6. Pour une régionalisation de l'accueil de l'enfance et des autres matières personnalisables

12 mai, 2009


En matière de politique d'accueil des enfants, la division des compétences entre trois pouvoirs politiques entrave le nécessaire développement de l'offre d'accueil.

La politique de l'enfance, matière dite « personnalisable », relève des compétences communautaires. Le lien direct entre l'existence d'une offre d'accueil des enfants et l'accès des femmes au marché de l'emploi, voire plus globalement l'égalité hommes/femmes, engage cependant la responsabilité conjointe de tous les niveaux de pouvoir pour en assurer le développement :

  • l'Etat fédéral, compétent en matière de politique d'emploi (conciliation des vies professionnelle et privée) et de sécurité sociale,
  • le gouvernement communautaire, compétent en matière de politique de l'Enfance, en ce compris l'offre d'accueil,
  • le pouvoir régional, compétent en matière de politique de développement des infrastructures d'accueil et de politique de l'emploi.
  • Indépendamment de la reconnaissance unanime de l'importance du développement de l'offre d'accueil, la division des compétences a permis durant de longues années un déni de responsabilité commune, inacceptable face au défi à rencontrer.

    En 1971, les syndicats relayant les difficultés des travailleuses avaient revendiqué et obtenu une intervention de la sécurité sociale - via le secteur des allocations familiales et la création du FESC (Fonds d'équipements et de services collectifs) - dans le financement de l'accueil des enfants des salariés au sein des structures collectives.

    En 1993, la Communauté française a transféré aux Régions l'exercice des compétences relatives aux infrastructures d'accueil collectif et aux maisons maternelles tout en conservant les missions de l'ONE, dont la réglementation et la programmation de l'offre d'accueil des enfants de 0-3 ans.

    Compétente mais dépourvue de pouvoir fiscal, la Communauté française s'est très rapidement avérée incapable d'assumer le développement nécessaire de l'offre d'accueil. Elle a dès lors promotionné le développement de formules d'accueil moins onéreuses pour son budget : l'accueil à domicile (gardiennes) et l'accueil en MCAE (maisons communales d'accueil de l'enfance).

    Les MCAE comptabilisent aujourd'hui près de 2.500 places d'accueil. Elles se sont développées essentiellement en Wallonie, vu le retard pris au niveau de la couverture des besoins. Elles se distinguent des crèches classiques uniquement par leur financement, assumé par les pouvoirs locaux (infrastructures et fonctionnement) et la Région (personnel d'encadrement ACS ou APE 1), la Communauté n'intervenant plus que de façon tout à fait résiduaire 2.

    Les organisations syndicales, confrontées aux difficultés des travailleurs concernant non seulement l'accueil des tout-petits mais aussi l'accueil extrascolaire, ont, pour leur part, revendiqué une responsabilisation patronale en matière d'accueil des enfants. Au départ des accords interprofessionnels de 1993-1994 et 1995-1996 et après quelques péripéties, une cotisation sociale de 0,05 % en faveur d'initiatives d'accueil des enfants a ancré dans la sécurité sociale un financement de l'accueil en raison du lien direct avec l'emploi.

    Se retrouvant très vite face au mur (l'ampleur des besoins dépassant largement les moyens engrangés par la cotisation 0,05 %), les interlocuteurs sociaux, gestionnaires du FESC, ont été contraints d'imposer un moratoire par rapport au financement de nouveaux projets tout en reciblant l'affectation des moyens du FESC sur les besoins d'accueil spécifiquement induits par la flexibilité croissante de l'emploi et en renvoyant aux Communautés la responsabilité de l'accueil 0-3 ans.

    Mis sous pression par le gouvernement flamand qui menaçait d'exiger la communautarisation du FESC, ils ont été amenés en 1997 - en contradiction avec les règles de fonctionnement prévalant en sécurité sociale - à équilibrer l'affectation des moyens en fonction du poids des Communautés. Cette mesure a atteint de plein fouet les projets francophones.

    La Communauté française, incapable de reprendre à sa charge le subventionnement des emplois conditionnant la survie des services d'accueil 0-3 ans exclus du financement FESC, s'est tournée vers les gouvernements régionaux. Les Régions ont sauvé l'emploi en imputant des emplois ACS (aujourd'hui APE en Région wallonne) à l'accueil des enfants dans le cadre d'un Fonds de solidarité géré par l'ONE.

    En 2002, à Barcelone, le gouvernement fédéral s'est engagé à atteindre à l'horizon 2010 les objectifs fixés par l'Europe soit un taux de couverture (nombre de places d'accueil / nombres d'enfants) de 33 % pour l'accueil des enfants de 0-3 ans et de 90 % pour l'accueil des 3-6 ans.

    Pour y répondre, la Communauté française a lancé un plan de développement de l'offre d'accueil baptisé plan « Cigogne », impliquant de facto les Régions pour le financement des emplois d'encadrement des enfants.

    Les interlocuteurs sociaux wallons, soucieux d'une politique de développement de l'offre cohérente et répondant aux besoins spécifiques de la population wallonne, ont souhaité et obtenu la mise sur pied d'un partenariat rassemblant autour de la table, la Communauté française et les différents ministres régionaux consacrant dans leur budget respectif - sans concertation - des moyens à l'accueil des enfants ...

