Bleus, rouges, gallois, écossais

Les élections britanniques
Toudi mensuel n°3, mai 1997

Sometimes I think to myself

Should I vote red for my class or green for our children?

But whatever choise I make

I will not Foresake.

 

So you bought it all, the best your money could buy

And I watched you sell your soul for their bright shinning lie

Where are the principles of the friend I thought I knew?

I guess you let them fade from red to blue.

 

I hate the compromise that life force us to make

We must all bend a little if we are not to break

But the ideals you have opted out, I still hold them to be true

I guess they weren't so firmly held by you

(Billy Bragg 1996) 1

 

Dix-huit années de pouvoir conservateur auront fondamentalement modifié la société britannique, y compris d'ailleurs le parti travailliste. Ce n'est pas par hasard que ces élections législatives se déroulent un premier mai, ce jour hautement symbolique pour beaucoup n'étant plus férié depuis le passage aux affaires des conservateurs!

On ne peut que constater la mutation terrible de la nation qui avait le plus profondément appliqué l'idée d'Etat-providence (Welfare State). L'immense secteur public (énergie, transports, etc.) est depuis longtemps démantelé, seuls subsistent le Service National de Santé (NHS), la Poste et le métro londonien! Le modèle néo-corporatiste, appliqué tant bien que mal entre 1945 et 1979, est mort et enterré définitivement.

La puissance syndicale a été brisée, les diverses lois antisyndicales ont fait chuter le taux de syndicalisation de 40 à 20 %. La rupture thatchérienne fut donc profonde, jusque là, le parti conservateur avait géré, avec plus ou moins de bonne volonté, le Welfare State mis en place par le cabinet Attlee entre 1945 et 1951. L'affaiblissement du pouvoir syndical est à la base du recentrage accentué du parti travailliste (Labour) sous la conduite de Tony Blair. Le Congrès des syndicats (TUC), qui est à la base de la création du Labour en 1900, contrôlait, jusqu'en 1992, près de 80 % des votes lors de l'élection du leader du parti ainsi que de son Comité Exécutif National (NEC). Le système du vote "en bloc" 2 expliquait le rôle de "faiseur de rois" des syndicats les plus importants tel celui des mineurs (NUM) ou le T&G (Transport & General Workers'Union) au cours des années d'après-guerre. Cette influence syndicale fut en grande partie responsable de la radicalisation du Labour à la fin des années 70.

Rupture thatchérienne et société britannique

La prise en main du parti par son aile gauche (Michael Foot, Tony Benn, Peter Shore, etc.) conduisit au départ de la bande des quatre, qui fondèrent l'éphémère parti social-démocrate (SDP), ainsi qu'à la cuisante défaite électorale de 1983 (27,6 % des suffrages et 194 sièges). La dernière défaite électorale du Labour en 1992 conduisit son nouveau leader (John Smith), à vouloir réduire drastiquement le poids syndical au sein du parti. La simple appartenance syndicale ne suffirait plus pour influencer la politique du Labour. En 1993, le principe du "one member, one vote (OMOV)" fut adopté à une faible majorité par le congrès annuel du parti. Le leader serait dorénavant élu pour un tiers par les députés, pour un tiers par les syndicats et pour un tiers par les adhérents directs du parti. La disparition prématurée de John Smith en 1994 fit de Tony Blair le premier leader à être élu par ce nouveau système. Il ne faut donc pas s'étonner que le nouveau Labour ne remettent pas en question les lois antisyndicales votées par les Conservateurs. Aucune "re-nationalisation" n'est prévue (tels les chemins de fer), on semble même s'orienter vers une poursuite adoucie de la politique de privatisations. La modification de l'article 4 des statuts du parti, qui donnait, depuis 1919, le rôle de principal acteur économique à l'Etat, est un bon indicateur de la rupture avec le passé ouvrier et syndical de celui-ci. Le Labour se présente dorénavant comme un "one party nation", c'est à dire comme le représentant de la nation toute entière et non plus d'une classe sociale particulière. Thatcher ayant liquidé, sans ménagements, l'une des classes ouvrières les plus puissantes et le mieux organisées d'Europe, il est dans la logique des choses, et dans l'air du temps, de voir le Labour courtiser avec assiduité la "middle class". Tant pis pour le nouveau sous-prolétariat généré par 18 ans de politique conservatrice!

