Chômage et sous-emploi : une réalité beaucoup plus noire en Flandre et plus rose en Wallonie qu’on ne le dit
La statistique officielle du chômage (la STAT 92 dont il sera question plus loin) donne une idée fausse de la réalité complète du chômage, tant en Flandre qu'en Wallonie. En Flandre la situation est nettement plus négative que ce que les chiffres officiels font croire; en Wallonie, au contraire, la situation est plus favorable.
1) des différences entre les statistiques
Par rapport à la population âgée de 19 à 64 ans, on compte 4,2 % de demandeurs d'emploi inoccupés ayant droit à des indemnités de chômage en Flandre, 9,3 en Wallonie et 9,6 % à Bruxelles, chiffres établis par la STAT INFO de l'ONEM. On est dès lors tenté de penser que «le chômage» est en Wallonie plus du double de celui de la Flandre, d'où toutes les conclusions qui sont tirées sur le dynamisme de la Flandre et le déclin de la Wallonie.
L'écart entre la Flandre et la Wallonie est encore amplifié lorsqu'on prend les chiffres officiels à savoir les chômeurs complets indemnisés demandeurs d'emploi tels qu'ils résultent de la STAT 92, établie par les offices régionaux de placement : 3,6 % en Flandre, 9,8 % en Wallonie et 9,5 % à Bruxelles, ce qui fait dire qu'il existerait 2,7 fois plus de chômeurs en Wallonie qu'en Flandre.
La statistique des «chômeurs complets indemnisés demandeurs d'emploi» (CCI-DE) figure comme sous-rubrique aussi bien dans la STAT INFO (groupe 1) que dans la STAT 92 (rubriques 0 et 1). Officiellement, cependant, on utilise les chiffres de la STAT 92.
Mais… il n'existe pas de concordance entre ces deux statistiques et on constate des écarts systématiques en plus ou en moins selon les Régions, comme le montre le petit tableau ci-après:
Les chiffres de la statistique établie, respectivement, par le VDAB et par le FOREM déforment, une fois encore, la réalité. D'où vient cette différence de traitement ? Les écarts de définition des deux chiffres ne suffisent pas à expliquer des écarts systématiques toujours dans le même sens, mois après mois depuis plusieurs années. La raison s'en trouve probablement dans les politiques différentes suivies. En Flandre d'une part, en Wallonie d'autre part.
La Flandre veut-elle se donner une image fort positive dans la statistique officielle en «freinant» les inscriptions comme demandeurs d'emploi inoccupés? Pratique-t-elle d'avantage de placements en fin de mois, par exemple via les sociétés d'intérim ? La Wallonie est-elle plus soucieuse de procurer des revenus via les indemnités de chômage en ne prenant aucun risque d'en priver un demandeur d'emploi et, donc, en «poussant» les inscriptions comme demandeurs d'emploi ?
2) La statistique des chômeurs complets indemnisés ne rend pas compte de l'ampleur du chômage
La réalité est tout autre quand on regarde le sous-emploi total, le seul qui ait véritablement un sens d'un point de vue économique. Le sous-emploi total comprend les demandeurs d'emploi inoccupés qui ont droit aux indemnités de chômage (chômeurs complets indemnisés), mais aussi toutes les autres catégories de personnes considérées comme non-demandeuses d'emploi et percevant pourtant des indemnités de chômage comme les prépensionnés, les chômeurs âgés et d'autres catégories qui seront détaillées plus loin.
Premier constat: pour l'ensemble du pays le sous-emploi touche près d'un million de personnes, 949.055 personnes en moyenne au cours de l'année 2.000, année de fort taux de croissance économique. Ces chiffres ne comprennent pas les demandeurs d'emploi inoccupés qui n'ont pas droit aux indemnités de chômage, par exemple les chômeurs exclus ou suspendus et les bénéficiaires du minimex.
Deuxième constat: le sous-emploi total par rapport à la population âgée de 19 à 64 ans représente 14,2 % en Flandre, 18,0 % en Wallonie et 15,8 % à Bruxelles. Le rapport entre la Wallonie et la Flandre n'est plus que de 1,3 au lieu de 2,2, voire 2,7 en se basant sur les chiffres officiels.
