a évolué en général en faveur du courant d'opinion préconisant l'abdication. Dans de nombreux centres, cependant, il est difficile de savoir avec exactitude quel est le courant qui l'emporte. La classe ouvrière notamment, semble ne pas se préoccuper du problème royal. il en est beaucoup plus question dans les milieux intellectuels, commerçants, dans le milieu du clergé et l'on peut dire que dans ces derniers milieux, l'opinion est souvent partagée."

Enfin, et la date n'est probablement pas anodine, le 3 juin, le Haut Commissariat à la Sécurité de l'Etat communique à Van Acker95 que le 29 avril 1945 lors d'un meeting "wallingant" rassemblant 500 à 700 participants à Liège où était présent Emile Jennissen, Fernand Schreurs et François Simon, la Brabançonne est sifflée et interrompue au profit de la Marseillaise. Un autre document à la suite du premier mais non daté et traduit (de l'anglais ?) rapporte, selon une source confidentielle, que "la politique annexionniste de plus en plus intense qui est menée dans la partie d'expression français de la Belgique, serait financée selon toute vraisemblance par un certain Vlimant, attaché à l'ambassade de France à Bruxelles. Cette personne jouit de l'immunité diplomatique". Vlimant, par ailleurs représentant du Trust aluminium français, "passerait" dans sa voiture d'importantes sommes d'argent. Parmi les bénéficiaires le quotidien Le Gaulois dirigé par François Simon, une tentative de financement de 2 millions de francs du quotidien bruxellois La Lanterne aurait, quant à elle, échoué. Vlimant serait aussi en contact "avec des membres de l'un des états-majors de l'armée belge".

Un embryon de guerre civile

Début juin 1945, Van Acker voit à nouveau le roi qui semble rétabli, il l'avertit du risque de pourrissement de la situation, l'opposition mais aussi le soutien au roi se radicalisant. Le brugeois peut notamment s'appuyer sur le rapport général en date du 8 juin 194596 et portant sur la semaine précédente du Contrôle des Communications (en clair le contrôle postal) qui résume ainsi le moral de la population belge : " l'optimisme, la joie, la confiance et l'espoir qui caractérisaient les mois précédents, s'effacent peu à peu, il suit une courbe nettement régressive. Malaise général, déception et dégout grandissant (…) La situation intérieure très tendue du pays est l'une des raisons de ce moral en berne, certains craignent même une guerre civile."

Le 14 juin, le roi l'informe de sa volonté de rentrer en Belgique le 18 juin97 passant outre les conditions posées par le gouvernement98. Van Acker semble décidé à mener à bien ce retour. On peut toutefois s'étonner de le voir, lui le politique habile, sous-estimer ainsi l'opposition de la majorité de ses ministres, de son parti, de la FGTB, du bassin industriel wallon, des milieux résistants99 ? Ainsi, à peine arrivé en Autriche, il reçoit de son chef de cabinet, le louvièrois Roger Roch, un télégramme urgent : " Jeudi après-midi, manifestation imposante à Bruxelles syndicat général unifié des services publics groupent 120000 membres dont cheminots stop meeting cirque royal stop discours du président menace grève générale services publics en cas retour au pouvoir certaine personnalité contestée stop vu insuffisance moyens de transports routiers ravitaillement population compromis en cas de grève stop suivant renseignements parvenus ce matin Cabinet même état d'esprit chez ouvriers mineurs et métallurgistes stop100"

S'agit-il ou pas d'une manœuvre de la part de Van Acker? Ce n'est très probablement pas le cas et il est sans doute intéressant de citer à nouveau l'ambassadeur Sawyer que Van Acker a rencontré longuement le 15 juin au soir immédiatement après son retour d'Autriche. Le Premier Ministre lui rapporte que le roi lui " déclara qu'il avait pris la décision de revenir. Van Acker n'a pas tenté de l'en dissuader. Il passe brièvement en revue les difficultés qu'il avait déjà abordées lors de sa précédente visite. Le roi est prêt à les affronter. Il a cependant en tête l'idée d'une éventuelle abdication si les difficultés s'avèrent trop importantes pour qu'il puisse gouverner. Van Acker estime que l'influence de l'épouse du roi joue un rôle dans sa décision de revenir. (…) Le roi une fois revenu se rendra en privé au palais royal de Laeken. Il convoquera alors immédiatement le Parlement et s'adressera à lui et, à travers lui, au peuple belge. Pirenne, son ancien tuteur et historien, assiste maintenant le Roi dans la préparation du discours qu'il prononcera. Un avant-projet a été montré à Van Acker. Il a déclaré qu'il s'agissait surtout de généralités. Le roi demandera ensuite à Van Acker de former un gouvernement. Van Acker essaiera mais il n'y parviendra pas car les socialistes, les libéraux et les communistes n'y participeront pas. Le roi demandera alors à quelqu'un d'autre, vraisemblablement un catholique, de former un gouvernement. Si le gouvernement est entièrement catholique, le pays sera en proie à des grèves et à d'autres troubles et ne fonctionnera pas. Les troubles se multiplieront et s'intensifieront. Il apparaîtra alors que le roi n'a pas le soutien du pays pour mener à bien sa politique. Des négociations en coulisses auront lieu en vue d'un règlement financier pour le roi et celui-ci abdiquera en faveur de son fils, le prince Baudouin. Le Parlement se réunira alors immédiatement et nommera à nouveau Charles en tant que régent.(…) Cette prédiction de Van Acker ne se réalisera peut-être pas. Il se peut que le roi gère les choses plus efficacement que ce qui est généralement prédit. C'est ce que nous verrons"101".

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Le 16 juin, le conseil des ministres se réunit deux fois sous la présidence de Van Acker, le gouvernement refuse majoritairement d'assumer la responsabilité politique du retour du roi et surtout des événements qui se produiront inévitablement dans le pays. Van Acker est coincé, il propose alors à ses ministres de soumettre au régent la démission du gouvernement. Fait exceptionnel, les deux ministres libéraux en charge du maintien de l'ordre public, c'est à dire Mundeleer à la Défense et Van Glabekke à l'Intérieur, déclarent alors refuser de garantir celui-ci dans le cadre des affaires courantes. Van Acker ne prend toutefois qu'un risque limité en présentant la démission de son gouvernement, il sait que le roi est toujours "empêché" et qu'il ne peut donc pas constitutionnellement nommer (ou révoquer) de nouveaux ministres, en outre, vu l'état des forces politiques en présence, il n'arrivera pas à former un gouvernement soutenu par une majorité parlementaire. Enfin le régent n'a aucune intention de dissoudre le parlement, y serait-il poussé par son frère que le gouvernement serait unanime, y compris les ministres catholiques, à refuser de contresigner l'Arrêté de dissolution. Le gouvernement signifie donc au roi par un télégramme son refus d'assumer politiquement son retour ainsi que le refus d'assurer les affaires courantes y compris le maintien de l'ordre.

