Collaborations flamandes et wallonne en 40-44 : différences chronologiques

8 mai, 2011

Croix de Bourgogne

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Martin Conway, Professeur à l'université de Cambridge, est l'auteur de Degrelle, les années de collaboration, Labor Bruxelles, 2005.

Son livre mériterait un long compte rendu mais on peut en choisir, à notre avis judicieusement, au moins deux extraits qui, sur le plan chronologique où il se situent, en disent finalement long sur la différence entre la collaboration flamande et wallonne pendant la guerre :

La collaboration wallonne dans les premiers mois de 1943

« [A cette époque], Rex est finalement en phase avec la plus forte radicalisation qui se soit produite dans le IIIe Reich au cours de la guerre. Les forces conservatrices - comme le ministère des Affaires étrangères et la Wehrmacht les plus opposées aux ouvertures de Degrelle - perdent du terrain au profit de la SS et de ses alliés. Cette radicalisation du Reich s'accélère à mesure que la situation militaire devient désespérée, avec la conséquence qu'une relation inverse s'établit progressivement entre la fortune des armées allemandes et celle de Degrelle et des rexistes. Tandis que les revers infligés sur les champs de bataille permettent pour la première fois d'envisager une défaite totale des nazis et de leurs alliés, les répercussions politiques dans le IIIe Reich de la menace de cet effondrement sont à l'avantage de Degrelle et ses partisans. Il en résulte une tension quasi schyzophrénique au sein de Rex entre les militants, généralement les « sans grades » qui sont les plus exposés aux dangers extérieurs et qui sont profondément conscients de la catastrophe qui se prépare, et les autres rexistes, souvent de la direction nationale, qui, par une sorte d'auto-intoxcation idéologique ou par simple myopie, se concentrent seulement sur leur succès politique dans la forteresse nazie qui s'écroule. » (pp. 229-230)

Le contraste chronologique avec la collaboration flamande

Parlant des succès rencontrés par Rex dans ce contexte, Conway explique aussi : « Il est impossible d'imaginer plus grand contraste avec les premières années de l'occupation. A l'époque, c'étaient les nationalistes flamands du VNV qui semblaient voués à réussir et les rexistes étaient impuissants et hors course. La situation est à présent inversée. De nombreux dirigeants flamands finissent par considérer la collaboration avec l'Allemagne nazie comme une erreur et, tandis que Degrelle et ses partisans jubilent à la perspective de prendre le pouvoir, le mouvement nationaliste flamand se désagrège en dissensions internes et récriminatons mutuelles. « Un événement illustre mieux que tout autre le renversement de situation. C'est le défilé, le 1er avril [1944 note de Toudi], des légionnaires survivants de Tcherkassy dans les rues de Charleroi et de Bruxelles. La parade a été reportée à plusieurs reprises par crainte de provoquer un bombardement aérien de la capitale par les Alliés. Les Allemands ayant finalement donné leur accord, les légionnaires se rassemblent le 1er avril, au matin sur la Grand-Place de Charleroi où, en présence de Sepp Dietrich de la Leisbstandarte Adolf Hitler, on procède à la remise des décorations militaires. La Légion remonte alors à Bruxelles et parade, sous le soleil de l'après-midi, sur les boulevards de la capitale. Pour plus d'effet, la colonne de légionnaires est, pour l'occasion, motorisée, le matériel étant emprunté aux troupes de Sepp Dietrich. Triomphant, accompagné de ses jeunes enfants , Degrelle arbore un large sourire, juché sur un char, à la tête de ses troupes. Un nombre considérable de dignitaires sont réunis sur les marches de la Bourse pour accueillir les héros, dont les dirigeants rexistes, des officiers allemands, les cinq gouverneurs des provinces wallonnes et des représentants de groupes collaborationnistes français et flamands. Les secrétaires généraux avaient décliné l'invitation, tout comme Gottlob Berger, des quartiers généraux SS, soucieux de ne pas froisser les nationalistes flamands. Bien qu'elle n'ait été prévenue que quelques heures auparavant, une grande foule assiste au défilé. Outre quelques curieux, elle se compose de rexistes, d'amis et de familles de légionnaires. Pour eux, c'est à plus d'un titre le plus beau moment de leur vie. Après les déceptions successives des années précédentes, ils peuvent enfin goûter au succès, du moins en apparence. Une femme de légionnaire aurait déclaré : " Cela nous venge de bien de choses." Le défilé d'une unité militaire collaborationniste en tenue de combat dans une capitale semble un événement unique en Europe occupée, ce qui confirme que Degrelle a le statut de figure de proue au panthéon de la propagande nazie. » (pp.292-293)

Conclusion (par Toudi)

En somme, la manière dont Conway présente les choses permet de dire que la collaboration wallonne est le geste de gens préoccupés surtout de pouvoir et d'intérêts terre-à-terre (ce qui n'exclut pas des « idéalistes »), assez exclusivement. Elle est largement coupée de la population (et des réalités) à l'époque où elle réussit à prendre forme, alors que la collaboration flamande est plus en phase avec une partie de la population flamande de même qu'avec la réalité politique et militaire. Conway insiste longuement dans son livre sur le fait que Degrelle a eu beaucoup de peine à être pris au sérieux par les Allemands, ce qui ne fut pas le cas du VNV en 1940.

Voir aussi Parade de Degrelle à Charleroi (puis Bruxelles) le 1er avril 44 [ajout de ce 19 octobre : le film de la parade n'est plus visible, étant donné que la diffusion en a été interdite, pour des raisons que nous ignorons mais sans doute pas politiques]