3. Pourquoi et comment il faut régionaliser l'enseignement

12 mai, 2009

Le bulletin de santé de l'enseignement en Wallonie et à Bruxelles n'est pas bon. L'école, loin de réduire les inégalités, creuse le fossé entre les enfants issus de classes sociales différentes.

Certains établissements concentrent les difficultés : populations fragiles, pénuries d'enseignants, « relégations » en cascade. D'autres prennent, par contre, les allures aseptisées de ghettos dorés.

La vie dans les établissements scolaires est dure. Le goût amer de l'échec se répand. Pour les publics les plus faibles, la vocation émancipatrice de l'éducation cède le pas à une activité de plus en plus « occupationnelle ». Parfois dans l'attente de l'âge de la fin de l'obligation scolaire, vécu comme ... « libérateur » ! Ce qui révèle, pour eux, la faillite d'une conception progressiste de l'instruction.

La Communauté française est un frein à la transformation d'une réalité pointée par des statistiques et des enquêtes internationales.

D'abord, parce qu'elle reste un pouvoir public faible. Elle est une institution incapable d'entretenir des rapports étroits avec ses « ressortissants ». Son « territoire » partiellement partagé conduit certains voisins bruxellois, par exemple, à dépendre - du seul fait de l'usage de la langue ! - de pouvoirs différents. Ce qui complique et, en réalité, empêche le développement d'une fiscalité autonome. Comment, en effet, vérifier qui doit s'y soumettre ou pas ? Lier l'avenir des sociétés wallonnes et bruxelloises à une Communauté française structurellement désargentée s'est révélé être plus qu'une erreur, une faute. L'isolement au sein de la Communauté de compétences réputées non rentables comme l'éducation ou la culture - elles sont en fait des investissements ! - les confine dans des politiques financières d'enveloppes fermées. L'absence de lien direct avec l'impôt favorise le développement de politiques libérales d'allègement de la fiscalité dans la mesure où l'opinion publique ne fait plus le lien entre l'école ou la culture et la politique fiscale.

Ensuite, la Communauté française fait obstacle au développement de politiques différenciées répondant aux besoins spécifiques de Bruxelles (le développement d'un enseignement fondamental accentuant l'apprentissage de la langue à destination de populations de primo-arrivants) et de Wallonie (une meilleure adaptation de l'enseignement qualifiant aux réalités techniques et professionnelles).

La communautarisation a scindé les compétences « non-marchandes » de celles « marchandes » alors qu'un enseignement démocratique doit être en prise avec les réalités économiques (même s'il importe qu'il en reste indépendant !), culturelles et sociales, de manière à pouvoir participer pleinement à la dynamique du développement régional. Tous ces facteurs sont en fait indissociables et interdépendants. Tenir compte de ces interdépendances permet en outre de mener en profondeur, et avec plus de succès concrets, une politique visant à corriger les inégalités tant socio-économiques proprement dites que celles se développant aussi, corrélativement, au niveau des territoires comme tels des diverses sous-régions.

Enfin, le principe de subsidiarité qui relie la Communauté française aux pouvoirs organisateurs de l'enseignement est inopérant pour les écoles qui dépendent des communes et des Provinces dont la tutelle relève ... de la Région. Par ailleurs, la progressive implication des Régions dans les compétences mêmes de la Communauté rend l'appréciation de l'effort des pouvoirs publics de plus en plus complexe parce qu'il est de moins en moins transparent.

Cette coopération porte déjà sur :

  • le transfert des bâtiments scolaires de la Communauté à la Région wallonne ;
  • des projets cybermédias (rachat des équipements informatiques) ;
  • le développement des politiques d'alphabétisation des adultes et de politiques croisées ;
  • de nouvelles implantations d'ordinateurs dans les écoles wallonnes ;
  • le développement de centres de technologies avancées, d'un plan « langues », dans le cadre du PST 2 wallon (le « Plan stratégique transversal » consacré à la recherche et à la formation) ;
  • l'analyse des pénuries dans le cadre de l'axe 5 des « Actions prioritaires pour l'avenir wallon » (dit « Plan Marshall ») ;
  • l'équipement de l'enseignement technique et professionnel à Bruxelles ;
  • le financement d'emplois par le biais des mesures A.C.S. à Bruxelles, A.P.E. (40 millions d'euros) et P.T.P. en Wallonie.
  • Elle s'inscrit dans une double approche : un refinancement et un décloisonnement de l'enseignement. Ces procédures sont longues, compliquées et trop timides.

    Leur impact est trop peu évalué mais semble très limité sur la réduction des inégalités au sein de l'enseignement. Elles n'apportent pas de solution favorable au déficit de coordination entre l'enseignement et les politiques de formations professionnelles (notamment développées par le FOREM et les autres opérateurs du secteur privé subventionné ou des institutions dépendant de fonds gérés paritairement).