    A cette occasion, le gouvernement wallon a pris conscience du levier que constitue pour le développement de l'offre d'accueil collectif sa compétence sur les infrastructures, négligée jusqu'alors. En 2007, il a décidé d'injecter 25 millions € pour la construction de crèches communales et, plus récemment, 160.000 € pour des crèches ASBL ou dépendant des CPAS. Parallèlement, des moyens importants ont été dédicacés dans le cadre du budget emploi à l'octroi de points APE dans le secteur de l'accueil des enfants.

    Malheureusement, et c'est là que le bât blesse, dans la mesure où l'ONE se doit de respecter un équilibre dans la « distribution » de la programmation de l'offre - non seulement entre Bruxelles et la Wallonie, mais également entre les différents types d'accueil -, on peut craindre que les moyens mis sur table par la Région ne puissent tous être attribués dans le cadre de la programmation.

    Ils seront donc, à défaut, soit réaffectés à d'autre politiques, soit affectés hors programmation, directement par les ministres respectifs, ce qui mettrait à mal la recherche de développement équilibré de l'offre souhaité par les interlocuteurs sociaux !

    Aberrations et difficultés induites par la division des compétences !

    L'implication de la Région wallonne est de plus en plus déterminante pour le développement de l'offre d'accueil des enfants. En effet :

  • les engagements pris à Barcelone nécessitent la création d'infrastructures dont le financement relève entièrement des Régions depuis 1993,
  • le plan « Cigogne » de développement de la programmation (c'est-à-dire places bénéficiant d'un subventionnement ONE) repose, pour ce qui concerne l'encadrement des enfants, essentiellement sur des emplois APE.
  • Depuis 2004, 566 ETP 3APE (plus de 9 millions €/an) et 600 PTP (plus de 8,5 millions €/an) ont été dégagés par la Région wallonne en faveur de l'accueil des enfants. Si on ajoute les moyens récemment budgétés pour les infrastructures, l'effort supplémentaire de la Région s'élève à plus de 40 millions €.

    Cela sans compter - et depuis plus de 10 ans - les nombreux emplois ACS/APE affectés aux MCAE (plus de 500 ETP), les ACS/APE attribués pour le sauvetage des projets d'accueil 0-3 ans exclus du financement du FESC, ni les moyens directement affectés par les pouvoirs locaux sur leur budget.

    En regard, on retiendra que les dépenses de subventionnement des milieux d'accueil 0-3 ans représentaient en 2006 4 ± 45 % du budget de l'ONE, soit 84 millions €, l'essentiel étant destiné aux crèches pour près de 10.800 places 5 , dont plus de 5.000 à Bruxelles.

    Le financement de l'accueil des enfants en Région wallonne dépend désormais essentiellement de différents budgets régionaux (Emploi, Action sociale, Economie, Pouvoirs locaux) tandis que les « rênes » sont restées aux mains de la Communauté.

    Le récent accord politique sur la première phase de réforme de l'Etat engrange la suppression du FESC au niveau fédéral et la communautarisation des moyens à affecter aux compétences communautaires en matière d'accueil des enfants, soit ± 30 millions € pour les francophones.

    L'accord prévoit le maintien de la cotisation sociale dans la gestion globale, par l'augmentation de la cotisation à l'assurance maladie et le transfert des moyens du FESC vers les Communautés via une diminution du financement alternatif octroyé à la sécurité sociale.

    On peut craindre une perte du pouvoir des interlocuteurs sociaux sur la gestion de moyens désormais « fiscaux » et le risque d'affectation de ces moyens au budget global destiné à l'accueil des enfants, sans maintien du lien particulier avec les besoins spécifiques des travailleurs 6

    Une régionalisation de la compétence en matière de programmation de l'offre d'accueil des enfants de 0-3 ans (moyennant le maintien des missions de réglementation et contrôle des normes qualité à l'ONE) permettrait à la Région de développer une politique concertée et cohérente sur base de priorités de programmation en phase avec les besoins spécifiques de sa population.

    Il en va de même pour les autres matières dites « personnalisables » attribuées en 1980 à la Communauté française et dont l'exercice de la compétence n'a pas encore été transféré en 1993 à la Région wallonne d'une part, à la Commission communautaire française d'autre part : la protection de la jeunesse, l'aide sociale aux détenus, l'Office de la Naissance et de l'Enfance, l'éducation sanitaire.

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    1. 1. ACS (agent contractuel subventionné), APE (aides à la promotion de l’emploi) et PTP (programme de transition professionnelle) sont trois programmes régionaux d’aide à l’emploi subventionnant tout ou partie du coût pour l’employeur d’un poste de travail.
    2. 2. ¼ temps d’assistante sociale ou infirmière sociale + une subvention de fonctionnement.
    3. 3. ETP = équivalent temps plein.
    4. 4. Dernier rapport annuel disponible.
    5. 5. Y compris 796 places en prégardiennat, dont 691 à Bruxelles.
    6. 6. Pour rappel, la mission de l’ONE relative à l’accueil des enfants en dehors du milieu familial ne se limite pas à l’accueil en lien avec l’emploi !