Paysages avant la bataille

Malgré une campagne jusqu'ici peu convaincante, l'avancée travailliste ne se semble pas s'effriter. Le Labour reste crédité de 45-50 % des intentions de vote contre 30-33 % au parti conservateur et 10-15 % au parti libéral-démocrate. Si cette avancée est confirmée par les électeurs le 1er mai, le Labour obtiendrait entre 380 et 430 sièges sur 659! La réforme des circonscriptions électorales et l'inexpérience des Travaillistes ne semblent même pas constituer des handicaps sérieux. Pourtant, seul un membre du cabinet "fantôme" a participé au dernier gouvernement travailliste.

Le toujours socialiste Tony Benn deviendra, quant à lui, le dernier député en activité à avoir fait partie d'un cabinet Labour. Cette victoire annoncée a causé la curieuse campagne électorale à laquelle nous assistons. Le Labour agit déjà comme s'il était un gouvernement en attente, tandis que les Conservateurs se comportent comme s'ils étaient l'opposition officielle. Ils mettent en effet très peu en avant leur bilan gouvernemental et s'acharne à détruire le programme et les dirigeants travaillistes. Ce qui provoque une campagne où de nombreux coups bas ont déjà été proférés.

La stratégie adoptée par le parti conservateur est probablement la seule permettant lui permettant de dissimuler sa profonde division sur l'Euro et l'intégration européenne. Il est peu fait mention du "miracle économique" britannique 3.

Celui-ci ayant eu un tel impact social, qu'il est peut-être préférable de ne pas trop en parler! Le recours à la flexibilité et à la dérégulation sociale a causé de nombreuses victimes.

Cette politique économique a conduit au déclin de la puissance industrielle britannique, aujourd'hui reléguée derrière l'Italie, ainsi qu'à un Etat appauvri par diverses réformes fiscales successives. Un Etat qui parvient à grand-peine à subvenir aux besoins du dernier vestige du Welfare State qu'est le NHS. Le Royaume-Uni de 1997 est devenu la terre d'accueil privilégiée d'investisseurs étrangers attirés par une main d'oeuvre bon marché et peu protégée. Investisseurs étrangers qui ont, par ailleurs, racheté une grande partie de l'économie nationale. Dans un Etat où les Conservateurs se gargarisent sans arrêt de l'intérêt national, voilà un exploit assez remarquable!.

Le parti conservateur doit par ailleurs faire face à l'opposition de petits partis de droite "europhobes" tels l'UK Independence Party ou le Referendum Party du député européen "villiériste" James Goldschmid. Ces deux partis pourraient priver les Conservateurs de quelques centaines ou milliers de suffrages souvent décisifs, voire cruciaux, dans les circonscriptions marginales. Un fait pourrait éviter un désastre de type canadien 4 au parti conservateur. Lors de nombreuses élections législatives partielles, les observateurs avaient constaté qu'un transfert massif de voix avaient lieu au profit du parti arrivé second en 1992. Ce vote tactique anti -conservateur avait pour conséquence la prise en tenaille des Conservateurs. Au nord et au centre du pays, ils devaient faire face à l'offensive travailliste, tandis qu'au sud et à l'ouest il fallait affronter les libéraux-démocrates. Les dernières études semblent montrer la volonté de nombreux électeurs de privilégier une participation, même symbolique, à la victoire travailliste au détriment d'un vote tactique en faveur du candidat le mieux placé pour éliminer les Conservateurs. Cet état de fait ne devrait pas empêcher les libéraux-démocrates de conquérir quelques circonscriptions marginales où ils ont concentrés leur campagne. Logiquement le Labour disposera donc après le 1er mai d'une majorité de travail confortable, celle-ci sera peut-être ponctuellement renforcée par les députés libéraux-démocrates. Le parti conservateur sera très probablement défait, mais cet échec ne sera peut-être pas aussi massif qu'initialement imaginé.