Quels ont été les éléments qui ont poussé les ministres en charge du maintien de l’ordre à faire cette déclaration inouïe lors du conseil des ministres ? Un ministre décide rarement seul et sans prendre en compte, d’une manière ou l’autre, les informations à sa disposition. Déjà dans son rapport confidentiel du 26 mai, Van Glabekke indiquait sa préoccupation concernant l’évolution de l’opinion. Dans un rapport secret en date du 20 juin 1945102, il évalue plus précisément la question du maintien de l’ordre public. Dès le second paragraphe, suite aux longs entretiens qu’il a eu le même jour avec le général commandant la gendarmerie et l’administrateur de la sûreté de l’état, sa conclusion est sans équivoque : « en cas de troubles graves, il serait fort difficile, sinon impossible, de faire face à la situation ». La gendarmerie ne compte qu’environ 8.000 hommes au lieu des 12.000 prévus et est quasi dépourvue de toute logistique, 10 camions pour la province de Brabant, 5 à Liège, 2 à Gand, en résumé « tous mouvements importants et rapides sont exclus. » L’armée, bien que forte de 40.000 hommes, ne compte sur le territoire belge qu’un seul bataillon opérationnel caserné à Laeken. Bien que cela ne soit pas évoqué, on peut supposer que les polices locales ne doivent être guère mieux équipées depuis janvier 1945. En face de ces maigres troupes, le ministre évoque les forces de la résistance. « Adversaires résolus » du roi, le FI et les PA regrouperaient au minimum 25.000 membres « décidés, entraînés et prêts à tout » Ces groupements bénéficient de l’appui de larges couches de la population et parmi les plus actifs on trouve des mineurs et des métallurgistes. En dépit du désarmement de la résistance fin 1944, ils disposeraient toujours « d’importantes quantités de grenades ». Le ministre évoque la découverte d’un certain nombre de dépôts d’armes ainsi que l’existence d’un trafic d’armes à la frontière française pour le compte de ces deux groupements « Si à ces données on ajoute le danger de troubles qui résulteraient inévitablement d’une grève générale, la situation apparaît comme extrêmement grave.» Il estime qu’un dispositif syndical est à pied d’œuvre pour déclencher celle-ci mais cela constitue un élément rassurant car les chefs syndicalistes ont toujours la situation en main. Evidemment, nous ne pouvons pas exclure que ce rapport ait été rédigé en tant que justification a posteriori des propos du ministre de l’intérieur le 16 juin, mais il n’en demeure pas moins, que tous les membres du gouvernement ne pouvaient ignorer la faiblesse des forces de l’ordre et la probabilité que celles-ci ne puissent pas faire face à un embrassement de la situation politique. Quant aux capacités d’actions de certains groupements de résistance, ce qui est important n’est pas qu’ils soient réellement et effectivement opérationnels mais bien que les autorités les considèrent comme tels et comme représentant une menace potentielle qu’elles ne pouvaient ignorer…

Venons-en maintenant à la position des ministres catholiques lors des conseils du 16 juin 1945, Dans une lettre confidentielle103 adressée à Van Acker le 18 juin, le ministre Charles du Bus de Warnaffe revient en terme très courtois sur l’absence de consensus au sein du Conseil. Rappelons que le fait de voter au sein du conseil des ministres est exceptionnel, c’est bien la prise de décision par consensus qui est la règle. Il regrette que la majorité du conseil n’ait pas retenu leur demande de suppression du passage dans le communiqué du conseil concernant le refus d’assurer le maintien de l’ordre durant les affaires courantes, cela constitue « un appel à des incidents graves par le fait que l’on déclarait d’avance que ceux-ci étaient inévitables ». De même pour l’omission dans le communiqué du fait que la décision en discussion n’avait pas recueilli l’unanimité au sein du conseil « pour la seule considération que la décision de la majorité entraînait forcément celle du gouvernement tout entier. » Face à cette situation, les ministres catholiques n’ont pas eu d’autre choix que de rendre public, « avec toute la discrétion mais aussi avec toute la netteté voulues», leurs divergences de vue par rapport à la majorité du conseil. Du Bus semble dire, entre les lignes, que lui et ses collègues ont rendues publiques uniquement leurs positions sans « dévoiler » pour autant celles de la majorité du cabinet, en outre il y avait bien un consensus au sein du gouvernement en faveur de la démission du cabinet face aux « inévitables divergences » en son sein.

Que s'est-il donc passé au sein du gouvernement pour que Van Acker renonce à son projet initial de retour du roi ? Le 17 juin, il a de nouveau un entretien avec l'ambassadeur Sawyer et il lui confie "qu'il avait changé d'avis depuis qu'il m'avait parlé (le 15 au soir). Il est désormais convaincu que les troubles qui résulteront du retour du roi en Belgique sont si importants que tout doit être fait pour les éviter. Il dit que rien n'est plus important que le bien-être du pays et qu'il est vital que le roi ne revienne pas. Il reconnaît que le roi ne peut pas former un gouvernement (…) et espère que le roi décidera immédiatement de ne pas revenir. Le télégramme envoyé (la veille) a été approuvé par tous les ministres, le seul absent étant Kronacker qui se trouve aux États-Unis"104. Dans le rapport de cet entretien envoyé à Washington, Sawyer ajoute en conclusion que " des rumeurs circulent que les dirigeants des syndicats libéraux, socialistes et communistes se soient mis d'accord pour appeler à une grève générale en cas de retour du roi".