Toutes proportions gardées, il existe nettement plus de chômeurs considérés comme non demandeurs d'emploi en Flandre qu'en Wallonie. Cela concerne surtout les prépensions, les chômeurs âgés et les interruptions de carrière à temps plein et à temps partiel ainsi que le chômage temporaire.
Ce constat est confirmé par la proportion de demandeurs d'emploi inoccupés (stat 92) par rapport à la population âgée de 19 à 64 ans: 4,8 % en Flandre, 12,0 % en Wallonie et 12,2 % à Bruxelles.
La politique flamande de réduire le plus possible la statistique de ses chômeurs complets indemnisés semble ainsi se confirmer.
Une autre manière d'apprécier l'importance du sous-emploi par Région est d'examiner les dépenses totales pour indemnités de chômage. Elles vont vers la Flandre à raison de 52,2 % , vers la Wallonie à raison de 37,4 % et vers Bruxelles à raison de 10,4 %, alors que les proportions des populations âgées de 19 à 64 ans sont, respectivement, 58,6 %, 32,0 % et 9,4 %. Les dépenses correspondent, donc, grosso modo aux chiffres de population, légèrement moins élevées en Flandre, légèrement plus élevées en Wallonie et pratiquement égales à Bruxelles.
En conclusion, le sous-emploi total est, certes, plus important en Wallonie qu'en Flandre, mais l'écart est faible, il est beaucoup plus petit que ne le laisse entendre la seule comparaison du nombre de chômeurs complets indemnisés demandeurs d'emploi surtout si on se base sur la statistique officielle, les chiffres de la STAT 92 ou même sur la statistique des demandeurs d'emploi inoccupés (Stat 92)
Il est temps de faire rectifier la vision du chômage que donnent, inévitablement, les médias à la lumière des chiffres habituels et officiels.
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Quelques explications sur les statistiques
1) Définition du chômage
Tous les pays acceptent la définition du Bureau International du Travail (BIT) : est considéré comme chômeur toute personne, dans une fourchette d'âge déterminée qui se trouve sans travail, est disponible pour travailler et est, effectivement, à la recherche d'un travail.
Indépendamment de la question d'âge, il faut donc réunir simultanément les trois conditions.
Pour connaître le nombre de chômeurs dans une région ou un pays, pour une période déterminée,il existe trois méthodes:
- soit le recensement, il a lieu chez nous tous les dix ans, le dernier date de 1991 et il y en aura un à la fin de 2001;
- soit l'enquête sur un échantillon de personnes tirées au sort, c'est ce que fait régulièrement l'Enquête européenne sur les forces de travail", pour le moment une fois par an;
- soit l'utilisation de statistiques administratives.
Chez nous, il existe deux sources de statistiques administratives: la «STAT INFO» établie par l'ONEM (Office national –fédéral- de l'emploi) et la «STAT 92» établie sur les mêmes bases par chacun des trois organismes régionaux, le FOREM pour la Wallonie, l'ORBEM pour la Région de Bruxelles et le VDAB pour la Flandre.
La STAT INFO, établie par l'ONEM, se base sur le nombre de paiements d'indemnité de chômage dans chaque région et même par commune pendant une période de un mois calendrier, le chiffre annuel est la moyenne arithmétique mensuelle.
La STAT 92, établie par les offices régionaux de placement se base sur le nombre de demandeurs d'emploi inoccupés (DEI) inscrits au dernier jour ouvrable de chaque mois, le chiffre annuel étant la moyenne arithmétique des valeurs mensuelles.
Si l'ONEM (fédéral) indemnise et vérifie les conditions d'indemnisation, les offices régionaux de placement enregistrent et vérifient les conditions de «demandeurs d'emploi inoccupés».
Pour suivre au plus près l'évolution du chômage, on utilise le plus souvent la STAT 92, parce qu'elle est très rapidement disponible puisqu'il suffit de compter le nombre d'inscrits.
2) Choix de la catégorie de référence
La réglementation du chômage porte sur des catégories différentes de personnes suivant des statuts de plus en plus nombreux en raison soit des mesures prises pour réduire les charges ou réduire ce qu'on a appelle les abus du chômage, soit des différentes mesures d'incitation au retour à l'emploi dites «programmes de résorption du chômage» (PRC).