 

Une "glorious revolution" des institutions?

Le seul grand chantier des Travaillistes sera probablement celui de la réforme des institutions. La Chambre des Lords doit être abolie. Dans un premier temps, les pairs héréditaires se verront retirer leur droit de vote au sein de la Chambre haute. Ceux-ci appartenant dans 90 % des cas au parti conservateur, cette réforme fera certainement plaisir à la base du parti. La nouvelle Chambre haute ne devrait être mise en place que lors de la prochaine législature. Le Labour promettant de ne nommer, jusque là, que des personnes aux profils suffisamment consensuels. Cette promesse devrait permettre de maintenir l'existence des Parlementaires "cross-benches", c'est-à-dire ne siégeant pas sur les bancs de la majorité ou de l'opposition. On peut évidemment se poser des questions sur la responsabilité et la légitimité démocratiques d'une assemblée dont les membres ont été nommé par le pouvoir exécutif! Si la réforme envisagée n'aboutissait pas, l'avancée démocratique serait bien minime, le patronage particratique ayant entièrement remplacé le principe héréditaire.

Les Travaillistes devraient se rappeler, qu'en 1968, c'est en vain que le cabinet Wilson essaya d'abolir la Chambre des Lords. Tony Blair a repris la promesse de John Smith, d'organiser un référendum concernant le mode d'élection de la Chambre des Communes. Une commission d'experts sera chargée d'élaborer une alternative claire entre le scrutin majoritaire uninominal à un tour actuel et l'introduction d'une dose, plus ou moins forte, de proportionnelle. Ce sujet ne passionne guère l'électorat britannique, mais il pourrait réserver quelques surprises. La Nouvelle-Zélande, Etat dont les systèmes politiques et juridiques étaient le plus proche de ceux du Royaume-Uni, a abandonné depuis 1993 le scrutin majoritaire à un tour au profit d'un système mixte (65 députés élu au scrutin majoritaire, 55 à la proportionnelle). Ce choix de l'électorat néo-zélandais a permis l'émergence de deux nouveaux partis centristes et la formation, depuis décembre 1996, de la première coalition gouvernementale de l'histoire du pays. L'électorat britannique se révèlera peut-être aussi peu attaché à son mode de scrutin "laminoir" actuel que ne le furent les néo-zélandais.

Un fait demeure par ailleurs certain, les Libéraux-démocrates, principal bénéficiaire potentiel de tout changement du mode de scrutin, monnayeront certainement leur soutien Parlementaire contre un tel référendum.

La quadrature du cercle et ses extrémités celtiques

Les deux grandes régions celtiques et "rouges" que sont l'Ecosse et le Pays de Galles occupent, depuis toujours, une position privilégiée au sein du parti travailliste. Sur les douze leaders qui se succédés à la tête du parti depuis 1900, quatre venaient d'Ecosse et un du Pays de Galles. Le Labour n'obtint que par deux fois une majorité des sièges anglais (1945 et 1966), sans ses députés gallois ou écossais, il n'aurait pu obtenir les cinq autres majorités (absolues ou relatives) de son histoire (1929,1950,1964, février et novembre 1974).

On comprend mieux la démarche prudente adoptée par les Travaillistes face à la question écossaise. Si l'on se penche sur les deux dernières décennies, on peut constater que l'Ecosse a élu un nombre de plus en plus réduit de députés conservateurs (11 sur 72 en 1992, suite à diverses défaites lors d'élections partielles, ce nombre est tombé à 8).

