Au sujet des indemnités en 1944
Le 3 septembre 1939, la France et l'Angleterre déclarent la guerre à l'Allemagne.
Le 4 septembre 1939, le roi Léopold III s'adresse à la radio au peuple belge et déclare la neutralité.
Le 5 septembre 1939, la Chambre se réunit et suite au souhait de Léopold III, le gouvernement dirigé par le Premier ministre H. Pierlot s'élargit à 5 ministres socialistes dont P. H. Spaak, artisan de la politique d'indépendance de 1936, qui reprend le porte-feuille des affaires étrangères. « Cette politique doit viser résolument à nous placer en dehors des confits de nos voisins. » (Discours de Léopold III du 14 octobre 1936).
La mobilisation s'est effectuée au mois d'août : celle-ci constate l'état de guerre sans devoir la déclarer. A la Chambre, le 5 septembre 1939, du fait de l'état de guerre, plusieurs projets de loi sont déposés dont celui qui nous intéresse le plus stipule : prorogation pendant la durée du temps de guerre du mandat des corps constitués et des fonctionnaires nommés à temps (Annales parlementaires du 05/09/1939 p. 6). En clair, percevoir ses indemnités pendant toute la guerre.
On peut s'étonner, d'une part qu'une des préoccupations majeures des députés en ce début de guerre est de veiller à la sauvegarde de leurs indemnités - pas un mot de l'agression de l'Allemagne sur la Pologne - et d'autre part que le roi Léopold III : « ne se laisse détourner de ses buts propres par aucune considération » (Léopold III le 04/09/1939 à la radio).
Le projet de loi en question est adopté à l'unanimité. L'état de guerre dure jusqu'au 10 mai 1940, jour où il faut la faire.
La Chambre se réunit le 10 mai 1940 pour prendre quelques dispositions pratiques (état de siège, censure, etc.), entendre des discours patriotiques et s'ajourne jusqu'à convocation ultérieure... en septembre 1944. Pendant quatre ans, elle ne se réunit pas. Quelques députés passent en Angleterre, d'autres s'établissent en France et la majorité reste en Belgique.
Le 11 septembre 1944, le bureau de la Chambre se réunit et suite à la loi du 5 septembre 1939, qui proroge les mandats pendant toute la durée de la guerre, on va faire les comptes !
En 1940, l'indemnité parlementaire s'élève à 42.000 francs par an soit plus ou moins 1.500.000 anciens francs de 2001.
Bien qu'il n'y ait pas eu de travail parlementaire proprement dit, le bureau de la Chambre décide que les députés doivent être payés de 1940 à 1944! Cela s'est fait en plusieurs phases.
Première phase : de mai 1940 à novembre 1940, sous les premiers mois de l'occupation, les indemnités parlementaires ont été versées à tous les membres de la Chambre, sans travail parlementaire. (7 x 3.500 f = 24.500 f ~ 875.000 anciens francs). Le premier décembre 1940, les Allemands ont mis fin aux paiements.
Deuxième phase : pendant le reste de l'occupation, seuls les membres qui séjournent en France et en Angleterre sont payés (3 x 42.000 + 8 x 3.500 = 154.000 f ~ 5.500.000 anciens francs).
Troisième phase : lors de la réunion du 11 septembre 1944, le bureau de la Chambre décide de verser immédiatement l'indemnité non perçue de décembre 1940 et les mois de septembre à décembre 1944 en guise d'avance (4 x 3.500 f ~ 500.000 anciens francs). Seuls jusqu'ici, les membres de la Chambre restés en Belgique n'ont pas reçu leurs indemnités pour les années 1941 à 1944.
Quatrième phase : du 11 septembre au 27 octobre 1944, il doit se passer des choses dans les couloirs et ailleurs, car « les laissés pour compte » ne l'entendent pas de cette... oseille !
Le 27 octobre 1944, le bureau juge unanimement (!) en se référant au règlement qui fut élaboré... avant la Première guerre mondiale (!), que les membres de la Chambre restés en Belgique ont également droit à des indemnités pour la période intermédiaire, de janvier 1941 à août 1944 compris, soit 4 x 42.000 f + 8 x 3.500 f = 154.000 f ~ + ou - 5.500.000 anciens francs.
De mai 1940 à septembre 1944, les membres de la Chambre ont touché + ou - 6.875.000 anciens francs de 2001 sans aucun travail parlementaire stricto sensu !
Pour être complet, il faut ajouter que le bureau de la Chambre décide aussi de bloquer les indemnités des membres « suspects » principalement les rexistes et les VNV.
