7. Le territoire wallon : un capital à gérer pour maîtriser le devenir wallon (*)
Pourquoi parler du territoire ?
Le territoire est un élément majeur de la construction d'une identité collective : chargé d'histoire, il est le cadre concret de l'action des hommes et des femmes au jour le jour, à travers leurs actions individuelles ou collectives.
Le territoire est le lieu de convergences qui intègre les actions : ainsi la construction d'un quartier avec les voiries du ressort des pouvoirs publics communaux ou régionaux, avec les arrêts pour autobus d'une autre instance publique, les maisons bâties par des particuliers, etc. Il est aussi l'empreinte d'interventions multiples ou de non interventions (pensons aux friches industrielles, tertiaires ou urbanistiques). Comme il est le révélateur des tensions, des conflits, des luttes.
Enfin dans une société décrite comme « mondialisée », le sol est une valeur refuge au sens d'un capital financier, mais surtout le territoire est un des rares champs où l'action publique ait une véritable prise.
Quel territoire ?
Une image est souvent utilisée pour décrire l'usage du territoire : un millefeuilles. Chaque activité renvoie à un territoire aux configurations différentes. Pour l'individu se superposent les déplacements scolaires, ceux liés au travail, aux relations familiales et sociales, etc. Pour l'action publique, il suffit de demander à un mandataire local quels sont les lieux qu'il peut évoquer au long d'une seule journée de contacts.
Dans cette multitude, il y a un vecteur structurant : l'axe politique, celui du choix des élus par des hommes et des femmes sis sur un territoire. Une tendance et une option politique sont de distinguer le local (commune), le Régional, et au-dessus : l'Etat-Nation (dont le poids est lié à sa consistance historique et à sa légimité-efficacité), l'Europe, le monde.
Dès l'aube de la régionalisation de l'Etat belge, la Wallonie a fait le choix dans les années septante de mettre l'accent sur la Région (par exemple la création, sous la pression des partenaires sociaux, d'une seule SDR, la Société de développement régional pour la Wallonie, ayant des compétences notamment en aménagement du territoire, alors que la Flandre optait pour une SDR par province).
Le territoire est au cœur du projet wallon
Relevons tout d'abord que la Wallonie a « mal à son territoire », ce qui est un frein d'importance à la politique de relance. Comment regarder l'avenir si constamment on doit réaffirmer sa consistance ?
Le thème récurrent de la fusion région-communauté est une façon d'introduire le flou sur les limites territoriales wallonnes. Les discussions sur les limites de la Région de Bruxelles-Capitale favorisent le basculement du Brabant wallon hors Wallonie.
L'autre facteur de fragilisation est, dans une société marquée par l'urbanisation, la localisation aux frontières régionales d'entités urbaines fortes (l'agglomération lilloise, celle de Bruxelles, les villes d'Aachen et de Maastricht, Luxembourg avec aussi le projet de ville nouvelle de Belval), la Wallonie étant par ailleurs un pays de frontières : près de 75 % de sa population vit à moins de 20 kilomètres d'une frontière d'Etat ou régionale. Cette situation oblige de jongler avec une politique qui allie mobilisation des ressources internes à la Wallonie et coopération avec ces moteurs économiques proches et qui influencent notre territoire (et pas seulement au niveau transfrontalier).
Le Schéma de développement de l'espace régional (SDER) : un atout malheureusement peu utilisé
En mai 1999, la Gouvernement wallon présidé par Robert Collignon adopte le SDER, initié par la Ministre Michel Lebrun. Cette décision clôture un long processus lancé en 1974 par Alfred Califice.
Ce schéma intègre la Wallonie dans la dimension européenne (carte 16 dudit schéma ci-dessous), articule la Wallonie aux pôles extérieurs proches, lance le principe de pays et d'agglomérations à constituer, structure la Wallonie autour de deux axes : Est-Ouest (le sillon industriel) et Nord-Sud (la Nationale 4). De la sorte, il conciliait des tendances internes qui, si elles n'étaient pas reconnues, minaient la recherche d'un indispensable consensus wallon (carte 17 ci-dessous).