La STAT 92 comporte 47 catégories et la STAT INFO en compte 24 ventilées en quatre groupes.
La statistique des demandeurs d'emploi inoccupés, qu'ils soient indemnisés ou non, est celle qui se rapproche le plus de la définition du BIT. Ce n'est cependant pas celle qui est utilisée le plus couramment.
3) Détour par les taux de chômage
Pour comparer la réalité du chômage complet indemnisé dans des régions d'inégale grandeur, on a recours au taux de chômage.
Il existe deux taux de chômage différent, soit le nombre de chômeurs complets par rapport à la population active, soit le nombre de chômeurs complets par rapport au nombre d'assurés contre le chômage. Les dénominateurs sont, évidemment, différents.
La population active comporte toutes les personnes qui, à une date déterminée occupent un emploi à temps plein ou à temps partiel, que ce soit comme salarié, comme agent des services publics ou comme indépendant et tous les demandeurs d'emploi inoccupés. Mais il existe des difficultés de comptage pace qu'on part des statistiques administratives de l'ONSS (Office national de Sécurité sociale) et de l'INASTI (Institut national d'assurances sociales pour les travailleurs indépendants). Les questions de double comptage sont fréquentes en raison des emplois à temps partiel mais surtout la statistique ONSS est établie selon le lieu de travail et non pas le lieu de domicile, il faut dès lors faire un détour par la statistique de l'INAMI qui, pour l'objet de l'emploi ou du chômage est moins fiable que celle de l'ONSS.
Jusqu'à présent, la statistique de la population active est une approximation à partir des données du recensement de 1991, adaptées selon l'évolution de l'emploi. On devrait arriver prochainement à une statistique plus précise à partir des données ONSS selon le lieu de domicile.
Les chiffres des assurés contre le chômage sont plus fiables, mais ils ne représente qu'une partie de la population au travail ou désirant travailler.
On voit, donc, combien sont aléatoires les comparaison des taux de chômage entre régions !
4) Une approche économique globale du chômage : le sous-emploi total
Dans une approche économique globale du chômage, on considère toutes les personnes qui sont comprises dans la tranche d'âge de 19 à 64 ans, n'ont pas d'emploi, fut-ce à temps partiel, et sont recensées dans les statistiques de l'ONEM. Certains économistes distinguent les chômeurs complets indemnisés demandeurs d'emploi d'une part et toutes les autres catégories d'autre part, rassemblées sous le terme sous-emploi. Pour éviter toute ambiguïté, on appellera sous-emploi total la somme de ces deux catégories.
Dans les faits, puisqu'on part de la statistique administrative de l'ONEM, échappent à cette comptabilisation les demandeurs d'emploi inoccupés qui n'ont droit à aucune indemnité de chômage comme les chômeurs exclus, les chômeurs malades émargeant à leur mutuelle et les bénéficiaires du minimex.
Dans la STAT INFO de l'Onem, les trois groupes autres que celui du chômage complet indemnisé demandeur d'emploi couvrent les situations suivantes :
groupe 2
- les chômeurs âgés à aptitudes réduites qui ne sont plus considérés comme demandeurs d'emploi bien que continuant à être indemnisés,
- les chômeurs indemnisés mais dispensés en raison de difficultés sociales ou familiales;
- les prépensions;
- les interruptions de carrière à temps plein;
groupe 3
- les travailleurs qui cumulent avec des indemnités de chômage, soit les travailleurs à temps partiel involontaire, les travailleurs avec dispense ALE (Agence locale pour l'emploi), les chômeurs mis au travail dans un atelier de travail adapté (anciennement atelier protégé),
- les chômeurs indemnisés dispensés pour reprise d'études ou en formation professionnelle collective ou individuelles;
- les prépensions à mi temps,
- les interruptions de carrière à temps partiel,
groupe 4
- les chômeurs bénéficiant de mesures dites d'activation, telles que les contrats de première expérience professionnelle (PEP), les programmes de transition professionnelle, les emploi services, les contrats d'insertion dans l'économie sociale d'insertion.
Les tableaux donnent les principaux chiffres et résultats de calcul.
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