Comprendre la sécurité sociale

Toudi mensuel n°73, novembre-décembre 2006

C’est le titre d’un livre1 pas comme les autres. Le titre lui-même doit être lu complètement : comprendre la Sécurité sociale pour la défendre face aux tendances actuelles de «l’Etat social actif».

Le livre alterne fiches descriptives et débats ce qui en fait non seulement un outil pratique de connaissance mais aussi une réflexion de fond sur les enjeux actuels dans les discussions entre une droite néolibérale et une gauche attachée à la défense des faibles.

Pour beaucoup d’entre nous,en effet,la Sécurité sociale apparaît comme une institution bien établie, parfois considérée comme lourde, mais on ignore souvent qu’elle est le résultat de luttes longues, parfois douloureuses, du monde du travail pour une vie digne pour tous et permettant le développement de chacun.

Construite pas à pas en fonction des revendications les plus pressantes et des rapports de force permettant de les satisfaire, la sécurité sociale était en 1940 un ensemble de dispositions disparates. C’est en 1945 que, dans chacune de nos démocraties, elle a pris une forme institutionnelle organisée selon les cultures et les habitudes sociales de chacune. Elles sont, cependant, toutes constituées sur un même principe : une assurance contre les risques liés à l’emploi : maladies, soins de santé, accidents de travail, maladies professionnelles, invalidité, chômage, prépensions, pensions et même allocations familiales mais une solidarité dans le financement, les cotisations n’étant pas liées aux risques individuels. Le but étant de garantir aux travailleurs le maintien de leur standard de vie. Chez nous, cette solidarité est triple: les travailleurs, les employeurs et l’état.

Mais on est allé plus loin, la protection sociale a été étendue à des catégories de personnes non travailleuses (les étudiants ayant terminé un cycle d’études, par exemple) et elle constitue un élément des politiques sociales en général et des politiques d’assistance aux plus démunis.

Le budget 2005 porte sur 46,5 milliards d’euros de prestations, parmi lesquelles les soins de santé représentent 35 % et les pensions 31,5 %.

Régulièrement, la sécurité sociale est mise en question par certains courants en raison de son poids budgétaire, même si l’état a réduit progressivement sa part directe dans les cotisations. Les critiques portent sur les deux postes principaux de prestations : les soins de santé et les pensions. Mais les autres prestations sont aussi rognées petit à petit.

Surtout, le passage à «l'état social actif» touche aux principes de base en voulant introduire une responsabilisation des assurés, notamment en ce qui concerne le chômage. Il s’agirait de réduire le coût du travail afin de maintenir ou d’améliorer la compétitivité des entreprises dans l’idée de favoriser l’emploi.

On se trouve, dès lors, au cœur du débat actuel qui finalement porte – il faut s’en rendre compte – sur le modèle social que nous voulons : plus individuel et libéral ou plus solidaire et collectif. C’est aussi toute l’évolution des instances internationales officielles comme le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. On est passé du «consensus de Bretton Woods» (1944) de nature keynésienne prévoyant des interventions directes des Pouvoirs publics dans l’économie au «consensus de Washington» (dans les années 1980) de nature néolibérale.

La mondialisation néolibérale s’accompagne d’une croissance des inégalités entre les pays développés et les pays en développement, mais aussi d’une vroissance des inégalités à l’intérieur même des pays développés comme des pays en développement avec l’apparition de pans entiers de la société versant dans la précarité et la pauvreté ainsi que l’apparition d’un chômage permanent fermant tout espoir d’amélioration sociale pour nombre de citoyens. Cette situation contraint les Etats à mettre en œuvre des politiques de lutte contre la pauvreté mais aussi des politiques de logement, d’éducation et de formation, pour éviter les fractures sociales avec leurs conséquences négatives : drogue, violence, etc.

Les fiches 1 à 8 détaillent avec précision toute cette évolution et les débats qui les accompagnent montrent clairement les enjeux des choix qui seront faits.

Les questions du financement deviennent centrales dans le problème de l’avenir de la Sécurité sociale : les besoins sont de plus en plus nombreux en raison de divers facteurs comme le vieillissement de la population, le coût croissant des soins de santé, la nécessité de propositions d’emplois pour faire face au chômage persistant. Mais il ne faut pas pénaliser la compétitivité des entreprises par l’augmentation des cotisations patronales, ni freiner le pouvoir d’achat des travailleurs par une augmentation des cotisations personnelles.

On se tourne, alors, vers d’autres formes de financement, comme un pourcentage sur la TVA, une partie des accises sur le tabac, une taxe sur l’octroi d’options sur actions (stock options en anglais). La création d’un «Fonds de vieillissement» à financer par le budget fédéral va dans le même sens. En France la Cotisation sociale généralisée (CSG) a fait éclater la limitation des cotisations aux seuls employeurs et travailleurs. Des incitants fiscaux comme ceux qui aident à la constitution personnelle d’une «épargne-pension» constituent, eux aussi, une forme de financement alternatif, la sécurité sociale n’étant plus la seule source des pensions.

S’il est fait mention dans le texte, et encore sous forme d’incise, des importantes réductions de cotisations sociales patronales accordées par la Gouvernement ces dernières années, il est un peu dommage que le montant n’en soit pas explicitement mentionné, il est de l’ordre de 5 milliards d’euros par an, soit plus de 10 % du budget total 2005. C’est une des mesures importantes de ce qu’on appelle «état social actif».

Dès lors qu’on aborde le financement, et les prestations, on aborde aussi le problème social de fond, celui de la redistribution des revenus, la Sécurité sociale étant le mécanisme principal de cette redistribution. Ainsi se trouve posée la question du modèle social, en particulier la réduction des inégalités sociales, mais aussi la réduction de l’écart entre les revenus des plus riches et ceux des plus pauvres.

Les différences homme/femme dans notre société se trouvent-elles confortées ou, au contraire, réduites par les mécanismes de cotisation et d’attribution ? La question mérite une attention trop souvent absente, faute d’une connaissance des réalités et des mécanismes hérités du passé et souvent considérés comme évidents.

Les fiches 9 à11 et les débats correspondant donnent une ouverture sur ces questions au centre de nos problèmes de société.

Chacun des six grands secteurs de la Sécurité sociale fait l’objet d’une fiche détaillée, largement fournie en documentation chiffrée et d’un débat portant sur les difficultés à surmonter et sur les progrès à réaliser. Sont ainsi passés e revue : les pensions, l’assurance-chômage, les accidents de travail, l’assurance indemnités pour maladie, l’assurance soins de santé et les allocations familiales.

Les fiches et débats 12 à 17 constituent une mine de documentation et une source d’information remarquables. On y ajoutera la fiche 21 présentant des tableaux détaillés de l’évolution des dépenses de la Sécurité sociale. Ces matières ne seront pas présentées ici.

Enfin, trois grands sujets terminent utilement cet ouvrage : les liens entre les partis politiques et la Sécurité sociale, l’impact du vieillissement de la population et l’Union européenne par rapport à la Sécurité sociale. Trois sujets importants parce que, chacun à leur manière, ils conditionnent le devenir de la Sécurité sociale et, surtout, notre modèle social.

Ces sujets sont abordés dans les fiches et débats 18 à 20.

  1. 1. Patrick Feltesse et Pierre Reman, Comprendre la Sécurité sociale, Couleurs livres, Charleroi, 2006.