L'ambassadeur Sawyer est bien informé, le même jour le bureau national de la FGTB s'est en effet réuni en urgence. La veille au matin, le Secrétariat national a appris "qu'en raison du retour imminent du roi, la situation du pays pouvait devenir grave". Major est informé de la démission du gouvernement ainsi que de son refus d'assurer les affaires courantes. Les secrétaires nationaux Finet, Dejace et Major participent à la réunion du Comité de Vigilance, organe de liaison des "anti-léopoldistes", où il est décidé de manière unanime de lancer un appel à la classe ouvrière toute entière. "Le retour du roi est incontestablement une tentative d'établissement du pouvoir personnel du roi. Un manifeste a été publié par le Comité de Vigilance, que les délégués de la FGTB ont signé, mettant la classe ouvrière en alerte et lui demandant de répondre aux mots d'ordre que lui donneront les organisations." Le Secrétaire général de la FGTB, le socialiste liégeois Joseph Bondas constate que "le roi revient et veut courir sa chance. Les partis politiques ont pris position. Quelle attitude devons-nous adopter ? On a parlé de grève, est-ce une grève qui doit durer jusqu'à ce que le roi se retire ou est-ce simplement une démonstration ? Si c'est cela, il ne faut pas recourir à la grève maintenant, maie organiser, dès demain, des manifestations dans tous les centres." Cette position pourrait être revue au fur et à mesure des événements. Le vice-président (communiste) de la CGSP Roger Lefevre confirme la décision de sa centrale de déclencher la grève générale en cas de retour du roi, " il faudrait attaquer les premiers. Plus le mouvement sera déclenché rapidement, plus il aura des chances de réussir (...) les travailleurs des services publics auront un très grand rôle à jouer, notamment les cheminots." Le secrétaire national Louis Major est partisan de la grève illimitée et ne croit pas que le syndicat puisse retenir l'idée d'une grève de 24 heures, "iI est prêt à marcher à fond, mais on ne peut pas aller trop vite" notamment en déclenchant la grève avant le retour du roi en Belgique ou de l'acceptation par le régent de la démission du gouvernement. Le secrétaire national Théo Dejace considère que la fédération doit adopter la position de la CGSP. André Renard qui représente les métallos liégeois souhaite connaître l'opinion dans les différentes régions du pays. "Il voudrait que l'on fixe les mobiles de la grève, et désire savoir si on veut se limiter à une grève "anti-léopoldienne", où si on veut élargir l'objectif de la grève." Il ne pense pas que la FGTB puisse faire la grève uniquement sur la question du roi, "mais si on lui donne le caractère social, qu'elle doit avoir, en la circonstance, nous serons suivis, sinon, on risque la confusion." Après discussion, le Bureau national est unanimement d'accord pour déclencher la grève générale avec comme seul objectif : l'abdication du roi mais il sera expliqué dans un manifeste et des circulaires, le sens véritable de cette décision aux affiliés. Le Bureau décide par ailleurs que toutes les industries devront participer à la grève et que seront seuls maintenus en activité "les services nécessaires à une prompte remise en marche des entreprises, en ne tolérant de production sans aucune forme". Les services publics devront cependant continuer leur activité pour ce qui concerne les distributions d'eau, de gaz, et d'électricité pour les besoins ménagers de la population, les services de ravitaillement (boulangeries et laiteries) y compris les services de distribution des produits alimentaires ainsi que les hôpitaux. Pour ce qui concerne les ouvriers du port d'Anvers toujours utilisé par les troupes alliées en Europe, la situation sera examinée sur place. Il ne s'agit donc pas (encore) d'un appel à l'abandon total de l'outil comme cela sera évoqué en juillet 1950 et lors de la grève de l'hiver 1960-61. Le communiqué de presse suivant est ensuite adopté : " Considérant que le retour du roi au trône signifiera une tentative indiscutable d'exercice de pouvoir personnel s'appuyant exclusivement sur les éléments les plus réactionnaires et néo-fascistes du pays; Considérant que le maintien et le fonctionnement d'un régime démocratique est un des premiers objectifs du mouvement syndical; Considérant que l'enjeu de la lutte, dès à présent engagée entre la réaction et le néo-fascisme d'une part, et Ia démocratie, d'autre part, est décisif pour l'avenir du pays et le sort des classes laborieuses; Déclare être prêt à employer tous les moyens jusque et y compris celui de la grève générale pour briser toute tentative avouée ou honteuse de dictature personnelle ou de clique; Fait dès à présent appel à la classe ouvrière pour qu'elle réponde immédiatement aux mots d'ordre qui lui seront transmis par la FGTB.» » Ce communiqué est envoyé aux syndicats chrétiens et libéraux.

Toujours le 17 juin, le roi, par l'intermédiaire de Pirenne et de Frédéricq, charge officiellement et publiquement, même s'il n'en a pas les prérogatives constitutionnelles, le premier ministre démissionnaire Van Acker d'une mission d'information en vue de constituer "soit un gouvernement parlementaire, soit un gouvernement d'affaires105". Dès le 19 juin, ce dernier demande à être déchargé de "cette haute mission". Il met en avant les éléments "nouveaux" suivants: le comité permanent du conseil national du parti libéral s'est prononcé à la quasi unanimité en faveur de " l'effacement" du roi, des parlementaires catholiques avaient pris la décision de maintenir leur participation au gouvernement actuel " au cas où Vous estimeriez devoir revenir sur Votre décision" (à savoir rentrer en Belgique), enfin "des ministres catholiques favorables il y a quelques jours à votre retour, n'ont pas hésité à déclarer que dans l'état actuel des choses l'abdication était la seule solution conforme aux intérêts du pays et de Votre dynastie.106" . Evidemment, on peut s'interroger sur les ministres en question mais il semblerait qu'ils soient revenus à la position du 8 mai à savoir le retour du roi sous conditions. Le régent refusant officiellement la démission du gouvernement, les ministres catholiques étant, pour le moment, toujours à bord, Van Acker est de nouveau en position de force face au roi.

Tous ces événements ont suscité l'inquiétude des puissances alliées qui refusent d'y être directement impliquées, le secrétaire d'Etat ff. prend même la précaution d'avertir le 18 juin les ambassades états-uniennes en France et Belgique que " pour votre information, en ce qui concerne les événements qui suivraient le retour du roi, le Département considère que toute intervention des autorités militaires alliées pour maintenir l'ordre en Belgique ne devrait être entreprise qu'en dernier ressort, lorsque les commandants sont convaincus de sa nécessité, et non pas simplement sur recommandation du gouvernement belge. Il considère cependant qu'il s'agit d'une question essentiellement militaire et ne fait actuellement aucune recommandation au (commandement suprême) en ce sens"107.

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La mise au frigo de la question

Le non-retour immédiat du roi apaise un peu les tensions au sein du gouvernement toujours démissionnaire. Le 23 juin 1945108, Ganshof van der Meersch, le Haut Commissaire à la Sécurité de l'Etat écrit à Van Acker que même si "le calme parait régner dans l'ensemble du pays", la situation varie d'une province à l'autre. Dans les deux Flandres et Anvers " il ne parait pas du tout certain que si la grève générale était proclamée le mot d'ordre de grève serait suivi partout, ni par tous les intéressés" il évoque notamment le personnel des chemins de fer et du téléphone et une partie importante de l'industrie privée. "Dans d'autres provinces, on se rend compte au contraire de ce que, non seulement l'ordre de grève serait suivi à peu près sans exception, par exemple dans la province du Hainaut et dans la province de Liège, mais qu'en certains endroits le moindre incident risquerait de déchainer des conflits extrêmement violents." Ganshof évoque des incidents ayant eu à Mons le 20 juin où l'auditorat militaire a dû être protégé de la foule par les forces de l'ordre lors d'un interrogatoire d'inciviques. Il conclut par ses mots " cet état de choses justifie manifestement l'attention la plus extrême et rend nécessaire des mesures de précaution destinées à faire face à toute éventualité".