    En conclusion, l'enseignement en Communauté française 1 doit être urgemment régionalisé pour dépendre d'un niveau de pouvoir doté de moyens de financer les évolutions qui lui permettront de rencontrer le défi de l'égalité, pour être en phase avec les attentes d'un développement régional organisé par les pouvoirs publics et pour rendre l'architecture institutionnelle plus cohérente.

    La loi du 15 juillet 1988 transfère la compétence de l'enseignement de l'Etat fédéral vers les Communautés2, sauf trois matières qui resteront fédérales :

  • la fixation du début et de la fin de l'obligation scolaire ;
  • les conditions minimales pour la délivrance des diplômes et
  • le régime de pension des enseignants.
  • Dans l'attente d'une régionalisation de l'ensemble des compétences de la Communauté, une partie de la gestion de l'enseignement peut d'ores et déjà l'être en fonction de priorités liées aux constats opérés à Bruxelles et en Wallonie.

    Cette régionalisation transitoire doit être programmée dans une démarche empreinte de pragmatisme et en fonction de deux fils conducteurs :

    1. Les spécificités des deux Régions : les constats diffèrent, les besoins aussi (notamment en ce qui concerne la maîtrise de la langue de l'enseignement, l'apprentissage des langues étrangères, l'accueil des primo-arrivants, l'enseignement qualifiant, la recherche ...).

    2. Le souci de maintenir des solidarités entre les deux Régions : il s'agit ainsi de maintenir un « chapeau bi-régional » assurant l'unicité et la mobilité des enseignants et des étudiants entre les Régions.

    La coupole bi-régionale serait, dans ce schéma, compétente pour :

  • les questions statutaires et/ou de nature à maintenir l'égalité de traitement ;
  • les questions barémiques ;
  • le subventionnement vers les Régions (dotations) ;
  • les normes (tronc commun, diplômation ...) ;
  • le « référentiel » (le « Service francophone Métiers et Qualifications »).
  • Les Régions deviendraient, elles, compétentes :

  • en tant que pouvoir organisateur de l'ex-réseau de la Communauté française ;
  • pour la gestion du subventionnement des pouvoirs organisateurs communaux, provinciaux et libres ;
  • pour la tutelle de contrôle des pouvoirs organisateurs subventionnés ;
  • pour l'offre d'enseignement, la programmation ;
  • pour l'équipement ;
  • pour la gestion des bâtiments scolaires (en ce compris leur propriété !) ;
  • pour la recherche.
  • Concrètement, dans le cadre constitutionnel actuel, la Communauté répartirait, comme aujourd'hui déjà, le subventionnement des écoles sur base du nombre d'élèves, mais cette fois en direction des Régions.

    Pour les écoles du secondaire, la Région wallonne et la Région de Bruxelles Capitale deviendraient ainsi les pouvoirs « subventionnants » pour tous les établissements en plus d'être les pouvoirs organisateurs pour les écoles de l'ex-réseau de la Communauté (complété des réseaux communaux et provinciaux).

    L'enseignement supérieur

    Il est urgent de réfléchir aux modalités d'une éventuelle régionalisation de l'enseignement supérieur, en tenant compte des objections portant sur la subsistance des trois piliers institutionnels, lesquels ont d'ores et déjà structuré le processus, en cours, de création des trois regroupements d'universités francophones en « Académies » (au sens du Décret de Bologne).

    Cette situation ne peut donc suffire à interdire tout débat quant à l'opportunité de transférer la gestion de la politique universitaire et d'enseignement supérieur, de la Communauté française aux deux pouvoirs régionaux - wallon et bruxellois - en ayant à l'esprit les principes suivants :

    • le pilotage à venir du redressement wallon réclamera impérativement le point d'appui d'une politique universitaire et d'enseignement des Hautes Écoles, qui soit de niveau régional, ce qui, soulignons-le, n'impliquera d'ailleurs en aucune façon l'abandon de coopérations et d'articulations nécessaires avec les institutions d'enseignement universitaire et supérieur opérant en Région bruxelloise ,

    • la mise en synergie progressive des diverses institutions universitaires wallonnes ouvrira des possibilités nouvelles pour la suppression de maillons faibles du potentiel universitaire régional - Charleroi en étant le lieu le plus patent - , et par là même, accroîtra très significativement les possibilités d'intégration des politiques wallonnes de développement urbain et culturel en réseau à la politique globale de redressement économique et social de l'ensemble de la Wallonie.

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    1. 1. Au vu de sa situation institutionnelle spécifique, la Communauté germanophone n’est donc pas visée par cette régionalisation de l’enseignement. Il s’agit en effet d’une matière centrale pour cette Communauté, tant sur le plan de son autonomie culturelle que de son identité linguistique.
    2. 2. Avec un léger décalage chronologique, ce transfert s’est opéré pour la Communauté germanophone par la loi du 18 juillet 1990 modifiant la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone.