5. Pour la promotion des langues endogènes de Wallonie (*)

12 mai, 2009


Le français est la langue officielle de la Wallonie et, aujourd'hui, la langue maternelle du plus grand nombre des Wallons. Elle est l'instrument irremplaçable de notre progrès intellectuel et scientifique et elle nous permet d'accéder et de nous associer aux admirables productions du génie francophone dans le monde.

Mais dans le cadre du redéploiement des compétences culturelles et d'enseignement de la Communauté française vers la Wallonie et Bruxelles tel que nous le revendiquons, nous accordons une attention particulière au sort des langues dites « endogènes » de Wallonie, à savoir essentiellement trois langues romanes : le wallon, le picard, le gaumais (lorrain), et une langue germanique : le luxembourgeois (francique).

Parmi ces langues endogènes, la langue wallonne occupe une place privilégiée : ses 4 zones (est-wallon, centre-wallon, ouest-wallon ou wallo-picard, sud-wallon ou wallo-lorrain) couvrent environ les trois quarts du territoire de la Wallonie et cette langue est une des composantes culturelles les plus intimement liées à l'identité wallonne, ne fût-ce que parce qu'elle porte le même nom que l'entité politique que nous souhaitons rendre plus autonome.

Nous avons écouté les diverses associations luttant pour la défense et la promotion des langues endogènes de Wallonie et relayons leurs constats et revendications suivants :

1. Situation des langues endogènes de Wallonie aujourd'hui

Les langues régionales endogènes de Wallonie sont menacées de disparition au même titre que plus de trois mille langues sur les quelque six mille que compte la planète. C'est le constat que fait l'UNESCO en publiant son Atlas des Langues ...

Pour rappel, la langue wallonne est une langue romane qui s'est nettement individualisée dès le 11e siècle, sur les frontières politico-religieuses de l'évêché de Liège. Elle est « traçable » dans la « scripta », textes écrits avant 1600 dans un mélange de français administratif et de mots wallons écrits « à la française ». A partir de 1600, on a commencé à écrire sciemment le wallon. Un système « phonético-analogique » mis au point par Jules Feller en 1900 a permis une éclosion d'auteurs et de lexicographes tout au long du 20e siècle. Mais le « système Feller » n'est pas une orthographe, car on note les accents de chaque locuteur.

Les raisons historiques de la progressive disparition du wallon sont connues dans ses grandes lignes. Une politique d'éradication du wallon à l'école (politique largement inspirée du modèle de l'école de la troisième république française qui assimilait dans une même répression cracher et parler breton) s'est conjuguée avec une rupture de la transmission intrafamiliale de la langue maternelle (surtout entre 1920 et 1950), rupture qui s'explique largement par un désir puissant d'ascension sociale. Le français, jusque là langue de la bourgeoisie, de l'administration et de l'église, apparaissait comme la seule langue permettant la réussite socio-économique alors que le wallon était présenté comme une langue vulgaire, grossière, la langue des ouvriers et des baraquîs, une langue qui était censée menacer un bon apprentissage du français (la chasse aux belgicismes ...).

D'autres phénomènes ont joué également, comme une accélération de la mobilité géographique, de l'urbanisation, l'impossible accès du wallon aux médias ... Mais le ressort le plus efficace a certainement été le mépris. Il n'est pas sûr que l'on ait mesuré l'impact sur la conscience collective de ce reniement de la langue maternelle par une population entière. L'insécurité linguistique caractéristique de la Belgique francophone (travaux de Michel Francard) s'enracine dans cette négation de la langue maternelle. Plus profondément encore, n'y a-t-il pas là également l'origine d'une certaine « déprime wallonne » ? Les Flamands ont largement sauvegardé leurs parlers régionaux, jusqu'à en faire la langue de productions culturelles prestigieuses comme des films : n'est-ce pas là une des sources de leur dynamisme ?

Bien sûr, le mouvement d'éradication du wallon a connu des foyers de résistance où s'entretenait une fierté de la langue. Le théâtre wallon, la chanson, les messes en wallon, la création de sociétés littéraires, une présence arrachée dans les médias ... ont contribué et contribuent encore à maintenir une relative affirmation culturelle du wallon. Avec, cependant, le risque de ne valoriser le wallon que dans son expression « comique », voire de le folkloriser, ce qui est la meilleure façon d'encore le discréditer ...

L'action de la Communauté française en faveur de la défense et la promotion des langues régionales endogènes de Wallonie, spécialement de la langue wallonne, est totalement insuffisante.

Les deux décrets dits « Urbain » (décret du 2 février 1983 relatif à l'étude, à l'Ecole, des dialectes de la Wallonie, à l'initiative du Ministre de l'Enseignement Robert Urbain) et « Féaux » (décret du 24 décembre 1990 relatif aux langues régionales endogènes de la Communauté française, à l'initiative du Ministre-Président Valmy Féaux) ont été suivis de peu d'effets concrets, faute de textes d'application et de moyens budgétaires suffisants, et faute surtout d'une réelle volonté politique.

Un seul arrêté d'exécution a été pris par le Gouvernement de la Communauté française, le 19 mars 1991, instituant un Conseil des Langues régionales endogènes de la Communauté française, aux moyens limités.

Or, l'état de dégradation de la connaissance de la langue wallonne aujourd'hui nécessite une action dynamique et rapide. Les générations qui sont encore familières avec la langue depuis leur enfance sont maintenant dans la cinquantaine, pour les plus jeunes.

2. Comment défendre et promouvoir les langues endogènes de Wallonie ?

2.1. Prise de conscience des Wallons

Il convient de travailler simultanément à la prise de conscience d'une menace pour la survie des langues régionales tout en rendant aux Wallons une « conscience fière » de leur enracinement langagier.

En ce sens, il importe d'affirmer le wallon comme patrimoine à promouvoir. Depuis 20 ans, les Journées du Patrimoine valorisent les politiques de sauvegarde du patrimoine matériel. Depuis une dizaine d'années, de nombreuses manifestations folkloriques ont été reconnues comme patrimoine oral immatériel. Les langues régionales restent les grandes oubliées de cette défense patrimoniale. Nous revendiquons donc pour les langues régionales les mêmes moyens humains et subsides que ceux qui sont alloués pour les « monuments et sites » et pour les festivités folkloriques.

Il s'agit aussi d'inscrire la défense des langues régionales dans la dynamique mondiale, portée par l'UNESCO, de lutte pour la « diversité bio-culturelle » (« Les liens entre langue, culture et environnement laissent entendre que la diversité biologique, culturelle et linguistique doit être étudiée comme un tout, en tant que manifestations distinctes, mais étroitement et nécessairement apparentées, de la diversité de la vie sur terre. »). Et cela avec une perception nécessairement urgente des « enjeux spirituels et culturels » de la lutte contre un type de mondialisation économico-financière, uniformisante et totalitaire.

2.2. Un plan volontariste

Un plan volontariste, ambitieux et efficace, qui traduise en mesures concrètes et budgétées un engagement politique sans ambiguïté, doit être mis en place rapidement.

C'est la prise en charge par la Wallonie des compétences culturelles et d'enseignement qui permettra la meilleure réalisation d'un tel plan.

Mais sans plus attendre, Communauté française et Région wallonne doivent agir de concert dans leurs compétences respectives.

La Communauté française s'est reconnue par le « décret Féaux » du 24 décembre 1990 trois obligations envers les langues endogènes : les préserver, en favoriser l'étude scientifique et en favoriser l'usage, soit comme outil de communication, soit comme moyen d'expression.

La Région wallonne, par ses diverses interventions directes ou indirectes dans les domaines de la culture, du patrimoine, de l'enseignement et des médias, peut aussi agir en faveur de la langue wallonne.

Ce plan doit concerner simultanément plusieurs secteurs :

2.2.1. Préservation et étude scientifique

Une place estimable doit être réservée aux langues régionales endogènes en matière de bibliothèques, d'archives et de centres de documentation, de publications et de rééditions, de musées, de programmation et de diffusion culturelles.

Il est indispensable qu'au sein de chaque section de philologie romane des universités de Wallonie existe une chaire de langue et de littérature wallonnes. Il convient également que les crédits nécessaires soient réservés aux sociétés savantes dans ces domaines ainsi qu'à la recherche en linguistique et en philologie wallonnes.

Un plan d'urgence de collecte de témoignages oraux doit être mis en place par une politique systématique d'enregistrement de locuteurs wallons (cfr politique du Val d'Aoste), de pièces de théâtre et d'autres manifestations en langue wallonne : la création d'Archives audio-visuelles des langues endogènes en serait un outil efficace.

2.2.2. Réhabilitation du wallon dans les écoles

L'école a largement contribué à l'éradication du wallon, la sauvegarde de celui-ci passera par l'école : c'est à elle de rendre goût et fierté pour ce qu'elle a méprisé. Quelques pistes :

  • une plage horaire hebdomadaire dans les classes de primaire et secondaire inférieur pour une initiation à la langue et à la culture wallonnes (le « décret Urbain » le permet déjà) :
  • prise de conscience historique de la langue des « grands-parents » avec contacts intergénérationnels possibles autour de la langue, de ses expressions, du vécu de cette langue à l'école ... ;
  • utilisation de la langue wallonne dans l'apprentissage du français (ressemblances et différences dans l'évolution de ces deux langues romanes) avec notamment une prise de conscience des origines de notre « insécurité langagière » en français ;
  • découverte du patrimoine oral (les nombreuses expressions wallonnes et la culture qu'elles expriment, en particulier racine possible du surréalisme à la wallonne ?) et littéraire (comptines, chansons, poèmes, contes, paskéyes ...) ; sans oublier le patrimoine musical (contribution des artistes et créateurs wallons à l'évolution de la musique européenne);
  • stimulation à la récitation de textes wallons, à la création de spectacles, mises en scène de contes, de sketches ... en vue de spectacles notamment à destination du troisième âge ...