Le rapport du service des renseignements généraux de la sureté de l'état pour le mois de juin 1945109 aboutit presque à la même conclusion : " la communication faite à la presse par M. Van Acker, le samedi 16 juin, annonçant la démission du gouvernement en présence du désir exprimé par le roi de rentrer en Belgique, a provoqué de violents remous dans l'opinion publique. () L'opinion générale de la population reste favorable au roi dans le pays flamand, sauf quelques exceptions. Dans le pays wallon, l'opinion est inchangée et est en majorité pour l'abdication."

De nombreux allers et retours auront encore lieu entre la Belgique et l'Autriche mais la situation est durablement bloquée 110. Le 14 juillet 1945, le roi en est réduit à constater qu'il est dans l'incapacité de former un gouvernement qui assumerait la responsabilité politique de son retour en Belgique, il déclare alors " dans une pensée d'apaisement, je renonce à rentrer au pays avant qu'une consultation nationale (des élections ?) ait pu avoir lieu."

Confirmé dans ses fonctions le 15 juillet par cet échec du roi et débarrassé des ministres catholiques qui démissionnent le 17 juillet, Van Acker fera voter par le Parlement la loi du 19 juillet 1945 dite «de cadenas» que même les ministres catholiques approuvent, le roi ne pourra reprendre ses fonctions que si les Chambres réunies décident à la majorité simple que l'impossibilité de régner a pris fin. Le débat parlementaire qui suivra le vote de cette loi est le premier qui est dévolu à la question royale, il indique déjà clairement quels seront les lignes de fracture qui diviseront la Belgique en 1950. Van Acker, après ses hésitations du mois de juin, attaqua le roi avec la brutalité qui le caractérisa parfois. Certes, la Belgique a besoin de la monarchie comme de pain mais Léopold «n'hésite pas à confondre les intérêts supérieurs de la nation avec ceux de sa personne et à aller (…) jusqu'à laisser croire que ceux-ci doivent prévaloir sur ceux-là. (…) Nous n'avons pas le droit de conseiller au roi de rentrer, ce qui aurait jeté le pays dans une guerre civile pour une cause perdue. (…) La Belgique est divisée, la division règne au sein des familles, à l'atelier, dans les mines, dans les groupes de résistances, dans les diverses régions du pays.» le roi n'a donc plus l'autorité morale nécessaire pour régner111. Max Buset, futur président du PSB, parle du roi «d'un parti, d'une faction», il évoque la grève générale et «tous les autres moyens que nous jugerions utiles». Il ajoute «le parti auquel j'appartiens est de tradition républicaine. Mais il a assez de sens politique pour avoir vu depuis longtemps que la population de ce pays est attachée à la Monarchie. Il s'en accommode, pour autant que ce soit une monarchie parlementaire et que le roi se tienne soigneusement au dessus de la mêlée et qu'il ouvre son esprit tout large aux idées d'avenir et de progrès.»112 Julien Lahaut, président du PCB, déclare qu'il n'est pas contre la monarchie ou contre la dynastie mais bien contre Léopold III113. Le député catholique d'Aspremont Lynden condamne les activités antipatriotiques de certains députés wallons, il cite des propos tenus à Charleroi en mars 1945 par un parlementaire lors d'une réunion de Wallonie Libre: «Il faudra bien qu'on reconnaisse aux Wallons, le droit de gérer leurs propres affaires, que ce soit autour de l'idée de fédéralisme, de l'autonomie ou du rattachement à la France.» Son collègue socialiste liégeois François Van Belle l'interrompit en ces termes «Ramenez Léopold et c'est ce qui arrivera !»114.

A l'issue de ce débat, la question royale est mise au frigo pour 5 ans, entretemps les "vieux" clivages de la société belge d'avant-guerre sont confirmés voire renforcés comme en témoigne l'échec de la tentative "travailliste" de l'UDB115, cette question n'en ressortira alors qu'avec plus de violence. Dans les archives d'Achille Van Acker,116 un document non signé et non daté mais sans doute rédigé en mai-juin 1945117 annonce avec un ton juridique les grands clivages et affrontements à venir. Cette note (d'un conseiller de Van Acker ?) mérite d'être citée en intégralité tant elle est intéressante. " I. OFFICIELLEMENT, la situation se présente comme suit : Le roi a été prisonnier de guerre et se serait comporté comme tel jusqu'au moment de sa libération par les Alliés. Dès ce moment, il a retrouvé ses prérogatives constitutionnelles, et veut, en conséquence, constituer un gouvernement. Le roi ne tient pas compte de la campagne qui existe contre lui en Belgique depuis quelques semaines, et se tient sur le terrain juridique qui lui est, en apparence favorable. II. EN REALITE, la situation est la suivante : La campagne contre le roi a été provoquée par les nombreuses erreurs commises par le roi et par son entourage depuis 1940 jusqu'à maintenant. Une mauvaise humeur croissante se développe dans le pays qui, sans connaitre toutefois la situation exacte, se rend compte que le roi est coupable. Si l'entière vérité devait lui être dissimulée plus longtemps, l'équivoque ne ferait que grandir et un revirement d'opinion en faveur du souverain serait dès lors fort possible; certains ambitieux ne manqueraient évidemment pas d'en tirer bientôt profit. Or, la vérité est que le roi s'est rendu pendant la guerre à BERCHTESGADEN où il a eu des conversations avec le Führer. Le roi a ainsi accompli un acte politique important. Il existe des preuves irréfutables de ce voyage et de la portée des entretiens auxquels il a donné lieu et qui pouvaient engager l'avenir de la Belgique. Le roi ne peut prétendre qu'il a la constitution pour lui puisqu'il est le premier à l'avoir violée, mais puisqu'il se tient sur ce terrain, c'est sur celui-ci qu'il faut le combattre. Pour cela, il faut révéler devant le Pays tout entier l'affaire de BERCHTESGADEN, et il sera aisé dès lors de détruire la thèse du roi et de ses partisans. Le Pays a besoin de calme et d'ordre. Le roi, décidé à régner malgré tout, risque de le précipiter dans des troubles sanglants. Il prouve ainsi qu'il met son intérêt personnel et son ambition au dessus de l'intérêt de la Nation. Ses violations de la constitution, ses erreurs et son étroitesse de vue, réclament qu'une abdication intervienne immédiatement. Ajoutons que si même on s'abstient d'apprécier l'attitude du roi pendant 5 ans, la situation de fait dans le pays est telle que son retour engendrerait une situation politique sans issue et provoquerait pour le moins un embryon de guerre civile. CONCLUSION. Pour les motifs exposés ci-dessus, il est de la plus grande urgence de révéler officiellement et publiquement l'entière vérité sur les agissements du roi pendant la guerre, et avant tout sur l'affaire de BERCHTESGADEN. La tension est devenue telle qu'un retard d'un jour peut être hautement préjudiciable."

