Commentaires sur le livre : "Roi et Vice-Roi, l’influence de la cour et le pouvoir"

Toudi mensuel n°62, janvier-février 2004

Au vu de la page de couverture sur laquelle le visage de Jacques Van Ypersele occupe les deux tiers de la surface, alors que ceux de Baudouin, Albert et Philippe n'en occupent qu'un tiers, l'espoir existait de voir les auteurs consacrer les deux tiers du livre à Jacques Van Ypersele 1. Or 30 pages sur plus de deux cents décrivent le personnage. C'est peu pour celui qui est sacré Vice-Roi ! Pour refuser toute participation au projet, celui-ci se réfugie derrière ce qui est pour lui : « l'ouvrage de référence d'André Molitor La Fonction Royale en Belgique. Ed. Crisp.

D'après lui « la mission d'un chef de cabinet du Roi est décrite en détail par A.Molitor » (p. 13). Examinons cet argument « en détail » et nous verrons qu'il ne tient pas la route.

Dans son livre, A.Molitor décrit le cabinet du Roi « dans son ensemble » de la page 146 à la page 151.

Une seule de ces cinq pages « détaille » l'activité propre du chef de Cabinet. Cette page n'est donc qu'un « détail » du livre qui ne la décrit pas « en détail » comme Van Ypersele l'écrit.
De plus, pour justifier son refus, M. Van Ypersele s'appuie sur : « le rapport de la commission d'avis de 1949 » (p. 14).

Ce rapport débute par cette phrase : « Dans l'accomplissement de leur mission, les membres du Cabinet du Roi doivent faire preuve d'une discrétion absolue. » (La Fonction Royale en Belgique. A.Molitor CRISP p. 163).

En l'occurrence M. Van Ypersele confond discret avec muet. C'est à tort qu'il choisit le mutisme car, si nous lisons bien le livre d'A.Molitor, nous trouvons à la page 6 : « Elles (ces pages) n'ont pas la prétention d'épuiser le sujet » et plus loin, même page « c'est cette absence d'informations qui nous a poussé à écrire ce livre ».

Ces deux arguments auraient dû pousser M. Van Ypersele à ne pas choisir le mutisme et poursuivre l'œuvre de son prédécesseur au lieu de s'installer dans une absence d'information.

Si la charge de chef de Cabinet du Roi est la même pour tous ceux qui l'ont occupée, nous constatons à regret que Jacques Van Ypersele n'entend pas l'assumer comme A.Molitor.

Au sujet de ce titre de ce mot « Vice-Roi, » c'est la deuxième fois qu'il arrive dans ce royaume. La première, ce fut pour le général Van Overstraeten, aide de camp de Léopold III de 1934 à 1944 (Le général Van Overstraeten « Vice-Roi » en 1940, A.Crahay et Jo Gérard. Ed. J.-M. Collet).

Autant le « règne » de celui-ci commença brillamment, autant la défaite de 1940 et l'activité du général durant l'occupation obscurcirent ses étoiles.Fort de cet exemple, on peut être sûr que le second Vice-Roi ne fera pas comme le premier.

Une trentaine de personnalités du monde politique ont heureusement bien voulu parler, mais «ont demandé avec insistance de ne pas citer leur nom » ou « ne dites pas que cela vient de moi» (p. 14). Le mutisme de l'un s'allie ainsi à l'anonymat des autres !

« Ils n'en mourraient pas tous, mais tous étaient frappés. » Les animaux malades de la peste, La Fontaine.

Curieuse démocratie, où les représentants de celle-ci ne veulent pas découvrir leur nom autant qu'ils ne peuvent « découvrir la couronne ».

Dans ce qui suit nous nous attacherons à « L'analyse du pouvoir de Jacques Van Ypersele. » et laisserons à d'autres commentateurs « L'influence de la cour. »

D'emblée, les auteurs impriment en gras : « Un fils de bonne famille ».