Le sentiment national écossais s'est renforcé face à l'imposition par Londres de politiques conservatrices rejetées par une majorité des électeurs, telles la Poll Tax, les privatisations, la suppression d'entités administratives locales, etc. La progression du Parti National Ecossais (SNP) est un bon indicateur du sentiment national. Même s'il n'atteindra pas son score historique de novembre 1974 (30% des suffrages et 11 sièges), le SNP dépassera certainement les 25 % des suffrages et confirmera ainsi sa position de deuxième parti d'Ecosse. Il est à noter que lors des élections locales, il dépasse souvent le cap des 30 % (32 % en 1993).

Une grande partie de l'intelligentsia locale a d'ailleurs un parti ouvertement indépendantiste et se situant parfois plus à gauche que le Labour. Mais ce n'est pas encore cette fois-ci que le SNP effectuera sa percée dans les places fortes travaillistes du centre et du sud du pays. La demande d'autonomie n'est pas le seul fait du SNP, les syndicats (Scottish TUC), les Eglises, les organisations d'étudiants, l'édition écossaise du quotidien populiste The Sun appuient tous cette revendication. Le Labour propose donc la tenue d'un référendum en deux points : le premier portant sur l'établissement d'un Parlement écossais autonome, le second sur l'octroi du pouvoir fiscal à ce même Parlement. Cette dernière proposition gêne beaucoup le Labour "national". Tony Blair répétant, sur tous les tons, qu'il ne souhaite pas augmenter la fiscalité, et qu'il respectera, pendant ses deux premières années de gouvernement, les prévisions budgétaires des conservateurs. Comment justifier, dans ce contexte, la possibilité pour le Parlement écossais de lever diverses taxes additionnelles ou propres? La possibilité d'une fiscalité plus élevée en Ecosse est l'un des épouvantails agités par les Conservateurs pour maintenir la situation actuelle. Ils ont par ailleurs beau jeu de prédire un scénario catastrophe où ce Parlement autonome souhaitera, logiquement, conquérir de plus en plus de pouvoirs, l'autonomie devenant ainsi la première étape vers un Etat indépendant et souverain.

L'autonomie envisagée pose par ailleurs le problème de la sur-représentatation écossaise à Westminster. Celle-ci est en effet actuellement de 72 sièges alors qu'elle devrait normalement tourner autour de 55 élus. Cet état de fait concerne dans une moindre mesure le Pays de Galles 5. Vu la dépendance traditionnelle du Labour vis-à-vis de ses élus celtiques, voilà une question qu'il est préférable de ne pas trop aborder. Les électeurs et militants travaillistes furent d'ailleurs en grande partie responsables de l'échec des référendums de 1979 sur la dévolution écossaise et galloise. Ces consultations avaient pourtant été proposées par le dernier cabinet travailliste de James Callaghan ! Les Libéraux-démocrates, eux aussi favorables à l'autonomie de ces deux nations, connaissent une situation similaire à celle du Labour. 10 de ses 26 députés venant de la "frange celtique" du Royaume-Uni. Ces deux partis se sont logiquement entendu pour doter le futur Parlement d'un mode de scrutin proportionnel. Ce qui semble indiquer la possibilité d'une coalition future dans l'hypothèse, très probable, d'un Parlement autonome sans majorité absolue d'un parti. Le seul réel avantage politique de ce référendum est son effet perturbant sur un SNP constamment questionné sur cette future consultation plutôt que sur son programme d'indépendance.