Des quelques mois écoulés depuis la libération, on retiendra que c'est la personne elle-même du roi qui conduit le pays à la division voire à l'implosion, tous les rapports officiels indiquaient clairement que l'Etat belge n'aurait pas été capable de faire face à des troubles massifs, et que si celle-ci n'eut pas lieu, pour le meilleur et pour le pire, ce fut essentiellement grâce à une poignée d'hommes politiques qui, conscients de cette faiblesse de l'appareil étatique, freinèrent et refroidirent les ardeurs «révolutionnaires» de leur base.

Les autorités alliées finiront littéralement par couper les vivres à Léopold, sa famille et à son entourage en juillet 1945118 afin que tout ce beau monde prennent, enfin, le chemin de la Suisse en octobre 1945 mais pour les deux camps qui viennent de s'affronter, mars et surtout juillet 1950 seront la revanche ou l'aboutissement des évènements du printemps et de l'été 1945119.

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  1. 1. Annales Parlementaires Sénat, Session ordinaire 1944-45, séance du 17-07-45, P 455
  2. 2. Lors de la même séance Van Acker déclara aussi : «Je suis peut-être une exception dans mon parti mais je tiens à déclarer tout haut que ce n'est pas d'aujourd'hui que je suis un monarchiste.», idem P 463
  3. 3. É.Gerard : Léopold III, le gouvernement et la politique intérieure, p. 58 in M.Dumoulin, M. Van den Wijngaert, V. Dujardin (s.d.) Léopold III, Editions Complexe, 2001 Gérard cite assi en note les propos d'Albert I en 1931 qui furent relevés par Marie-Rose Thielemans «Je pense que nous devenons un pays pourri et que le conseil des ministres est une réunion de personnes ignorant l'arithmétique élémentaire.»
  4. 4. Italie , Portugal , Espagne avant et après le Frente popular, Allemagne, Roumanie, Bulgarie, Roumanie, Yougoslavie, Hongrie, Pologne, les Républiques Baltes, l'URSS, la Grèce, seuls le Royaume-Uni, l'Irlande, la Tchécoslovaquie, la France, le futur Bénélux et les Etats scandinaves résistent encore aux divers mouvements autoritaires s'agitant en leur sein.
  5. 5. É.Gerard, art cit., pp.68-69
  6. 6. Voir É. Gérard , art cit., pp. 65 et s.
  7. 7. Ce retour à la neutralité suscita aussi de nombreux débats au sein du Parti Libéral.
  8. 8. Achille Delattre, Souvenirs, Impricoop, Cuesmes 1957, 210
  9. 9. Gustaaf Janssens, Le roi Léopold III et la politique extérieure de la Belgique in M.Dumoulin, M. Van den Wijngaert, V. Dujardin (s.d.), op cit., pp. 81-82
  10. 10. Achille Delattre, député du Borinage, alors Ministre POB du Travail et de la Prévoyance sociale confirme ce point dans ces Souvenirs, p. 211
  11. 11. Philippe Destatte relève dans L'identité wallonne, Institut Jules Destrée, Charleroi 1997, pp. 165-166, que même avant le discours royal, certains éléments du mouvement wallon rejette cette politique des mains libres. Il faut aussi noter que Vandervelde, rejetant aussi cette politique et scandalisé par la neutralité du gouvernement belge vis à vis de la guerre civile espagnole démissionnera de ce dernier en janvier 1937.
  12. 12. Gustaaf Janssens, art cit., P 82
  13. 13. Firent notamment partie de son comité de rédaction, Fernand Dehousse, Georges Truffaut, Marcel Thiry, Jean Rey, voir l'article Action wallonne dans l'Encyclopédie du Mouvement wallon, Tome 1er, Institut Jules Destrée, Charleroi, 2000.
  14. 14. P.Destatte , op cit., P 167
  15. 15. Emmanuel Gerard, art cit., p.75
  16. 16. Jean Stengers, Aux origines de la question royale, Léopold III et le gouvernement, les deux politiques belges de 1940, Edition Duculot, Gembloux 1980.
  17. 17. Annales Parlementaires Chambre, Session ordinaire (19) 44-45 , séance du 24-07-45, p.565
  18. 18. Voir entre autres ses deux contributions in M.Dumoulin, M. Van den Wijngaert, V. Dujardin (s.d.), op cit., ou Quand les chemins se séparent (mai-juin-juillet 1940). Aux origines de la question royale, Éditions Duculot, Gembloux, 1988.
  19. 19. Procès-verbal du Conseil des Ministres 26-05-1940, (N° 43), Archives Générales du Royaume
  20. 20. Idem
  21. 21. Jules Gérard Libois et José Gotovitch " Léopold III, de l'an 40 à l'effacement " Editions du CRISP, Bruxelles 1991 pp.21-22
  22. 22. Procès-verbal du Conseil des Ministres 26-05-1940, (N° 43), Archives Générales du Royaume
  23. 23. Ibidem
  24. 24. Ibidem
  25. 25. Ibidem
  26. 26. Ibidem
  27. 27. Propos de Spaak tenu au Conseil des Ministres du 26 mai 1940 , Procès-verbal du Conseil des Ministres 26-05-1940 (N° 43), Archives Générales du Royaume
  28. 28. Le 27 mai Spaak déclare au Conseil des Ministres que rien ne doit être fait qui puisse être de nature à compromettre le roi mais une fois qu'il «aura capitulé, le gouvernement devra exposer les raisons pour lesquelles il n'a pas voulu couvrir de sa responsabilité la politique de guerre suivie par le Roi» , Procès-verbal du Conseil des Ministres 27-05-40 (N° 44), Archives Générales du Royaume
  29. 29. Idem
  30. 30. Dans le procès-verbal du Conseil des ministres du 28 mai au matin, il est signalé que la réponse unanime du gouvernement sur cette question " a profondément indigné le roi " Procès-verbal du Conseil des Ministres 28-05-1940 (N° 46), Archives Générales du Royaume
  31. 31. Voir notamment Jules Gérard Libois et José Gotovitch, op cit., p.29 et Maurice De Wilde, L'Ordre nouveau, Editions Duculot, Gembloux 1984, p.69
  32. 32. Jules Gérard Libois et José Gotovitch, op cit., p.31
  33. 33. Jacques Velu, notes de Droit Public, TII, P.U.B., 1986-87, p.432
  34. 34. Jacques Velu, op cit., p.429, cette interprétation de l'article 65 de la Constitution, existant déjà sous Léopold II et Albert I fut " confirmée " selon Velu , par la révocation des Ministres RW en 1977 et des Ministres FDF en 1980.
  35. 35. Procès-verbal du Conseil des Ministres 27-05-1940 (N° 44), Archives Générales du Royaume
  36. 36. Procès-verbal du Conseil des Ministres 27-05-1940 (N° 45), Archives Générales du Royaume. Carton de Wiart, une fois de retour en Belgique, à l'automne 1940 s'empressera de présenter ses excuses au Roi pour son attitude en mai-juin , il deviendra l'un des piliers de la propagande léopoldiste dans le PSC d'après 1945.
  37. 37. Ibidem
  38. 38. Ibidem
