4. Un nouveau paysage audiovisuel public : Pour une télévision « de Wallonie et de Bruxelles », Pour des radios wallonnes, bruxelloises et « de Wallonie et de Bruxelles »
Partout en Europe, la puissance publique a pris l'initiative d'instituer des médias audiovisuels, qu'elle a dotés et organisés en leur assignant des missions générales. Dans des Etats fédéraux comme l'Allemagne ou l'Espagne, l'audiovisuel public est largement du ressort d'entités territoriales fédérées. Des médias audiovisuels privés ont émergé parallèlement. Dans le cadre de l'Etat belge, la scission organique de l'audiovisuel public se réalisa dès 1960, sur le critère de la langue - en dehors d'un socle territorial y correspondant - par la constitution de la RTB et de la BRT. En 1976, sous le sigle RTBF, l'établissement public francophone releva de la Communauté française.
La réforme de l'audiovisuel public dans le sens de la régionalisation des matières culturelles passe par le démembrement de l'actuelle RTBF, consubstantiellement communautaire, impliquant le parallélisme « déconstruction / reconstruction » entre Région wallonne et Région de Bruxelles-Capitale. C'est la raison des doubles propositions formulées ici.
Hérédité et « régionalisation »
« Entreprise publique culturelle de la Communauté française » dirigée depuis Bruxelles, la RTBF véhicule de longue date une culture « francophone belge ». Sa « régionalisation » progressive fut en fait émiettée par l'installation de quatre centres de production cadastrant le territoire wallon, outre le centre de Bruxelles « 19 communes ». Cette décentralisation administrative bancale suscita des tiraillements entre « Reyers » et les électrons tournant autour, en matière de programmes et de budgets, outre le sous-régionalisme de nombre d'élus, attisant les débats de l'extérieur.
La crise financière que subit la RTBF à la charnière de 2000, jumelée à ses dysfonctionnements structurels, amena en 2002 le Parlement de la Communauté française à décider à son égard d'auditions parlementaires dont les conclusions furent concomitantes à la désignation d'un nouvel administrateur général et aux coudées franches dont celui-ci disposa en matière de réformes. A la fois pour rendre de l'efficacité à l'organisme, dans le maintien d'une mission générale « Communauté Wallonie-Bruxelles », mais aussi « pour ne plus en entendre parler ».
Plan Magellan et déni de la Wallonie
D'où vient que le plan de restructuration (du personnel, des structures, des budgets et des programmes), dit « plan Magellan », s'imposa si facilement, en raison du laisser-faire des élus et de l'impuissance des syndicats du personnel, abandonnés de leurs relais politiques traditionnels. Un plan qui s'appuya sur la suppression des centres de production, auxquels succédèrent des « sites » et, pour la télévision, des « unités de programmes » : Info-Sport TV sur le site de Reyers, Magazines TV sur le site de Charleroi et Divertissement TV sur le site de Liège. Les sites sont de simples unités d'exploitation, la répartition des tâches étant décidée par la direction des Programmes, à Reyers. Depuis juin 2008, une nouvelle direction générale de l'Information (Radio, TV, Sports et nouveaux médias), s'appuyant sur les possibilités techniques de la numérisation des données, a renforcé la centralisation communautaire dans le secteur le plus « politique ».
En radio, le site de Mons produit deux chaînes complètes (VivaCité et Classic 21). Le site bruxellois truste les trois autres (La Première, Musiq3 et PureFM). Globalement, Reyers accumule aujourd'hui moins de moyens humains et techniques radio et TV qu'avant le plan, mais toutes les directions générales y sont fixées, de même que les départements « supports », à l'exception du charroi (véhicules de reportages, de captations, etc.), en partance pour Rhisnes. Ces postes de travail auront un ancrage wallon, mais continueront de relever de Reyers.