Ce processus d'autonomie présente encore d'autres pièges pour les Travaillistes. Si les députés anglais et gallois ne pourront plus prendre part à la gestion des matières autonomes écossaises, qu'en sera-t-il des députés écossais? Pourront-ils continuer à aborder des matières qui ne concerneront plus que l'Angleterre, telles les domaines de l'éducation, de la justice, de la tutelle administrative voire de la santé? Le cabinet "fantôme" travailliste met déjà en évidence une influence disproportionnée des élus écossais, ceux-ci trustant l'économie, les affaires étrangères, la défense, l'agriculture et la fonction de chief whip (l'équivalent d'un chef de groupe Parlementaire). Il ne serait pas étonnant de voir dans l'avenir une réaction anglaise face à la tenue de ses ministères-clés par les représentants de 8.5 % de la population britannique. Face à ce casse-tête institutionnel, en particulier le faible sentiment d'appartenance régionale de la population anglaise, le Labour risque de connaître un échec similaire à celui des Libéraux au début du siècle.

Entre 1912 et 1918, ces derniers essayèrent, avec l'aide de quelques Conservateurs, de résoudre la question irlandaise en imaginant une fédéralisation du Royaume-Uni (devolution all around). 6 Les Libéraux d'hier, tout aussi dépendants que les Travaillistes d'aujourd'hui des régions celtiques, n'arrivèrent jamais à solutionner le problème anglais (une ou plusieurs régions?). La situation, bien que moins versatile au Pays de Galles, est plus ou moins identique.

Les Conservateurs ne disposent que de 6 élus sur 38, ils sont de ce fait obligés, depuis une décennie, de choisir parmi leurs députés anglais un ministre pour le Pays de Galles (welsh Secretary). Le Labour, largement majoritaire, devra affronter les mêmes questions et problèmes qu'en Ecosse. Les Travaillistes proposent l'institution d'une assemblée ne disposant pas du pouvoir normatif. Elle sera essentiellement chargée de contrôler le ministère pour le Pays de Galles (welsh office), ainsi que les divers organismes "mixtes" s'occupant du redéploiement économique. Les autonomistes de Plaid Cymru (20 % des suffrages et 4 députés), essaieront certainement de sensibiliser les électeurs sur ce traitement moins avantageux que celui de l'Ecosse. Toutefois la possibilité d'une séparation galloise parait moins probable qu'en Ecosse.

L'aube victorieuse de l'Europe sociale?

Beaucoup espèrent que le départ des héritiers de Thatcher permettra une nouvelle avancée de la construction européenne. Rien n'est moins sûr, historiquement, le Labour a toujours été le moins européen des trois grands partis britanniques. Sur les 72 députés rebelles qui, en 1972, votèrent avec les Conservateurs l'adhésion à la CEE, peu sont encore en fonction. John Smith, leader de 1992 à 1994, est décédé, Roy Hattersley, deputy leader jusqu'en 1992, ne se représente plus, etc. Les Travaillistes ont bien promis de renoncer à l'exemption britannique (l'opt-out) en matière sociale, mais rien ne permet d'affirmer qu'ils adopteront, en cette matière, une ligne plus conciliante ou plus "régulatrice" au sein du Conseil des ministres de l'UE. Tout comme les Conservateurs, le Labour a annoncé la tenue d'un référendum avant toute entrée de la Livre sterling dans l'éventuelle zone Euro.

Diverses indications semblent indiquer que cette consultation n'est pas envisagée avant la fin de la prochaine législature, soit 2.002. Tony Blair a récemment déclaré qu'il ne craignait pas de voir la Grande-Bretagne isolée de ses partenaires européens, si l'intérêt national l'exigeait. La ligne modérément europhilie adoptée par le Labour tient donc principalement à sa présence dans l'opposition. Il est probable que la future majorité travailliste, surtout si elle est aussi importante qu'annoncée, sera presque aussi divisée que ne l'est le parti conservateur actuel. L'aile gauche du parti (Tony Benn, Denis Skinner, Ken Livingstone, etc.), bien que réduite en nombre, ne renoncera certainement pas à son opposition à une Europe essentiellement néolibérale et mettant en danger la souveraineté nationale et démocratique. Le futur cabinet travailliste devra donc peut-être s'appuyer, lors de certains votes-clés, sur les élus libéraux-démocrates, traditionnellement les plus europhiles du Parlement britannique. Les (faux?) naïfs qui, en Europe continentale, nous prédisent la constitution rapide d'une Europe sociale, avec le départ des Conservateurs, déchanteront très vite. Il faut d'ailleurs noter que la conclusion de la conférence intergouvernementale sur la réforme des traités européens (fin juin 1997) est un réel handicap. La campagne électorale devenant, de plus en plus, le cadre d'une surenchère d'euro-scepticisme entre Travaillistes et Conservateurs. Renier son discours électoral, moins de deux mois après avoir agité le drapeau national, voilà un risque que le Labour, qui a déjà renoncé à tant de choses pour revenir au pouvoir, ne prendra certainement pas!