  39. 39. Visiblement inquiet sur ce dernier point, le Conseil des Ministres confia le lendemain et à nouveau cette mission à Spaak. Procès-verbal du Conseil des Ministres 28-05-1940 (N° 46), Archives Générales du Royaume
  40. 40. Archives Van Acker, Archives de l’Etat à Bruges, dossier N°667 « Documents divers concernant le gouvernement Pierlot, l'attitude de Léopold III pendant l'occupation allemande et la question royale, 1940-1946 »
  41. 41. Procès-verbal du Conseil des Ministres 28-05-1940 (N° 47), Archives Générales du Royaume
  42. 42. E. Gerard, art cit., p.78
  43. 43. Jules Gérard Libois et José Gotovitch, op cit., pp. 81 et s.
  44. 44. Ceux-ci seront dans le cours de la guerre rejoints par les ministres Delfosse, Balthazar et De Schrijver.
  45. 45. Voir Jules Gérard Libois et José Gotovitch, op cit. , P 92 et s. et Etienne Verhoeyen Léopold III et les Londoniens in M.Dumoulin, M. Van den Wijngaert, V. Dujardin, op cit., P 187 et s.
  46. 46. Procès-verbal du Conseil des Ministres 23-09-1943, Archives Générales du Royaume
  47. 47. Annales Parlementaires Chambre, session ordinaire 1944-45, séance du 24-07, pp.560-561
  48. 48. Etienne Verhoeyen, art cit., p.195
  49. 49. Jules Gérard Libois et José Gotovitch, op cit., p.103 et s.
  50. 50. Lors de son rapport aux Chambres réunies, Pierlot déclara ainsi « Bientôt les belges que la tourmente a jeté sur les rivages du monde entier prendront le chemin du retour. Nos prisonniers de guerres, nos prisonniers politiques, nos internés, nos déportés reviendront et, avec eux, le roi et les jeunes princes, espoir de la Dynastie. (…) Le Chef de l’Etat reprendra l’exercice de ses prérogatives constitutionnelles et la monarchie restera ce qu’elle a été depuis un siècle : un élément essentiel d’unité et de stabilité dans la Nation et dans l’Etat » Annales Parlementaires Chambres réunies 1944.
  51. 51. Procès-verbal du Conseil des Ministres 14-09-1944, N°324, Archives Générales du Royaume
  52. 52. Rappelons que l’acceptation par le POB de la monarchie n’a lieu qu’au sortir de la première guerre mondiale, en Wallonie, les élus locaux refusaient jusque-là de prêter serment de fidélité au roi, de nombreuses communes étaient dirigées par des 1er Echevin faisant fonction de Bourgmestre. Encore dans les années 30 des communes socialistes refusèrent de participer à la souscription publique pour un monument devant être érigé en mémoire d’Albert I.
  53. 53. L'expression est utilisée par Philippe Destatte, op cit., p. 240
  54. 54. Annales Parlementaires Chambre, session ordinaire 1944-45, séance du 03 octobre 1944
  55. 55. Delattre avait toutefois signé avec 13 autres parlementaires wallons (dont J. Bologne) et 12 parlementaires flamands, le Compromis des Belges, projet fédéralisant imaginé par Jules Destrée et Camille Huysmans. voir l'article Compromis des Belges in Encyclopédie du Mouvement wallon, Tome 1er, Institut Jules Destrée, Charleroi, 2000
  56. 56. Annales Parlementaires Sénat, session ordinaire 1944-45, séance du 04 octobre 1944
  57. 57. Libois et Gotovitch, op cit., p. 150, et l'article Wallonie Libre clandestine (1940-44), in Encyclopédie du Mouvement wallon, Tome III, Institut Jules Destrée, Charleroi, 2001.
  58. 58. Voir les articles Wallonie Libre, Edition de l'est et Sambre et Meuse, organe de la section liégeoise de Wallonie Libre (1941-1943) in Encyclopédie du Mouvement wallon, Tome III, Institut Jules Destrée, Charleroi, 2001
  59. 59. Article Rassemblement Démocratique et Socialiste Wallon in Encyclopédie du Mouvement wallon, Tome III, Institut Jules Destrée, Charleroi , 2001
  60. 60. Article Wallonie Indépendante (1943-1945) in Encyclopédie du Mouvement wallon, Tome III, Institut Jules Destrée, Charleroi, 2001
  61. 61. Libois et Gotovitch, op cit., p.124 citent cette terme employé par Paul Struye, futur président du Sénat.
  62. 62. Voir l'attitude de l'Evêque de Liège et de la CSC évoquée par Libois et Gotovitch, op cit., pp.124-25
  63. 63. Voir l'affaire de la Belgique loyale Libois et Gotovitch, op cit., pp.129 et s.
  64. 64. Voir en ce sens M.Van den Wijngaert L'opinion publique face à Léopold III pendant l'occupation in M. Dumoulin, M. Van den Wijngaert, V. Dujardin (s.d.), op cit., pp. 178 et s.
  65. 65. Libois et Gotovitch, op cit., p.149
  66. 66. Achille Delattre, op cit., p.304
  67. 67. M.Van den Wijngaert, art cit., p.174
  68. 68. Ce néologisme souvent utilisé dans les travaux de pointe sur la première guerre mondiale, est emprunté à l'ouvrage fondamental de George L. Mosse De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, Hachette Littératures, Paris 1999
  69. 69. Propos cité par Jean Stengers, op cit., p. 7.
  70. 70. Voir Toudi N° 40, p.32
  71. 71. P. Destatte, op cit., p.240
  72. 72. Cité dans l'article Sambre et Meuse, organe de la section liégeoise de Wallonie Libre (1941-1943) in Encyclopédie du Mouvement wallon, Tome III, Institut Jules Destrée, Charleroi , 2001
  73. 73. Office of Strategic Services (Bureau des services stratégiques) créé le 13 juin 1942
  74. 74. Hendrik De Man, la reine Élisabeth, son secrétaire Capelle et le général Van Overstraeten, la seconde épouse du roi et son beau-père l’ex-ministre catholique Hendrik Baels, l’ex-ministre catholique A-E Janssen, les ex-ministres libéraux Albert Devèze et Maurice Lippens, le sénateur catholique Edgar De Bruyne, l’ambassadeur Jacques Davignon, l’ex Secrétaire-général du Ministère des Affaires etrangères Pierre Van Zuylen, le militant flamand Tony Herbert et le procureur Raoul Hayoit de Termicourt
  75. 75. les citations sont issues du Document Number (FOIA)/ESDN (CREST): CIA-RDP13X00001R000100020010-1 également disponible dans une version moins lisible comme Document Number (FOIA) /ESDN (CREST):CIA-RDP13X00001R000100220006-4 sur le site https://www.cia.gov/readingroom/advanced-search-view
  76. 76. Libois et Gotovitch, op cit., p.162
  77. 77. Jules Gérard Libois et José Gotovitch, Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 1020-1021, p. 19
  78. 78. Archives Van Acker, Archives de l’Etat à Bruges, dossier N°482
  79. 79. texte reproduit dans Foreign Relations of the United States: Diplomatic Papers, 1945, Europe, Volume IV, Document 92
  80. 80. texte reproduit dans Foreign Relations of the United States: Diplomatic Papers, 1945, Europe, Volume IV, Document 94