Liège, qui comptait 350 personnes en 2002, a perdu la moitié de ses emplois. Il ne produit presque plus rien en radio (sur La Première), même s'il maintient, comme les autres sites, des décrochages provinciaux sur VivaCité. En TV, il reste dans l'attente de son futur studio de Divertissement : la direction affirme remonter d'ici deux ans au niveau d'emploi antérieur, dans de nouveaux locaux et via des partenariats avec un pôle audiovisuel privé. Namur a retrouvé ses 140 emplois en renforçant ses équipes de journalistes. Charleroi a finalement sauvé l'essentiel de son expertise des magazines télévisés. Mons s'est renforcé en pôle de radio. Le centre régional de Bruxelles, enclavé dans Reyers, a disparu, emporté par le sabordage de sa radio, Bruxelles Capitale. Radiolène, à Verviers, ne produit plus que de brefs « sous-décrochages » matinaux.
Ce tableau en demi-teinte en matière d'emploi ne peut faire oublier l'essentiel de la nuisance du plan Magellan : dommage collatéral de la réforme et condition d'implémentation de celle-ci, toute référence à la Wallonie, tout ancrage wallon sont désormais gommés des programmes, dans la mouvance de l'identité francophone. A Bruxelles, VivaCité a été rhabillée du nom de VivaBruxelles, mais pareille déclinaison est interdite pour les sous-régions de Wallonie et - a fortiori - pour la Wallonie elle-même.
Jumelée à la course à l'audimat publicitaire pour cause de financement public insuffisant, cette négation aboutit à des « produits » pour cibles de marketing. Ayant fondu les explicites Bruxelles Capitale et Fréquence Wallonie (cette dernière étant réalisée à Mons, Namur et Liège), VivaCité se positionne, sur ses émetteurs wallons, sur une « proximité » émotionnelle et sans racines. Son lieu de fabrication (Mons et, de plus en plus, Reyers) n'est pas cité à l'antenne. De l'avis des professionnels consultés, il est également urgent de rétablir un centre de décision local pour chacun des décrochages de la chaîne, afin d'améliorer ancrage et qualité des contenus.
En matière d'information, la suppression des contrepoids des centres régionaux fit en sorte que la culture « bruxello-centriste » et, plus encore, « belge » de la RTBF retrouva vigueur, ayant aujourd'hui atteint des sommets. Pour l'identité wallonne, la réalisation du plan Magellan s'est donc avérée un véritable désastre, avalisé par le politique.
La RTBF est-elle incurable ?
Malgré le plan Magellan, les audiences de la RTBF sont surpassées par celles de RTL-TVI et des radios de RTL Group. Le belgicanisme n'y est pas moins virulent, mâtiné de populisme et de société du spectacle. Ceci dit, une entreprise privée ne peut qu'être sujette à régulation et non à organisation par l'autorité publique. Elle propose l'offre qu'elle détermine librement pour les publics qu'elle cible sur le territoire qu'elle choisit, sous la sanction du marché.
La culture du service public imprègne encore largement la RTBF. Mais de quel public parle-t-on ? C'est l'ancienne culture « belge », celle de la peur de « la fin de la Belgique », qui prend même le pas sur la culture « Wallonie-Bruxelles ». Or, selon son décret et son contrat de gestion, la RTBF doit se faire en priorité l'écho de la société wallonne et de la société francophone bruxelloise. Les références « belges » se feraient-elles moins pressantes, se maintiendrait toutefois la machine de guerre médiatique de la Communauté française, qui nie les identités régionales et se renforce encore par d'impérieuses motivations inhérentes à l'organisme lui-même : pour lui préserver un avenir « post-belge », les responsables de la RTBF entendent renforcer son magistère d'influence au sein de leur hypothèse de travail : une fédération Wallonie-Bruxelles.
