8. Trois propositions concrètes pour une amélioration du fonctionnement de la Région wallonne (*)

12 mai, 2009

Si le respect des règles basées sur une éthique personnelle des citoyens et des élus conditionne toute gouvernance, il existe une relation forte entre réformes institutionnelles et gouvernance régionale. Les faiblesses relatives régulièrement reconnues aux modes de gouvernance publique en Wallonie sont souvent reliées à un manque d'attention pour la restructuration de l'édifice institutionnel, plus particulièrement au non-regroupement, au non-rapprochement, des champs de compétences à la fois matérielles et immatérielles qui conditionnent, en fin de compte, la réussite durable d'une vraie politique de redéveloppement régional multi-dimensionnel.

Un exemple de cette interrelation « gouvernance - institutionnel » est fourni à propos de la perspective politique de remplacement des provinces en Wallonie. L'absence, sans cesse prolongée, de cette réforme handicape et retarde depuis de longues années l'optimalisation de la gouvernance wallonne.

Introduction

Evoquons, à titre illustratif, l'enjeu du « ciblage » territorial et financier des politiques (déjà anciennes) d'utilisation des Fonds structurels européens en Wallonie : la plupart du temps, ce ciblage s'est révélé d'un manque d'efficience navrant, notamment en raison de l'acceptation préalable systématique de la référence géographique conventionnelle, à savoir celle du territoire global de chaque province existante, territoire en fait trop hétérogène et trop étendu.

Du coup, par exemple, le saupoudrage répété des subsidiations publiques sur un tel territoire trop peu différentié a grandement affaibli l'efficacité de la politique globale menée pour la reconversion.

Mais la lenteur insigne avec laquelle le monde politique se décide à finaliser ce remplacement de l'échelon provincial, renvoie elle-même à l'insuffisance du poids politique du pouvoir régional wallon lui-même. Et cette insuffisance de poids politique, une fraction importante de ce même monde politique, wallon et bruxellois francophone, tend en fait aussi à la préserver autant que possible à travers le temps, notamment en refusant systématiquement d'envisager le transfert effectif des compétences de la Communauté française aux Régions wallonne et bruxelloise.

Si l'on rappelle donc ici clairement le lien d'interdépendance existant d'une part entre bonne (ou mauvaise) gouvernance, et d'autre part optimisation et simplification (ou résignation face au « foisonnement ») de l'architecture institutionnelle, c'est fondamentalement parce que nous nous prononçons aussi résolument pour un lien prioritaire et permanent de la gouvernance wallonne au projet wallon en tant que tel, au sens le plus fort et le plus fondateur de ce terme ; mais il ne pourra y avoir de projet wallon fort que si celui-ci émane aussi d'une Région, dont la consistance reconnue du statut institutionnel est également forte.

D'autre part, ce projet wallon global ne peut se bâtir et ne peut prendre corps dans la réalité régionale qu'à certaines conditions primordiales, à savoir :

  • tout d'abord une réelle transparence du processus démocratique électif : sur ce plan, nous soutenons l'introduction prochaine d'une circonscription électorale wallonne globale ; en outre, pour garantir clairement la fonction de contrôle effectif par le Parlement régional, nous insistons sur la nécessité d'interdire le cumul de mandats de parlementaire régional et de membre d'un exécutif communal ;

  • ensuite, un esprit de coopération effective doit constamment prévaloir entre les différentes grandes sphères du pouvoir régional : parlementaire, gouvernementale, administrative de gestion et de mission ;

  • un mode de gestion (management) des services publics basé sur la transparence des décisions prises, l'exigence et le respect entre les parties concernées, l'utilisation systématique de l'évaluation (recherche de la qualité totale), entre autres.

  • La récente création du Service public de Wallonie (issu de la fusion des anciens Ministère de la Région wallonne et Ministère wallon de l'Equipement et des Transports) devrait être l'occasion de mettre cela en pratique.

    Outre ces principes, relevant de ce qu'on peut appeler une éthique de base sous-jacente à la gouvernance, nous privilégions complémentairement dans le cadre du présent Livre blanc, trois champs de réformes, à la fois distinctes et formant un tout. Nous attendons qu'elles confèrent une force et une cohérence nouvelles au Projet wallon, et par conséquent une modernité et un tonus nouveaux à la gouvernance wallonne.

    Nous aborderons successivement :

    • la restructuration de l'espace territorial,

    • le développement de la participation citoyenne,

    • la valorisation du triptyque Evaluation - Prospective - Statistique.