Cette ségrégation sociale nous incommode. Parce que né dans un milieu social favorisé, il y aurait des fils de bonne famille et d'autres qui ne le seraient pas. Mais d'où vient donc la majorité des « bonnes familles » sinon du peuple ? La famille Van Ypersele de Strihou elle-même a été anoblie par Léopold II à la fin du XIXe siècle (p. 54). Et avant cela, elle n'était pas aussi « bonne » ? Il existe beaucoup d'autres familles tout aussi bonnes mais beaucoup moins privilégiées. Ce sont elles, n'en déplaisent à certains, qui sont les forces riches du pays.
Dans le cas de Jacques Van Ypersele, il est manifeste qu'il est né dans une famille privilégiée, son père est ingénieur occupant un poste élevé dans l'empire industriel du baron Empain.

Collèges, universités : Namur, Louvain, Kinshasa, Yale aux Etats-Unis se suivent pour Jacques Van Ypersele puis F.M.I. et Comité Monétaire Européen.

Il passe peu de temps à Électrorail et change de voie (!) pour sauter dans le train de la politique qui le voyage dans cinq wagons ministériels : quatre C.V.P. et un V.L.D.

Au sortir d'un de ces wagons, il est nommé inspecteur général de la Trésorerie belge et depuis 1985, il en est officiellement le directeur général (p. 54). Ce n'est pas une voie de garage car, lisez bien ceci p. 54 : « C'est d'ailleurs cette institution qui paie son salaire, même s'il n'y a jamais vraiment travaillé. Il n'est donc pas rémunéré par le Palais. » Il est donc rémunéré pour un travail qu'il n'effectue pas. Cela s'appelle un emploi fictif. Ce qui est pour le moins étonnant. Le Palais est-il si impécunieux qu'il ne puisse rémunérer son plus fidèle serviteur ?

Entre deux wagons ministériels, il est aussi professeur à l'U.C.L., à l'I.C.H.E.C., préside des réunions au F.M.I. et à l'O.C.D.E.

En 1983, il décroche de tous ces wagons et passe dans la locomotive royale. Il devient chef de Cabinet du roi Baudouin.

Arrêtons ce train royal à la station mariage parce que là les auteurs effectuent une erreur d'aiguillage. En effet, ils signalent (!) « que messire Van Ypersele a épousé Brigitte du Bus de Warnaffe », ce qui est vrai, ils ajoutent : « descendante d'une ancienne famille catholique qui a été partie prenante dans la naissance du Royaume de Belgique et a fourni plusieurs Premiers ministres au cour des deux derniers siècles » (p. 54), ce qui est faux.

Aucun du Bus de Warnaffe n'est mentionné ni dans le gouvernement provisoire, ni dans le premier gouvernement constitué le 27 février 1831 et encore moins dans le second de E.de Sauvage du 23 mars 1831. Pas du Bus de Warnaffe sous les règnes de Léopold I, Léopold II et Albert Ier. Le seul du Bus de Warnaffe qui ait été ministre c'est Charles, sous le règne de Léopold III : ministre des transports et P.T.T. de 1934 à 1935, ministre de l'intérieur de 1935 à 1936, ministre de la justice de 1937 à 1938 et ministre de la justice du 02/02/1945 au 02/08/1945 (Elections et gouvernements. Eléments de l'histoire politique de la Belgique. Noël de Winter. Créadif 1991 p. 7, p. 11, p. 12, p. 106, p. 107, p. 112, p. 124).

Revenons à son mari qui n'est pas seul de la famille Van Ypersele à servir dans l'entourage royal.

Une de ses belle-sœurs a été responable de la Liste Civile de la maison du roi Baudouin. La Liste Civile est une dotation forfaitaire de droit public accordée au Roi par la Nation. Au 01/08/1993 elle était de 244 millions. Un de ses frères préside la fondation Princesse Lilian. Ce qui nous amène à écrire que les bras de la famille Van Ypersele entourent bien la famille royale pour mieux la servir ou ...l'asservir ?

Les qualificatifs abondent sur la personne de Jacques Van Ypersele:

« idéaliste extrême » (p. 57), « maîtrise de soi parfaite » (p. 58), « prudent et mesuré » (p. 58), « courtoisie charmante » (p. 58), « omniscient et omniprésent » (p. 59), « il aurait fait un grand cardinal » (p. 60), « il ne capitule jamais » (p. 61), « bilinguisme parfait » (idem).