Nous demandons donc l'effacement de l'actuelle entreprise publique communautaire, remplacée par une structure en réseaux, telle qu'évoquée plus loin et valorisant l'expression régionale, voire le maintien concomitant de concepts francophones, dans un réalisme financier qui interdirait de multiplier les investissements techniques et dans le respect du personnel actuel. La modification des autorités de tutelle suffira, en ouvrant ipso facto sur la différenciation partielle des programmes et - complète - de leur ton. Il ne s'agit donc « que » d'énergie politique. Mais, cela va sans dire, dans le respect des indépendances éditoriales et rédactionnelles. Il ne s'agit pas d'en revenir à une radiotélévision d'Etat (wallon ou bruxellois).
Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer la faculté d'une entreprise de médias à s'adapter à l'air du temps. Il y a là comme une capacité d'absorption propre à la nature des professions qui la composent, celles-ci disposant d'un « feeling » particulier qui ne peut se résumer à l'allégeance envers un pouvoir émergent ni même à des considérations d'audience ou de tirage. Cette heureuse inclination ne dispense pas d'adapter juridiquement l'audiovisuel public à la nouvelle donne politique.
Quand la Région décaisse
Le plan Magellan intégra l'impérieuse nécessité d'investir. La RTBF entreprit la Communauté française, mais aussi, sous l'angle d'investissements économiques, la Région wallonne et la Région de Bruxelles-Capitale (cette dernière, via la Commission communautaire française, la Cocof ou Parlement francophone bruxellois). L'accord politique du 8 octobre 2003 fixa le refinancement à 126 millions d'euros, à répartir de 2004 à 2007 (2009 pour Liège). La Communauté française en assumait 26,4 millions (technologie), la Cocof 3,2 (immobilier à Reyers), et la Région wallonne 26,4 millions (immobilier à Liège, Charleroi, Namur et Mons, par financement décroissant). Deux filiales immobilières furent constituées entre la RTBF et chacune des deux Régions.
Malgré cet effort financier, la Région wallonne est restée corsetée dans ses compétences, se limitant à un rôle de banquier et de copropriétaire de briques, sans droit de regard sur la production. Elle a concouru elle-même à la dissolution de l'image de la Wallonie dans les programmes. Actionnaire dormant, elle a nourri son propre prédateur. En juin 2008, le gouvernement wallon a encore décidé d'apporter 20 millions d'euros, soit la moitié du capital, à une filiale constituée à Liège avec la Communauté française et la RTBF, chargée de sauvegarder et de valoriser les archives audiovisuelles de cette dernière. Un apport de la Cocof est à l'étude.
L'argumentaire posé, on peut tracer les axes des réformes de mise en adéquation de l'audiovisuel public avec l'identité régionale de ses donneurs d'ordres, en prenant aussi en compte la simplification administrative, par exemple par la réunion en un seul dossier des aspects économiques et culturels des investissements. Ce qui, en Wallonie et à Bruxelles-Capitale, doit succéder à la RTBF peut ainsi se concevoir en réseaux.
Tant pour d'évidentes raisons sociales que pour éviter des contestations préjudiciables, il importerait de reclasser l'ensemble des travailleurs de l'actuelle RTBF dans l'une des entités constituant ces réseaux. Enfin, pour comprimer les coûts techniques, toutes les diffusions ci-dessous seraient attribuées à un seul diffuseur public multimédias, comparable à Télédiffusion de France (TDF).
Télévision publique « de Wallonie et de Bruxelles »
Vu l'accumulation d'équipements à Reyers, l'installation d'une télévision publique généraliste complète en Wallonie grèverait le budget régional, alors que le changement d'autorité de tutelle ne demande qu'une énergie politique. Il ne serait donc ni nécessaire ni financièrement opportun, dans un premier temps, de toucher à la répartition géographique actuelle des moyens de la production télévisée de l'actuelle RTBF. Ni, de même, de remettre en cause les investissements « wallons » décidés depuis 2003.