Le 13 décembre 1944, le bureau décide d'octroyer l'indemnité aux héritiers des membres décédés pendant la guerre et ceci y compris jusqu'au mois de leur décès.
Remarques importantes
Le vote du 5 septembre 1939 s'est effectué à l'unanimité de la Chambre, tandis qu'en septembre, octobre et décembre 1944, les indemnités rétroactives l'ont été par le Bureau de la Chambre. Normalement le bureau de la Chambre, composé de représentants des partis suivant leur importance n'est qu'un organe de gestion administrative et ne s'occupe que de l'ordre du jour, des interpellations et des débats. L'article 9 vol 1 du règlement stipule : « Le bureau a une compétence générale de gestion de la Chambre. Dans ce cadre, il arrête le statut des membres. » Etait-il en droit de prendre une telle décision? Ne fallait-il pas une loi et donc un débat public comme en septembre 1939 ?
Voyons maintenant les indemnités perçues en 1944 par ceux qui ont dû se battre d'une part et par ceux qui ont pris le parti de se battre d'autre part. Ceux qui ont dû se battre, ce sont les prisonniers de guerre.
Le premier prisonnier de guerre, Léopold III a reçu sa dotation pendant la guerre ! Qu'en est-il de sa captivité en Allemagne de juin 1944 à mai 1945? À ce jour, personne n'a encore posé la question !
Les vrais prisonniers de guerre au nombre de 225.000 dont 145.000 Flamands et 80.000 Wallons et Bruxellois (Encyclopédie du Mouvement Wallon - Institut Jules Destrée p. 1305) sont traités différemment par les Allemands. De fin 1940 à février 1941, 130.000 Flamands reviendront des camps allemands.
Pendant les cinq années de guerre, 65.000 prisonniers de guerre, essentiellement wallons sont gardés en captivité dont 4000 officiers (Ibidem p. 1306).
Pendant leur détention, les prisonniers qui travaillent dans les fermes gagnent entre 15 et 17 marks par mois et ceux qui travaillent en usine gagnent entre 50 et 60 marks (le mark des prisonniers vaut 12,50 F de 1940 soit + ou - 250 anciens F de 2001). Les premiers prisonniers wallons rentrent en avril et mai 1945. Ils reçoivent une première avance : 2000 F pour les officiers (+ ou - 47000 anciens F de 2001), 1000 F pour les sous-officiers (23.500 anciens F de 2001) et 500 F pour les caporaux et les soldats (11750 anciens f de 2001). C'est tout pour 1945 !
De juin 1945 à août 1947 une série de projets de loi sur le statut des prisonniers de guerre sont proposés par les ministres successifs, mais rejetés par les associations des prisonniers de guerre.
Les manifestations se succèdent et la plus violente a lieu le 26 février 1947 jusque devant le Parlement.
Le 18 août 1947 la loi reconnaît les prisonniers de guerre comme les soldats restés dans un service de guerre. Elle leur accorde un livret de dotation d'un montant de 24.000 francs (+ ou - 800.000 anciens francs de 2001), mais dont ils ne peuvent disposer que par tranche de 3450 f (soit + ou - 100.000 anciens F de 2001).
Pour les prisonniers politiques, l'attente d'indemnisation fut encore plus longue, les discussions durèrent de 1947 à 1951. Il leur fut accordé une indemnisation de 1.500 F (35.250 anciens F de 2001) par mois de captivité.
Les déportés réfractaires et résistants au nazisme des cantons annexés ont reçu en 1969 540 F par semestre, elle est de 40,56 euros actuellement.
Les résistants armés ou civils ont reçu des décorations, mais aucune indemnisation.
Dans cet article, nous n'avons pas traité des rentes, pensions et dommages de guerre obtenus après la guerre.
Il ressort que les députés se sont octroyé immédiatement des indemnités importantes et que les divers combattants ont dû attendre des années pour recevoir des indemnités beaucoup moindres, si pas nulle pour les résistants.
D'aucuns nous taxeront d'antiparlementarisme, alors que ce que nous écrivons est la stricte réalité. Nous poursuivons ainsi notre combat pour la transparence.
En 1997 déjà, TOUDI clarifiait l'opacité des revenus complémentaires des sénateurs et des députés. Cela lui valut le désabonnement de la Bibliothèque du Parlement !
Je remercie messieurs Lucien Maurice, prisonnier de guerre, Willy Colette, prisonnier politique, Francis Delpérée, professeur, Jean Joannes, fils de résistant, Jean Militis, résistant et les divers organisme officiels : C.N.P.P.A., Défense nationale, etc. qui ont tous répondu aimablement à mes demandes de renseignement.