  • nécessité de fournir aux enseignants des « outils » pour pouvoir animer ce type d'activité :
  • proposition d'un « enseignant volontaire » par école qui assure le cours ;
  • formation des enseignants en école normale et dans le cadre de la formation continuée ;
  • réalisation d'outils pédagogiques avec supports décrits ci-dessus (en version bilingue, avec enregistrements sonores permettant une prononciation correcte ...) ;

2.2.3. Soutien à la création et à la diffusion culturelle

  • Création de « la semaine annuelle du wallon qui spite » dans chaque commune sur le modèle et avec les moyens des Journées du Patrimoine, animée par les maisons de la culture et centres culturels (avec un animateur « langues régionales » par commune) ;
  • Soutien à la création culturelle en wallon : chanson, production théâtrale originale qui s'ouvre plus largement que le vaudeville, réalisation cinématographique (films et cinéma d'animation : le court métrage en images de synthèse Dji vou veu volti de Benoît Féroumont n'a-t-il pas été remarqué dans les divers festivals internationaux où il a été présenté depuis 2007 ?) ... ;
  • Soutien à la diffusion « grand public » d'œuvres littéraires wallonnes, avec traduction française, par des maisons d'édition dynamiques ;
  • Politique de valorisation médiatique des productions en langues régionales :
  • diffusion d'émissions TV et radios variées en langue wallonne à des heures de grande écoute ; diffusion plus fréquente de chansons et musiques en wallon avec imposition d'un quota de chansons wallonnes dans le contrat de gestion de la RTBF ;
  • subsides à la presse conditionnés à la présence d'un quota de pages en langues régionales (avec diffusion dans les pages dites « nationales », et non régionales de telle ou telle province) ... ;
  • Soutien à l'utilisation du wallon dans les nouveaux médias, permis par la normalisation du corpus de la langue wallonne, entreprise avec succès depuis 1992 par une action volontariste d'associations de promotion du wallon : cette forme écrite commune constitue 95 % de l'écrit wallon disponible sur Internet (la langue wallonne écrite commune n'est pas associée à une prononciation standard : ainsi elle peut être associée à l'utilisation des différents accents wallons régionaux et on ne perd donc rien des richesses dues à la diversité). L'emploi du wallon sur l'internet ou dans des jeux vidéos serait un des gages de son nouveau départ, par sa réappropriation par la jeunesse wallonne.

2.2.4. Réforme du Conseil des langues régionales endogènes

Parmi les autres stratégies à promouvoir à court terme, la réforme du Conseil des Langues Régionales Endogènes est prioritaire. C'est la seule institution officielle qui a dans ses attributions la promotion de la langue wallonne. Même dépendant de la Communauté française comme actuellement, ce Conseil doit avoir son siège à Namur, vu le poids du wallon par rapport aux autres langues régionales endogènes. Comme les autres conseils d'avis, les membres et le président doivent être élus par les personnes qui sont réellement actives dans la promotion du wallon, et non pas nommés par le ministre sur base de candidatures. La langue wallonne doit y être gérée par une unité à part (par rapport au picard, au gaumais et au luxembourgeois). Cette sous-unité fonctionnelle du CLRE, le « Conseil pour la réhabilitation de la langue wallonne », doit fonctionner en wallon et communiquer dans les deux langues (wallon et français). Il doit être détaché du département des livres, et son budget doit être alloué en fonction d'activités orientées vers l'avenir de la langue wallonne, et non pas la description de son passé.

A moyen terme, dès la récupération des compétences culturelles par la Wallonie, le Conseil doit devenir un Office pour la réhabilitation de la langue wallonne (« Buro do lingaedje walon »), indépendant des structures ministérielles. Une de ses activités prioritaires sera d'organiser l'enseignement de la langue wallonne, et tout d'abord, la formation des formateurs (création d'un cursus d'enseignant du wallon, sur base d'une formation unique pour toute la Wallonie linguistique).

Les mêmes actions doivent être mises en place pour le picard, mais en concertation avec les utilisateurs et institutions picardes de Picardie française.

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