  81. 81. texte reproduit dans Foreign Relations of the United States: Diplomatic Papers, 1945, Europe, Volume IV, Document 96
  82. 82. texte reproduit dans Foreign Relations of the United States: Diplomatic Papers, 1945, Europe, Volume IV, Document 97
  83. 83. Note de Victor Larock, citée dans CHCRISP, N° 1020-1021, p.21
  84. 84. Idem, p.23
  85. 85. Idem p. 27, quelques jours après cette lettre, le le comité permanent du parti libéral tient un raisonnement identique, voir idem p.34
  86. 86. texte reproduit dans Foreign Relations of the United States: Diplomatic Papers, 1945, Europe, Volume IV, Document 98
  87. 87. Procès-verbal du Conseil des Ministres 08-05-1945, N° 25, Archives Générales du Royaume
  88. 88. Archives Van Acker, Archives de l’Etat à Bruges, dossier N°639
  89. 89. Spaak, bien qu'absent au conseil du 8 mai, confia à Larock avant de partir à Ströbl que le gouvernement n'insistera pas sur l'abdication mais bien sur l'acceptation des conditions, conditions que, selon lui, le roi n'accepterait pas vu l'état d'esprit révélé par son testament politique in CH. CRISP N° 1020-1021, p. 25
  90. 90. Libois et Gotovitch, op cit., p.193
  91. 91. texte reproduit dans Foreign Relations of the United States: Diplomatic Papers, 1945, Europe, Volume IV, Document 102
  92. 92. Le rôle syndical dans la question royale suscite toutefois des discussions entre les diverses tendances du bureau national qui réaborde ce point lors de sa réunion du 29 mai. Le socialiste " renardiste" carolorégien Emile Clersy (métallos) considère que le syndicat s'est engagé trop loin dans cette "agitation politique" alors qu'il y a autre chose à faire pour le mouvement syndical. Le secrétaire national socialiste, l'ostendais Louis Major lui n'abandonne pas l'idée d'une unité syndicale avec les syndicats chrétiens, en étant trop radical la FGTB risque de pousser les travailleurs chrétiens dans les bras des "réactionnaires", il propose d'envoyer une circulaire aux organisations affiliées expliquant la position de principe de la Fédération. A l'opposé le communiste liégeois Théo Dejace (Services publics) souligne le danger grave de la réaction du néo-fascisme, il y a une majorité indiscutable dans le pays contre le retour du roi même en Flandre malgré les apparences. Il faut réagir car "nous pouvons nous trouver en face d'une situation très embarrassante et ce du jour au lendemain". Le socialiste gantois Amédée De Keuleneir (Textile) considère qu'il s'agit d'une question politique mais le mouvement syndical doit être prêt et attentif à soutenir l'action politique si le besoin s'en fait sentir. Le socialiste ostendais Roger Dekeyser (services publics) est sur la même ligne. Le secrétaire national socialiste, le carolorégien Paul Finet considère qu'il faut maintenir la position de principe mais ne pas engager le mouvement syndical dans une action politique. "On parle de la défense de la démocratie. Lorsque ce danger se précisera, il faudra entrer dons la bagarre mais alors par les moyens syndicaux, en mobilisant toute la classe ouvrière." Le socialiste bruxellois Charles Everling (employés) estime que "nous devons être prêts, mais nous ne devons pas galvauder nos forces et ne pas fatiguer nos camarades". Finalement le bureau rejette le projet de communiqué de presse de Dejace au profit de celui d'Everling.
  93. 93. texte reproduit dans Foreign Relations of the United States: Diplomatic Papers, 1945, Europe, Volume IV, Document 103. Texte original : "Period of calm which has settled over the country with reference to King’s return is a lull before the storm. When King returns Belgium faces greatest crisis in its history. Opinion is sharply divided along three very definite lines: (1) Along racial lines Walloons are overwhelmingly against the King; Flemish generally favor him. (2) Along social lines the rich are all in favor of the King; many of the poor are against him. (3) Third line of departure is evident. All those who feel some qualms about their activities during war are anxious to have King back. In a way he typifies their problem and their state of mind. Those who were strongly patriotic and anti-German hope he will never return.These lines of cleavage are very deep. If King returns revolution is not at all improbable and consequences are difficult to foresee.
  94. 94. Archives Van Acker, Archives de l’Etat à Bruges, dossier N°673
  95. 95. Archives Van Acker, Archives de l’Etat à Bruges, dossier N°639
  96. 96. Archives Van Acker, Archives de l’Etat à Bruges, dossier N°639
  97. 97. Le roi ignore-t-il que ce jour est celui de la bataille de Waterloo ?
  98. 98. Libois et Gotovitch, op cit., p.200, voir en ce sens les propos de Spaak et Van Acker à Larock, CH. CRISP N° 1020-1021, p.25, Dujardin considère inversement que le roi accepta les conditions posées par le gouvernement, art cit., p.236
  99. 99. Libois et Gotovitch, op cit., p.200-201
  100. 100. Archives Van Acker, Archives de l’Etat à Bruges, dossier N°667
  101. 101. texte reproduit dans Foreign Relations of the United States: Diplomatic Papers, 1945, Europe, Volume IV, Document 106. Texte original et intégral : "King is coming back and will arrive in Brussels early next week, perhaps Monday. He will come alone except for Pirenne, who accompanied Van Acker but remained behind when Van Acker returned last night. This morning Van Acker will ask SHAEF to furnish a plane immediately for King’s return. I talked at length with Van Acker last night shortly after he arrived. Substance of his report is this: King, upon seeing him, said he had made up his mind to return. Van Acker did not attempt to dissuade him. He did review briefly difficulties which he had covered fully on his previous visit. King is prepared to meet them. He has, however, in his mind idea of possible abdication if difficulties prove too great for him to govern. Van Acker feels the influence of King’s wife is involved in his decision to return. As I see course of events based on Van Acker’s statements of fact and predictions as to future, it will be as follows: King will return and go privately to Royal Palace at Laeken. He will then immediately convoke Parliament and will address