    1. Remplacer les provinces par un nouvel ensemble de circonscriptions subrégionales constituant l'espace territorial wallon

    La solution politique ayant, à l'époque, consisté à organiser la cohabitation entre la nouvelle institution qu'était la Région politique, émanant de la vision moderne du fédéralisme, et l'institution provinciale, remontant au début du dix-neuvième siècle, peut, avec le recul du temps, être qualifiée d'attitude pragmatique, proche du pis-aller. L'heure est venue de mettre un terme à cet emboîtement institutionnel rudimentaire, hétéroclite, peu dynamisant pour la Wallonie, dès lors qu'il s'agit de réussir la structuration de l'espace propre de la Région elle-même.

    D'une part, la connaissance actuelle du territoire wallon, sous ses multiples facettes, obtenue tant par l'expérience acquise de très nombreuses collectivités assumant des missions de gestion et de développement, que par l'analyse objective des matériaux statistiques périodiquement mis à disposition selon des échelles territoriales fines, fait conclure au caractère trop approximatif, trop décalé par rapport aux dynamiques vivantes s'étant développées au sein des populations, offert par le découpage provincial du territoire, qui a subsisté jusqu'à nos jours.

    D'autre part, le remplacement des actuelles provinces wallonnes par un nouvel ensemble de circonscriptions subrégionales, n'ayant pas de fonction législative (contrairement aux actuelles provinces) mais seulement administrative, et qui apporteraient l'ensemble de la structuration subrégionale exécutive adéquate de l'administrative régionale centrale, trouve aussi sa pleine justification au nom des impératifs de bonne intégration et de bonne conduite des politiques wallonnes globales elles-mêmes. En matière d'actions publiques d'aide à la reconversion et au redéveloppement régional, par exemple, ces politiques wallonnes, s'appuyant désormais sur une lecture nouvelle et fortement affinée du territoire régional, pourront de la sorte échapper beaucoup plus aisément aux écueils du saupoudrage des moyens financiers (que ceux-ci proviennent de la Région, ou des autorités fédérales, ou de l'Europe) sur des territoires trop vastes et aux besoins trop disparates, et donc atteindre en fin de compte un niveau d'efficacité, tant locale que globale, nettement plus élevé, grâce à un ciblage territorial plus fin, et à des arbitrages budgétaires mieux raisonnés, réservant par exemple une place plus large à l'appui de politiques de développement de caractère transversal.

    La création de ce nouveau maillage territorial subrégional wallon, organiquement relié aux instances du pouvoir régional, poursuivra les objectifs conjoints de valorisation de la diversité des potentiels propres aux différents « pays » wallons, tout comme de renforcement de la cohérence et de l'autorité des politiques à mener spécifiquement au nom de la Wallonie toute entière ; cohérence nouvelle elle-même porteuse de développement des sentiments d'appartenance commune et de solidarité intrarégionale vivante au sein de la population wallonne elle-même.

    Afin de réussir dans un délai assez court l'instauration effective de ce nouveau maillage territorial subrégional, en lieu et place des actuelles circonscriptions provinciales, il nous paraît d'une importance cruciale que le Gouvernement wallon active dans les prochains mois et finalise à brève échéance les études nécessaires qui permettront de déterminer la structuration territoriale la plus adéquate de ce nouveau réseau subrégional wallon.

    Mais par ailleurs, il importe également de souligner que l'instauration de ce réseau intermédiaire renouvelé et simplifié entre la Région et les Communes (entraînant notamment l'effacement des actuels arrondissements administratifs) ne constituera en réalité que la première phase d'un processus plus long de réformes institutionnelles s'appliquant aux réalités de la Wallonie et conduisant à une amélioration incontestable de la gouvernance publique de celle-ci.

    Nous estimons en effet que, dans un deuxième temps, des études juridiques complémentaires devront permettre de préciser de quelle manière le nouveau maillage des circonscriptions territoriales subrégionales pourra, dans un avenir relativement rapproché, s'instituer, soit en lieu et place d'associations intercommunales actuelles, soit au contraire en éventuelle synergie avec certaines d'entre elles ou avec des organismes supra-communaux actuellement en fonction.

    En toute hypothèse, la présente réforme territoriale globale que nous appelons de nos vœux aura pour vertu déterminante de définir enfin de manière univoque, quel niveau précis d'institution, à l'échelon intermédiaire entre le pouvoir communal et le pouvoir régional, sera formellement chargé d'assumer quelles responsabilités et quelles missions spécifiques d'intérêt public.

    C'est alors l'ensemble de l'édifice institutionnel wallon qui y gagnera grandement, en simplicité, intelligibilité, solidité et efficacité.