Tony Blair prisonnier de l'impasse social-démocrate?

Le succès probable du Labour "rénové" par Tony Blair ne fera que renforcer le surplace de la gauche social-démocrate européenne. Il y a quelques mois, on espérait beaucoup du retour au pouvoir de la gauche en Italie. Que s'est-il passé? Presque rien ou plutôt la manifestation d'une volonté de faire partie à n'importe quel prix (social ou autres) de l'Euro! Le PDS a, lui aussi, succombé au carcan maastrichtien, seul Rifondazione Communista continue à défendre une politique alternative, mais celle-ci est-elle rentable d'un point de vue électoral?

Même si le futur cabinet Blair se sentira moins concerné par la mise en place de la monnaie unique, il y a peu de chances qu'il remette en cause la rupture néolibérale des années 80. Si Tony Blair réussit à humaniser un peu la société britannique, en diminuant notamment l'exclusion et la précarité que connaissent de nombreux citoyens, ce sera déjà une réussite. S'il arrive au bout de son programme de réformes institutionnelles, le Labour aura ainsi franchi la première étape de l'indispensable modernisation du Royaume-Uni. N'oublions toutefois pas qu'entre la social-démocratie gestionnaire et le libéralisme gestionnaire, il n'y a qu'une différence de degré et non de nature !

François ANDRE

(article achevé le 17/04/97).

N° des Cahiers Marxistes sur les origines du Labour n°204 (déc. janv. 1997 300 F au compte des CM 001-1047600-76, 1000 Bxl).

  1. 1.  Parfois je me demande/ Si je dois voter rouge pour ma classe ou vert pour nos enfants?/ Mais quel que soit mon choix / Je ne renoncerai pas/Ainsi donc tu as tout acheté, le meilleur de ce que peut offrir ton argent/ Et je te regarde vendre ton âme à leur beau petit mensonge de pacotille/ Où sont les principes de l'ami que je pensais connaître?/ Je suppose que tu les a laissé se déteindre du rouge au bleu./ Je déteste les compromis que la vie nous force à adopter/ Nous devons tous plier un peu si nous ne voulons pas être brisés/ Mais les idéaux auxquels tu as renoncé, je les considère toujours comme justes/ Je suppose qu'il n'en était pas de même pour toi.
  2. 2.  Chaque syndicat (en général constitué sur une base purement professionnelle) choisissaient préalablement des candidats ou une option politique déterminée.Une fois une majorité atteinte en son sein, l'intégralité des voix de ce syndicat au congrès du Labour étaient attribuées à ces candidats ou à cette ligne politique. Ce qui donnait un poids considérable aux grands syndicats et marginalisait toute forme d'opposition interne.
  3. 3.  Voir l'article de P.Fremeaux dans Alternatives Economiques de mars 1997.
  4. 4. Lors des élections fédérales de 1993, le cabinet conservateur sortant ne conserva que 2 (deux) de ses 169 députés!
  5. 5.  Le Pays de Galles devrait normalement élire 32 députés au lieu des 40 qui seront désignés à partir de la présente élection.
  6. 6.  P.Jalland UK Devolution 1910-1914, Political Panacea or Tactical Diversion? in English Historical Journal Vol 94 (1979), n° 373, p. 757 et s.