Blanche-Neige et la République
Le conte traditionnel de Blanche-Neige qu’ont rapporté les Frères Grimm parle aussi de l’étouffoir: « ... mais la vieille passa si vite le lacet et le serra si fort que Blanche-Neige ne put plus respirer et tomba comme morte » (J et W Grimm, Les contes, Flammarion, Paris 1967 p.304). J’interprète (selon mes lectures anciennes). La méchante reine « belle mais fière et orgueilleuse », c’est notre conscience intellectuelle la plus lucide, la plus analytique; c’est cette propension à croire que l’on peut tout posséder par l’intellect, que la maîtrise de l’Univers nous est assurée par la possession des concepts. C’est une certaine lumière sans chaleur qui gonfle notre « ego ». Blanche-Neige, aux trois couleurs alchimiques, c’est l’âme du milieu, l’âme qui ressent, celle qui nous donne une perception intuitive et globale de la situation. Celle qui nous met en relation réelle. C’est elle, à mon sens, qui possède la vraie beauté car c’est la beauté des actes du coeur (comme la « politesse du cœur » qui existe encore çà et là). L’autre, la méchante reine, elle a la brillance. Mais la démarche purement intellectuelle dessèche et atrophie. Elle survole tout, croit tout posséder (comme le projet de maîtrise universelle de Sir Francis Bacon) “ « mais quand elle croit serrer son bonheur, elle le broie » (Aragon). Le lacis de concepts dans lequel elle entortille la conscience du sujet pensant est le lacet multicolore du conte. Un rapport sain avec le non-moi (la respiration normale), une perception juste diminue l’étouffement du pour-soi (du sujet). Fin du halètement, de la suffocation. Le lacet multicolore? Ce sont les dérives idéologiques dans le sens négatif du terme. Ce sont nos petits délires quotidiens ou imprimés en nous depuis longtemps comme des ornières et qui nous emprisonnent. Comment faire vivre l’âme médiane? Par l’art, pardi! Rien qu’une mélodie que l’on siffle, que l’on muse, que l’on chante quand on noircit tout, que l ‘on a peur, que l’on déprime ou que l’on est excessivement en colère - rien que çà - musical, angélique déjà, - nous sauve et vous exhausse, vous ramène à la modération harmonieuse de l’âme centrale et du Coeur Productif selon Novalis. Le rythme des poésies, la danse, les chansonnettes. Voilà des choses à portée de tous. Les belles peintures. la contemplation. L’envoilement dans le sommeil réparateur où nous faisons confiance. L’analyse juste de la situation dans laquelle nous sommes et des moyens que nous avons d’y répondre. Les royalistes doivent nous percevoir comme destructeurs. Qu’est-ce qu’on mettra à la place? semble être la question. Plus de monarchie belge, c’est comme s’il y avait un trou. Angoisse! C’est comme si nous étions des nihilistes qui brisent tout: les trônes, les sceptres, les couronnes et qui n’ont rien à mettre à la place. L’individu ne semble pas penser qu’il a à se hausser jusqu’à la royauté sur lui-même et la responsabilité vis-à-vis d’autrui. Pourtant, c’est le sens même du développement de la conscience au cours des cinq derniers siècles. L’âme médiane (Blanche-Neige) est celle de la convivialité, du vouloir-vivre en commun, de la fête de la « Gemütlihkeit ». C’est celle du tout. C’est celle de la perception que l’autre est aussi un « Moi » et qu’il a, aussi, des droits. C’est l’âme essentiellement politique. C’est celle qui nous fait sentir que nous appartenons à la Cité. Elle nous fait ressentir, sans honte, que nous sommes dépendants, débiteurs et responsables. Elle nous donne la joie d’être tous les jours, éveillés et nourris par la parole d’autrui. C’est elle qui fonde le Droit, basé sur la perception de l’équité. C’est elle qui donne les références traditionnelles reçues. La monarchie belge? oh! pas de mystère! C’est du traditionnel reçu. De « tradere », livrer, donner. C’est de l’ordre du sang. La légitimité du sang. C’est le vieux Monde. Celui qui meurt un peu plus chaque jour,Ò mais uniquement dans la mesure où nous prenons possession de nous-mêmes et de notre monde propre.