[Pour mieux lire les cartes, il suffit de cliquer dessus pour les agrandir jusqu'à la taille voulue.]
Le problème est que ce schéma a été partiellement oublié, les gouvernements ont depuis lors sorti plans sur plans, sans grande mémoire de ce qui avait été adopté. Un fait parmi d'autres : les documents orientant la politique des Fonds structurels européens ignorent depuis une décennie les arbitrages territoriaux du SDER, pour reproduire ceux des périodes de programmation précédentes (reposant notamment sur le critère peu discriminant de la simple appartenance à l'espace territorial d'une province déterminée).
Derrière ce qui peut paraître technique, réside un des enjeux de la relance de la Wallonie : un consensus entre toutes les forces qui la constituent. La phrase de Jules Destrée est toujours d'actualité et nous interpelle toujours : « Si la Wallonie veut vivre comme telle, c'est à condition de sacrifier désormais tous les antagonismes locaux, toutes les étroites mentalités qui voudraient opposer Mons à Tournai, Namur à Huy, Charleroi à Liège » (Wallonia, janvier 1913).
A cet égard, le remplacement des actuelles circonscriptions provinciales par un nouvel ensemble d'entités à instituer à l'échelon subrégional (en référence aux réalités d'« agglomérations », ou de « pays »), et fonctionnant clairement au niveau intermédiaire entre la Commune et la Région, doit être perçu comme un des passages obligés urgents en termes de réformes institutionnelles majeures conditionnant l'accélération et le renforcement du processus global de renouveau de la Région Wallonne. Ce remplacement et cette innovation institutionnelle de portée territoriale favoriseront en effet l'émergence indispensable d'un consensus nouveau entre les composantes socio-géographiques - en ce compris leurs potentiels économico-culturels propres - , constituant la riche diversité de l'ensemble de la Wallonie.
Le territoire wallon : source de dynamisme partagé
Outre la création d'agglomérations et de pays (cfr supra) qui assureront une bonne articulation entre le niveau régional et le local, permettant de dépasser les sous-régionalismes, le municipalisme et le jacobinisme, trois axes politiques s'imposent.
Tout d'abord, une politique de la ville (durable). La Wallonie ne s'en est point dotée contrairement à d'autres pays et régions, la Flandre par exemple. Il ne s'agit pas de créer une administration supplémentaire mais d'initier une politique gouvernementale dédiée à cet objectif, prenant appui sur un lieu de rencontre et d'échanges : les administrations régionales impliquées et les villes pour échanger les informations, s'éclairer mutuellement et relayer vers le Gouvernement les problèmes, les blocages, les initiatives à prendre. L'enjeu urbain est un enjeu régional, mais aussi de la Wallonie au sein de l'Europe.
Par ailleurs, on a vu le rôle central des pôles extérieurs à la Wallonie sur celle-ci. Pour mettre en place une coopération (avec des accents de compétition, ne soyons pas naïfs) avec ces pôles, créons comme pour la politique de la ville une structure souple pour coordonner les acteurs régionaux et locaux wallons pour agir en concertation plutôt que dispersés (notons que la Région flamande a créé ainsi un groupe interadministratif pour ses relations avec l'agglomération de Lille).
Enfin, à côté d'actions plus ou moins larges, un enjeu structurel est de lancer une prospective territoriale au niveau wallon. Paradoxalement, beaucoup d'initiatives ont été prises ou sont en cours au niveau sous-régional (parmi d'autres : Luxembourg 2010, Wallonie Picarde, Prospect 15, Pays de Herve au futur, ...), mais rien au niveau wallon. Or une démarche prospective contribuerait fortement à mieux construire une identité et un projet wallon. Partir du présent, en le dépassant et en s'obligeant à regarder l'avenir, voilà un chemin pour construire un projet wallon associant la diversité wallonne.
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