Pour d'autres, par contre, il se disqualifie par:

« sa soumission au Roi (d') excessive » (p. 57) « il est un peu affecté » (p. 59), « ressemblance avec le moine sibérien Raspoutine » (p. 60), « le diable en personne » (idem), « rusé et dangereux » (idem), « retors, insensible et insaisissable » (idem), « il joue son jeu » (p. 61), « il a du mal à écouter » (idem), « ...aux idées théocratiques du XIXe siècle » (p. 62).

Pour compléter ce portrait aigre-doux nous avons relevé, au fil des pages, les termes animaliers dont est gratifié M. Van Ypersele :

« regard d'aigle » (p. 58), « bête de travail » (p. 59), « mémoire d'éléphant » (p. 59), « dragon à mille têtes » (idem).

Si nous assemblons ce puzzle disparate nous nous trouvons face à une juxtaposition de deux tableaux : le Clair-obscur de Rembrandt et le Jardin des délices terrestres de Jérôme Bosch. Deux chefs-d'œuvre de la peinture qui s'appliquent parfaitement ...aux œuvres du Chef ...de Cabinet du Roi.

Il faut se souvenir qu'après l'échec de Jean-Marie Piret auprès de Baudouin, si la place était royale (!) elle était bien pavée, c'est-à-dire pleine d'aléas et son destinataire risquait de ne pas marcher au rythme exigé pour tenir le haut du pavé !

Van Ypersele réussit à tout « asphalter », c'est pourquoi ...« Là tout n'est que cire (!) et lustré, relation fusionnelle et spiritualité ! (p. 64).

Au sujet de cette spiritualité, il faut constater une dominante dans le choix de Baudouin ; d'André Molitor à Jacques Van Ypersele en passant par Jean-Marie Piret, le degré d'élévation spirituelle dont s'entoure Baudouin n'a fait que monter pour atteindre un sommet avec Jacques Van Ypersele engagé dans le renouveau charismatique (p. 62-76).

Compte tenu de son expérience et de la différence de personnalité entre Baudouin et Albert II, il est évident que depuis 1993 Jacques Van Ypersele est passé de la place de conseiller du Roi à celle de Roi à conseiller.

La majorité des témoignages concordent :

« Albert II accorde une grande confiance à Jacques Van Ypersele » (p. 64), « il est le parfait remplaçant de son patron » (idem), « la doublure ou le clone du Roi » (p. 64), « Van Ypersele écrit au Roi les questions qu'il doit poser » (p. 65), « emprise sur le Roi ? » (p. 67), « bâtir son propre réseau de pouvoir ? » (idem), « avoir profité de la succession au trône pour renforce son pouvoir » (idem), « Van Ypersele n'est pas simplement le chef de Cabinet du Roi. Il n'est ni plus ni moins que la figure centrale du Palais. » (p. 210).

Nous en savons assez pour conclure qu'Albert II est bien « chambré » par son chef de Cabinet et que les Chambres en face du Palais ne servent plus que de caudataires au pouvoir royal.

Depuis 1993, tout a joué en faveur de Van Ypersele pour « chambrer » le pouvoir royal. La personnalité moindre d'Albert II, la révision de la structure de l'État a donné plus de pouvoir aux régions qui se sont dispensées de l'intervention du Roi, le Roi n'a plus le droit de dissoudre la Chambre comme auparavant (article 46), le Roi ne doit plus exercer le commandement effectif des armées, etc.

Ces nouvelles dispositions permettent à un homme de la compétence de Van Ypersele de concentrer un pouvoir plus important sous Albert II que sous Baudouin qui lors de l'arrivée de Van Ypersele à son service avait trente trois ans de « bouteille ».

Dans leur conclusion, les auteurs écrivent : « Mais vingt ans dans la même fonction, c'est simplement trop long et cela va à l'encontre de certains principes démocratiques, comme celui de l'alternance. » Et Baudouin ...43 ans ?

Nous serions tout à fait d'accord avec cette idée, si elle était aussi appliquée à la fonction royale. L'alternance serait alors Royauté...République.

  1. 1. de Jacques Van Ypersele de Strihou, par Guy Polspoel et Pol Vandendriessche. Editions Luc Pire. 2003.