Nous avançons donc l'idée d'une « Télévision de Wallonie et de Bruxelles », de langue française, selon une organisation administrative bi-régionale. Fixant ensemble sa feuille de route, la Région wallonne et la Cocof la constitueraient par décisions conjointes, dans la volonté de mettre en avant à la fois l'identité wallonne et l'identité bruxelloise : conseil d'administration, organes de gestion, commissaires des deux gouvernements, etc. Un contrat de gestion à trois signatures déterminant droits et obligations. Cette Télévision pourrait diffuser ses programmes sur plusieurs chaînes aux profils distincts.
Radios publiques
Des radios de langue française seraient créées, soit par la Région wallonne, soit par la Cocof, soit, si leur nécessité est partagée par ces deux Autorités, par accord entre elles, sur le modèle de la Télévision publique de Wallonie et de Bruxelles. Ces radios dépendraient de deux opérateurs publics à constituer, l'un pour la Wallonie, l'autre pour Bruxelles-Capitale, chacun d'eux exerçant ses attributions dans une organisation interne fixée par décret et ordonnance, sous contrat de gestion passé avec son pouvoir constitutif. Libre à chacune des deux Autorités de décliner le nombre de chaînes de radios qu'elle financerait en propre, leur nature (généraliste ou thématique, etc.), leur structuration régionale ou sous-régionale (pour la Wallonie), leur(s) site(s) de production, etc. Les implantations existantes de l'actuelle RTBF seraient privilégiées. Il s'agit de même de réduire au maximum les investissements techniques et immobiliers, tout en limitant la mobilité forcée des travailleurs.
Libre également aux deux Autorités de s'accorder entre elles pour créer en outre des chaînes de radio « de Wallonie et de Bruxelles », à l'image de la Télévision ci-dessus, par exemple en matière d'expressions musicales (classique, rock, jeunes, ...). Il importerait enfin de conserver le plan de fréquences de l'actuelle Communauté française.
Information de service public
En ce compris sa déclinaison sur des sites Internet, l'information diffusée sur une télévision publique unique et sur des radios de Région peut d'ores et déjà s'appuyer sur la structure, dite de la newsroom, que vient de mettre en place l'actuelle RTBF (« plan Info 360 degrés »), comme d'autres grands médias. La « salle des nouvelles » est un carrefour et un pôle de numérisation informatique où aboutissent toutes les propositions d'informations (textes, sons, images, sports compris) émanant de producteurs de contenus affiliés au système. Dans la réforme proposée, ces derniers ne seraient autres que les actuels journalistes de radio, de télévision et d'Internet de la RTBF.
La newsroom aurait le statut d'organe de presse juridiquement autonome, organisé conjointement par les deux Régions, sur le modèle de la Télévision publique de Wallonie et de Bruxelles, dans le souci identique de la meilleure représentativité possible de la Wallonie et de Bruxelles-Capitale. Outre la relation, dans le même esprit, de tous les types d'informations. Pour les journaux et bulletins, la Télévision publique de Wallonie et de Bruxelles serait un « client » majeur de cette newsroom « fournisseur », de même que toutes les chaînes publiques de radio. Ces médias iraient y puiser, moyennant rétribution, en fonction de leur politique éditoriale découlant de leur identité, wallonne, bruxelloise ou « de Wallonie et de Bruxelles ».
Télévisions locales
La question des TVL ne se pose pas au niveau de leur territoire de couverture ni de leurs missions, locales, par définition, mais uniquement à propos du maintien d'un financement public à leur bénéfice. Qui deviendrait régional. D'autant que les liens opérationnels tissés entre elles ne concernent que les TVL établies sur le territoire wallon (association Vidéotrame), Télé-Bruxelles jouant seul.
Organismes de régulation
La régulation de l'ensemble des médias (audiovisuels et écrits, publics et privés) constitués sur un territoire donné, appartient à la puissance publique qui administre ce territoire ou à des organismes que celle-ci crée ou reconnaît à cette fin. Elle ne peut être remise en cause en son principe. Toutefois, l'organisation des médias audiovisuels publics sur des socles régionaux impose, par exemple, l'adaptation du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) à cette situation nouvelle, mais sans qu'il paraisse nécessaire de dédoubler celui-ci.
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