    Soulignons enfin que, par rapport au renouveau de la gouvernance publique recherchée pour notre Région, le remplacement des provinces dans la perspective qui vient d'être exposée, est clairement à percevoir comme étant une réforme institutionnelle corollaire naturel de l'autre réforme structurelle fondamentale, à savoir celle réalisant le transfert des principales compétences de la Communauté française de Belgique aux Régions wallonne et bruxelloise.

    2. Développer une politique incitative en faveur de la participation et de la prise d'initiative du citoyen

    Vouloir conférer un poids et une cohérence sensiblement accrus au pouvoir régional ne doit cependant éclipser en aucun cas l'objectif de favoriser une culture politique réservant une place importante à la participation et au pouvoir d'initiative des citoyens ; ceux-ci étant considérés comme acteurs indispensables de la vie, du développement, de l'ouverture culturelle de la Wallonie, et porteurs de l'image de celle-ci.

    Cette orientation de la gouvernance impliquant une série de dispositifs incitant les citoyens à élaborer les projets les plus divers, et à mettre leurs capacités d'invention, d'innovation et de débat au service de la collectivité, devra transparaître dans un très large éventail de domaines de compétences régionales - souvent complémentaires entre elles - par exemple le développement économique, la promotion de l'emploi, la satisfaction des besoins sociaux et culturels, la recherche scientifique et technologique, la rencontre des défis environnementaux, la solidarité internationale.

    Cette propension à encourager une participation citoyenne traversant l'ensemble du corps social de la région pourra se traduire sous des formes multiples, notamment les procédures référendaires, la consultation des citoyens à des niveaux territoriaux spécifiques (allant du quartier de commune à l'entièreté de la Wallonie), etc ...

    En ce qui concerne de manière générale la fonction consultative, nous recommandons que les responsables politiques consentent à l'avenir des efforts plus importants pour resserrer les liens entre consultation des citoyens et formation ; le but de ce rapprochement fonctionnel étant d'aider à dépasser autant que possible, face aux enjeux de toute nature soumis à l'avis des citoyens et interlocuteurs associatifs, les seuls aspects formels des procédures utilisées.

    3. Placer les fonctions d'évaluation, de prospective, et de statistique au cœur de la gouvernance régionale

    Les avancées ici proposées sont à considérer comme formant un tout avec les orientations de réformes développées ci-avant en matière de structuration territoriale et d'amplification de la participation citoyenne.

    Au niveau du constat, nous croyons devoir déplorer la trop fréquente insuffisance de temps et de moyens consacrés aux étapes préalables de production et d'analyse d'informations statistiques, d'évaluation des actions déjà engagées antérieurement, et d'anticipation des besoins et potentialités futures, lorsque, par exemple, il s'agit pour le pouvoir régional de produire de nouveaux programmes de développement, ou encore de prendre des initiatives à caractère réglementaire et décrétal.

    Observons de plus que les incidences négatives de cette culture insuffisamment modernisée de la conduite de la chose publique se trouvent encore amplifiées par l'absence ou l'inadéquation d'une série d'outils à caractère structurel. A titre d'exemple, citons la persistance néfaste, tant de l'empilement des multiples niveaux d'institutions territoriales, que de la juxtaposition des réseaux scolaires et socio-médicaux. Cette inertie institutionnelle est simplement liée à une quasi non gestion, à travers le temps, des résultantes des multiples transformations intervenues dans l'histoire de la Région.

    Nous considérons donc comme essentiel que soit apporté un soutien plus conséquent à certains outils récemment institués dans le but exprès de conférer une cohérence et un tonus nouveaux à la gouvernance wallonne ; nous citons particulièrement, à cet égard, l'Institut wallon d'évaluation, de prospective et de statistique (IWEPS).

    Nous estimons qu'il importe particulièrement d'apporter au moins deux types de clarifications en ce qui regarde la fonction de cet Institut :

    • tout d'abord, définir de manière précise le champ de responsabilités spécifique de l'IWEPS en matière de politique statistique, en identifiant les limites exactes de sa mission vis-à-vis des offices et autorités chargés de ce même type de mission au niveau fédéral belge et à celui des institutions européennes ;

    • d'autre part, il est nécessaire de déplacer la tutelle et la supervision de ce para-régional qu'est l'IWEPS, du moins en ce qui touche l'ensemble de ses activités relevant du Secteur « Evaluation », partie constitutive de son triple objet social : cette tutelle devrait en effet passer logiquement du niveau gouvernemental (niveau actuel) à l'instance parlementaire régionale, étant donné que celle-ci est précisément le pouvoir régional constitutionnellement investi lui-même de la mission de contrôle et d'évaluation de l'action conduite par le Gouvernement.

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