them and through them the Belgian people. Pirenne, his former tutor and an historian, is now assisting King in preparing the speech he will deliver. A preliminary draft was shown Van Acker. He said it consisted mostly of generalities. Thereafter King will ask Van Acker to form a Govt. Van Acker will try but will not succeed as Socialists, Liberals and Communists will not participate. King will then call some one else, presumably a Catholic, to form a Govt. If a Govt wholly Catholic results country will be beset with strikes and other troubles and will not function. Troubles will grow in number and intensity. It will appear that King does not have support of country to carry on a Govt. Behind-scenes negotiations will take place with reference to some financial settlement on King and he will then abdicate in favor of his son, Prince Baudouin. Parliament will then immediately meet and reappoint Charles regent. Latter will have automatically ceased to be regent when King arrives in Belgium. This prediction of Van Acker may not be fulfilled. King may handle matters more effectively than is generally predicted. This we shall see. If King abdicates one of problems will be the education of the young prince. British Ambassador confided to me some time ago that he thought he would probably have the job of finding a school for him in England. He may be taking too much for granted as Van Acker seems to think the young prince should travel and not spend all time in one country. Van Acker refused give any statement whatever to press. Interest and excitement here is intense"
  102. 102. Archives Van Acker, Archives de l’Etat à Bruges, dossier N°1165
  103. 103. Archives Van Acker, Archives de l’Etat à Bruges, dossier N°673
  104. 104. texte reproduit dans Foreign Relations of the United States: Diplomatic Papers, 1945, Europe, Volume IV, Document 108
  105. 105. Archives Van Acker, Archives de l’Etat à Bruges, dossier N°673
  106. 106. Archives Van Acker, Archives de l’Etat à Bruges, dossier N°673
  107. 107. texte reproduit dans Foreign Relations of the United States: Diplomatic Papers, 1945, Europe, Volume IV, Document 110. Le même jour le général Erskine communique par écrit à Van Acker que : " En cas de besoin, les troupes alliées prendront des mesures pour protéger leurs propres installations militaires et leurs communications. Mais j'ai reçu des instructions strictes selon lesquelles les troupes alliées ne doivent pas être déployées ou utilisées pour maintenir la loi et l'ordre en BELGIQUE sans une demande écrite qui doit être transmise au quartier général suprême. Je dois ajouter qu'il n'y a aucune garantie qu'une demande écrite du gouvernement belge sera nécessairement satisfaite. Les autorités alliées, si elles y étaient contraintes, accepteraient beaucoup d'inconvénients plutôt que d'être mêlées au maintien de l'ordre en BELGIQUE" voir Archives Van Acker, Archives de l’Etat à Bruges, dossier N°667 et aussi dossier N°673. Les notes du secrétaire du régent André de Staercke indique que dès le 11 juin le général Erskine avait averti Van Acker et le régent que les troupes alliées ne voulaient pas assurer le maintien de l'ordre, ce sont surtout les britanniques qui ne veulent pas intervenir dans une question interne. André de Staercke, mémoires sur la régence et la question royale, Editions Racine, 2003, P333.
  108. 108. Archives Van Acker, Archives de l’Etat à Bruges, dossier N°416
  109. 109. Archives Van Acker, Archives de l’Etat à Bruges, dossier N°639
  110. 110. nous conseillons la lecture du long rapport au ton assez ironique de Roger Roch sur la dernière visite, début juillet, de son chef à Léopold, Archives Van Acker, Archives de l’Etat à Bruges, dossier N°666
  111. 111. Annales Parlementaires, Chambre, session ordinaire 1944-45, séance du 20-07-45, pp. 532 et 536‚
  112. 112. Ibidem
  113. 113. Ibidem
  114. 114. Ibidem, séance du 24-07-45
  115. 115. voir J.C.Williame, L'union démocratique belge (u.d.b). essai de création "travailliste", Courrier hebdomadaire du CRISP, 1976/37 (n°743-744)
  116. 116. Archives Van Acker, Archives de l’Etat à Bruges, dossier N°667
  117. 117. Les notes du secrétaire du régent André de Staercke indique que dès le 20 juin Van Acker est prêt à exploiter publiquement la rencontre de Berchtesgaden et cherche à faire interroger Schmidt le traducteur d'Hitler alors prisonnier des alliés. Il évoque aussi la "déportation volontaire" du roi en juin 1944. De Staercke, P336
  118. 118. Nous ne résistons pas au plaisir de citer ici le télégramme du 19 juillet 1945 de l'ambassadeur Sawyer : " Depuis la libération du roi le 8 mai, il y a eu au total 30 voyages par avion et le transport de 138 personnes. En outre, le corps de Salzbourg et le 106e de cavalerie à St. Wolfgang ont fourni à la maison du roi des rations, de l'essence, des transports locaux, etc. J'ai été informé qu'il y avait eu deux augmentations de la ration de base distribuée à la maison du roi, de sorte qu'ils reçoivent maintenant plus que ce qui est autorisé pour les hôpitaux de l'armée américaine. En outre, il s'est fait envoyer par les transports britanniques et américains des fournitures ménagères de toutes sortes. On estime généralement qu'après deux mois et demi de transport et de service gratuits, le roi profitera de notre bonne nature si ce programme se poursuit, et qu'il est maintenant nécessaire de mettre fin à cet épisode, poliment mais fermement. La ligne de conduite que j'ai suggérée conviendra à tout le monde, à l'exception peut-être du roi, et, en fait, elle peut être présentée au roi de telle manière qu'il n'aura aucune raison de se plaindre. S'il est vrai que la question du retour du roi est purement belge, la question de son maintien sur notre territoire et de son transport par des avions américains n'est pas purement belge. Nous ne pouvons éviter d'être impliqués dans cette affaire. Le problème est d'être impliqué le moins possible" texte reproduit dans Foreign Relations of the United States: Diplomatic Papers, 1945, Europe, Volume IV, Document 116
  119. 119. José Gotovitch Le fossé se creuse in H. Hasquin (s.d.) La Wallonie, le Pays et les hommes, Tome II de Histoire-Economie-Société, La Renaissance du livre, Bruxelles 1976, p. 316